Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " La crise agricole. "
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande du débat dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande du débat dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas sans une certaine émotion que je monte aujourd'hui à la tribune du Sénat, où je m'exprime pour la première fois, en qualité de ministre de surcroît.
Je veux commencer par vous remercier, cher Daniel Gremillet, des propos que vous avez tenus, sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir.
Je vous remercie également, mesdames, messieurs les sénateurs, de cette invitation à débattre devant la Chambre haute sur la crise que traverse notre agriculture et, par là même, sur l'avenir de la ferme France.
En plaçant ce débat en tête de l'ordre du jour de la nouvelle session ordinaire après celui, essentiel, sur la dette publique, le Sénat a envoyé un signal fort au monde agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous jouez encore une fois votre rôle de lanceur d'alerte reconnu par tous les professionnels agricoles. Sur la compétitivité de la ferme France, sur les limites du cadre législatif Égalim, sur le mal-être des agriculteurs, sur les sujets forestiers, la Chambre haute a toujours visé juste lorsqu'il s'agissait d'alerter sur le sort des territoires et, surtout, sur celui des femmes et des hommes qui les font vivre et les façonnent.
Élue de terrain, c'est avec cette méthode sénatoriale, si je puis dire, que je souhaite travailler en lien quotidien avec les élus locaux, les députés et vous-mêmes. C'est un véritable pacte de travail que je vous propose aujourd'hui : l'agriculture a besoin de toutes les forces vives pour sortir de la crise.
Car la crise qu'elle traverse est très profonde. J'ai été frappée de constater, en prenant mes fonctions, que la quasi-totalité des filières agricoles connaissent des difficultés. En grandes cultures, la dernière récolte de blé est la pire depuis près de quatre décennies. Dans l'élevage, les risques sanitaires croissent et s'alimentent mutuellement. La production viticole souffre tant de la mutation rapide de la structure de la demande que d'aléas climatiques toujours plus fréquents. Nos industries agroalimentaires connaissent des risques de restructuration. Les problèmes sont partout.
À ces difficultés s'ajoute le fait que les agriculteurs ont le sentiment que les promesses qui leur ont été faites l'hiver dernier n'ont pas encore été tenues.
J'ai bien conscience de la gravité de la situation et je ne m'y résous pas. C'est pourquoi le Premier ministre et moi-même avons souhaité agir immédiatement.
Nous avons fait plusieurs annonces, au sommet de l'élevage, sur la fièvre catarrhale ovine et je suis sûre que nous en reparlerons au cours de ce débat. Des garanties ont, en outre, été apportées pour accélérer l'indemnisation des pertes des éleveurs liées à d'autres maladies vectorielles, comme la maladie hémorragique épizootique.
S'agissant de la viticulture, dans la lignée de mon prédécesseur, j'ai obtenu que l'Union européenne valide un dispositif d'arrachage définitif pour un montant de 120 millions d'euros. C'était une demande majeure des filières et je crois qu'il faut s'en féliciter. Cette mesure s'accompagnera d'un plan d'avenir, car il faut voir plus loin que le seul arrachage, dont on ne peut se satisfaire en soi.
Je travaille résolument afin de proposer très vite des solutions concrètes aux problèmes de trésorerie des agriculteurs après la récolte catastrophique de cet été. Et je veillerai à ce que, lors de nos débats sur le projet de loi de finances dans les prochains jours, les engagements fiscaux et sociaux pris par le Gouvernement l'hiver dernier soient tenus.
Le monde rural nous regarde et ses attentes sont grandes. Je serai donc au rendez-vous. Ces actions sont des urgences vitales, qui permettront de répondre à la crise agricole.
Cela étant, sortir l'agriculture de la crise, c'est aussi lui donner un objectif clair, un cap, une vision sans laquelle nous ne pourrons motiver les jeunes et leur donner envie de s'engager dans les métiers agricoles.
Le débat qui nous rassemble aujourd'hui est aussi une manière de discuter ensemble de cette vision. C'est aussi la raison pour laquelle il est essentiel.
Nous avons déjà identifié les grands défis que le monde agricole doit relever, notamment grâce à l'ensemble des travaux parlementaires menés ces dernières années.
Le premier défi est celui du renouvellement des générations en agriculture, comme M. le sénateur Gremillet l'a rappelé. Avec près d'un agriculteur sur deux âgé de plus de 55 ans, le renouvellement n'est pas assuré et le nombre d'exploitations, qui baisse de façon dramatique depuis vingt ans, continue de décroître.
Le métier n'attire pas toujours suffisamment et la détresse pointe parfois. Trois des principales causes de cette situation ont été rappelées avec force par les agriculteurs : le revenu, la surcharge administrative et le manque de considération.
Pour ce qui est du revenu, nous relancerons, dans les semaines à venir, les réflexions sur l'évolution du cadre législatif décliné par les lois Égalim.
Nous réfléchissons actuellement avec la secrétaire d'État chargée de la consommation, l'une de vos anciennes collègues, Laurence Garnier, à la meilleure façon de poursuivre notre travail à vos côtés sur ce sujet. Cette évolution se fera, bien entendu, en lien avec le groupe de suivi de la commission des affaires économiques piloté par Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier.
La surcharge normative est une problématique qui intéresse beaucoup d'entre vous – je pense notamment au sénateur Duplomb. En la matière, comme je l'ai rappelé dès ma prise de fonction, l'exploitant agricole est avant tout un chef d'entreprise. Il faut le dire et le redire, l'activité agricole revêt évidemment une dimension économique ; il ne faut jamais l'oublier.
Ma mission est de faire en sorte que l'agriculteur passe plus de temps dans les champs que derrière un ordinateur. Or la plupart des agriculteurs croulent aujourd'hui sous les démarches administratives. Comme l'a déclaré le Premier ministre, l'heure est à la pause sur les normes.
Il faut également redonner du bon sens à la réglementation : comment expliquer à un agriculteur qu'il ne peut pas engager des travaux d'épandage, car il a dépassé la date fixée dans un texte pris à Paris, alors qu'il ne cesse de pleuvoir depuis plusieurs semaines ? C'est un point sur lequel le Premier ministre est revenu à ma demande, ce dont je le remercie.
Voilà toute la philosophie de l'action de ce gouvernement : des solutions rapides aux problèmes concrets.
Enfin, il reste un travail fondamental à mener sur le manque de considération envers le monde agricole.
Je veux le dire clairement à toutes les agricultrices et tous les agriculteurs : l'agriculture représente un intérêt général majeur. Oui, il est primordial de rappeler que la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux, une déclaration de principe que le Sénat avait proposé d'inscrire dans la loi dès 2023.
L'Assemblée nationale a ensuite réalisé un travail précis pour enrichir ce concept, qui a été adopté dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole.
Certes, un tel texte n'apportera pas de réponse à tous les problèmes de l'agriculture – vous et moi en sommes conscients –, mais il comporte des avancées essentielles. Ces mesures très attendues doivent entrer en vigueur. C'est pourquoi je propose que ledit projet de loi soit examiné très prochainement au Sénat.
Aux côtés des rapporteurs du texte, Laurent Duplomb et Franck Menonville, je sais d'emblée que les travaux seront ancrés dans la réalité du terrain. J'en profite pour saluer aussi la qualité des travaux conduits par les rapporteurs pour l'Assemblée nationale.
Bien sûr, ce texte n'est pas suffisant. Il pourra être complété par d'autres textes, le cas échéant sur votre proposition – je suis prête à y travailler avec vous.
Nous devrons ensuite répondre ensemble aux défis du temps long.
Face au réchauffement climatique, nous devons dès aujourd'hui penser l'agriculture de demain avec nos voisins européens.
En matière de souveraineté alimentaire, les chiffres sont très préoccupants. D'un côté, nous nous apprêtons à connaître une très mauvaise année 2025 en matière d'exportations – je pense, bien entendu, aux exportateurs de lait et de cognac – ; de l'autre, les Français consomment des produits importés sans même le savoir.
Nous ne devons jamais transiger avec la protection de nos filières. Il y va de notre souveraineté. Aussi faudra-t-il lutter contre les nombreuses distorsions de concurrence dont souffrent nos producteurs. Je soutiendrai à ce titre le projet européen d'instituer des clauses miroirs envers les États tiers qui choisissent le dumping. Nous aurons besoin pour cela d'une action internationale résolue et ferme, ainsi que du soutien de nos partenaires européens.
Monsieur le sénateur Gremillet, vous avez abordé la question des nouvelles techniques génomiques : c'est un point sur lequel il faudra revenir. La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre constituera une aide précieuse, car c'est un parfait connaisseur des arcanes de l'Union européenne.
Pour relever tous ces défis et répondre aux attentes du monde agricole, notre travail commence dès aujourd'hui et se poursuivra dans les mois à venir.
En conclusion, sachez que ma porte sera toujours ouverte pour quiconque souhaitera faire progresser notre agriculture. J'aurai le plaisir de répondre à vos questions dans le débat qui va s'engager. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Michel Masset applaudit également.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Madame la ministre, comme Daniel Gremillet l'a très bien exposé, nos paysans, qui ont manifesté en début d'année, vont aujourd'hui encore plus mal. Ils ont un besoin urgent de trésorerie ! Aussi, j'espère a minima que l'Agence de services et de paiement (ASP) sera au rendez-vous le 15 octobre prochain pour que soit payé l'acompte de nos primes PAC. Vous le leur devez d'autant plus aujourd'hui !
Sans compter que la crise n'est pas seulement conjoncturelle : elle est structurelle, comme l'ont très bien compris et, du reste, écrit mes excellents collègues Laurent Duplomb et Sophie Primas dans leurs rapports sur la compétitivité de la ferme France.
Fiscalité, main-d'œuvre et surréglementation doivent être adaptées ; à défaut, il faudra augmenter les aides directes européennes. La Commission européenne l'a-t-elle vraiment compris ?
L'Europe se montre aujourd'hui tellement naïve : j'ai l'impression que nous échangeons notre préférence communautaire contre des produits importés à bas prix, des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou d'autres produits interdits depuis plus de vingt ans en France… Ainsi, l'Union européenne négocie un accord de quasi-libre-échange avec l'Ukraine, qui ne comporte ni droit de douane ni clause miroir ! Pire, elle affiche sa volonté de signer un accord d'association avec le Mercosur en fin d'année.
Madame la ministre, la France aurait-elle changé de position depuis les annonces du Président de la République et les engagements du Premier ministre en début d'année ? Allez-vous enfin renverser la table et sauver la souveraineté agricole ? (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Vincent Louault, je vous remercie de votre question.
S'agissant des avances sur les aides de la PAC, dont le paiement est attendu au 16 octobre prochain, je tiens à vous rassurer sur trois points.
Concernant les délais de paiement d'abord, un bilan précis est dressé chaque semaine par mon directeur de cabinet : aucune alerte n'est à signaler à cette heure, mais mes services sont prévenus. Je mets un point d'honneur à ce que cette échéance soit respectée.
Sur les montants unitaires ensuite, les arrêtés ont été publiés – les derniers l'ont été ce matin. Ceux-ci sont globalement supérieurs ou égaux à ceux qui ont été versés à la même échéance en 2023 ; nous notons un léger effet de vase communiquant entre aides couplées, comme le prévoyait le plan stratégique national (PSN).
Enfin, au vu du contexte que nous connaissons, et comme je l'ai annoncé à Cournon-d'Auvergne, le taux de l'avance sera porté à 70% pour le premier pilier et à 85% pour l'indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN), soit le niveau maximum prévu par la réglementation européenne.
Tout est fait pour que nous soyons au rendez-vous des versements tant attendus dans le contexte actuel – et j'ai bon espoir que nous y parvenions.
Monsieur le sénateur, vous me parlez de l'Ukraine. L'ouverture du marché européen a été pensée dans une logique de soutien à ce pays, mais elle a effectivement affecté les filières du blé, de la volaille et du sucre, et a conduit à l'importation de produits ne respectant pas les standards sanitaires de l'Union européenne.
Pour rappel, cet accord a été reconduit jusqu'en juin 2025. Un accord de libre-échange est en cours de négociation : il intégrera notamment les exigences sanitaires. Il n'y aura pas de réouverture du marché européen sans l'application des standards continentaux, et ce pour éviter toute concurrence déloyale. Cette expérience doit nous inciter à faire de l'origine un facteur de différenciation visible de nos produits.
Enfin, vous avez parlé du Mercosur. L'Union européenne et le Mercosur ont en effet conclu un accord de principe en 2019 pour créer une zone de libre-échange. Cependant, l'accord n'a pas été ratifié, et la France, comme vous le savez, n'y est pas pour rien. À titre personnel, je fais partie d'un groupe politique qui a toujours dénoncé un tel accord – je ne vais donc pas changer d'avis aujourd'hui.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Nous allons poursuivre ce travail sur l'approbation des clauses miroirs avec l'Union européenne, afin de protéger les consommateurs et nos producteurs.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour la réplique.
M. Vincent Louault. Madame la ministre, j'ai insisté sur la souveraineté agricole, et non sur la souveraineté alimentaire que l'on nous propose. C'est en fait totalement différent. Toute la nuance tient aux importations : on peut ainsi très bien imaginer une souveraineté alimentaire européenne grâce aux importations de tous les États membres.
Je m'en tiendrai durant le reste de nos débats, ainsi que lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole au Sénat qui, je l'espère, n'aura pas lieu au mois de janvier, à ce concept de souveraineté alimentaire. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Monsieur le sénateur, j'entends ce que vous dites.
Hier, l'ancienne présidente d'une formation syndicale m'a expliqué que, lorsqu'elle avait commencé à parler de souveraineté alimentaire au niveau de l'Union européenne, les gens l'avaient regardée éberlués, y voyant là un repli nationaliste. Cette notion s'est néanmoins progressivement imposée dans le débat et elle est devenue fondamentale.
Aujourd'hui, la France n'est plus autosuffisante, ce qui pose une réelle difficulté à un moment où l'on s'aperçoit que l'alimentation est devenue une arme. Le conflit russo-ukrainien en a du reste été la démonstration.
Cette souveraineté que vous appelez de vos vœux est nécessaire pour nos producteurs. D'ailleurs, dans la loi d'orientation agricole (LOA), nous n'avons jamais cessé de réintroduire cette notion de production, alors que n'y figurait que l'agroécologie.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. La production est importante : nous continuerons à faire valoir ce point absolument fondamental.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Nous en reparlerons lors de l'examen du projet de LOA. Hélas, ce texte a vraisemblablement été élaboré non par l'ancien ministre Marc Fesneau, mais bien plutôt par les conseillers de l'Élysée. Justement, toute la subtilité résidait dans le fait que la production n'était pas mise en avant. Il s'agissait bien d'une autre vision de l'agriculture. Sur ce point, nous serons nombreux à ne pas lâcher.
Aujourd'hui, les agriculteurs n'ont même plus envie de manifester tant ils sont dégoûtés ! Ils constatent que toutes les filières, qu'il s'agisse des vendeurs de tracteurs, des vendeurs de produits phytosanitaires ou des groupes coopératifs, s'enrichissent. Dans ce monde de Bisounours, ils ont compris qu'ils étaient les seuls couillons de l'histoire ! (M. Pierre Jean Rochette applaudit.) Étant moi-même agriculteur, je comprends leur agacement et leur résignation. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, comme l'a dit Daniel Gremillet, la rentrée agricole se fait sous haute tension.
La situation sanitaire, le projet de loi d'orientation agricole, le système assurantiel, le prix du fermage, l'attractivité du métier, le renouvellement des générations : la liste des sujets d'actualité s'allonge, tandis que les mobilisations du monde agricole datent d'il y a plus de huit mois.
Il n'y a plus de temps à perdre pour sortir de cette crise. Sans amélioration notable et rapide, notamment en ce qui concerne la rémunération des agriculteurs, au sujet de laquelle les annonces du précédent gouvernement n'ont pas eu les effets escomptés, la situation pourrait empirer.
J'étais présent, la semaine dernière, au sommet de l'élevage à Cournon-d'Auvergne, au cours duquel j'ai pu constater, tout comme vous, qu'il n'y avait pas de temps à perdre. La filière élevage, qui est confrontée à la fièvre catarrhale ovine (FCO) et à la maladie hémorragique épizootique (MHE), est particulièrement sous tension, et c'est d'ailleurs pourquoi vous avez pris ce dossier en main.
Madame la ministre, j'attire votre attention sur trois points essentiels.
Tout d'abord, comme l'ont souligné les précédents orateurs, le dispositif de gestion des aides de la PAC par l'Agence de services et de paiement a pris du retard, ce qui se répercute sur les procédures de paiement des acomptes. En Aveyron, entre 300 et 400 exploitations sont concernées. Il est urgent de faire le nécessaire pour que les délais de paiement – lequel paiement intervient habituellement à la mi-octobre – soient respectés cette année. Vous venez de nous donner quelques précisions à ce sujet.
Ensuite, sur un plan plus général, je souhaite réaffirmer la nécessaire ambition agricole de la France : la crise a révélé combien les contraintes handicapaient l'agriculture, tandis que les agriculteurs souffrent d'un manque de vision stratégique. La souveraineté alimentaire et la compétitivité sont désormais en jeu. Il y a donc urgence à poursuivre l'examen du projet de loi d'orientation agricole et à renforcer le volet du texte relatif au cap à fixer pour notre agriculture et dédié à notre stratégie de production. Pourriez-vous nous en préciser les lignes directrices ?
Enfin, j'attire votre attention sur les bâtiments agricoles et le zéro artificialisation nette (ZAN). Cela fait trois ans que je défends, avec plusieurs de mes collègues, la nécessité d'extraire les bâtiments agricoles de la nomenclature des surfaces artificialisées. C'est une mesure nécessaire et de bon sens ! J'espère que le Gouvernement partage cet objectif.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir répondre en deux minutes.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, comme je l'ai indiqué au précédent orateur, sachez que je mets un point d'honneur à ce que les avances des aides de la PAC soient versées en temps et en heure. S'il existe un problème spécifique à l'Aveyron, cela mérite que nous nous y penchions plus précisément et, dans ce cas, nous vous recontacterons, parce que 300 à 400 exploitations, c'est énorme !
Vous évoquez un certain nombre de contraintes qui pèsent sur l'activité agricole. C'est une évidence : il faut avoir fréquenté les agriculteurs pour savoir à quel point l'exercice de leur métier est devenu très compliqué. Le respect de ces contraintes les amène parfois à douter du sens même de leur métier.
Si j'ai parlé précédemment de souveraineté alimentaire, je n'ai pas évoqué la question de la compétitivité. À l'évidence, ce sujet rejoint celui des contraintes : lorsque l'on alourdit les contraintes et que l'on surtranspose certaines normes européennes, cela porte atteinte à la compétitivité des entreprises agricoles.
Enfin, vous avez mentionné le ZAN, un sujet cher à cette maison et au sénateur Longeot, qui a traité de cette question dans le cadre de la commission qu'il préside.
La possibilité de soustraire les bâtiments agricoles au ZAN vous tient à cœur, je le sais. Je suis tout à fait ouverte à la discussion sur cette question. Elle est certes complexe, mais j'y ai été très régulièrement confrontée en tant que députée : beaucoup d'agriculteurs, empêchés dans leurs projets de construction, m'ont en effet saisie de cette difficulté, qui est bien réelle. Il nous reste du temps pour la traiter, mais votre question est parfaitement légitime.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la ministre, depuis la fin de l'été, la fièvre catarrhale ovine sévit en Europe et progresse très rapidement sur le territoire français.
Dans la Drôme, plus de 300 exploitations sont touchées et les pertes sont colossales. On y observe une mortalité de 25 % à 30 % dans les troupeaux ovins, selon les données de la chambre départementale d'agriculture. Nous serons confrontés à une forte diminution du nombre de naissances d'agneaux. Par conséquent, il faudra deux, voire trois ans pour reconstituer les cheptels, si tant est que les éleveurs puissent le faire.
Madame la ministre, face à la gravité de la situation, le Premier ministre et vous-même avez annoncé, à l'occasion de votre déplacement au sommet de l'élevage, le déblocage d'une enveloppe de 75 millions d'euros pour faire face à la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3, maladie détectée récemment qui touche, selon les chiffres fournis par votre ministère, 4 644 foyers.
Par ailleurs, vous avez annoncé, d'une part, la commande par l'État de 11,7 millions de doses de vaccins contre la FCO de sérotype 3, soit la quantité suffisante pour vacciner 40% du cheptel bovin et 100% du cheptel ovin et, d'autre part, la prise en charge financière de la vaccination par l'État, désormais ouverte à toute la France pour la filière ovine.
Madame la ministre, si une telle annonce doit assurément permettre de mieux lutter contre la propagation de l'épizootie, pourriez-vous apporter des précisions sur la mise en œuvre et le calendrier de ces mesures, ainsi que sur la prise en compte du remboursement des vaccins s'agissant de la FCO de sérotype 8 ? D'autres mesures collectives à l'échelle européenne sont-elles prévues ou en cours de négociation ?
Il faudrait en outre garantir le maintien des aides de la PAC, ainsi que l'ICHN et les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), qui constituent des revenus importants pour les agriculteurs et dont le montant ou l'ampleur est très souvent lié au nombre d'agneaux vendus.
Dans un contexte où l'agriculture traverse une crise majeure et où la prédation sévit dans de nombreux territoires, les prêts garantis par l'État (PGE) pourront-ils être accordés aux éleveurs, afin de les aider à reconstituer leurs cheptels ?
Il conviendrait enfin de prévoir un retour d'expérience pour tirer les enseignements de cette crise catastrophique et éviter de reproduire certains dysfonctionnements constatés – équarrissage, distribution des vaccins, retard des laboratoires d'analyse –, tout en mettant en place le soutien psychologique que les éleveurs demandent.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous venez d'évoquer de nombreux sujets majeurs.
La FCO de sérotype 3 est une maladie vectorielle émergente ; la FCO de sérotype 8, quant à elle, est une maladie vectorielle endémique, ce qui signifie qu'elle existait préalablement. Par principe, quand il s'agit d'un virus émergent, l'État prend en charge ; quand on a affaire à un virus endémique, en revanche, le relais est pris par les éleveurs.
Pour ce qui est de la FCO, il y a une petite ambiguïté dans la mesure où le sérotype 8 du virus est un mutant : c'est à la fois le même virus et pas le même…
À Cournon-d'Auvergne, j'ai en effet annoncé un certain nombre de mesures, en particulier pour la filière ovine, qui connaît une situation cataclysmique tant le taux de mortalité des animaux est considérable ; les éleveurs sont totalement découragés, voire désespérés. On assiste à une décapitalisation brutale, qui pose les problèmes d'équarrissage que vous avez soulevés. Si l'on y ajoute la prédation du loup, voilà dressé le tableau apocalyptique d'une filière pourtant reconnue comme d'excellence.
J'ai notamment annoncé que nous disposions de la quantité suffisante de vaccins pour les élevages bovins – du moins une partie d'entre eux, parce que tous les éleveurs ne les demandent pas – et pour la totalité de la filière ovine, et ce tout simplement parce que nous disposions de vaccins préalablement acquis par mon prédécesseur.
J'ai également demandé au Premier ministre de réfléchir à la création d'un fonds d'urgence du fait de la décapitalisation massive du cheptel, qui entraîne une forte baisse des revenus. La question de la recapitalisation de la filière ovine se posera aussi par la suite.
Autre annonce, il n'y aura pas de réfaction des aides européennes, compte tenu de la situation tout à fait extraordinaire que connaît cette filière.
S'agissant de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8, qui sévit dans une autre partie de la France, parfois de pair avec le virus de sérotype 3 – tout cela se mélange –, nous sommes confrontés à une difficulté de taille qui implique une réflexion au niveau européen, à savoir que nous n'avons pas de vaccins à notre disposition.
Le laboratoire français susceptible de nous les fournir ne pourra pas le faire avant le mois de juin 2025, et les laboratoires espagnols n'ont pas suffisamment de vaccins pour répondre à la demande en Espagne. Hier, à l'occasion d'une réunion bilatérale avec le ministre de l'agriculture espagnol, j'ai tâté le terrain pour tenter de savoir si nous pourrions disposer d'une partie de ces vaccins. Mon homologue m'a expliqué qu'ils n'en avaient déjà pas suffisamment pour eux-mêmes…
Chacun voit bien qu'il faut traiter cette question à l'échelle européenne. Les maladies vectorielles se rient des frontières !
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Il convient aujourd'hui d'élargir le prisme de la réflexion.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Derrière cette question fondamentale qui englobe tous les enjeux, qu'ils soient environnementaux, économiques, fonciers ou de santé publique, il y a la problématique du renouvellement des générations et de l'attractivité du métier.
Quand les tracteurs ont quitté les champs en signe de colère pour signifier le mal-être des paysans, les Français ont découvert une profession en danger. La lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et vient affaiblir notre compétitivité sur un marché où la concurrence internationale est exacerbée.
Il ne faut plus seulement avoir peur des charges sociales qui sont moins élevées ailleurs, ou des mesures environnementales qui sont moins lourdes chez nos concurrents. Il faut aussi anticiper les crises qui se succèdent : les crises sanitaires, climatiques, mais aussi politiques, puisque certaines taxes sont mises en place pour sanctionner des décisions ou des conflits qui, au-delà du drame humain qu'ils constituent, ont des incidences directes sur les matières premières.
Les agriculteurs l'ont dit et redit en janvier dernier : ils sont à bout de forces, à bout de souffle ! Ils souffrent de problèmes de revenus que nous n'avons pas le droit de nier.
Je citerai quelques exemples : les prédations et les épidémies qui se développent affaiblissent les éleveurs ; les rendements des céréaliers sont très faibles cette année, tandis que les vendanges qui s'achèvent laissent présager un enlisement de la crise viticole.
Pour autant, le groupe auquel j'appartiens, le RDSE, place l'agriculture au cœur de la ruralité que nous défendons : nous ne baisserons pas les bras !
Il existe des solutions, mais encore faut-il vouloir les mettre en œuvre. Parmi celles-ci figurent les paiements pour services environnementaux (PSE), qui concernent tous les agriculteurs. Il s'agit tout simplement d'encourager les agriculteurs qui s'engagent dans des pratiques vertueuses et de les récompenser pour les bénéfices qu'ils offrent à la société : restructuration des sols qui captent le dioxyde de carbone, lutte contre les incendies, préservation des écosystèmes, façonnage des paysages.
Ma question est donc simple, madame la ministre : avez-vous prévu des mesures en ce sens dans la future LOA, qui souffre encore véritablement d'un manque de vision stratégique ? (Mme Mireille Jouve applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Henri Cabanel, tout d'abord, je tiens à vous féliciter pour votre rapport sur les suicides en agriculture. C'est un sujet tout à fait capital.
Je suis très favorable au principe d'une meilleure valorisation des externalités positives de l'agriculture. Il y en a beaucoup : le stockage du carbone dans les sols, la biodiversité, l'aménagement du territoire en sont quelques exemples.
Cela étant, il faut faire attention à ce que cela ne fasse pas baisser les aides aux revenus du budget de la PAC. Dans le projet de loi d'orientation agricole, l'objectif de reconnaître et de mieux valoriser les externalités positives de l'agriculture, notamment en termes de services environnementaux et d'aménagement du territoire, est préservé à l'article 1er. Je veillerai à ce que cette mesure demeure dans le texte, dans une version que vous pourrez enrichir.
Il n'est pas pour autant nécessaire de s'en remettre à la loi pour développer les paiements pour services environnementaux, car ceux-ci peuvent d'ores et déjà être déployés par les collectivités locales ou les agences de l'eau. Il faut mieux accompagner pour faciliter leur déploiement. Mes services et moi-même pourrons y travailler avec vous, en lien avec M. le sénateur Franck Montaugé, que je sais également très attaché à cette idée.
Vous avez évoqué fugitivement la question de la prédation, un sujet sur lequel j'ai travaillé pendant de très nombreuses années au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem) lorsque j'y exerçais des responsabilités.
La semaine dernière, il s'est produit un événement très important en la matière, puisque les pays membres de l'Union européenne se sont accordés sur un affaiblissement du niveau de protection du loup, ce qui n'équivaut aucunement à un premier pas vers une éradication de l'animal – il n'en a jamais été question, je tiens d'emblée à lever toute ambiguïté !
Pour ce qui concerne les vendanges, la situation de la filière viticole est connue, mais nous travaillons d'ores et déjà avec celle-ci.
Enfin, j'ai apprécié votre engagement en faveur d'une ruralité qui ne veut pas baisser les bras. C'est la ruralité que je connais, que j'aime et que je veux défendre.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Il est nécessaire de coconstruire une stratégie avec les filières, parce que les investissements et l'endettement des agriculteurs ne peuvent pas systématiquement pâtir de la nouvelle loi agricole que chaque nouveau gouvernement veut mettre en œuvre. Les agriculteurs ont besoin d'une vision à long terme.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Pour vous répondre en un mot, il y a actuellement un projet de loi d'orientation agricole qui est pendant – ce n'est donc pas un nouveau texte –, et que vous allez bientôt examiner. J'espère qu'il prospérera dans cette maison.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la propagation fulgurante de la fièvre catarrhale ovine est un nouveau coup dur pour nos agriculteurs, qui font déjà face à des difficultés économiques notamment causées par des conditions météorologiques catastrophiques, lesquelles ont lourdement affecté les moissons tant en quantité qu'en qualité.
Vingt-deux territoires sont actuellement concernés par la FCO. Le 4 octobre, dans le département de la Meuse, dont je suis élu, 507 foyers étaient détectés contre 188 quinze jours plus tôt. Les répercussions sont dramatiques. Les mesures de confinement auxquelles il faut ajouter les pertes directes d'animaux, les pertes indirectes en termes de production, les dépenses liées à la gestion de la maladie, notamment les frais vétérinaires, mettent les exploitations en péril.
Les éleveurs se sentent démunis face au manque d'anticipation au niveau tant européen que national, et face à une réponse trop tardive. À cet égard, les réponses apportées par le Gouvernement lors du sommet de l'élevage vont dans le bon sens.
Nos agriculteurs doivent être soutenus et accompagnés, non seulement pour faire face aux surcoûts en matière sanitaire, mais aussi pour reconstituer leurs cheptels décimés.
Madame la ministre, pourriez-vous préciser les mesures que vous comptez mettre en œuvre, et dans quels délais ? Quels enseignements tirez-vous de cette crise et de ce manque de coordination européenne dans la prévention comme dans les stratégies vaccinales suivies ? Comment expliquer le retard de la réponse vaccinale française face à une maladie pourtant bien connue et à la vitesse de propagation fulgurante ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Franck Menonville, je vous remercie de cette question portant sur la fièvre catarrhale ovine, un sujet qui occupe l'actualité. Permettez-moi de détailler les mesures annoncées par le Premier ministre à Cournon-d'Auvergne.
Tout d'abord, la vaccination contre la FCO de sérotype 3 sera désormais ouverte aux filières ovine et bovine partout en France, et non plus dans certains territoires seulement.
Pour ce qui concerne la maladie hémorragique épizootique, la MHE, nous avons retenu la stratégie du cordon sanitaire, dont le périmètre peut changer selon l'évolution de l'infection.
Venons-en à la question de l'indemnisation. Le Premier ministre a annoncé la création d'un fonds d'urgence de 75 millions d'euros pour indemniser les éleveurs confrontés à la perte de revenus massive que l'épidémie de FCO de sérotype 3 a occasionnée.
Pour ceux qui sont confrontés à la FCO de sérotype 8, nous ouvrons le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) jusqu'à la fin de l'année. Nous verrons alors quels sont les besoins.
J'insiste sur un point important, monsieur le sénateur : j'ai demandé la mise en place d'un comité de suivi des besoins au sein du ministère. Pour calibrer la réponse, il faut en effet pouvoir compter sur une juste évaluation des besoins. Lorsque les divers représentants des filières nous énoncent les sommes dont ils ont besoin, nous devons savoir sur quoi sont fondés leurs calculs.
Dans la situation budgétaire que nous connaissons, nous ne pouvons évaluer au doigt mouillé. Nous avons procédé à une juste évaluation pour calibrer ce fonds d'urgence. Si nécessaire, il appartiendra au Gouvernement d'étudier l'opportunité d'aller au-delà.
Il est très important de calibrer l'aide en fonction des besoins. Ce sera l'objet de ce comité de suivi, où seront présents l'ensemble des services concernés : la direction générale de l'alimentation (DGAL), la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), les membres de mon cabinet, mais aussi les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf). Nous essayons d'obtenir des remontées de terrain aussi précises que possible.
Vous saluez le fait que ces mesures vont dans le bon sens et je vous en remercie. Je le crois aussi.
J'aborderai un dernier point : une stratégie à l'échelle européenne est indispensable.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Mon homologue espagnol, avec qui j'ai parlé hier, est d'accord avec moi pour mettre ce sujet à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l'agriculture de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.
M. Franck Menonville. Je vous remercie de vos réponses précises, madame la ministre. La dimension européenne est absolument indispensable. Compte tenu des moyens technologiques qui sont déployés pour contrôler nos agriculteurs, notamment l'imagerie satellitaire, nous devons être capables de veiller à certains aspects sanitaires et de réagir rapidement pour éviter ce type de crises.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour la réplique.
Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut bien identifier l'apparition et le développement de la maladie. Les vaccins contre la FCO de sérotype 3 ont été commandés dès juillet. Je rappelle que nous dénombrions sept foyers de contamination au début du mois de juillet, contre environ 3 700 un mois plus tard. La croissance a été exponentielle. Des capteurs de terrain très performants doivent être placés pour faire remonter les données sanitaires.
Par ailleurs, à l'échelle européenne, il faut bien comprendre que la crise sanitaire ne date pas d'aujourd'hui. Le Premier ministre a dit l'autre jour quelque chose qui m'a frappée : en 2008, lorsqu'il était ministre de l'agriculture, la fièvre ovine catarrhale existait déjà. Nous avons dû gérer le sérotype 3, le sérotype 8 mutant, la MHE, et il est question d'un retour du sérotype 1… Sans une meilleure stratégie d'anticipation et de prévention, nous sommes condamnés à courir après une nouvelle maladie vectorielle. Or une telle stratégie ne peut s'élaborer qu'à l'échelle européenne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, la crise qui a traversé le monde agricole au printemps dernier a fait l'objet de la part du précédent gouvernement d'engagements et de promesses qui ont été compromis par la dissolution de l'Assemblée nationale.
Toutes filières confondues, nos agriculteurs ont dû faire face à de nombreux aléas durant tout l'été : les récoltes de céréales ont diminué de manière historique – moins 23,9% par rapport à la moyenne des cinq dernières années – ; Lactalis a décidé de manière unilatérale de réduire sa collecte de lait, obligeant près de six cents producteurs à trouver une solution de substitution ; la production viticole pourrait être inférieure de 10% à 16% par rapport à l'année 2023, et même de 30% dans le Gard.
Quant aux éleveurs, ils font face à trois épizooties en même temps, qui ne font qu'aggraver la crise profonde de l'élevage. Dans le département de la Dordogne, dont je suis élue, celle-ci s'est traduite par la perte de 24% des éleveurs en dix ans.
Si les récentes annonces gouvernementales, comme la gratuité de la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, sont salutaires, il est urgent d'engager un travail de fond pour rénover les outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.
Enfin, l'objectif d'autonomie alimentaire est essentiel pour garantir notre souveraineté alimentaire, et pour cela il nous faut donner la priorité à l'approvisionnement des populations par des productions locales. L'échec des lois Égalim impose de changer de logique : nous devons prendre un tournant en mettant en place des prix minimum d'entrée. C'est la seule façon de garantir un revenu digne à nos paysans.
Madame la ministre, dans ce contexte où les braises de la colère ne sont visiblement pas éteintes, confirmez-vous les annonces budgétaires pour 2025, qui sont pour le moins inquiétantes ?
La baisse des crédits alloués à l'agriculture de 9,5% en autorisations d'engagement, soit 6,8 milliards d'euros, et de 4,5 % en crédits de paiement, soit 6,6 milliards d'euros est, je le répète, très inquiétante. De telles baisses ouvriraient une nouvelle fois la voie à l'extrême droite et à ses méthodes d'instrumentalisation en renforçant le sentiment d'abandon du monde paysan et agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Sebastien Pla applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Varaillas, votre question comporte plusieurs points importants.
Tout d'abord, je rejoins votre constat en ce qui concerne les terribles aléas qui frappent nos agriculteurs. Quand je vois les volumes d'eau qui tombent en ce moment, je pense notamment à tous ceux qui s'apprêtent à récolter le maïs et vont se trouver en grande difficulté. La baisse de rendement des céréales est une évidence et elle est très grave.
Ensuite, la perte de collecte de 450 millions de litres de lait par Lactalis, soit 8% du lait collecté par l'entreprise, est en effet une terrible nouvelle pour plus de sept cents éleveurs. Surtout, elle portera un préjudice non seulement à l'éleveur, à son exploitation et à sa famille, mais aussi à la vie rurale en général. Je recevrai le dirigeant de Lactalis dans les jours qui viennent.
Par ailleurs, la filière viticole a réalisé un gros travail d'analyse sur les aléas climatiques, les changements de consommation, le vieillissement d'une partie des viticulteurs… Elle a proposé un programme d'arrachage qui vient d'être validé à l'échelle européenne, et qui sera doté de 120 millions d'euros.
Pour répondre à la question de l'autonomie alimentaire, vous évoquez les productions locales. Celles-ci sont extrêmement importantes, et ce n'est pas une élue de la terre du comté qui vous dira le contraire ! Pour autant, elles ne sont pas l'unique solution à l'autonomie alimentaire que vous appelez, à juste titre, de vos vœux.
Sur le prix minimum, vous le savez, nous ne serons pas d'accord. Nous considérons en effet que le prix plancher, si c'est ce que vous entendez par prix minimum, peut être un prix plafond. Nous avons une approche stratégique différente. En tout cas, le prix doit être juste.
En ce qui concerne le budget, nous vous en dirons davantage ultérieurement puisqu'il sera présenté jeudi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le géant Lactalis a décidé, le 25 septembre dernier, de réduire ses volumes de collecte de 450 millions de litres d'ici à 2030. Il s'agit d'un plan social sans précédent dans la filière laitière. Près de trois cents exploitations étant concernées, il a provoqué un choc terrible parmi les producteurs.
De plus, cette décision a été prise dans une opacité totale, alors que le chiffre d'affaires de Lactalis a battu un nouveau record en 2023 en frôlant les 30 milliards d'euros. Quid des marges que Lactalis réalise sur les différents segments du marché laitier ? Quid de la poursuite des importations de lait par Lactalis en France ?
Quel déplorable message envoyé, alors que les agriculteurs se battent tous les jours pour redynamiser le secteur et que la filière appelle au renouvellement des générations ! Qui voudra reprendre une ferme laitière dans ce contexte ?
Par ailleurs, en Bretagne, Lactalis abandonne les éleveurs bio : ces derniers ne feront plus l'objet de collectes de la part de l'entreprise, à moins qu'ils passent en agriculture conventionnelle. Ce chantage est difficile à avaler pour ces éleveurs. Ils se sont engagés dans des pratiques vertueuses, ont adapté leurs prairies et leurs haies, et au bout du compte ils se font jeter ! Où est l'humain dans cette affaire ?
Ce scandale démontre un peu plus, s'il le fallait, l'urgence qu'il y a à remettre en place une régulation publique des marchés. Pour garantir des prix rémunérateurs et une répartition des volumes dans les bassins laitiers, il faut instaurer une régulation publique des volumes, et mettre fin à cette dérégulation à la main des industriels et dictée par leur seule soif de profit.
Car oui, cette stratégie de Lactalis vise à mettre au pas les éleveurs laitiers français. Voilà le monde merveilleux du marché mondialisé et de sa compétitivité, si chers à certains dans cet hémicycle : une recherche effrénée du moins-disant social et environnemental, et du mieux-disant fiscal !
Madame la ministre, apporterez-vous une réponse politique à la stratégie mortifère de ces industriels, qui met à mal notre souveraineté agricole et nos paysans ? Engagerez-vous des réformes structurelles pour établir enfin des règles justes et équitables dans les relations commerciales ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Salmon, vous revenez sur l'annonce de Lactalis. Je rappelle le coup de tonnerre qui est intervenu dans la soirée du 27 septembre : un communiqué de presse de l'entreprise a annoncé le retrait de 450 millions de litres de lait, soit 8% de la collecte totale de Lactalis.
Deux justifications sont avancées : d'une part, cette décision serait motivée par une exposition accrue de l'entreprise à la volatilité des marchés extérieurs ; d'autre part, si la collecte est vouée à diminuer, la rémunération des producteurs doit quant à elle augmenter. Autrement dit, l'entreprise met l'accent sur les prix et la rémunération des producteurs au détriment du volume. Voilà la position de Lactalis.
Concrètement, les contrats arrivés à échéance ne seront pas renouvelés et les départs à la retraite seront considérés comme une fin du contrat avec l'exploitation concernée. Il s'agit sans doute de la pire des raisons, car cela représente une perte sèche de production laitière, alors même que le marché est porteur – nous avons besoin de lait en France !
Je suis particulièrement préoccupée par la dimension humaine de cette affaire. Pour les éleveurs, il s'agit d'un coup de tonnerre, d'une déflagration dans leur vie professionnelle, personnelle et familiale. Dès le soir de l'annonce, j'ai appelé le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et nous nous sommes vus dès le lendemain, car j'avais besoin de connaître le ressenti des représentants de la profession.
Leur principale préoccupation est d'accompagner les éleveurs. Un député m'a dit aujourd'hui qu'il allait se débrouiller pour trouver des débouchés aux éleveurs de son département qui ont été lâchés par Lactalis. La FNPL compte agir dans cet état d'esprit : apporter un soutien très individualisé aux agriculteurs. Nous serons à ses côtés pour le faire.
M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Sebastien Pla. Madame la ministre, deux minutes, c'est court ! Il me faudrait plus de temps pour résumer la situation d'une filière en grande souffrance : la viticulture est victime du changement climatique – gel, grêle, sécheresse à répétition – et d'un marché atone.
Sur le terrain, dans l'Aude, on me dit tous les jours : " Dites-leur, à Paris, ce qui se passe ! Aidez-nous ! " Alors, écoutons-les !
Ludovic a les mots justes lorsqu'il dit que " l'arrachage sera le plus grand plan social dans l'histoire du Languedoc ". Frédéric ne veut pas être celui qui mettra fin à l'histoire de générations entières de vignerons. Mais si certains, comme lui, vont arrêter de travailler, d'autres y croient encore : les plus jeunes. Ainsi, Maxime et Émilie veulent « faire évoluer leur exploitation pour la rendre compétitive ». Mais comment investir en période de crise ?
Écoutons Amandine nous dire : " Avec l'inflation, tout augmente, sauf le prix du vin ! Comment payer nos charges et nos emprunts ? " Il est urgent de restructurer la dette bancaire de la filière.
Écoutons Lilian nous dire : " Ma coopérative fait une demi-récolte ; on utilise la moitié de notre outil de production, alors pourquoi l'amortit-on à taux plein ? "
Madame la ministre, le destin climatique de la France se joue chez nous, dans l'Aude et les Pyrénées-Orientales. C'est pourquoi votre politique agricole doit prévoir une exception méditerranéenne, dotée de moyens à la hauteur. Ainsi, Jean-Marie a raison de demander " un fond de transformation de la filière ".
Il convient bien sûr de répondre à la question de l'eau, non pas pour surproduire, mais pour sécuriser la production. Actuellement, il pleut moins à Leucate qu'au Sahara ! Comme le disent si bien Roland et Annie : " Sans eau, il n'y a pas de vigne ; sans eau, il n'y a pas de vie. " Sans eau, il est vain de parler de cultures alternatives.
Écoutons encore Philippe nous dire : " Je ne produis pas seulement du vin, je protège les paysages. La vigne est plus efficace que les Canadairs pour lutter contre les incendies ; elle est d'utilité publique. "
Quant à Gérard, il peine à promouvoir ses vins sur le marché mondial via les réseaux sociaux, comme le font ses concurrents américains, à cause d'une loi Évin inadaptée à la révolution numérique.
La viticulture vacille. Je ne peux me résigner à voir la vigne disparaître sans agir. La filière ne doit pas subir le sort de la sidérurgie. Attention, ce que nous ne produirons plus en France sera produit par d'autres, ailleurs ! Ne laissons pas nos territoires être doublement désertés, par le climat et par la République.
Madame la ministre, Sebastien, vigneron et sénateur, vous lance une invitation solennelle : venez dans l'Aude constater par vous-même l'ampleur de la crise et écouter Ludovic, Philippe, Émilie, Gérard et tous les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Sebastien Pla, le secteur de la viticulture est l'un des grands secteurs en crise. Nous vivons une sorte de paradoxe, voyez-vous : ce week-end, je serai à Dijon pendant trois jours pour le sommet mondial du vin, où la France sera la puissance invitante de tous les pays de l'Union européenne, tandis que, dans le même temps, la viticulture vit un drame.
C'est particulièrement le cas dans votre département, où le déficit en eau est dramatique. Il s'agit, me semble-t-il, de l'un des départements où la pluviométrie a été la plus faible cette année – je parle sous votre contrôle. Je viendrai en Occitanie.
M. Sebastien Pla. Dans l'Aude !
Mme Annie Genevard, ministre. J'ai réuni tous les acteurs de la viticulture pour une table ronde sur l'arrachage. Comme son nom l'indique, ce dernier revient en effet à arracher quelque chose au terroir de la France et à l'identité de notre pays. Ce plan a été décidé par la filière, car il existe une forme de surproduction qui l'invite à réfléchir à son avenir.
Cela est lié à une déconsommation de la part des Français, qui consomment le vin différemment : moins de vin rouge, davantage de vin blanc et rosé et de boissons " alternatives ". En outre, la France s'est insuffisamment positionnée sur les produits d'entrée de gamme. Il convient de regarder en face plusieurs questions structurelles. Bien sûr, le changement climatique est également en cause.
De nombreux bassins de production font face à des difficultés, ils sont en souffrance et peinent de plus en plus à trouver leur marché.
L'arrachage n'est pas nécessairement définitif. Il convient de se battre pour l'arrachage temporaire. En effet, le processus doit être réversible selon l'évolution du marché. Voilà le second combat à venir.
Comme je l'ai mentionné, le dispositif de prêt bonifié entre en application pour les entreprises viticoles qui éprouvent des difficultés à rembourser les prêts garantis par l'État qui leur ont été octroyés pendant la crise du covid-19. Les banques peuvent dès à présent étudier leurs demandes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la ministre, comme vient de le dire mon collègue Sebastien Pla, la filière viticole française, qui contribue fortement à notre balance commerciale et crée des milliers d'emplois, se trouve dans une situation très critique.
En janvier dernier, la Chine lançait une enquête antidumping menaçant gravement nos exportations de cognac et d'armagnac. Cette situation n'est pas sans rappeler la taxe Trump, dont le moratoire prendra fin en 2026 sans qu'une solution pérenne ait été trouvée, à l'aube des élections américaines.
Nous venons d'apprendre que les autorités chinoises imposeront dès le 11 octobre des droits additionnels de 35 % sur les spiritueux européens, notamment le cognac et l'armagnac. Il s'agit à n'en pas douter d'une réponse directe aux surtaxes européennes sur les véhicules électriques chinois que les États membres de l'Union européenne ont décidé d'instaurer le 4 octobre – une mesure en faveur de laquelle la France a voté.
La filière, qui a le sentiment d'être sacrifiée, avait pourtant averti que ce vote risquait d'entraîner des rétorsions sur nos spiritueux. Elle demande donc qu'une solution soit négociée pour écarter toute surtaxe sur nos produits en Chine, de manière que chaque partie sorte par le haut de cette situation de blocage.
C'est urgent, madame la ministre ! Le 17 septembre, à la veille des vendanges, une manifestation avait mobilisé de nombreux participants. Attendez-vous à de très fortes mobilisations dans nos territoires si rien n'est fait.
Par ailleurs, permettez-moi de rappeler les attentes fortes, que vous connaissez, de la filière viticole en général : l'allégement des démarches administratives ; l'alignement de la transmission des biens viticoles sur le modèle du pacte Dutreil ; l'application du principe " pas d'interdiction sans solution " pour les produits phytosanitaires ;…
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Daniel Laurent. … la révision de la moyenne olympique pour l'assurance climatique ; le maintien d'une fiscalité qui permette une consommation modérée, mais accessible, de nos produits ; la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) ; l'amélioration de la gestion administrative des vignes en friche.
Enfin, à l'échelle européenne, la France doit apporter tout son soutien au secteur dans le cadre des discussions autour de la prochaine PAC.
Madame la ministre, je vous demande de prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces enjeux vitaux pour l'avenir et la survie de notre viticulture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Vous présidez, monsieur le sénateur Daniel Laurent, le groupe d'études Vigne et vin du Sénat ; votre avis est donc tout à fait autorisé.
Évidemment, la situation de la filière du cognac engendrée par les mesures de rétorsion chinoises est un sujet de préoccupation majeur. Je comprends que la position française inquiète le secteur et que vous appeliez de vos vœux l'ouverture de négociations ; je l'espère également.
Toutefois, vous voyez bien que notre pays est placé devant un choix des plus difficiles, entre la préservation de sa filière automobile électrique et celle de l'un des fleurons de son agriculture. Le problème touche davantage le cognac que l'armagnac, ce dernier étant moins exposé, car moins consommé en Chine.
M. Daniel Laurent. Ce ne sont pas les mêmes contraintes !
Mme Annie Genevard, ministre. Je recevrai lundi prochain les représentants de la filière, avec lesquels j'aborderai ces questions. Je les ai d'ores et déjà assurés de ma mobilisation et de la très grande vigilance dont je ferai montre sur ce dossier, compte tenu des enjeux économiques majeurs qu'il emporte. En effet, le marché chinois représente 40% du chiffre d'affaires de la filière du cognac, ce qui est considérable.
L'interprofession réfléchit à des mesures qui peuvent être activées à son échelle pour anticiper l'impact d'éventuelles décisions chinoises. Mes services et moi-même sommes mobilisés et très disponibles pour l'accompagner dans ses réflexions.
L'Union européenne vient d'annoncer qu'elle contesterait la mesure chinoise devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La France soutient évidemment cette démarche…
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, madame la ministre.
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, je vous remercie de votre engagement au plus près des réalités de la grande famille de nos agriculteurs, que vous connaissez bien.
Permettez-moi de revenir sur les menaces qui pèsent sur la filière, confrontée à des défis intérieurs, notamment de transition, mais aussi de plus en plus à des défis extérieurs, difficiles à maîtriser. Je pense notamment à l'accord avec le Mercosur, dont nous avons parlé : en ce moment même, les négociateurs de l'Union européenne (UE) sont réunis à Brasilia pour essayer de le finaliser avant le sommet du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre prochains.
Les signaux en faveur d'une telle conclusion se multiplient ces derniers jours. En effet, la Commission européenne a annoncé le report de l'application du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, qui était initialement prévue en décembre et représentait l'un des principaux points de blocage dans les discussions avec les pays du Mercosur.
Par ailleurs, l'Allemagne a réaffirmé il y a quelques semaines sa détermination à conclure l'accord, quelle que soit la position de la France.
Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour faire en sorte que cet accord ne soit pas conclu sans les fameuses clauses miroirs que vous avez évoquées et qui sont absolument nécessaires ? Puisqu'il s'agit d'un accord mixte, la France dispose en théorie d'un droit de veto pour s'y opposer.
Nous le savons, la Commission européenne envisage de modifier ses règles, puisqu'elle a déjà soumis à majorité qualifiée l'accord d'association entre l'UE et le Chili. Comment le gouvernement français entend-il répondre à cette menace sur son droit de veto ?
Enfin, les centrales d'achats à l'étranger constituent une autre menace grandissante. Ces dernières continuent de grossir, à l'image d'Everest, comme nous l'avons constaté ces dernières semaines. Pouvez-vous nous confirmer votre détermination à lutter contre ce mouvement, madame la ministre, quitte à sanctionner les entreprises qui n'appliqueraient pas les lois Égalim aux produits commercialisés sur le sol français ? (MM. Henri Cabanel, Michel Masset et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, je suis ravie de vous retrouver après la visite que vous avez effectuée récemment dans mon territoire.
Tout d'abord, la France est, comme vous le savez, hostile à la stratégie promue par le pacte vert pour l'Europe, ou Green Deal, et notamment à la décapitalisation ; nous sommes absolument déterminés à nous y opposer. L'agriculture doit être préservée d'une concurrence déloyale, qui ferait deux poids, deux mesures sur les règles de qualité, sanitaires et environnementales.
La France l'a rappelé à la Commission européenne, notamment dans le cadre des discussions sur l'accord avec le Mercosur : nous ne pouvons pas nous asseoir sur la mise en œuvre effective de l'accord de Paris ! Nous ne pouvons pas non plus accepter que nos agriculteurs se voient imposer des normes environnementales et sanitaires tandis que leurs concurrents, qui importent leurs productions dans notre pays, en seraient exemptés.
Il convient de protéger les secteurs, notamment certaines filières agricoles et alimentaires, qui risquent de pâtir de l'accord. Pour cela, il doit comporter des clauses de sauvegarde.
Enfin, nous continuons de travailler avec l'Union européenne sur l'approbation des clauses miroirs, dont vous connaissez bien le principe, pour protéger à la fois les consommateurs et les producteurs. Pour ce faire, nous avons recueilli l'accord et le soutien de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Autriche et de l'Irlande.
Il est très important que la France ne soit pas isolée. C'est la raison pour laquelle nous avons fait adopter un protocole annexe à l'accord, qui bloque l'accord avec le Mercosur. Nous ne pouvons pas laisser entrer en France 99 000 tonnes de bœuf, 100 000 tonnes de volailles, 180 000 tonnes de sucre sur le marché européen sans avoir l'assurance que ces produits respectent nos exigences !
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. Madame la ministre, étant gardois, je vis dans un département qui, en 2050, connaîtra le climat de l'Andalousie. Le peu de jeunes agriculteurs qui s'installent en ce moment seront encore en activité en 2050. Autrement dit, si nous n'intégrons pas cette donnée climatique dans la manière dont nous pensons et accompagnons notre agriculture, nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe.
Le Premier ministre a annoncé une grande conférence nationale sur l'eau. Sans eau, il n'y a pas d'agriculture. Sans eau, il n'y aura pas d'agriculteurs. Il est donc essentiel que cette conférence associe tous les acteurs, y compris le monde agricole, afin de définir une stratégie globale pour assurer un usage raisonné de l'eau et un juste partage de cette ressource. Cette stratégie nationale devra ensuite se décliner localement à l'échelle des bassins versants.
Madame la ministre, mon département connaît aussi bien la sécheresse que les inondations. Sur des territoires comme celui-ci, des solutions doivent être rapidement trouvées pour stocker l'eau, lorsqu'elle est excédentaire, avant qu'elle ne parte à la mer.
Le dérèglement climatique implique également une multiplication de l'ensemble des aléas. Les pertes de récoltes sont non plus l'exception, mais la règle. Dans ce contexte, la référence olympique fait perdre toute attractivité à l'assurance récolte. Il est urgent de discuter avec l'OMC d'une révision de ce référentiel. Mon territoire est particulièrement exposé à ces difficultés.
De plus, notre modèle agricole méditerranéen fragilise cette agriculture, qui est pourtant axée vers la qualité. Il est donc temps de reconnaître les spécificités de l'agriculture méditerranéenne dans nos politiques publiques, notamment en révisant le zonage de l'ICHN et en répartissant mieux les aides PAC.
Madame la ministre, quelles seront vos orientations sur ces trois dossiers majeurs que sont l'eau, la référence olympique et la reconnaissance des particularités de l'agriculture méditerranéenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Denis Bouad, vous évoquez un sujet majeur : l'eau. Vous l'avez dit, sans eau, pas d'agriculture et pas d'agriculteurs.
Les effets du changement climatique en cours sont particulièrement visibles sur nos ressources en eau, avec des sécheresses plus importantes l'été et, vous l'avez également souligné, de fortes précipitations. D'où l'idée que, quand l'eau est abondante, on puisse la capter, la retenir, pour les temps où elle manquera. C'est ma philosophie ; elle est assez simple et fondée sur le bon sens.
En outre, je pense que la technologie nous aidera. Il sera possible, demain, d'irriguer avec moins d'eau, par l'amélioration de la technologie ; je crois beaucoup aux progrès de la technique et de la science en la matière. On pourra peut-être aussi développer des plantes moins gourmandes en eau.
En 2022, il y a deux ans, 93 départements étaient concernés par des restrictions d'eau ; cette année, ils sont moins d'une trentaine. Les années ne se ressemblent donc pas. Mais qu'il y ait trop d'eau ou qu'il n'y en ait pas assez, ce n'est en aucun cas satisfaisant.
Aussi, depuis deux ans, l'État s'est engagé à atteindre plusieurs objectifs : l'anticipation via l'assurance récolte, la résilience de l'agriculture, l'adaptation des filières et l'accès raisonné à la ressource. Il faudra explorer d'autres pistes, comme celle, que j'ai vu pratiquer en Israël, de la réutilisation des eaux usées, ou encore les investissements hydrauliques ; à ce sujet, je le rappelle, un fonds de 20 millions d'euros a été abondé dès cette année pour améliorer et moderniser les équipements d'irrigation et de stockage.
Par ailleurs, vous l'avez noté, le Premier ministre a annoncé la tenue d'une conférence sur l'eau.
Enfin, j'indique que je serai à Avignon pour le salon de l'agriculture méditerranéenne, le salon MED'Agri.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire, la récolte céréalière désastreuse de 2024 a durement frappé toutes les filières végétales. Les conditions climatiques extrêmes ont entraîné des rendements historiquement bas pour nos agriculteurs, déjà grandement fragilisés par l'inflation et pressurés par la surtransposition des normes.
L'impact financier concerne tous les secteurs.
Il y a, bien évidemment, des conséquences pour les rendements de la culture de céréales, la perte engendrée représentant entre 25 % et 50 % de la production moyenne de cinq années. Il y a également des conséquences économiques, avec une perte de plus de 1 200 euros par hectare dans les exploitations, mais aussi du point de vue de la qualité, avec la baisse du taux de protéines et du poids spécifique des céréales.
On observe encore des effets pour les organismes stockeurs, les pertes pour les coopératives et les négoces atteignant 300 millions d'euros, ainsi que pour les transformateurs, avec une perte de 100 millions d'euros pour les meuniers, de 10 millions d'euros pour les semouliers, sans parler des malteurs et des amidonniers.
Cette crise touche également les exportateurs et le secteur des transports : sachez que la baisse des activités portuaires et routières dépassera 60%. Il y a aussi des conséquences pour l'écosystème céréalier, puisque la baisse des volumes fragilise le financement des instituts, notamment Arvalis, et ralentit les actions collectives de recherche et développement. Enfin, les conséquences pour les agriculteurs sont directes et immédiates, puisqu'ils doivent faire face aux échéances de la Mutualité sociale agricole (MSA) et aux impôts, calculés sur les années précédentes.
Devant cette situation critique, dramatique, le Gouvernement doit prendre des mesures pour soutenir les producteurs, protéger notre compétitivité à l'export et renforcer la résilience de la filière par rapport aux aléas climatiques, sous peine d'une crise frumentaire qui mettra en péril notre souveraineté et notre commerce alimentaire, dans un contexte géopolitique incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Pierre Cuypers, vous parlez en parfaite connaissance de cause. Je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler les dispositifs d'accompagnement mis en place par l'État à la suite des mauvaises récoltes de cet été.
Tout d'abord, pour les grandes cultures, le déclenchement de l'assurance récolte garantira que tous les exploitants touchés de manière exceptionnelle bénéficient d'une indemnisation. Je rappelle que, jusqu'à la réforme de 2023, les grandes cultures ne bénéficiaient pas du régime des calamités agricoles.
Ensuite a été mis en place un dégrèvement d'office, en cas de pertes, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Cela représente, pour le département dont vous êtes élu, la Seine-et-Marne, une somme de 4,8 millions d'euros.
En outre, les caisses locales de la MSA ont octroyé un report de paiement de cotisations sociales et ont pris en charge les cotisations sociales, sans oublier, je l'ai indiqué précédemment, le rehaussement à 70% du taux d'avance des aides de la PAC à compter du 16 octobre prochain – c'est le taux d'avance maximal permis par la réglementation européenne –, ce qui constituera un apport de trésorerie significatif pour les exploitations.
Enfin, les organisations professionnelles agricoles ont identifié un mécanisme de soutien que je trouve intéressant : il s'agirait d'octroyer des prêts bancaires adossés à une garantie d'État, afin de permettre de passer cette période difficile. Depuis ma prise de fonctions, plusieurs réunions de travail se sont tenues entre Bercy, les établissements bancaires et mes services pour discuter des modalités de ce dispositif, afin qu'il soit le plus simple possible. Du reste, ce dispositif a été évoqué par le Premier ministre lors de son déplacement au sommet de l'élevage vendredi dernier. Nous allons donc pouvoir œuvrer rapidement à sa mise en œuvre, tout en travaillant également à l'anticipation et à l'adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. L'agriculture française, en particulier celle du sud de la France, est aujourd'hui au bord du gouffre et nos éleveurs en sont les premières victimes. Ces piliers de notre économie et de notre patrimoine voient leur horizon se rétrécir de jour en jour. Avec plus de 4 600 foyers touchés, la FCO et la MHE continuent de s'étendre inexorablement et affectent non seulement les ovins, mais encore les bovins et les caprins sur l'ensemble du territoire.
Face à cette menace, les mesures gouvernementales restent largement insuffisantes. Le fonds de 75 millions d'euros que vous avez alloué pour la FCO de sérotype 3 est loin de couvrir les pertes réellement subies, car les conséquences indirectes sont énormes : stérilité, avortements et baisse de production laitière. Quant à la situation des exploitations touchées par la FCO de sérotype 8, elle frôle l'abandon : les vaccins ne sont toujours pas pris en charge et ne seront pas disponibles avant la fin du mois de juin prochain. Comment tolérer une telle situation ?
Cette crise dépasse la seule question des compensations économiques.
Sans doute, nous devons commencer par indemniser au juste niveau chaque bête perdue, chaque agneau, chaque chevreau qui ne verra pas le jour, en se calquant sur les indemnisations appliquées aux pertes causées par le loup, soit au minimum 250 euros par bête. Mais nos éleveurs, déjà affaiblis par les attaques répétées des prédateurs, subissent en outre une pression constante et un stress quotidien qui les conduisent tout droit vers une détresse psychologique alarmante.
Un soutien psychologique est indispensable. Ignorer cet aspect, c'est condamner nos éleveurs à l'épuisement mental et même parfois, malheureusement, au pire.
Madame la ministre, il ne s'agit plus d'utiliser des rustines : nos éleveurs exigent des réponses concrètes et des solutions durables ! Le moment est venu de réviser en profondeur le plan loup, d'y apporter des ajustements répondant réellement aux attentes des éleveurs tout en tenant compte des impératifs environnementaux.
Êtes-vous prête à élaborer un plan ambitieux, solide, capable de protéger à la fois nos éleveurs et l'avenir de notre agriculture ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Lucien Stanzione. Des promesses, oui, mais aussi des actes !
Madame la ministre, je vous dis donc : à très bientôt au MED'Agri, à Avignon !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Je vous remercie, monsieur le sénateur Lucien Stanzione, de m'annoncer ce qui sera évoqué lors de ce salon… (Sourires.)
Vous évoquez d'abord la FCO de sérotype 3. Cette maladie se propage, nous en sommes conscients, à un rythme exponentiel.
M. Laurent Duplomb. Sur la moitié de la France !
Mme Annie Genevard, ministre. Néanmoins, pour ce qui concerne la généralisation de la vaccination et le fonds de soutien d'urgence de 75 millions d'euros, je puis vous assurer de la satisfaction de la filière ovine. J'en prends donc acte et je vous invite à faire de même, cette satisfaction ayant été exprimée publiquement.
Vous parlez ensuite d'abandon à propos de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8. Non, on ne peut pas parler d'abandon, puisque le comité de suivi dont je parlais va évaluer précisément les besoins en matière d'indemnisation des cheptels atteints par cette affection. Nous déterminerons alors le calibrage des aides, le FMSE sera sollicité et nous verrons s'il est suffisant.
Je constate par ailleurs que des régions montent également au créneau. D'ailleurs, mon homologue espagnol m'expliquait que, dans son pays, la gestion de la crise sanitaire était régionalisée ; mais, j'en conviens, l'organisation territoriale et administrative de l'Espagne n'est pas comparable à celle de la France.
Enfin, vous évoquez le loup et vous avez raison de parler d'épuisement mental, les termes ne sont pas trop forts. Je le vois dans mon territoire, où les bovins sont maintenant attaqués par le loup : les plus solides de nos éleveurs craquent véritablement lorsqu'ils découvrent, au matin, l'état de leurs animaux, dévorés vivants, parfois d'ailleurs encore vivants. C'est donc un sujet majeur. Or ce qui a eu lieu la semaine dernière, le lancement de la procédure de déclassement du loup, est, je l'espère, prometteur pour l'évolution en matière de prélèvement.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, cela fait maintenant plusieurs années que, dans nos départements respectifs, les éleveurs nous alertent sur l'augmentation de la population lupine et sur les ravages que celle-ci engendre. Vous le savez, la prédation du loup est un véritable fléau pour le pastoralisme, et il faut continuer d'agir en faveur de nos éleveurs.
Nous avons donc tous accueilli avec satisfaction la récente décision de l'Union européenne d'abaisser le statut de protection du loup. Toutefois, il reste encore au comité permanent de la convention de Berne à adopter cette mesure, et à la directive dite Habitats-faune-flore du 21 mai 1992 d'être amendée en conséquence. Madame la ministre, êtes-vous confiante dans l'avenir de cette décision à l'échelon européen et que mettez-vous en œuvre pour qu'elle aboutisse ?
Les éleveurs attendent d'autres mesures, comme le statut promis de chien de troupeau. Ce statut faisait l'objet de l'article 16 du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Pouvons-nous espérer que cet article sera repris dans le nouveau projet de loi qui sera, vous l'avez dit, déposé prochainement par le Gouvernement ?
Par ailleurs a été mise en œuvre une expérimentation pour la protection des troupeaux de bovins, lesquels ne peuvent faire l'objet de la même protection que les ovins, avec la possibilité d'un tir de défense simple lorsque la présence d'un loup est constatée. Il y a une forte demande en faveur de la généralisation de cette solution, qui s'avère très efficace face à l'augmentation significative du nombre de bovins prédatés ; dans le département dont je suis élue, la Savoie, cette augmentation a été de 30 % en valeur absolue en 2024 par rapport à 2023, avec près de 110 bovins attaqués comptabilisés à la fin du mois de septembre. Est-ce une mesure que le Gouvernement serait prêt à généraliser rapidement ?
Pour conclure, je souhaite aborder la question des indemnisations. Vous avez mentionné, madame la ministre, les compensations des pertes directes liées à la prédation du loup, mais qu'en est-il des pertes indirectes ? Celles-ci ne sont pas suffisamment valorisées, puisqu'elles sont estimées à 2 millions d'euros au lieu de 10 millions en réalité ; d'autant que le retard dans le traitement des dossiers aggrave la situation, obligeant les éleveurs à avancer près d'un an de trésorerie, ce qui n'est pas soutenable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Martine Berthet, vous évoquez un sujet sur lequel j'ai moi-même beaucoup travaillé. En effet, une étape importante a été franchie à Bruxelles avec l'adoption, à une large majorité – franchement, c'était inespéré ; j'avais fait le décompte des pays la veille et je ne pensais pas que l'on aurait ce résultat –, de l'ouverture de la procédure de déclassement du loup, de la catégorie des espèces strictement protégées à celle des espèces protégées. Ce petit mot, " strictement ", fait toute la différence !
Ce sujet sera donc inscrit à l'ordre du jour de la prochaine réunion de la convention de Berne. L'Union disposant de la majorité qualifiée, j'ai bon espoir que nous franchissions cet obstacle.
Cela dit, vous le savez, le loup est protégé par deux textes, la convention de Berne et la directive dite Habitats. Il faudra donc décider, à l'unanimité du Conseil des ministres de l'environnement, le déclassement d'une annexe à l'autre dans cette directive. À ce jour, trois pays y sont opposés : l'Espagne, le Portugal et l'Irlande. Nous devrons donc mener un important travail auprès de nos partenaires pour aller au bout du processus.
Quant au statut promis de chien de troupeau, visant à limiter les risques juridiques associés, il me semble indispensable. L'article que vous citez, que nous avions amélioré à l'Assemblée nationale et adopté, sera maintenu dans le futur texte. Cela me paraît indispensable parce que le patou, on le sait, met l'éleveur en insécurité juridique : c'est ce dernier qui est responsable en cas de problème avec des promeneurs.
Enfin, vous évoquez quelque chose que les éleveurs de ma région ont contribué à mettre en œuvre : le statut de " non-protégeabilité " des bovins, car, de ce point de vue, les bovins ne sont pas comparables aux ovins. Le préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup avait accepté le principe d'une expérimentation à cet égard, notamment dans la région dont je suis élue, et nous en attendons les résultats avant de généraliser ce statut.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre, la situation de l'agriculture, secteur économique majeur de nos territoires, et notamment du département dont je suis élue, le Lot-et-Garonne, suscite de réelles inquiétudes, et un nouveau mouvement amplifié de colère est à redouter.
En effet, six mois après les vives tensions qui ont secoué le monde agricole dans le pays, plus particulièrement dans le Lot-et-Garonne, je souhaite vous faire part de ma vive inquiétude à cet égard, laquelle s'est transformée en véritable préoccupation depuis que s'est réunie la chambre départementale d'agriculture, vendredi dernier ; mon collègue Michel Masset pourrait en témoigner.
De nombreuses raisons contribuent à ce regain de tension. Il s'agit, même si la liste n'est pas exhaustive, des dispositions portant sur la gestion de l'eau, du revenu des agriculteurs, des normes et de la réglementation, auxquels se sont ajoutés au cours des six derniers mois les problèmes climatiques affectant le blé, le soja, le maïs, le sorgho, ainsi que notre production, bien connue, du pruneau d'Agen et la viticulture. Et je ne parle pas de la fièvre catarrhale ovine, qui se propage dangereusement…
La profession agricole a le sentiment d'être délaissée. Elle estime ne pas être écoutée et se demande si son activité a encore du sens. La colère est intacte et les braises qui couvent sous les cendres laissent présager le pire. Loin de moi toutefois l'idée de jouer les Cassandre…
Madame la ministre, je sais que ce sujet vous préoccupe ; c'est la raison pour laquelle je vous demande de nous apporter des précisions pour répondre à cette colère annoncée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat, je sais votre extrême vigilance sur ces questions. Vous m'avez alertée à ce sujet, et je vous en remercie parce que le regard des parlementaires, bons connaisseurs de leur territoire, particulièrement attentifs aux agriculteurs, aux filières agricoles, à la situation économique locale, leur confère un statut d'observateur privilégié.
Je partage votre préoccupation. Beaucoup d'échos m'arrivent du territoire dont vous êtes élue, le Lot-et-Garonne, mais pas seulement de là. Ils attestent d'une colère qui n'a pas été apaisée.
L'interruption due à la dissolution de l'Assemblée nationale, le temps de latence, le retard dans la mise en œuvre des annonces de mon prédécesseur, l'aggravation de la crise climatique, avec des sécheresses importantes ou des inondations, la baisse de la production, les inquiétudes portant sur l'avenir du monde agricole dans votre territoire, le sentiment d'être incompris, voire abandonné, tout cela nourrit cette colère, parfois de façon excessive. Mais ces excès sont à la mesure de l'inquiétude ressentie : ces métiers ne veulent pas disparaître, ces agriculteurs aspirent à vivre de leur métier sur le territoire qu'ils aiment, où ils sont nés, où ils ont vécu, où ils travaillent.
Bref, tout cela se comprend et croyez bien que je suis avec une extrême attention tout ce qui se joue, notamment chez vous, parce que c'est bien de là qu'est partie l'expression d'une profonde colère, à la mesure du désespoir ressenti.
Je puis vous garantir que je porte une attention particulière à cet enjeu. Tous les dispositifs que j'ai décrits seront naturellement ouverts aux agriculteurs de votre département, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Merci de vos propos, madame la ministre. Il est temps de redonner à notre agriculture sa place et son rang !
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud.
M. Hervé Reynaud. Alors que nos agriculteurs sont confrontés à de nombreuses crises, la fièvre catarrhale affecte dramatiquement nos éleveurs ; c'est vraiment la question du jour…
Cette maladie, qui touche majoritairement les ovins, s'étend maintenant aux bovins, dans le département dont je suis élu, la Loire, mais également chez nos voisins de Haute-Loire, chère à Laurent Duplomb : 80% à 90% des élevages y sont touchés et les pertes sont énormes. Il y a en effet des pertes directes, avec la mort des animaux, mais aussi des pertes indirectes, avec des avortements, une baisse de la production laitière, voire des problèmes de fertilité.
Les éleveurs peinent donc à exporter leurs animaux vers des pays comme l'Espagne ou l'Italie, qui ont fermé leurs portes, même quand on leur présente un test PCR négatif. C'est le premier enjeu. Par ailleurs, la multiplication du virus étant très virulente dans les troupeaux infectés, la vaccination est le seul remède. Tel est le deuxième enjeu.
Je salue votre annonce de jeudi dernier relative à la gratuité du vaccin contre la FCO de sérotype 3 sur l'ensemble du territoire, madame la ministre, je vous en félicite.
Toutefois, dans la Loire, c'est le sérotype 8 qui fait des ravages : à ce jour, 798 foyers sont recensés. Aussi, face à la menace croisée de la fièvre catarrhale de sérotypes 3, 4 et 8, et de la maladie hémorragique épizootique, les éleveurs demandent la gratuité des vaccins pour l'ensemble des maladies vectorielles. À l'échelle nationale, plus de 3 800 foyers de contamination sont recensés.
Le Premier ministre a annoncé le déblocage d'une enveloppe de 75 millions d'euros, mais cela ne suffira pas. Il nous faut des réponses immédiates. La profession estime les besoins entre 100 millions et 150 millions d'euros.
Madame la ministre, je vous renouvelle mon invitation à venir constater sur le terrain, dans le département de la Loire, la détresse psychologique des éleveurs. Par ailleurs, le Gouvernement peut-il s'engager sur une prise en charge globale de ces dépenses, indispensable pour stopper la contagion, et sur un échange avec ses homologues européens ?
M. le président. Vous êtes invitée partout, madame la ministre… (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Hervé Reynaud, je vous remercie de votre question. C'est en effet le sujet du moment et je comprends très bien que plusieurs de vos collègues aient choisi de l'évoquer.
Les enjeux sont bien d'accompagner les élevages atteints et de lever les blocages qui peuvent exister, notamment en matière d'exportations.
En effet, vous avez évoqué un point qui n'avait pas été tellement soulevé jusqu'à présent : notre filière d'élevage est exportatrice. Or nous avons réussi à lever les freins à l'exportation vers l'Italie, sous réserve de présenter un test PCR négatif et la preuve d'une vaccination. Et hier, le ministre espagnol m'a confirmé la reprise des exportations vers son pays, sous les mêmes conditions.
La FCO de sérotype 3 est venue des pays du Nord, la MHE et la FCO de sérotype 8 sont arrivées de ceux du Sud. On voit donc que les maladies vectorielles se jouent des frontières. Cela confirme qu'il convient, de toute évidence, de travailler sur cette question à l'échelon européen, car on sera toujours en retard d'un vaccin. C'est la raison pour laquelle mon prédécesseur avait évoqué l'idée d'une banque d'antigènes permettant d'élaborer des vaccins multicibles. Pour l'instant, il ne s'agit que d'une idée, mais il faudra sans doute la reprendre.
Je répète en outre que le ministre espagnol s'est montré très ouvert à l'idée de la présentation conjointe d'une résolution, lors de la prochaine réunion des ministres de l'agriculture de l'Union européenne, pour que cette question soit inscrite l'ordre du jour. Il est en effet à craindre que, les crises sanitaires se multipliant et se développant, l'Union européenne estime que le sujet est trop large et que chacun doit s'en débrouiller de son côté ; or cela n'est pas possible parce que ce phénomène se généralise.
Pour ma part, je suis assez préoccupée par le fait que, en juillet dernier, le problème majeur était la FCO 3 et que, en septembre, c'était devenu la FCO 8, la première n'ayant pas pour autant disparu puisque les deux maladies se combinent…
Ainsi, à côté de l'urgence, il faut essayer de traiter les choses d'un point de vue stratégique, en anticipant et en prévenant ; c'est indispensable, car les budgets nationaux n'y suffiront pas.
Source https://www.senat.fr, le 16 octobre 2024