Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France 2 le 8 octobre 2024, sur le conflit au Proche-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

Q - Nous accueillons le ministre des affaires étrangères de retour du Proche-Orient. Bonsoir Jean-Noël Barrot.

R - Bonsoir Anne-Sophie Lapix.

Q - Benyamin Netanyahou menace le Liban de destruction comme à Gaza. Est-ce que la France va laisser faire ?

R - Si cette provocation était suivie d'effet, cela entraînerait le Liban, pays ami de la France déjà si fragile, dans le chaos, et cela poserait, pour Israël, des problèmes de sécurité plus importants encore que ceux qui prévalaient avant les opérations militaires au Liban. La situation au Liban, je l'ai dit, est catastrophique. J'ai une pensée pour nos compatriotes qui sont nombreux à vivre au Liban et qui sont aujourd'hui inquiets. Nous suivons la situation d'heure en heure. Nous avons mis en place des moyens pour assurer leur sécurité : la réponse téléphonique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, des équipes renforcées, et puis un accompagnement pour celles et ceux qui souhaitent aujourd'hui rentrer en France, pour pouvoir le faire dans les meilleures conditions.

Q - Il y a beaucoup de demandes d'ailleurs de Français... ?

R - Il y a des demandes auxquelles nous avons pu apporter des réponses en mobilisant la compagnie nationale libanaise, la compagnie aérienne. Et nous veillons, heure en heure, heure après heure et jour après jour, à ce que tous nos ressortissants puissent avoir une réponse à leurs questions, à leurs inquiétudes, à leurs angoisses.

Q - Combien de Français sont rentrés déjà ?

R - C'est difficile à savoir exactement...

Q - À évaluer...

R - ... puisqu'ils sont libres de leurs mouvements. L'aéroport de Beyrouth peut encore accueillir des avions. Mais ce qui est notre objectif et ce qui est ma mission, c'est que la situation au Liban, comme dans la région, s'apaise, parce que la région est aujourd'hui au bord de l'embrasement. Et cet embrasement, c'est notre affaire à tous. Ça nous concerne, nous, en France, ça concerne tous les Français.

Q - Et qu'est-ce qu'on fait ?

R - Eh bien il faut d'abord bien comprendre pourquoi, parce que les prix de l'essence, les prix du gaz, la menace terroriste, les questions d'immigration, tout cela se joue aujourd'hui en grande partie au Proche-Orient. Et c'est pourquoi nous menons un travail diplomatique dans tous les pays de la région où je me suis rendu ces derniers jours pour appeler au cessez-le-feu, pour appeler à la paix, pour que la force cède la place au dialogue.

Q - Benyamin Netanyahou ne vous écoute absolument pas. Il menace donc de destruction le Liban. Il dit qu'il faut chasser le Hezbollah, il appelle les Libanais à se débarrasser du Hezbollah. Est-ce qu'il faut le faire ? Est-ce que les Libanais doivent se débarrasser du Hezbollah ?

R - Face à la situation critique que connaît le Liban, nous avons tous une responsabilité. La responsabilité qui est la mienne, c'est celle d'assurer la sécurité de nos ressortissants, je le disais à l'instant. Celle des amis du Liban, c'est d'apporter à ce pays toute l'aide humanitaire dont il a besoin. C'est ce que j'ai fait...

Q - Mais vous ne répondez pas sur le Hezbollah. Est-ce que le Hezbollah est un mouvement terroriste qu'il faut chasser ?

R - C'est ce que j'ai fait il y a huit jours en apportant avec moi une aide humanitaire, une dizaine de tonnes de médicaments. Et c'est ce qui se passait aujourd'hui, puisqu'un avion français est arrivé au Liban pour apporter de l'aide humanitaire. La responsabilité des Libanais, des responsables politiques libanais, c'est désormais d'élire un président, de mettre des institutions en place pour que le Liban se remette sur les rails. Quant au Hezbollah...

Q - Vous ne me répondez pas sur le Hezbollah. Est-ce que c'est un mouvement terroriste ?

R - Le Hezbollah porte une lourde responsabilité dans la situation dans laquelle se trouve le Liban.

Q - C'est lui qui attaque Israël.

R - Sa branche militaire s'est rendue coupable d'attentats terroristes, dont la France elle-même a été victime. Et j'ai rendu hommage, lorsque j'étais à Beyrouth, aux 58 militaires français qui ont été assassinés dans l'attentat du Drakkar il y a 41 ans.

Q - En 1983. Vous dites la branche militaire du Hezbollah, vous faites la distinction entre la branche militaire et le mouvement politique. Ça veut dire que vous considérez que le Hezbollah, le mouvement politique, n'est pas terroriste ?

R - La branche militaire du Hezbollah est celle qui a commis les attentats terroristes. Le Hezbollah, comme mouvement, porte une lourde responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui au Liban. Et la responsabilité des Libanais, c'est de reprendre en main leur destin.

Q - Hier à Paris, le nom d'Emmanuel Macron a été sifflé lors du rassemblement du CRIF en hommage aux victimes du 7 octobre. Le Président avait déclaré samedi qu'il fallait un cessez-le-feu à Gaza et que les Américains devaient cesser de livrer les armes qu'Israël utilise contre Gaza. Est-ce que vous comprenez l'émotion suscitée ?

R - Ce que le Président de la République a rappelé à de nombreuses reprises, c'est que la France se tient aux côtés d'Israël. La France est indéfectiblement attachée à la sécurité d'Israël et l'a montré à plusieurs reprises encore récemment en mobilisant ses moyens militaires pour aider Israël à parer aux attaques balistiques, aux attaques de missiles de l'Iran.

Q - Mais si elle veut qu'on cesse de livrer des armes...

R - Mais aujourd'hui, pour la sécurité d'Israël, il faut que les armes et que la force cèdent la place au dialogue et à la diplomatie. C'est pourquoi la France, comme la plupart des pays du monde, appelle aujourd'hui au cessez-le-feu à Gaza comme au Liban. Et quand on appelle au cessez-le-feu...

Q - Oui, mais c'est autre chose de dire "il faut arrêter de livrer des armes à Israël", parce que, comment se défendra l'Etat face au Hezbollah ou à l'Iran ?

R - Mais il n'a jamais été question de désarmer Israël. Il a simplement été question de dire : quand on appelle au cessez-le-feu, on ne peut pas en même temps fournir des armes offensives aux forces en présence, c'est une question de cohérence.

Q - Un mot sur un sujet dont on a beaucoup parlé le mois dernier, les OQTF. Pour expulser des étrangers, il faut obtenir des laissez-passer consulaires de leur pays d'origine. Allez-vous négocier avec les pays concernés ?

R - Mais nous le faisons, nous le faisons depuis longtemps...

Q - Avec peu d'efficacité, alors...

R - Je ne peux pas laisser dire ça. Nos ambassades et nos consulats sont pleinement mobilisés sur cette question. Et c'est une question qui est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Et donc il faut que tout le monde s'en occupe, tout le Gouvernement d'ailleurs, pas uniquement le ministère...

Q - Votre homologue marocain a dit aujourd'hui que ce n'était pas de sa faute mais que c'étaient les procédures qui ne tenaient pas la route.

R - Vous savez, cette question de l'immigration, que ce soit l'intégration des personnes que nous accueillons ou la reconduite à la frontière des personnes qui n'ont pas vocation à rester en France, c'est une question complexe. S'il y avait une solution simple, s'il y avait une solution uniquement nationale, cela se saurait. Mais le Quai d'Orsay, le ministère des affaires étrangères, est pleinement mobilisé grâce à l'action de ses ambassades mais aussi grâce à son action au niveau européen pour obtenir des avancées dans ce domaine.

Q - Merci beaucoup Monsieur le Ministre d'être venu sur notre plateau.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2024