Interview de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées et des anciens combattants, à France Inter le 10 octobre 2024, sur les conflits au Proche-Orient et en Ukraine et les menaces contre les pays occidentaux.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Oui, il est 8h24, j'avançais d'une heure. Avec Léa SALAME, nous recevons, ce matin, le ministre des Armées et des Anciens combattants dans " Le grand entretien " de la Matinale. Il publie " Vers la guerre ? : La France face au réarmement du monde. " C'est aux éditions Plon, en librairie aujourd'hui. Vos questions, vos réactions au 01 45 24 70 00 et sur l'application de Radio France. Sébastien LECORNU, bonjour.

SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

SEBASTIEN LECORNU
Bonjour aux auditeurs de France Inter.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenu à ce micro. C'est un livre stimulant et inquiétant sur les menaces qui pèsent sur la France. D'où viennent-elles ? Sommes-nous prêts à les affronter ? On va y venir longuement dans un instant. Mais la guerre, vous le savez mieux que personne, n'est pas qu'un objet théorique ; c'est aujourd'hui même l'Ukraine, c'est aujourd'hui même la poudrière du Proche-Orient. Alors, commençons par là. Israël intensifie ses opérations militaires contre le Hezbollah au Liban. Benyamin NETANYAHOU a déclaré à l'attention des Libanais, je le cite : " Vous avez une occasion de sauver le Liban avant qu'il ne sombre dans l'abîme d'une longue guerre qui provoquera des destructions et des souffrances comme celle que nous voyons à Gaza. " Fin de citation. Il menace donc le Liban du même sort que Gaza. Votre collègue au Gouvernement aux Affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, a parlé d'une provocation. Utilisez-vous, Sébastien LECORNU, le même terme ce matin ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui. Alors, il faut bien comprendre deux choses dans ce qui est en train de se passer et qui semble devenir de plus en plus grave que le jour d'hier. La première, déjà, c'est qu'il ne faut pas sous-estimer l'agenda de déstabilisation que la République islamique d'Iran est en train d'avoir sur l'ensemble de la région, ce qu'on connaissait déjà, y compris la volonté depuis 1979, le régime des mollahs de détruire et de nier l'existence même d'Israël ; moyennant la petite parenthèse, fin des années 90, début des années 2000, du président KHATAMI. On voit bien que la dialectique est là et qu'Israël ne veut pas la destruction de l'Iran ; là où l'Iran veut la dissolution d'Israël. Ça va mieux en le disant, mais ça ne s'arrête pas là. L'Iran est un pays proliférant sur le terrain nucléaire, entretenant évidemment un jeu avec le seuil d'enrichissement. L'Iran est un pays qui mène, avec des proxies en mauvais français, des auxiliaires, une déstabilisation large de la région, les outils évidemment au Yémen, les milices chiites en Irak, le Hezbollah au Liban (on y reviendra). L'Iran - et c'est souvent trop méconnu de nos concitoyens - détient injustement des citoyens français dans ses prisons. Et donc, il faut bien le voir, que cet agenda de déstabilisation, il n'a jamais été aussi prégnant. Et de l'autre côté, pour répondre précisément à votre question, nos alliés israéliens, car Israël est notre allié, là aussi, dans les narratifs de certaines formations politiques internes à notre pays que j'aime bien de rappeler. Depuis 1949, où la France a été des premiers pays à reconnaître l'État d'Israël ; Israël semble pouvoir tomber dans trois pièges qui lui sont tendus. Le premier piège, évidemment, c'est de ne pas respecter le droit international et le droit humanitaire. C'est vrai évidemment à Gaza, c'est vrai dans la proportionnalité des frappes pour épargner les populations civiles. Et pour être honnête avec vous, en tant que ministre des Armées, j'ai mal vécu les déclarations du Premier ministre NETANYAHOU sur LCI, si ma mémoire est bonne, disant : " Mais l'armée française aussi, lorsqu'elle était engagée au Sahel ou au Levant, faisait aussi beaucoup de victimes civiles. " Moi je peux vous démontrer… Les chefs militaires français peuvent vous démontrer que la manière dont nous avons mené ces frappes n'a rien à voir avec ce que fait Tsahal aujourd'hui. Le deuxième écueil, c'est évidemment de prendre une forme de confiance au regard des succès tactiques récents de Tsahal, qui sont incontestables. Mais la seule chose qui compte, c'est la sécurité d'Israël et la sécurité de la région et donc la nôtre sur le moyen et long terme. Et le troisième piège - et celui-là, il nous concerne très directement - c'est au fond, un quiproquo stratégique qui est en train de s'installer. Il faut bien comprendre que et Téhéran et Israël font, au fond, de l'escalade un outil pour la désescalade, comme on dit chez les stratèges militaires. En clair, ils cherchent à rétablir, chacun, une dissuasion en ayant le dernier mot. Sauf qu'on le voit bien depuis cet été, la machine s'enraye et que cette escalade ne se traduit que par de l'escalade. Et vous le voyez bien, jusqu'à l'été, le conflit était potentiellement indirect via le Hezbollah, via les milices que je vous parlais…

LEA SALAME
Et là, il arrive à être direct ; les déclarations du ministre israélien de la Défense, hier. Notre réplique contre l'Iran qui a envoyé 200 missiles, il y a une semaine, sur Israël… Notre réplique sera mortelle, précise, surprenante. Pour vous, on est encore dans la dissuasion quand il dit ça, on va aller vers un conflit direct, un conflit direct entre l'Iran et Israël ? Est ce qu'on y va, Sébastien LECORNU ?

SEBASTIEN LECORNU
Les deux. C'est-à-dire à la fois toutes ces déclarations sont là pour établir une forme de dissuasion. Et c'est bien le problème, c'est que Téhéran fait la même chose. Et donc, vous voyez bien cet escalier de violence qui est en train de se construire sous nos yeux… Et en même temps, c'est aussi le sens des déclarations du Président de la République depuis maintenant un an, et singulièrement depuis plusieurs semaines, en disant " la guerre est évitable. Je pourrais revenir aussi sur ce que font nos forces armées pour cela. Mais la réalité, c'est que là, nous sommes dans un engrenage qui n'a jamais été aussi précieux.

LEA SALAME
Mais vous prenez Benyamin NETANYAHOU au sérieux quand il dit " On va faire du Liban ce qu'on a fait à Gaza " ou quand il dit " Notre réplique sur l'Iran sera mortelle et précise " ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui. Mais c'est pour cela aussi que nous appelons à ce que la réplique israélienne - auquel je ne suis pas associé, ou les autorités françaises ne sont pas associées - doit être proportionnée et justement tenir compte de ce dilemme stratégique.

NICOLAS DEMORAND
Il y a de la retenue ?

SEBASTIEN LECORNU
Il faut parce que frapper des infrastructures civiles ou militaires, ce n'est pas la même chose. Frapper des infrastructures énergétiques ou nucléaires, ce n'est pas la même chose. Frapper des… Bref… Donc, il est clair que la manière dont Israël va conduire sa riposte parce que cette riposte est annoncée, va être clé. Et c'est pour cela aussi que nous sentons… Mais ce n'est pas que de la diplomatie, parce que derrière il y a les soldats de la FINUL à la frontière entre Israël et le Liban. Vous avez les missions de protection en mer Rouge du trafic commercial ; une centaine d'attaques houthis sur le trafic maritime international. C'est 50% du commerce qui est complètement en rade - pardonnez-moi cette expression - en mer Rouge. Pour un pays comme nous, qui importons beaucoup et qui exportons aussi beaucoup, tout ça a des impacts énormes. Sans compter la sécurité des communautés françaises ici ou là, de par le globe. Donc oui, la réalité, c'est que le risque d'embrasement, de guerre régionale qui, inévitablement, impacterait l'Europe et la sécurité des Françaises et des Français. Et c'est pour cela aussi que nous appelons nos amis israéliens, alliés israéliens, à ne pas tomber dans les trois pièges que je viens de décrire à l'instant. Et c'est le sens de notre diplomatie. C'est le sens aussi de ce que font les forces armées engagées sur la région en tout temps.

LEA SALAME
Il y a eu du grillage sur les lignes entre votre ami israélien, comme vous dites, et la France ; entre Emmanuel MACRON et Benyamin NETANYAHOU. Quand Emmanuel MACRON a dit la semaine dernière " La priorité est à une solution politique. On cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza ", a-t-il dit. Ce à quoi Benyamin NETANYAHOU lui a répondu " Honte à la France " en gros. La France ne livre pas d'armes à Israël ou elle en livre ? Et ce message était adressé à qui ? À Joe Biden ? Le message d'Emmanuel MACRON.

SEBASTIEN LECORNU
Sur ce qu'a dit le Président de la République qui avait été enregistré, je crois, au moment de l'Assemblée générale des Nations Unies ; effectivement, le destinataire final du message était sans doute nos amis Américains qui, eux aussi, disent " il faut un cessez-le-feu " ; qui sont très engagés avec nous. Vous savez que sur la question libanaise, au fond, il n'y a que deux pays qui sont manoeuvrant : les Etats-Unis avec un représentant de monsieur BIDEN qui s'appelle monsieur Amos HOCHSTEIN et la France avec Jean-Yves Le DRIAN, mon prédécesseur, qui est le représentant d'Emmanuel MACRON.

LEA SALAME
Elle a encore une voix, la France, au Liban et dans la région ?

SEBASTIEN LECORNU
Je vous réponds d'abord. On ne livre pas d'armes à Israël ; pour répondre à votre question. On livre des composants sur des systèmes purement défensifs. Par exemple : des systèmes de roulements à billes, de ressorts sur le dôme de fer. Vous savez que le système de défense du ciel d'Israël, des plaques de blindage pour des véhicules… Mais donc, en dépit de ce que raconte La France insoumise depuis un an, il n'y a aucune arme livrée à Israël.

NICOLAS DEMORAND
Sébastien LECORNU…

LEA SALAME
Sur la voix de la France… Pardon, Nicolas. Sur la voix de la France, vous l'entendez, vous ? Vous avez l'impression que vous pesez encore ?

SEBASTIEN LECORNU
Non, mais c'est difficile. Puisque même le Premier ministre israélien n'écoute pas son allié américain. Ça peut rendre humble. Je le dis aussi à nos concitoyens et nous, auditeurs : ne nous faisons pas violence. Nous sommes encore le seul pays européen crédible et écouté dans la région parce qu'on y a des forces armées et y compris nos 700 soldats de la FINUL dont je note que beaucoup de gens disent du mal du mandat. Mais enfin, le travail est fait au quotidien dans des conditions qui sont difficiles, qu'en 2006 la FINUL n'avait pas déménagé et un peu de respect les plus de 140 morts pour la France au Liban depuis maintenant le début des résolutions des Nations Unies. Mais c'est vrai aussi d'Irak. On ne parle pas de l'Irak qui est le géant d'à côté, sur lequel nos forces armées font de l'information, aident l'Irak à retrouver sa souveraineté. Sans quoi, entre les cellules de Daesh d'un côté et les milices chiites de l'autre, on pourrait aussi avoir un écroulement de l'Irak. Donc il faut bien mesurer que… Il faut regarder la focale globale. Et c'est pour ça que je suis parti aussi de l'agenda de déstabilisation que fait peser Téhéran sur l'ensemble du monde et de la région.

NICOLAS DEMORAND
Sur le Hezbollah, Sébastien LECORNU, vous dites qu'il a renforcé ses moyens. Je vous cite " milliers de roquettes, drones armés, missiles d'origine iranienne et même capacité maritime ; le Hezbollah est la deuxième armée de la région. " Fin de citation. Aujourd'hui, cette deuxième armée est dans quel état selon vous ? Elle a été décapitée, affaiblie ? Elle est à terre, Que pouvez-vous nous dire de précis sur l'état du Hezbollah ?

SEBASTIEN LECORNU
Décapitée, désorganisée et donc fondamentalement dangereuse. Parce que les capacités militaires sont toujours là, très amoindries, probablement la moitié. Difficile évidemment de donner des chiffres qui soient précis, mais les arsenaux sont là, soit de type balistique, soit évidemment des arsenaux plus individuels. Et de fait, pour être techniquement précis, le Hezbollah, militairement, n'est pas le Hamas et que c'est pour cela que je dis aussi que nos amis Israéliens ne doivent pas être grisés en quelque sorte par des succès tactiques performants récemment, mais qui laissent quand même entrevoir quelque chose de difficile et c'est pour cela qu'il faut s'arrêter à temps.

LEA SALAME
Il y a un sentiment de surpuissance ? Il y a une hubris du côté israélien, c'est ce que vous dites ?

SEBASTIEN LECORNU
Je pense surtout qu'il y a un traumatisme épouvantable lié au 7 octobre.

LEA SALAME
Absolument.

SEBASTIEN LECORNU
Que nous, nous sous-estimons les débats politiques intérieurs à Israël, y compris sur la réalité de ce que le renseignement israélien a pu faire ou ne pas faire pour empêcher ou prévenir le 7 octobre, qu'il y a une volonté dans l'appareil de sécurité israélien que de rétablir la dissuasion et de rassurer aussi leurs concitoyens et nos amis israéliens, ce qui est d'ailleurs bien légitime. Nous, ce qu'on essaie de faire, si vous voulez, c'est de sortir du pur court terme, ce qui est compliqué dans nos démocraties, dans nos systèmes, pour revenir aussi à quelque chose de davantage long terme, c'est qu'à un moment donné, il n'y aura pas d'issue favorable à tout cela sans solution politique, c'est vrai de la partie qui me concerne moins parce que c'est le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, qui s'en occupe sur la solution à deux États, mais c'est vrai aussi la manière dont on traite les menaces de sécurité à la frontière entre Israël et le Liban, c'est pour cela d'ailleurs qu'on maintient le contingent français de la FINUL, parce que quand les armes se tairont, il faudra bien trouver une solution sur cette ligne bleue.

LEA SALAME
Quelques mots, Sébastien LECORNU, sur l'Ukraine également, dont vous parlez beaucoup dans votre livre. Même si on en parle moins aujourd'hui l'Ukraine et pourtant, la situation est très grave, vous allez accueillir tout à l'heure Volodymyr ZELENSKY, l'Ukraine, qui pourrait être confrontée à son hiver le plus rude depuis l'invasion russe de ce pays le 24 février 2022, a averti mardi le secrétaire général de l'OTAN, qui a appelé les Alliés à renforcer leur soutien. Comment vous qualifiez le moment ukrainien aujourd'hui sur le terrain ? Le rapport de forces avec la Russie ? Peut-on dire que le tableau est sombre pour l'Ukraine et pour reposer la question de Pierre HASKI tout à l'heure, l'Ukraine peut-elle encore gagner ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui. L'Ukraine fait quand même preuve d'endurance. Bon, la ligne de front est très longue, pour vous donner peut-être un chiffre le grignotage que les Russes sont en train d'accomplir sur l'Ukraine depuis le 20-25 septembre, on parle de cent kilomètres carrés grignotés, donc en fait, si on est précis, le rapport de force, il est tenu par l'Ukraine et c'est ce qui explique… Alors, certains disent enlisement, objectivement, sur le terrain militaire, on dirait plutôt au contraire que la ligne de front, elle est tenue. Ça veut donc dire que nous, on a un sujet précisément de durée et c'est ce que disait très justement Pierre HASKI sur la capacité à tenir un rapport de force pour derrière avoir des initiatives diplomatiques, c'est le sens d'ailleurs de la visite du Président ZELENSKY qui vient échanger avec le Président MACRON sur ce que je, ils ont appelé le plan pour la victoire et c'est pour ça qu'on fait cette formation aussi de cette brigade, on est en train aussi de changer de pied petit à petit plutôt que de saupoudrer une aide militaire dans l'urgence.. On commence à faire preuve de cohérence. 2 000 hommes, enfin, une brigade, c'est 4 000 hommes, on en prend déjà en compte, 2 000 hommes en formation qu'on forme sur des équipements français de l'armée de terre qui sont des vieux équipements d'ailleurs, qu'on va sortir du format de nos armées et ça, ce souci, c'est quelque chose d'important, parce que j'entends dire : « Trois milliards d'euros pour l'Ukraine à un moment où il y a des problèmes budgétaires etc. »

LEA SALAME
Vous en parlez dans votre livre.

SEBASTIEN LECORNU
Bien sûr.

LEA SALAME
Vous répondez aux citoyens qui vous disent : " Est-ce qu'on a les moyens de donner autant à l'Ukraine ? ".

SEBASTIEN LECORNU
Exactement et en fait, nous, on optimise beaucoup les choses, c'est la force du modèle français. Pourquoi ? Parce que déjà, on a des industries françaises, c'est-à-dire que beaucoup de pays achètent aux Etats-Unis pour aider l'Ukraine. Nous, on achète en France pour aider l'Ukraine, donc les usines de Roanne, de Nexter ou les usines de MBDA de Bourges pour les citer…

LEA SALAME
Et elles produisent assez ?

SEBASTIEN LECORNU
C'est tout le sens de l'économie de guerre. J'y reviens d'ailleurs dans le livre, c'est-à-dire qu'à un moment donné, on a un modèle qui est un modèle de souveraineté 100% français, qui est tiré par la dissuasion nucléaire et le fait de ne dépendre de personne depuis les années 60, c'est ce qu'on doit au gaullisme militaire, mais il est évident qu'on doit retrouver des capacités de production importantes. Beaucoup de choses ont été faites, je l'ai déjà dit à votre micro, d'ailleurs lors d'une précédente matinale, les choses vont mieux, mais le compte n'y est pas encore et donc, on devra effectivement continuer à produire plus, sachant que l'argent est là, donc désormais, c'est un sujet d'organisation des entreprises.

NICOLAS DEMORAND
Sébastien LECORNU, dans votre livre " Vers la guerre ? ", vous essayez d'être le plus précis, le plus accessible aussi sur les dangers qui nous menacent. Et vous avez cette phrase mystérieuse et inquiétante : " Si nous ne sommes pas en guerre, je ne saurai affirmer que nous sommes pour autant en paix ". Qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Et comment décririez-vous cet état intermédiaire ? Qu'est-ce qui le caractérise ?

SEBASTIEN LECORNU
De fait, ce n'est pas un livre politique et c'est un livre dans lequel je me suis attaché à décrire la menace propre aux Français, parce que j'étais très agacé d'entendre souvent depuis deux ans et s'il nous arrivait la même chose que l'Ukraine, etc. On n'est pas l'Ukraine, on est à l'ouest de l'Europe, on n'est pas à l'Est, on est dans l'OTAN et on est une puissance nucléaire. Et inversement, donc, nous avons donc des menaces qui nous sont propres et je me suis aussi attaché à expliquer dans le livre ce sur quoi nous étions prêts, et ce sur quoi nous devions continuer à faire des efforts et en faisant des allers-retours, effectivement, avec les années 60 et notamment ce personnage qui est Pierre MESSMER qui fut le ministre des Armées du général de GAULLE et qui compte beaucoup pour moi parce qu'il dit quelque chose aussi de ce traumatisme de 1940 : " Plus jamais ça ", et ce qui explique la course à l'atome, etc. Sur cette phrase en particulier, il y a les clés…

NICOLAS DEMORAND
Ce clair/obscur, là, c'est quoi ?

SEBASTIEN LECORNU
En fait, non mais nous... Moi, je suis né en 1986. Globalement, mon enfance, c'est la dissolution du Pacte de Varsovie, le lendemain de la chute du mur de Berlin, des guerres plutôt régionales, les Balkans et surtout le terrorisme. Je me rappelle au lycée, le 11 septembre, les attentats malheureusement sur le territoire national Bon, puis tout d'un coup, on retrouve quelque chose qui ressemble à une compétition entre les grandes puissances, à du chantage nucléaire, de la prolifération et donc des stratégies de contournement des dissuasions nucléaires et c'est le propre de notre pays, c'est que comme nous sommes une puissance nucléaire, au fond, ce qui peut nous faire mal, c'est ce qui contourne la dissuasion nucléaire. Et au fond, les deux idées que je défends dans le livre, c'est que nous ne sommes pas en guerre, mais nous ne sommes plus en paix comme nous l'avons connu. Et d'ailleurs, objectivement, le seul terrorisme justifie à le justifier et à l'expliquer et surtout, désormais, nous pouvons potentiellement être défait sans être envahi, c'est-à-dire que là où encore dans notre mythologie collective, on guette les chars qui pourraient franchir la frontière à Strasbourg ou à Belfort, il n'en est rien. Le cyber, la militarisation du spatial, la militarisation et le piégeage des fonds marins, la guerre informationnelle, le fait de jouer aussi sur les divisions de la société française par différents stratagèmes menés par des puissances étrangères, donc en fait…

LEA SALAME
Des puissances étrangères que vous nommez…

NICOLAS DEMORAND
Non mais la Russie.

LEA SALAME
Dans le livre, vous dites clairement : " Aujourd'hui, l'adversaire numéro un, celui qui attend notre effondrement, l'effondrement de la France, l'effondrement de l'Europe, l'effondrement de l'Occident, c'est la Russie, qui attend ça, qui veut ça ". Et vous dites : " C'est notre première menace " ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, et qui se lie avec les autres, parce qu'on voit bien la relation entre Moscou et Pyongyang en Corée du Nord, la relation avec Moscou et Téhéran et de fait, la Russie, en fait, il faut bien comprendre qu'elle est au fond assez affaibli de ces deux années et demie de guerre et que ça la rend justement particulièrement dangereuse, qu'elle développe de plus en plus aussi un projet de politique…

LEA SALAME
Elle est de plus en plus agressive vis-à-vis de la France, par exemple ? Oui ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, oui, sur les forces armées, typiquement, je l'avais déjà décrit, mais vous avez désormais des pratiques qui avaient disparues avec la fin de la guerre froide aveuglement de pilote d'hélicoptère, menaces sur des patrouilles de rafales français pourtant dans des espaces qui sont internationalement libres, en disant : " Si vous pénétrez dans cet endroit, on va vous abattre ", alors que, enfin, il faut bien comprendre en grammaire militaire ce que ça peut vouloir dire avec le risque d'escalade qui va avec. Et puis bien sûr, les menaces cyber sur lequel, moi, je veux qu'on s'arrête une seconde.

LEA SALAME
Qui sont plus importantes aujourd'hui qu'il y a un an, qu'il y a deux ans sur la France, les attaques cyber de la Russie sur la France sont plus importantes, Sébastien LECORNU ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, oui, oui parce qu'en fait, il faut bien comprendre que le cyber, historiquement, c'est plutôt de la cybercriminalité, ce sont des gens qui viennent faire de la rançon, qui font des escroqueries, qui font, bon et puis petit à petit, ça devient un outil…

LEA SALAME
Etatique ?

SEBASTIEN LECORNU
Etatique, et même potentiellement terroriste et une attaque cyber sur un hôpital, c'est une chose, 300 attaques cyber sur 300 hôpitaux en même temps, c'en est une autre. Et vous voyez, c'est là où j'ouvre aussi dans le livre cette réflexion, ce qu'elle…

NICOLAS DEMORAND
Se préparent à ce scénario ?

LEA SALAME
Vous vous dites que c'est une possibilité ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, oui, on s'y prépare…

LEA SALAME
Vous dites que c'est une possibilité sérieuse ?

SEBASTIEN LECORNU
Mais sauf que vous voyez, est-ce que France Inter s'y prépare ? C'est là aussi le sujet de la différence sur la chose militaire et la défense nationale qui est plus large que la, que le seul sujet militaire. Demain…

LEA SALAME
Ça veut dire quoi ? Est-ce que France Inter ou les médias s'y préparent ?

SEBASTIEN LECORNU
Typiquement, il y a un aspect défense civile à ce que demain, typiquement, vous soyez attaqué, que vos sources en tant que journaliste soient divulgué, qu'à un moment donné un contenu à l'antenne soit placé alors que ce n'est pas le contenu que la rédaction a arrêté. Tout ça sont des scénarios complètement plausibles sur lequel d'ailleurs les puissances étrangères et services étrangères travaillent. Nous sommes dans une démocratie, il faut le défendre, mais ça nous donne aussi quelques vulnérabilités qu'il faut traiter. Et donc, c'est aussi ce que j'essaie d'expliquer dans l'ouvrage, c'est qu'avec le président de la République depuis 2017, je pense que c'est un des grands éléments du quinquennat d'Emmanuel MACRON, on aura réarmé le pays plutôt pour la guerre de demain que pour la guerre d'hier, n'en déplaise à certains, mais en fait, à un moment donné, il y a un sujet de résilience globale qui concerne les entreprises, les collectivités, les médias, parce que la Russie réinvente la guerre et d'ailleurs Téhéran a réinventé la guerre avec ses auxiliaires, ses proxies. On voit bien que le Hezbollah d'aujourd'hui, enfin, un peu différemment depuis trois semaines, n'est pas celui de 2006. Et ça, pour le coup, la menace va très très vite, elle va plus vite que nos débats politiques intérieurs et que nous mentalités.

LEA SALAME
Oui, d'ailleurs, vous dites, et vous dites, vous dénoncez dans le livre très clairement : " Les débats qui ne sont pas au niveau à l'Assemblée nationale sur toutes les questions militaires et les questions de défense sur les prises de position des députés, même de votre camp, écrivez-vous, même de la majorité présidentielle qui ne sont pas au niveau " ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, je pense qu'il y a un décalage énorme entre l'état du monde et on se retrouve en pleine campagne européenne ou législatives, à avoir un débat pour savoir si le président de la République est vraiment le chef des Armées ou pas, est-ce que c'est honorifique ? Quand on y réfléchit, c'est complètement dingue. Et l'héritage gaullien de la cinquième, il est à préserver et il a été préservé par le Président MITTERRAND. Il a été préservé par tous les présidents de la République successifs. Il faut aussi que la classe politique soit digne de ce sujet qui est un sujet politique, savoir où est-ce qu'on met l'argent ? Quelles sont nos alliances ? Etc…

NICOLAS DEMORAND
Alors, on va en parler, de l'agent, c'est Serge, qui est au standard d'Inter et qui veut vous interroger sur le budget des Armées.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 octobre 2024