Texte intégral
Q - Bonjour et bienvenu au Forum Radio J dont vous êtes l'invité, Benjamin Haddad, bonjour...
R - Bonjour Frédéric Haziza.
Q - Alors, le monde est en guerre en Ukraine et au Proche-Orient et la France tente de faire entendre sa voix. En tant que ministre des affaires européennes, vous êtes quelque part la voix de la France, et vous vous retrouvez avec votre ministre de tutelle, le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot, au centre du dialogue entre l'Elysée et Matignon et de la vraie-fausse cohabitation Macron-Barnier. Alors, dans ce contexte quelle place pour la France en Europe et dans le monde ? La diplomatie française est-elle encore audible ? Et puis au niveau franco-français, à la veille du débat budgétaire au Parlement, l'heure est-elle à la rigueur ou à l'austérité ? Comment en tout cas répondre en même temps aux attentes de la majorité, à celles des oppositions, et aussi à celles des Français ? Mais pour commencer, Benjamin Haddad, ce qui fait encore l'actualité de ce week-end, c'est-à-dire l'offensive d'Israël contre le Hezbollah au Liban et les tensions entre la France et Israël. Emmanuel Macron a déclaré vendredi que la France ne tolérerait pas de nouveaux tirs d'Israël contre la FINUL au Sud-Liban, qu'est-ce que ça signifie ?
R - Alors, le Président de la République l'a dit, vous l'avez rappelé, ainsi que tous les dirigeants européens et le président Biden, avec une ligne très claire qui est la défense du droit international et la préservation des casques bleus. Je rappelle qu'on a 700 soldats français au sein de la FINUL au sud du Liban. Donc évidemment, la priorité absolue, c'est de préserver leur sécurité et de faire en sorte qu'ils ne se retrouvent pas au milieu de tirs...
Q - Alors, je précise la question : est-ce que ça signifie que les casques bleus français pourraient répondre par les armes à de nouveaux tirs d'Israël ?
R - Ça signifie une fois de plus qu'on ne tire pas sur les casques bleus, c'est la préservation du droit international...
Q - "La France ne tolérerait pas", ça veut dire quoi ?
R - La France ainsi que ses partenaires. Donc ce message a été très clair. C'est le message qui est passé à nos amis et partenaires israéliens...
Q - Est-ce qu'il peut y avoir des tirs de soldats français ?
R - Vous savez qu'il y a des règles d'engagement très claires au sein des Nations unies, qui sont d'ailleurs dans le cadre des résolutions des Nations unies de déploiement de ces casques bleus, qui sont là pour assurer le maintien de la paix dans la région. Tout ça s'inscrit, vous l'avez dit puisque vous avez parlé du rôle et de la voix de la France, tout ça s'inscrit dans le message que fait porter la France pour entraîner la désescalade qui pourrait mener à un cessez-le-feu dans la région. C'est la voix du Président de la République, c'est aussi le rôle de la France. Jean-Noël Barrot était dans la région il y a encore quelques jours, le ministre des affaires étrangères s'est rendu au Liban aussi pour délivrer de l'aide humanitaire. Je voudrais rappeler aussi que le Président de la République hier, en des termes très clairs, a demandé au Hezbollah de cesser ses tirs, puisqu'on a toujours presque 100 000 Israéliens réfugiés du nord du pays depuis le 8 octobre. Depuis le lendemain de l'attaque barbare du Hamas, le Hezbollah s'est mis à tirer sur Israël et presque 100 000 Israéliens n'ont pas pu retrouver leur foyer aujourd'hui. Donc on est dans cette situation, effectivement, avec un risque d'embrasement régional, situation qui a été commencée par l'attaque barbare du 7 octobre, qui a été renforcée après par les proxys de l'Iran dans la région. L'objectif de la France, c'est d'obtenir le retour du dialogue régional, le cessez-le-feu ; à Gaza, évidemment, la libération inconditionnelle des otages – nous avons deux otages français, deux compatriotes qui sont toujours détenus par le Hamas – ; l'acheminement de l'aide humanitaire ; et le retour du dialogue.
Q - Israël en tout cas affirme que les tirs contre la FINUL n'étaient pas délibérés, mais s'expliquent par le fait que le Hezbollah se positionne sciemment à côté des positions de l'ONU pour envoyer ses missiles et ses roquettes sur le territoire israélien. Est-ce que la France juge cette explication crédible et recevable ?
R - Le Président, je crois, parlait de tirs délibérés. Il a été aussi très clair hier encore une fois sur le Hezbollah et sur la responsabilité du Hezbollah d'arrêter les tirs contre Israël. Si vous me permettez de prendre un peu de recul peut-être sur la situation dont on parle. Nous sommes quelques jours après l'anniversaire tragique, funeste, du 7 octobre. Moi-même je m'étais rendu avec des collègues en Israël quelques jours après le 7 octobre 2023 dans un voyage de solidarité avec les Israéliens. Et vous savez, face au terrorisme, la force est légitime, elle est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. La question qui se pose aujourd'hui c'est : comment est-ce qu'on reconstruit un cadre politique qui est la seule façon d'assurer la sécurité de long terme ?
Q - De l'ensemble de la région...
R - De l'ensemble de la région. Le rapport de force, ce n'est pas suffisant. Si on regarde l'histoire, Henry Kissinger, qui a écrit un très beau livre sur le Congrès de Vienne en 1815 disait que "Pour assurer la stabilité d'un ordre international, on a besoin de rapport de force". C'est ce qu'il appelait "l'équilibre des pouvoirs", mais il a aussi parlé d'un principe de légitimité partagé, d'un principe de justice. Et donc, la question effectivement qui se posera après la lutte légitime contre le terrorisme est : comment est-ce qu'on aboutit à un cessez-le-feu ? Comment est-ce qu'on relance un dialogue politique régional qui prend en considération les intérêts de sécurité, les intérêts légitimes aussi de souveraineté des Palestiniens et qui assure la stabilité et la sécurité à long terme de la région ? Et ça c'est le message qui est porté par la France.
Q - Je rebondis sur ce que vous disiez au début de votre réponse. Ça veut dire que pour vous, pour la France, la riposte d'Israël face au Hamas et au Hezbollah est légitime ?
R - Mais le Premier ministre avait parlé encore il y a quelques jours d'une situation de légitime défense. Maintenant, la voix que porte la France, c'est d'aboutir à un cessez-le-feu, de protéger les populations civiles dans la région. C'est pour ça d'ailleurs que la France est si impliquée aussi bien auprès des territoires palestiniens que du Liban dans l'acheminement de l'aide humanitaire. Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot, quand il s'est rendu au Liban, s'y est rendu pour acheminer 12 tonnes d'aide humanitaire. Nous pouvons être fiers là-dessus du rôle pilote que joue la France auprès de ses partenaires. On hébergera le 24 octobre une conférence internationale de donateurs, de bailleurs, aussi pour le Liban. Pour, une fois de plus, relancer ce dialogue politique. La France a été l'un des tout premiers pays à reconnaître Israël en 1948, à soutenir aussi Israël, mais aussi l'un des premiers pays à appeler à la nécessité de créer un État palestinien au côté de l'État d'Israël. C'est toujours la voie que porte Emmanuel Macron.
Q - Je poursuis sur l'actualité, sur les déclarations d'Emmanuel Macron, qui demande donc, il a réitéré hier cette demande, l'arrêt des exportations d'armes à Israël qui servent à Gaza et au Liban. Alors, pourquoi pendant 20 ou 30 ans, avoir laissé l'Iran armer le Hezbollah et le Hamas ? Et pourquoi avoir laissé aujourd'hui l'Iran contribuer à la construction des tunnels offensifs du Hamas à Gaza et au Liban ?
R - Mais ce que vous venez de citer, ça contribue évidemment à l'instabilité et à la violence dans la région. Et d'ailleurs, je voudrais souligner, la France est le premier pays à le dire, la France a été à l'avant-garde des sanctions par exemple sur la prolifération nucléaire de l'Iran. La France a porté avec ses partenaires allemands et britanniques, pendant longtemps, la négociation pour empêcher l'Iran d'avoir l'arme nucléaire, ce qui est toujours d'ailleurs un des objectifs de notre politique étrangère. Nous sommes à l'avant-garde aussi des sanctions contre le soutien à des groupes terroristes et des proxys dans la région. Il y aura un Conseil européen la semaine prochaine. Ça fait partie des sujets dont on parlera dans ce Conseil européen...
Q - Avec quoi ? Des nouvelles sanctions contre l'Iran ?
R - Avec effectivement des sanctions qui sont portées, qui ont toujours été portées par la France au niveau européen comme au niveau des Nations unies, contre le soutien au terrorisme, contre le développement de programmes de missiles balistiques, contre le développement du programme nucléaire qui serait une source d'instabilité...
Q - Suite aux déclarations d'Emmanuel Macron, est-ce qu'il peut y avoir aussi une demande de sanctions contre Israël ?
R - Ecoutez, le Président, ce qu'il a dit, c'est de ne pas contribuer une fois de plus à l'instabilité en emmenant des armes dans la région. Bon, maintenant, vous le savez, la France ne livre pas d'armes à Israël...
Q - Donc, ça veut dire qu'Emmanuel Macron demande aux États-Unis de ne plus livrer d'armes à Israël ?
R - C'est un message qui était passé à d'autres pays comme les États-Unis. Mais je rappelle effectivement que la France ne livre que des composants défensifs du dôme de fer, le dôme de fer qui sert à protéger le ciel...
Q - Donc, il n'y aura pas d'embargo de ces armes, de ces éléments du dôme de fer ?
R - Il ne s'agit absolument pas, bien sûr, d'empêcher les Israéliens de se défendre et donc d'empêcher les Israéliens de développer le dôme de fer qui protège les civils israéliens.
Q - Aucune conséquence sur les livraisons de ces éléments du dôme de fer de la France à Israël ? Donc, il n'y aura pas d'embargo des livraisons ?
R - Il ne s'agit pas évidemment d'empêcher les Israéliens de protéger leurs civils.
Q - Au passage, pour vous et pour la France, le Hezbollah est une organisation terroriste ou pas ?
R - Vous connaissez la position de la France là-dessus, c'est une organisation effectivement qui commet des attentats terroristes, c'est une organisation d'ailleurs qui est à l'origine de la mort de 58 Français en 1985...
Q - Ah ça, vous le dites !
R - Mais attendez, Jean-Noël Barrot s'est rendu au Liban en rendant hommage...
Q - Mais sans citer le nom du Hezbollah...
R - ... aux morts du Drakkar...
Q - Sans parler du Hezbollah...
R - Là-dessus, vous savez très bien que la position de la France est très claire. Et après, effectivement, la France aussi parle à tous les acteurs politiques de la région.
Q - Alors, ces déclarations d'Emmanuel Macron sur l'arrêt des exportations d'armes à Israël a créé un certain trouble en Israël et au sein de la communauté juive. Certains se sont demandé si on n'est pas au bord de la rupture entre la France et Israël. Est-ce que c'est le cas ?
R - Mais non. Et d'ailleurs, vous voyez bien que le dialogue est toujours maintenu, qu'on avait le ministre des affaires étrangères qui était, le 7 octobre, je crois que c'était le seul dirigeant étranger, notre ministre des affaires étrangères qui était en Israël le 7 octobre, qui s'est rendu sur les lieux du festival Nova. Nous avons eu en France une grande cérémonie d'hommage à laquelle j'étais en tant que parlementaire, très émouvante, pour les familles de nos...
Q - Vous avez été choqué, heurté par les sifflets visant Emmanuel Macron ?
R - Je pense que c'était très minoritaire et qu'on ne veut pas s'appesantir là-dessus. Le Premier ministre était à cette cérémonie avec de nombreux représentants du Gouvernement. Le Président de la République a organisé encore une fois une cérémonie d'hommage, nous sommes le seul pays à l'avoir fait, cette cérémonie d'hommage pour nos morts du 7 octobre, pour nos otages. Notre diplomatie se mobilise en permanence auprès de tous nos partenaires dans la région pour faire libérer nos otages. Donc, moi, je ne veux absolument pas polémiquer sur cette situation qui nous heurte tous, qui nous touche tous, qui est tragique, et sur laquelle je ne veux pas jeter de l'huile sur le feu. Vous savez, c'est un sujet qui est déjà tellement difficile, tellement tragique pour beaucoup de gens qui aiment cette région, pour beaucoup de gens qui sont attachés à l'amitié entre notre pays et Israël et le Liban, et qui considèrent que la France a un rôle important à jouer dans la région. N'exagérons pas les polémiques politiciennes à ce sujet.
Q - Est-ce que vous souhaitez qu'Israël remporte sa guerre contre le Hamas et contre le Hezbollah ?
R - Moi, je souhaite qu'Israël vive en paix et en sécurité...
Q - Donc, ça passe par une victoire contre le Hamas et le Hezbollah ?
R - Mais bien sûr que je souhaite qu'Israël vive en paix et en sécurité dans la région, je souhaite qu'Israël remporte sa guerre contre le terrorisme, qu'Israël vive en paix et en sécurité je souhaite que les Palestiniens puissent vivre en paix en sécurité dans leur État. On avait eu ces dernières années, vous savez, une dynamique positive sur le plan diplomatique avec les accords d'Abraham. Je crois qu'il y a toujours peut-être d'autres opportunités dans la région pour relancer le dialogue. Et là-dessus, moi, j'espère que la France et l'Union européenne pourront contribuer à relancer le dialogue et que nous aurons aussi une situation avec deux États : un État d'Israël qui vit dans la paix et la sécurité que les Israéliens méritent, et un État palestinien souverain aux côtés d'Israël.
Q - Quand vous dites "je veux", "je souhaite", je ne sais plus quel terme vous avez employé, qu'Israël remporte sa guerre contre le terrorisme, ça veut dire contre le Hamas et le Hezbollah ?
R - J'ai répondu à votre question...
Q - Donc, ça veut dire contre le Hamas et contre le Hezbollah. Alors, il y a le Hamas, il y a le Hezbollah et il y a l'Iran, qui à deux reprises a envoyé des centaines de missiles, de roquettes et de drones sur Israël. Comment qualifiez-vous ce qui s'est passé ? C'est un acte de guerre ? Une déclaration de guerre ? Ou pour reprendre un peu ce qu'on lit ici ou là un jeu vidéo ?
R - Ce n'est pas un jeu vidéo puisqu'on est dans le monde réel...
Q - Beaucoup amenuisent les effets de ces attaques contre Israël, c'est pour ça que j'utilise le terme de jeu vidéo...
R - Ce n'est certainement pas un jeu vidéo, on est vraiment dans le monde réel. C'est pour ça qu'encore une fois...
Q - Acte de guerre ? Déclaration de guerre ?
R - C'est une situation grave qui a été condamnée, je crois, dans les termes les plus clairs une fois de plus par la France et par l'Union européenne.
Q - Parce que si la France avait été l'objet d'une attaque d'un pays contre son territoire, la France aurait réagi...
R - Mais la France a réagi. Non seulement la France a réagi à cette attaque de l'Iran, aux deux attaques d'ailleurs, et effectivement, comme ça a été d'ailleurs dit, aux côtés de nos partenaires, nous avons aidé les Israéliens à assurer leur défense... Aux côtés de nos partenaires, nous avons aidé les Israéliens à se défendre lors de ces deux attaques de missile.
Q - Et donc, la question que je vous posais c'est si une attaque similaire avait visé la France, la France n'aurait pas pu rester sans réagir, aurait attaqué l'État qui aurait visé la France...
R - Mais une fois de plus, c'est pour ça d'ailleurs que la France, je le répète, a aidé les Israéliens, a condamné non seulement dans les termes les plus stricts, les plus claires, cette attaque inacceptable de l'Iran avec des missiles balistiques, une attaque massive contre Israël, a aidé l'Israélien à se défendre. Et aujourd'hui, une fois de plus, la France joue son rôle dans le dialogue régional pour mener à une désescalade et pour retrouver une forme de dialogue régional qui peut mener un cessez-le-feu, mais qui se fera effectivement dans le droit inaliénable d'Israël à sa sécurité...
Q - À sa sécurité...
R - Le droit à sa sécurité, une fois de plus. Et donc ça passe par un cadre politique, à terme qui reconnaîtra, les garanties de sécurité à Israël...
Q - Mais ça veut dire que ça passe aussi par une riposte d'Israël à l'Iran ? Ça vous parait inévitable ou pas ?
R - Le message que porte la France c'est de trouver les voies d'une désescalade qui peut mener à un cessez-le-feu tout en étant extrêmement clair sur le droit d'Israël à la sécurité.
Q - Mais est-ce qu'une riposte d'Israël contre l'Iran est légitime, est inévitable, serait approuvée par la France ?
R - Vous savez, moi, je ne vais pas commencer à spéculer sur les prochaines étapes dans la région. Moi, je vous rappelle une fois de plus le message que porte la France, c'est le message d'une désescalade qui peut mener à un cessez-le-feu.
Q - Désescalade aussi, ça passe par le traitement du dossier nucléaire iranien. L'Iran qui appelle depuis des années à la destruction d'Israël est donc passé à l'acte en tirant ces centaines de missiles sur Israël. Est-ce qu'on peut laisser l'Iran devenir une puissance nucléaire ?
R - Non, mais ça, ça a toujours été d'ailleurs un objectif majeur de la France avec ses partenaires. Vous savez que ces négociations sont anciennes. Elles avaient été amorcées, je crois, en 2003-2004 par l'E3, c'est-à-dire la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, pour trouver un cadre de non-prolifération. Il y avait eu après le JCPOA qui était cet accord nucléaire avec l'Iran...
Q - Rompu par Donald Trump...
R - Rompu par l'administration Trump, et d'ailleurs, on en voit aujourd'hui les conséquences avec l'Iran, qui est plus proche selon la plupart des experts, des estimations...
Q - Que disent les experts ?
R - Les experts français, les experts de non-prolifération semblent penser que l'Iran est plus proche du seuil. Donc il y avait un cadre de sanctions sur lequel la France avait joué un rôle pilote pendant des années sous plusieurs d'ailleurs présidences au sein des Nations unies, et qui avait mené cet accord. Le Président de la République s'est d'ailleurs lui-même engagé, avait parlé à plusieurs reprises de retrouver le cadre d'un accord qui incluait aussi une réflexion sur les missiles balistiques iraniens dans la région, sur le soutien aux proxys de l'Iran. Mais effectivement, ce programme nucléaire est une menace non seulement pour la sécurité d'Israël mais pour la stabilité dans la région, une menace pour le régime de non-prolifération et donc...
Q - Pour la région, pour le monde ?
R - Clairement pour la stabilité de la région, et donc c'est pour ça que la France, très longtemps, continue de porter la nécessité de retrouver un cadre de non-prolifération et de retrouver peut-être le cadre de l'accord qui avait été celui qui avait été négocié à l'époque sous l'administration Obama.
Q - Quand je vous entends parler, je me dis, je vais vous poser cette question : quand Israël fait face au Hamas au Hezbollah, face aux Houthis, à tous ces proxys de l'Iran, est-ce qu'Israël ne fait pas le sale boulot à la place des pays occidentaux qui depuis des années restent sans répondre à l'Iran, sans répondre à ses proxys ? D'ailleurs, les soldats français, vous parlez des 58 soldats du Drakkar, les 241 soldats américains ont été tués par le Hezbollah il y a 40 ans. Il n'y a pas eu de réponse.
R - Mais vous savez, après le 7 octobre... Encore une fois, je n'aime pas ce type d'expression, je ne veux pas traiter ces sujets avec légèreté. Ce sont des sujets qu'on traite avec gravité. Je crois que la position de la France notamment après le 7 octobre avait été extrêmement claire sur la barbarie des attaques terroristes du Hamas, sur le droit à la légitime défense d'Israël, la nécessité de respecter le droit international et le droit humanitaire, aujourd'hui, la volonté de pouvoir trouver les moyens d'une désescalade, d'atteindre un cessez-le-feu qui relancerait un dialogue politique.
Q - Est-ce que vous considérez que le monde sera plus sûr quand le régime des mollahs ne sera plus au pouvoir à Téhéran ?
R - Alors, là, c'est peut-être un débat philosophique...
Q - Ou géopolitique...
R - Non mais je crois que fondamentalement, on ne détermine pas les régimes des pays avec lesquels on négocie. On fait de la diplomatie. Si on prend un autre exemple, après le 11 septembre, les Américains étaient en position évidemment de légitime défense mais les volontés de remodeler les régions, les volontés de changer les régimes, on a vu aussi les conséquences géopolitiques, les conséquences sécuritaires que ça pouvait avoir...
Q - Donc...
R - Donc sur des sujets comme ça, moi, je parle toujours avec prudence. En revanche, je pense que nous devons continuer avec nos alliés et nos partenaires à poursuivre la voie qui a toujours été la nôtre, celle de la non-prolifération, celle de la lutte contre le terrorisme, celle d'empêcher notamment une fuite en avant sur les questions de prolifération nucléaire dans la région qui serait dangereuse pour tout le monde.
Q - Alors, les conséquences en France, Benjamin Haddad, le pogrom du Hamas du 7 octobre et la réponse d'Israël ont eu des conséquences en France, c'est-à-dire une explosion de l'antisémitisme véhiculée souvent par la gauche de la gauche, sous couverte d'antisionisme. Et quand je dis la gauche de la gauche, c'est LFI. Quel message adressez-vous aux juifs français qui doutent, qui ont peur et qui se demandent s'ils ont toujours leur place en France ?
R - Mais les juifs français ont évidemment leur place en France. Vous savez, oui, effectivement, il y a eu après le 7 octobre, même avant, depuis au fond une vingtaine d'années, ce qu'on appelle, même si je déteste cette expression, une forme d'importation du conflit du Moyen-Orient...
Q - Ce que certains ont appelé un nouvel antisémitisme...
R - Oui, un nouvel antisémitisme, qui a fait des morts...
Q - 11 morts depuis 2006...
R - Bien sûr.
Q - 11 juifs français assassinés parce qu'ils étaient des juifs...
R - Exactement, 11 juifs français qui ont été assassinés parce qu'ils étaient des juifs. Une explosion de l'antisémitisme sur les réseaux sociaux. Et c'est un combat permanent, on ne peut rien laisser passer. C'est la France qui est attaquée, c'est la France qui est bafouée. On a, vous savez, notamment depuis le 7 octobre, un Gouvernement qui a été extrêmement mobilisé pour protéger tous les lieux de la communauté juive, les synagogues, les écoles... Et au fond, quand je pense à ça, je me dis toujours, d'un côté, heureusement qu'on voit ces protections. Hier c'était Yom Kippour, je crois que beaucoup de fidèles ont pu voir des véhicules de police devant les synagogues. Et c'est malheureux qu'on doive en arriver là.
Q - Il faut s'en féliciter ou justement dire que c'est terrible ce qui se passe ?
R - Les deux. Les deux, il faut souligner que les gouvernements, les autorités, nos forces de l'ordre sont extrêmement mobilisés pour protéger la communauté juive, et effectivement s'attrister d'avoir à en arriver là. Mais les juifs de France sont chez eux ; ce pays est le leur et ils n'ont aucune raison d'en partir. Mais c'est notre responsabilité à tous. Ne rien laisser passer. Toujours se battre contre toutes les formes d'antisémitisme que l'on peut voir aussi bien sur le plan sécuritaire que dans le débat public, sur les réseaux sociaux. D'être d'une vigilance et d'une fermeté absolues, et de continuer à répéter tout le temps que quand un juif est attaqué, c'est toute la France qui est attaquée.
Q - Alors des juifs sont attaqués, notamment par LFI et Jean-Luc Mélenchon, qui avec ses amis multiplie depuis des années, pas seulement depuis un an, depuis des années, les déclarations et les tweets aux relents nauséabonds, que ce soit sur le CRIF, sur des personnalités d'origine juive comme Yaël Braun-Pivet, comme Elisabeth Borne, Ruth Elkrief, Pierre Moscovici... C'était en 2013, Mélenchon disait de lui qu'il ne pense pas français mais finance internationale. Et puis Benjamin Haddad, à chaque jour le point de détail de Mélenchon. Le 28 septembre, il vous a pris pour cible en vous accusant – je le cite – d'être acquis à la politique de M. Netanyahou. Beaucoup y ont vu une allusion à votre judaïté et donc une attaque antisémite. Et vous ?
R - Au fond, moi je n'ai pas à me justifier...
Q - Mais comment vous avez entendu ça ? Comment vous avez pris ça ?
R - Non mais vous savez, moi je ne me laisse pas déstabiliser...
Q - Non mais ce n'est pas déstabiliser...
R - Non mais laissez-moi répondre ! Je ne me laisse pas intimider ou déstabiliser. Donc moi, les insultes de M. Mélenchon, ça ne m'intéresse pas. Il y a deux façons de faire de la politique, au fond. Soit on décide de diviser, de cliver, d'attiser la haine et le chaos, de faire du communautarisme. Soit, et c'est mon approche, on travaille avec humilité. Je respecte tous les Français, je travaille pour tous les Français, je suis à ma tâche. Donc je ne me laisse pas intimider, je ne me laisse pas atteindre par ce genre de choses. J'ai eu beaucoup de messages de soutien qui m'ont touché. Et je vois que la vérité, la réalité de ces propos n'a échappé à personne...
Q - Vous dites que c'est de l'antisémitisme...
R - Une fois de plus, encore une fois, ce serait donner trop d'importance à ce monsieur que de me laisser déstabiliser ou de passer du temps à répondre... Vous savez, encore une fois, moi je n'ai même pas répondu à ce moment-là sur les réseaux sociaux, je travaillais chez moi, c'était un week-end. Et je continue à avancer, à travailler.
Q - Parce que vous l'avez vu... vous l'avez entendu, je le sais. Suite à ces attaques de Mélenchon contre vous, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui était à votre place dimanche dernier, a considéré ici sur Radio J qu'il faudrait mettre Mélenchon au musée de l'antisémitisme et des antisémites. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Déjà, j'ai été touché par le message du grand rabbin de France, et donc je lui adresse ici mon amitié, ma reconnaissance. Il y a eu beaucoup, encore une fois, de messages. Et puis il y a des forces politiques qui sont des ingénieurs du chaos, qui considèrent que pour exister, il faut constamment cliver, il faut constamment attaquer, il faut conflictualiser tout. Et puis il y en a d'autres qui considèrent, encore une fois, que ce qui est beau dans la politique, c'est justement d'essayer de rassembler, d'unifier, de travailler, d'obtenir des résultats. C'est peut-être une approche qui fait moins de vagues, qui fait moins de retweets, mais que je trouve beaucoup plus respectable.
Q - De quoi Mélenchon est-il le nom ?
R - Il est le nom de cette stratégie du chaos, il est le nom de cette stratégie de la conflictualisation. Je l'ai vu aux États-Unis sous Donald Trump. Au fond, les méthodes sont très similaires. Vous avez le complotisme, vous avez la volonté de toujours être dans le débat public en créant de la polémique et en poussant les autres à réagir à vos polémiques en conflictualisant. Vous avez aussi les techniques de ce que les Américains appellent le "dog whistle". Vous savez, le sifflet de chien, c'est-à-dire de trouver des sous-entendus qui sont compris par certains et qui servent une fois de plus à attiser. Ça tend notre société qui a besoin, au contraire, je le crois, d'apaisement, qui a besoin de voir aussi des personnalités politiques au travail. Mais vous vous rendez compte de la situation aujourd'hui ? Je suis sûr qu'on va en parler. On a des déficits...
Q - Le budget, on va en parler...
R - On a une guerre sur le continent européen, à nos frontières, avec peut-être les questions qui se posent demain sur les conséquences de l'élection américaine, sur le soutien à l'Ukraine, sur la fiabilité de notre allié américain et l'avenir de la relation transatlantique. Nous avons passé un moment à parler de la tragédie au Moyen-Orient. Est-ce que vous croyez vraiment aujourd'hui que les Français attendent de nous des polémiques, des attaques personnelles, du chaos, plus de clivages ? Je ne crois pas !
Q - On va parler tout de suite des sujets européens qui vous concernent. Beaucoup – le rabbin Korsia, Bernard-Henri Levy et d'autres qui étaient invités ici – voient dans la stratégie de Mélenchon une stratégie électoraliste mais sur une base antisémite. Et ils disent que Mélenchon et son parti sont antisémites. Et vous ?
R - Alors déjà je ne sais pas si c'est électoraliste ou si c'est sincère, ce qui relève des convictions, je ne suis pas dans son cœur... Mais c'est évident qu'il y a, depuis des années, une volonté de cibler des personnalités juives ou des organisations juives. L'obsession sur le CRIF – vous avez mentionné un certain nombre de personnalités comme Pierre Moscovici, comme Yaël Braun-Pivet qui avait été victime d'attaques antisémites...
Q - On aurait pu citer Jérôme Guedj aussi...
R - Bien sûr, Jérôme Guedj, vous avez raison de le dire. Raphaël Glucksmann aussi, pendant la campagne des Européennes, Yaël Braun-Pivet qui a été victime d'une attaque antisémite ignoble quand on a dit qu'elle campait à Tel-Aviv pour soutenir un massacre, alors qu'elle se rendait dans un voyage de solidarité. Une fois de plus, il y a effectivement cette volonté d'attiser le chaos et la haine...
Q - Donc de l'antisémitisme...
R - Clairement, d'attiser la haine antisémite.
Q - D'attiser la haine antisémite... Mélenchon et LFI. OK. Donc on passe à l'Europe. Joe Biden devait participer samedi à Ramstein en Allemagne, à un sommet international des alliés d'Ukraine avec le chancelier allemand Olaf Scholz, le Président Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Un déplacement annulé par le président américain en raison de l'ouragan en Floride, il a dû se déplacer en Floride. Ce lapin de Biden ne fragilise-t-il pas l'axe des Occidentaux en faveur de l'Ukraine ?
R - Il faut qu'on reste extrêmement mobilisés dans le soutien à l'Ukraine. Ce qui se passe en Ukraine engage bien sûr nos valeurs de démocratie, de liberté, mais aussi notre sécurité. C'est la stabilité du flanc Est de l'Europe. Aujourd'hui, les Ukrainiens se battent non seulement pour protéger leur souveraineté et pour reconquérir leur territoire, pour préserver leur avenir démocratique, leur orientation géopolitique, mais aussi pour assurer la sécurité des Européens. Et donc c'est pour ça que lorsque le président Zelensky a été reçu par le Président Macron cette semaine, nous restons mobilisés. Il y aura dans les prochains jours... nous sommes au cœur d'une négociation sur un grand emprunt de 50 milliards pour l'Ukraine, qui sera notamment focalisé sur les efforts militaires de l'Ukraine au niveau du G7, qui sera financé sur les intérêts des avoirs gelés de la Banque centrale russe qui ont été immobilisés en Europe...
Q - Mais sur ce lapin de Biden, ça change quoi ?
R - Mais la question qui se pose à travers votre question, au-delà simplement de cet épisode avec Biden, c'est en effet l'avenir du soutien américain à l'Ukraine, l'avenir des garanties de sécurité américaine en Europe, alors que nous sommes à trois semaines d'une élection américaine historique. Vous avez d'un côté un candidat, Donald Trump, dont on sait qu'il a eu des propos très durs sur l'OTAN, sur l'Europe lorsqu'il était président...
Q - On va préciser les choses pour nos auditeurs : Donald Trump, qui a souvent critiqué l'aide à l'Ukraine et l'engagement américain de l'OTAN, a assuré qu'en cas de victoire, il mettrait fin immédiatement à la guerre avec la Russie, sans dire comment il s'y prendrait.
R - Mais au-delà de ça, je voudrais dire qu'au-delà de Donald Trump, on voit depuis une dizaine d'années maintenant une tendance de fond qu'on avait déjà vue sous Barack Obama, d'éloignement des États-Unis vers l'Europe, de concentration sur la rivalité stratégie avec la Chine, et d'ailleurs aussi sur leurs problèmes intérieurs. On a vu cette administration Biden qui a aussi été une administration très protectionniste sur un certain nombre de tarifs douaniers des années Trump vis-à-vis de l'Europe qui n'ont pas été levés, que ce soit aussi sur l'IRA bien sûr, l'Inflation Reduction Act, qui est un investissement massif dans l'industrie américaine, qui s'est fait aussi au détriment des intérêts économiques européens. Nous, nous avons été les premiers à le dire et dire qu'il ne fallait pas que l'Europe reste naïve et qu'elle soit capable, dans ce contexte, d'assurer sa propre sécurité en investissant dans son autonomie stratégique sur le plan militaire, de défendre son industrie, d'être capable aussi de se défendre face au protectionnisme chinois. C'est ce que nous faisons en ce moment sur la question des véhicules électriques. L'Europe ne peut pas rester un continent sans défense, ne peut pas rester un continent avec toutes les portes et les fenêtres ouvertes et qui pourrait basculer au premier courant d'air. Ça, c'est le message d'une Europe sans naïveté, qui est porté par la France depuis quelques années.
Q - Est-ce que l'Europe a les moyens d'aider l'Ukraine sans les Américains si Trump est élu ?
R - C'est une question existentielle pour nous. Il faut qu'on soit capable de s'en donner les moyens.
Q - Est-ce que l'élection de Trump à la présidence des États-Unis peut mettre fin à l'aide de l'Europe et des États-Unis à l'Ukraine ?
R - L'aide de l'Europe, ça ne dépend que de nous...
Q - Et est-ce que ça dépend aussi des États-Unis ?
R - Bien sûr qu'évidemment, ça dépend aussi des États-Unis. Mais c'est pour ça que nous, il faut qu'on se rende compte que c'est avant tout nos intérêts de sécurité. Encore une fois, nous ne défendons pas les Ukrainiens par altruisme, nous défendons nos intérêts de sécurité et la stabilité du flanc Est de l'Europe. C'est pour ça qu'il y un certain nombre de rendez-vous qu'il ne faut pas rater. Je vous parlais de ce grand emprunt de 50 milliards qui est financé sur les intérêts des avoirs gelés de la Banque centrale russe, que nous sommes en train de négocier, qui ira principalement à soutenir l'effort militaire de l'Ukraine. Nous avons le renouvellement de la Facilité européenne de paix – pardon de parler d'éléments un peu techniques du débat européen, mais qui sont fondamentaux. La Facilité européenne de paix, c'est cet outil qui est utilisé pour financer les livraisons d'armes européennes à l'Ukraine et qu'on est en train de renouveler. Nous avons dans les prochains mois une nouvelle Commission européenne qui va s'installer, avec d'ailleurs un commissaire à la défense. Ça fait partie des idées françaises et je m'en réjouis. L'augmentation de nos moyens de défense au niveau européen et nos coopérations industrielles et la mise en place d'une préférence européenne, c'est-à-dire d'investir dans nos outils, dans notre industrie européenne de défense, c'est un enjeu absolument générationnel pour nous si on veut être capable de défendre ensemble nos intérêts de sécurité.
Q - Sur Trump, d'après ce que vous dites, on a l'impression que la victoire de Trump peut conduire au chaos. C'est le cas ou pas ?
R - Alors déjà, je voudrais souligner, parce qu'on l'oublie un petit peu, je regardais les sondages hier... Aujourd'hui, les sondages sont extrêmement serrés.
Q - Oui, mais ce qu'on sait a priori de la situation aux États-Unis, c'est que pour qu'un démocrate puisse être élu, il faut qu'il ait au moins deux ou trois points de plus que le candidat républicain.
R - Au niveau national, oui, en effet, c'est à peu près comme ça que se passe la dynamique parce que, comme vous le savez, l'élection va se jouer dans les états clés, c'est-à-dire en Pennsylvanie, Ohio, notamment les swing states de la Rust Belt, c'est-à-dire la "ceinture rouillée" du nord des États-Unis, où Trump avait été très performant en 2016, mais il avait perdu en 2020. La réponse qu'il faut en tirer, c'est tout simplement que l'Europe ne peut pas se permettre de jouer sa sécurité à pile ou face tous les quatre ans, ne peut pas se permettre d'attendre...
Q - Donc il faut une Europe de la défense efficace...
R - Il faut une Europe de la défense, il faut non seulement continuer, ce que nous avons fait en France, non seulement continuer à augmenter nos budgets nationaux de défense. Je voudrais rappeler que sur les deux mandats d'Emmanuel Macron, on aura doublé le budget de la défense et qu'il sera sanctuarisé dans le budget qui vient, puisque c'est encore une fois notre sécurité, notre souveraineté qui est en jeu. Et il faut aussi renforcer nos coopérations industrielles au niveau européen. Mais au-delà simplement de ces questions budgétaires ou industrielles, c'est une vraie prise de conscience dans un monde dangereux, dans un monde où les rapports de force ont repris leur place, où les Américains se détournent vers leurs propres priorités en Asie ou vers le protectionnisme, les Européens doivent être capables d'assumer de défendre leurs valeurs ensemble, leur sécurité ensemble.
Q - La France et ses alliés : est-ce qu'ils redoutent une victoire de Trump ? On poursuit là-dessus.
R - Vous m'avez posé des questions sur un autre pays tout à l'heure. Au fond, on ne contrôle pas ce qui se passe aux États-Unis, on ne maîtrise pas. Donc en réalité, je crois qu'il faut être assez stoïcien et prendre ce qui se passe en dehors de l'Europe et ce qu'on ne maitrise pas comme une donnée objective. On travaillera avec le président américain quel qu'il soit, et on rappellera au président américain, quel qu'il soit, l'importance de la relation avec l'Europe, l'importance de l'Alliance atlantique, l'importance de ne pas se lancer dans des spirales protectionnistes ou isolationnistes. Mais encore une fois, la seule réponse qu'il faut en tirer, c'est de pouvoir être capable d'investir dans notre autonomie stratégique, de nous donner les moyens de peser de façon unie. Lorsque Donald Trump a été élu en 2016, sur le plan commercial, comme souvent, comme ça a été d'ailleurs le cas des Britanniques pour les négociations Brexit, il a cherché à diviser les Européens, à jouer les Européens les uns contre les autres. Notre crédibilité sur les questions commerciales comme sur les questions militaires, elle vient de notre unité, de notre capacité à peser ensemble. Et ça, on devra veiller à maintenir notre unité. Nous avons des alliés, nous aurons peut-être des différends. La seule façon, encore une fois, de peser dans les équipes du monde et dans la relation avec les États-Unis, quel que soit le président élu, c'est d'assumer notre autonomie, d'assumer de défendre nos intérêts et de peser de façon unie.
Q - Et ça passe aussi par des échanges commerciaux. Dans l'actualité, il y a cette information qui a été mise à notre connaissance la semaine dernière, indiquant que Sanofi va céder Doliprane à un fonds américain. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour la France...
R - Alors j'ai vu d'ailleurs, si vous me le permettez, qu'une soixantaine de députés avaient interpellé le Gouvernement sur le sujet et je les félicite de leur vigilance. Le député Charles Rodwell, qui est un bon connaisseur des questions de souveraineté industrielle, de commerce extérieur, qui s'est mobilisé. Et la réaction du Gouvernement, d'Antoine Armand, le ministre de l'économie et des Finances ou Marc Ferracci, ministre de l'Industrie, je crois, a été très claire. Le Gouvernement est extrêmement vigilant sur cette vente...
Q - Est-ce que le Gouvernement peut s'y opposer ou pas ?
R - Il y a un certain nombre de conditions qui ont été fixées par le Gouvernement. Vous l'avez vu dans le communiqué, qui est très clair, d'Antoine Armand et Marc Ferracci : que les sites industriels soient préservés, que l'emploi soit préservé, que la dimension la plus stratégique reste en France. Et donc là-dessus, le Gouvernement est extrêmement mobilisé et je vois que des parlementaires le sont aussi.
Q - Autre dossier qui vous concerne : les discussions à Bruxelles sur les droits de douane imposés par l'Union européenne sur les véhicules électriques importés de Chine ont pris fin samedi sur un constat que des divergences majeures subsistent. C'est le ministre chinois du commerce qui indique ceci. Partant de ce constat, comment vous voyez les suites des négociations avec Pékin ?
R - De quoi on parle ? La Commission européenne a lancé une enquête que nous soutenons, pour constater que la Chine subventionne – donc il y a des distorsions commerciales, des pratiques de subventions abusives de la part de la Chine – pour son secteur des véhicules électriques. Je précise que les Américains de Biden ont imposé des tarifs douaniers de 100 % en réponse à ça...
Q - Pour préciser les choses, là ça passerait de 10 à 35 % au niveau de la surtaxation pour l'Europe...
R - L'Europe ne peut pas être une fois de plus le dernier continent naïf à se comporter juste comme un grand marché ouvert qui n'est pas capable de défendre ses intérêts. Donc nous, on est pour le libre-échange, on est pour les échanges commerciaux avec nos partenaires chinois ou américains, mais il faut qu'ils se fassent à un niveau qui est équitable, qu'on respecte chacun les mêmes règles parce qu'on ne peut pas, nous, avoir des règles sur les subventions, sur les aides d'État, sur le commerce qui sont extrêmement strictes au niveau européen et accepter que nos partenaires ne les appliquent pas !
Q - On précise les choses quand même. Vous avez des menaces de guerre économique, une guerre commerciale qui pourrait être menée par la Chine contre l'Europe. Et puis il y a aussi cette opposition de l'Allemagne à une surtaxation des véhicules électriques chinois.
R - Là-dessus, il y a eu un vote. Vous le savez, il y a eu un vote la semaine dernière, le vote auquel la France a pris part, qui a soutenu la position de la Commission, qui est en conséquence de cette enquête, d'imposer des tarifs. Donc si on arrive à aboutir à une solution négociée avec la Chine...
Q - Non mais là c'est une question de semaines...
R - Et que la Chine prend des engagements très clairs, que ce soit sur le changement de prix ou la fin des subventions et qu'on pourra le vérifier, à ce moment-là, tant mieux. Mais une fois de plus, la France soutient la position de la Commission qui a été à la fois de commencer cette enquête et le vote pour imposer des tarifs. Quand les Américains imposent des tarifs douaniers de 100 % sur ce qui est une fois de plus des pratiques commerciales abusives, dans des échanges commerciaux, à ce moment-là, il faut que l'Union européenne soit capable de défendre ses intérêts commerciaux.
Q - Est-ce que l'Union européenne, est-ce que la Commission européenne pourra aller contre l'avis de l'Allemagne ?
R - Il y a eu un vote. Il y a eu un vote positif. Donc la réponse est oui, puisqu'à partir du moment où il y a eu un vote en ce sens par une majorité d'États membres, effectivement... sauf si on trouve un accord avec la Chine qui prendrait des engagements extrêmement clairs, à ce moment-là, il y aura cette augmentation de tarifs au niveau européen.
Q - Autre dossier, on va dire franco-européen, c'est celui de l'immigration. Bruno Retailleau déploie un discours de fermeté depuis qu'il est en place à la tête du ministère de l'Intérieur. Il souhaite durcir fortement les conditions d'accueil des sans-papiers. Est-ce que c'est la position du Gouvernement dans son ensemble ? Est-ce que vous croyez à une immigration zéro ? Et qu'est-ce que vous répondez à ceux qui accusent votre collègue Bruno Retailleau de faire du Le Pen ?
R - Je voudrais répondre à cette première question. Ça, c'est un vieux canard qui consiste à dire... sur Le Pen, c'est un vieux canard qui consiste à dire que quand on parle d'immigration, tout de suite on est d'extrême droite. Et ça, ça a empêché tous les gouvernements modérés de répondre à la demande légitime de nos concitoyens, qu'ils soient de gauche comme de droite, de maîtriser l'immigration ; non pas de fermer le pays ou de fermer les frontières et j'y reviendrai, mais de pouvoir dire de façon très claire, très transparente, que si vous venez en France pour travailler, vous respectez les règles, que vous vous intégrez ou que vous êtes demandeur d'asile, vous êtes le bienvenu sur notre territoire. Si vous ne respectez pas les règles, si vous ne respectez pas la loi, si vous êtes débouté d'asile, vous n'avez pas vocation à rester. Ça, c'est un principe clair.
Q - Donc est-ce que la position de Bruno Retailleau engage l'ensemble du Gouvernement ?
R - Il est le ministre de l'intérieur. Et je vous rappelle que le Premier ministre – d'ailleurs il l'a fait dans sa déclaration de politique générale – a mis cette question de la maîtrise de l'immigration au cœur de son action, et ce sera d'ailleurs au cœur de mon action en tant que ministre délégué à l'Europe au niveau européen. Au niveau européen, nous avons fait adopter récemment le Pacte asile et migration, qui est une petite révolution puisqu'il permet notamment...
Q - Que LR n'avait pas voté à l'époque au Parlement européen...
R - Peut-être, mais qui a été voté en tout cas par une majorité du Parlement européen, qui permet notamment une première sélection de demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne et un meilleur contrôle des frontières extérieures par le renforcement de Frontex, et qui permet notamment de ne pas laisser certains de nos partenaires qui ont été trop longtemps abandonnés – je pense à l'Italie et la Grèce – aux frontières extérieures de l'Union européenne, de ne pas les laisser seuls. Ça, c'est important parce que nous avons la zone Schengen en Europe, c'est-à-dire la libre circulation des biens, des personnes au niveau européen mais ça exige de nous qu'on soit capable de maîtriser nos frontières extérieures. Donc ce Pacte asile et migration, il faut qu'il soit mis en œuvre le plus rapidement possible. La France, avec beaucoup de ses partenaires, demande une mise en œuvre accélérée du Pacte asile et migration dans son entièreté. Ça, c'est premièrement. Deuxièmement, Bruno Retailleau, le Président de la République aussi d'ailleurs, en ont parlé : on peut ouvrir une réflexion sur la réforme de la "directive retour", qui permet de mieux expulser. Ça n'était pas dans le Pacte asile et migration ...
Q - Donc notamment la question des OQTF...
R - Exactement, l'exécution des OQTF. Donc ça, ce n'était pas dans le Pacte asile et migration. Je pense que c'est la prochaine étape au niveau européen. Et après il y a une réflexion de plus long terme – et ça, c'est ce à quoi on va s'atteler – sur ce qu'on appelle la dimension externe des migrations. C'est-à-dire que l'Union européenne, comme la France d'ailleurs, l'Union européenne dispose d'un certain nombre de leviers : la conditionnalité de l'aide au développement, les visas, des partenariats avec les pays de transit et de départ qui permettent aussi d'ailleurs d'aider certains de ces pays à mieux maîtriser leurs flux migratoires... Ça, ça doit devenir aussi une priorité au niveau européen. Mais je voudrais revenir sur ce que vous avez dit sur Le Pen, parce que fondamentalement, si on n'est pas capables, nous les pro-Européens, si on n'est pas capables de montrer que l'Union européenne obtient des résultats probants sur la défense de la sécurité des Européens, la défense des intérêts commerciaux des Européens, la maîtrise de nos frontières, évidemment les gens iront voter après pour des partis souverainistes en disant "ça ne marche pas". Donc il faut qu'on soit capable de montrer que c'est aussi avec la coopération européenne, pas dans le repli national, pas dans le souverainisme, mais avec la coopération européenne sur des sujets qui sont si complexes qu'on obtient des résultats pour les Européens et pour les Français.
Q - Est-ce que vous dites, comme Bruno Retailleau, que l'immigration n'est pas une chance pour la France ?
R - Non, je ne dis pas ça. Je pense que l'immigration, déjà, c'est avant tout une chance pour ceux qui viennent...
Q - Et vous savez de quoi vous parlez...
R - Je sais de quoi je parle. Ça a été une chance pour ma famille qui s'est intégrée, qui a appris le français, qui a travaillé dur... qui vient de Tunisie – mon père est né en Tunisie. Et après c'est un devoir pour ceux qui viennent de faire en sorte que ce soit une chance pour le pays.
Q - Dernière partie de cette émission, il reste trois minutes, le débat budgétaire qui provoque des tensions au sein de la coalition au pouvoir. Donc le Gouvernement présente un budget avec 60 milliards d'euros d'économies, deux tiers de baisses de dépenses, un tiers d'impôts en plus. C'est un budget de rigueur ou un budget d'austérité ? Et puis est-ce que Gabriel Attal et Gérald Darmanin, pour ne parler que d'eux, ont raison de critiquer les choix budgétaires du Gouvernement disant qu'ils s'opposeront à l'augmentation des impôts ?
R - C'est un budget de responsabilité qui est nécessaire, mais qui nous permet justement d'éviter l'austérité plus tard et d'éviter ce que d'autres pays ont vécu dans l'austérité. Déjà quand on parle d'austérité, vous savez, je vois certains acteurs politiques comme la France Insoumise, ça fait des années qu'ils parlent d'austérité, y compris quand on a protégé les Français de la crise Covid, y compris quand on a protégé les Français de l'augmentation des prix de l'énergie et de l'inflation pendant la guerre en Ukraine, y compris quand on a fait le paquet pouvoir d'achat en 2022, on nous parle à chaque fois d'austérité. C'est l'un des mots les plus galvaudés du discours politique français. Mais je voudrais vous parler du débat européen parce que là-dessus, nous sommes attendus au tournant. C'est aussi l'influence et la crédibilité de notre pays à terme qui est en jeu si on ne montre pas qu'on remet le pays sur la voie du redressement des finances publiques.
Q - Cela pourrait dire que la France sera dans une situation à la grecque ?
R - C'est effectivement un risque, on n'est pas les seuls, mais on est déjà sous procédure de déficit excessif aujourd'hui au niveau européen ; on a des investisseurs étrangers qui nous regardent. Notre pays est devenu le pays le plus attractif pour les investissements étrangers ces dernières années. Mais effectivement, c'est notre crédibilité vis-à-vis des marchés, vis-à-vis des investisseurs étrangers, vis-à-vis des agences de notation. Donc il faut remettre le pays sur la voie de l'équilibre des comptes publics. On baissera le déficit de 60 milliards cette année. C'est un effort considérable, mais c'est un effort responsable et nécessaire. Il faudra continuer d'ailleurs dans les prochaines années pour atteindre les 3 % de déficit, sinon c'est l'avenir de notre pays qui est en jeu. C'est la souveraineté de notre pays et c'est aussi, je dirais, l'avenir économique pour les générations futures qui auront à payer cette dette.
Q - Cela veut dire que Michel Barnier a été nommé pour imposer du sang et des larmes aux Français.
R - Michel Barnier l'a dit à de nombreuses reprises, et d'ailleurs il l'a répété, je crois, au Conseil des ministres cette semaine : il préfère être impopulaire et faire les choix nécessaires qui s'imposent pour notre pays. Ça demande un certain courage, mais c'est important. Je crois que c'est ce qui est attendu de nous de la part des Français. Ils attendent de la stabilité, ils attendent des résultats. On a là une responsabilité collective de faire en sorte que ça marche, que ce budget passe parce que c'est l'avenir du pays. On ne peut pas se permettre d'être dans une situation où le remboursement de la dette deviendra plus important que l'investissement dans nos services publics, l'investissement dans la transition écologique. C'est pour ça que nous avons une responsabilité collective de s'attaquer aux déficits.
Q - Merci Benjamin Haddad d'avoir répondu à notre invitation.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2024