Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à France Info le 11 octobre 2024, sur la convocation de l'ambassadeur d'Israël en France par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères suite à des tirs israéliens contre la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), le projet de loi de finances pour 2025 et le conflit en Ukraine.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonsoir Benjamin Haddad.

R - Bonsoir.

Q - Vous êtes macroniste, vous aviez rejoint Emmanuel Macron dès 2017 et vous êtes désormais ministre délégué aux affaires européennes. Or, aujourd'hui, la diplomatie française, le ministre des affaires étrangères, a convoqué l'ambassadeur d'Israël en France après, je cite le communiqué du Quai d'Orsay, "des tirs israéliens délibérés contre la force de maintien de paix de l'ONU au Liban". Deux casques bleus ont été blessés, dont un grièvement, ce vendredi. Qu'est-ce que vous attendez de cette convocation ?

R - Déjà, la FINUL, il faut rappeler ce que c'est. C'est une opération de maintien de la paix qui est au sud du Liban, qui avait été déployée notamment après la première guerre entre Israël et le Hezbollah, en 2006. On a 700 militaires français qui sont déployés. Donc évidemment, la sécurité de nos soldats qui sont engagés sur ces terrains est absolument primordiale pour la France. Donc le ministre des affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur d'Israël pour rappeler, évidemment, l'importance de respecter la sécurité de ce déploiement et du déploiement de la FINUL. Et puis ça s'inscrit plus généralement dans l'effort qui est fait par la diplomatie française, par le Président de la République, par le ministre des affaires étrangères qui s'est rendu dans la région ces derniers jours, pour tenter d'obtenir la désescalade dans la région et le retour du dialogue politique avec des règles très claires : la libération des otages à Gaza, qui sont...

Q - Alors on va revenir sur la ligne de la France. Mais à court terme, cette convocation de l'ambassadeur, c'est un geste avant tout symbolique, ou la France a réellement les moyens de faire pression sur la politique israélienne ?

R - C'est, une fois de plus, dans la continuité de la voix de la France qui porte dans cette région, où on parle à nos partenaires. Mais on peut avoir des dialogues francs pour faire entendre notre voix, faire entendre nos intérêts, nos impératifs de sécurité, notamment dans le cadre du déploiement de la FINUL. Et une fois de plus, le ministre des affaires étrangères s'est rendu dans la région. Il a été en Israël lors de la date anniversaire de l'attaque barbare du 7 octobre, aussi pour exprimer la solidarité de la France. On a toujours deux otages qui sont retenus aux mains du Hamas...

Q - Mais qu'est-ce que vous attendez d'Israël aujourd'hui ? Par exemple, mardi, dans une vidéo, Benyamin Netanyahou a menacé le Liban de connaître des destructions et des souffrances comme celles de Gaza si le pays ne se débarrassait pas du Hezbollah. L'heure, là, elle semble plutôt être à l'escalade. Est-ce que vous appelez Israël clairement à la retenue au Liban ?

R - Mais c'est encore une fois le message qui est porté par le Président de la République : celui d'appeler à la désescalade, à la fin de ces tirs. Le Ministre d'ailleurs a rappelé que c'est le Hezbollah qui avait commencé, le lendemain du 7 octobre, à tirer sur le territoire israélien. Il y a aujourd'hui à peu près 60 000 Israéliens du nord du pays qui sont déplacés en raison de ces tirs. On a appelé tous les acteurs à la retenue, et surtout, encore une fois, à relancer une dynamique de dialogue politique dans la région. Parce que c'est ça qui se pose aussi à Gaza : les conditions d'un cessez-le-feu pour lequel le Président de la République se bat, c'est la libération des otages, l'acheminement de l'aide humanitaire vers les populations civiles. Et d'ailleurs, lorsque le ministre des affaires étrangères était au Liban aussi la semaine dernière, il a pu délivrer 12 tonnes d'aide humanitaire à la population civile du Liban. La protection des populations, évidemment, est une priorité de la France. Et après, la relance d'un processus politique, qui devra garantir la sécurité d'Israël, ce qui est un droit inaliénable. J'en parle quelques jours après l'anniversaire tragique, funeste, du 7 octobre. Et bien sûr, un processus politique qui peut mener à la création d'un État palestinien, qui vivra aux côtés d'un État israélien. Ça a toujours été le message de la France, vous savez, depuis même des décennies, donc c'est le message que continue à porter la diplomatie française.

Q - Justement, ce n'est pas très clair parce que vous rappeliez là les mots du Président sur le Hezbollah, mais on s'y perd un peu entre la position d'Emmanuel Macron après le 7 octobre, qui appelait une coalition internationale contre le Hamas. Le 27 septembre, par exemple, la France n'a pas réagi à l'élimination de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, contrairement aux États-Unis qui ont parlé d'une mesure de justice. Ensuite, le Président a demandé de ne plus livrer d'armes à Israël à deux jours des commémorations du 7 octobre. Si la voix de la France est si peu audible, c'est peut-être aussi, justement, parce qu'elle n'est pas très claire, non ?

R - Non, je crois que la voix de la France a toujours été très claire. Déjà, le Président, naturellement, après le 7 octobre, avait condamné avec la plus grande fermeté l'attaque barbare du Hamas. Et puis après, a tout de suite tracé, une fois de plus, les conditions de l'aboutissement à un cessez-le-feu, la libération inconditionnelle des otages – et nous avons toujours deux otages français qui sont détenus –, l'acheminement de l'aide humanitaire à la population, et le retour...

Q - Et l'arrêt des livraisons d'armes, cela fait partie de la ligne aussi ?

R - Mais comme vous le savez aujourd'hui, la France ne livre pas d'armes à Israël. La France livre des composants défensifs, qui sont utilisés dans le cadre du dôme de fer, qui permet de protéger les populations civiles israéliennes face aux tirs du Hamas ou du Hezbollah.

Q - Mais elle demande aux États-Unis d'arrêter les livraisons d'armes.

R - Le Président de la République s'était exprimé effectivement sur le sujet, mais une fois de plus, l'objectif c'est, dans un cadre où le droit d'Israël à sa sécurité est évidemment inaliénable, et je le dis encore une fois, dans un contexte, quelques jours après cet anniversaire du 7 octobre, de trouver les conditions d'un cessez-le-feu.

Q - Benjamin Haddad, le projet de loi de finances pour 2025 a été présenté hier. Il prévoit 60 milliards d'efforts, dont 20 milliards de hausse d'impôts : contribution exceptionnelle des plus hauts revenus pour une durée de trois ans tout de même, hausse de l'impôt sur les sociétés qui doit rapporter 8 milliards d'euros... Vous, le macroniste qui avez soutenu pendant sept ans les baisses d'impôts sur les entreprises, est-ce que vous êtes à l'aise avec ce budget ?

R - Oui parce que c'est un moment de responsabilité et de crédibilité pour notre pays. Et je vous le dis en tant que ministre délégué aux affaires européennes, si on veut peser dans les grands débats européens de demain, de la question de la relance de la compétitivité sur notre continent, de l'Ukraine, tous ces grands sujets d'autonomie stratégique, la protection de nos industries, de nos technologies, on doit mettre de l'équilibre dans nos comptes publics. On doit se lancer dans ce projet de redressement. C'est un moment, effectivement, de responsabilité. On aura une baisse du déficit public de 60 milliards d'euros cette année, qui sera financée essentiellement à travers des réductions de dépenses. Je le dis parce que, évidemment, quand on est le pays qui a la dépense publique la plus élevée de l'OCDE, c'est sur la dépense publique et la réforme structurelle qu'il faut continuer, et auxquelles il faut s'attaquer.

Q - Mais justement, vous le dites vous-même, Benjamin Haddad : la France a perdu en crédibilité ces derniers mois, à cause notamment de ce pays qui a renvoyé l'image d'un pays qui a des finances à la dérive, non ?

R - Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Ce que je dis, c'est qu'en revanche, notre crédibilité...

Q - Vous avez dit que c'était impératif de rétablir...

R - Oui, parce que notre crédibilité, notre influence pour les débats qui vont avoir lieu, par exemple on aura une nouvelle Commission européenne dans les prochains mois, pour façonner l'agenda de cette Commission, eh bien effectivement, là nous sommes scrutés, nous sommes attendus au tournant par nos partenaires sur cette question des comptes publics.

Q - Ils ont réagi à ce budget, les partenaires européens ? Vous avez eu des retours ? Il a été bien perçu ?

R - Oui, il est bien perçu parce qu'effectivement on voit qu'on prend au sérieux la question budgétaire, qu'on prend au sérieux la question de la dette. C'est un enjeu aussi de souveraineté, c'est un enjeu pour l'avenir de notre pays. Maintenant, vous l'avez rappelé effectivement tout à l'heure, nous avons mis ces dernières années le pays sur une trajectoire qui a permis de faire revenir les investissements étrangers. La France est aujourd'hui le premier pays d'accueil d'investissements étrangers. Sur la voie de la croissance, ce qui n'est pas le cas d'ailleurs de certains de nos partenaires et voisins, qui eux sont en récession ; notre pays est en croissance. Le chômage est au plus faible depuis 40 ans. Et on a dû faire face à des crises absolument historiques, que soit la crise Covid, on a soutenu nos ménages et nos entreprises ; évidemment, la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, où on a protégé les Français face à l'inflation et à l'augmentation des prix de l'énergie. Mais maintenant, il faut aussi en tirer les conséquences et être capable de réduire notre dépense publique et de le faire aussi à travers, et là je crois que le Premier ministre, le ministre des finances, le ministre du budget ont eu le courage aussi de dire que ça devait passer par des hausses d'impôts ciblées, temporaires. Mais effectivement, sur ceux qui le peuvent, c'est-à-dire certaines entreprises et certains ménages les plus riches.

Q - La France n'a même pas réussi à imposer son commissaire européen à Bruxelles. C'était censé être Thierry Breton, mais il a démissionné parce que Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est allemande, ne voulait pas de lui. Est-ce que la France est devenue l'homme malade de l'Europe ?

R - Non. Et d'ailleurs, si vous regardez même ne serait-ce que les chiffres...

Q - Cet épisode n'est pas significatif de la perte d'influence de la France ?

R - Non mais si vous regardez ne serait-ce que les indicateurs économiques, comme par exemple la croissance, nous sommes loin d'être l'homme malade de l'Europe. Et aujourd'hui d'ailleurs, les difficultés économiques de l'eurozone ne sont pas liées à la France, au contraire. En revanche, si vous prenez cette question, Stéphane Séjourné, outre d'ailleurs ses qualités personnelles, quelqu'un qui connaît très bien Bruxelles, qui était président de groupe au Parlement européen, qui a une relation de confiance avec le Président de la République, mais aussi avec la présidente de la Commission européenne... Ce que je trouve intéressant, quand on regarde la répartition des responsabilités dans la nouvelle Commission européenne, c'est de voir à quel point les thèmes, les priorités que nous portons, au fond, depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017, se reflètent aujourd'hui dans les priorités de la Commission. Quand on parle de souveraineté industrielle, de souveraineté technologique, quand on parle de défense, quand la présidente de la Commission parle du nucléaire, qui maintenant est enfin reconnu comme une énergie de décarbonation dans les énergies vertes de la Commission européenne, ça, tout ça, c'était des gros mots, c'était interdit. Ce sont des thèmes que la France a portés. Nous avons créé des coalitions avec nos partenaires sur tous ces sujets depuis des années.

Q - Benjamin Haddad, d'un mot, cela fait plus de deux ans et demi que la guerre en Ukraine dure. Hier, Volodymyr Zelensky a plaidé à nouveau à Paris pour que les Occidentaux l'autorisent à frapper profondément sur le territoire russe avec les armes de longue portée qu'on lui a fournis. Ça fait des mois qu'il le réclame, il ne l'a toujours pas obtenu ?

R - Vous voyez, on a certains partenaires, comme vous le savez, les Britanniques, les Américains, qui y sont opposés. Maintenant, je crois que nous, nous avons toujours été clairs que l'Ukraine se défend. Que nous avons passé beaucoup de temps à fixer des lignes rouges à l'Ukraine. Je vous rappelle, pendant longtemps, on avait dit "pas de chars", "pas de missiles longue portée", "pas d'avions", tandis que la Russie, elle, dans son agression illégale injustifiée, ne s'est fixée aucune ligne rouge. Donc dans les cas de légitime défense, c'est-à-dire si vous avez des tirs qui viennent de cibles militaires de la Russie vers les infrastructures, parfois les infrastructures civiles ukrainiennes, les Ukrainiens sont en droit de pouvoir se défendre. Mais au-delà de ça, effectivement, vous avez raison de rappeler que le Président de la République a reçu le président Zelensky hier pour rappeler une fois de plus notre soutien et notre solidarité à l'Ukraine. Nous formons aussi des militaires ukrainiens, 2 500 militaires ukrainiens, sur le territoire français.

Q - Vous croyez encore à la victoire de l'Ukraine ?

R - Oui. Et vous savez, d'ailleurs, l'enjeu aujourd'hui – et le président ukrainien a été très clair sur le fait qu'il est ouvert à des négociations –, c'est de créer un rapport de force le plus favorable possible sur le terrain pour mettre nos amis et alliés ukrainiens dans les meilleures conditions pour une négociation. Et de créer aussi une trajectoire claire pour des garanties de sécurité au sein de l'OTAN ou des garanties de sécurité les plus robustes possibles pour assurer la dissuasion et la stabilité sur le plus long terme, et accompagner les Ukrainiens dans le chemin aussi vers l'Union européenne, qui prendra le temps, qui prendra des réformes, mais sur lequel nous devons les accompagner. Les Ukrainiens aujourd'hui se battent évidemment pour leur souveraineté et leur liberté, mais se battent aussi pour la sécurité de l'Europe, pour la stabilité du flanc Est. Pour aussi notre sécurité. Quand on pense au prix de l'alimentation, au prix de l'énergie, tout ça aurait un impact, évidemment, sur les Français dans leur vie quotidienne, si demain la Russie l'emportait. C'est notre responsabilité de continuer à les aider. Nous le faisons avec nos alliés et partenaires européens.

Q - L'Allemagne a annoncé diminuer de moitié son aide pour 2025 à l'Ukraine...

R - Mais c'est pour ça que nous le faisons en Européens. Vous savez, l'un des grands enjeux qui est en train d'être négocié en ce moment, et j'espère qu'on aboutira dans les prochains jours, c'est la négociation d'un grand emprunt de 50 milliards d'euros au niveau du G7, financé sur les avoirs russes gelés, les avoirs de la Banque centrale, les intérêts qui sont générés par ces avoirs de la Banque centrale. Là-dessus, la France a eu un rôle pilote. Et ces 50 milliards serviront aussi à aider les Ukrainiens dans le temps long, en particulier sur le plan militaire.

Q - Merci Benjamin Haddad, ministre délégué aux affaires européennes, d'avoir répondu aux questions de France Info.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2024