Déclaration de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins, sur la nécessité d'augmenter le nombre de places de formation pour les médecins et les personnels soignants, au Sénat le 8 octobre 2024.

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Circonstance : Débat au Sénat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour d'un droit de réplique, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l'hémicycle.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice Brulin, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de ce débat, car il est important. Le problème sociétal que vous mettez en avant peut se dire de manière simple : tenter d'avoir accès à un médecin et ne pas y arriver. Nous devons tout mettre en œuvre, bien sûr, pour favoriser l'accès dans nos territoires à tous les types de soins, soins primaires, soins de spécialistes, mais aussi, en tant que de besoin, soins hospitaliers.

Il est évident que nous avons encore beaucoup de travail, même si beaucoup de choses ont été réalisées – nous aurons le temps d'y revenir et d'approfondir l'analyse.

En tout état de cause, il me paraît important de placer ce débat dans le cadre d'une prospective de moyen et long terme. Ce dont nous traitons actuellement, en effet, c'est un impensé d'années antérieures, celles-là mêmes qui nous ont conduits dans l'impasse qui a été décrite. Notre responsabilité politique – et la vôtre, en tant que parlementaires – est donc de travailler à une telle prospective de moyen et long terme. Je souhaite vraiment m'inscrire avec vous dans cette dynamique, afin d'éviter à l'avenir les entonnoirs tels que ceux dans lesquels nous nous retrouvons aujourd'hui.

Vous avez parlé de former des médecins, madame la sénatrice, mais nous parlerons aussi ensemble, je l'espère, des infirmiers et des aides-soignants, éléments majeurs de notre système de soins.

Je vous remercie une nouvelle fois d'avoir pris l'initiative de ce débat et suis prête à répondre aux questions qui me seront posées. Peut-être ne saurai-je pas répondre à toutes, mais notre discussion s'annonce en tout cas passionnante.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans nombre de territoires, il suffit d'essayer de prendre rendez-vous avec un médecin, généraliste ou spécialiste, ou bien d'aller aux urgences pour rapidement parvenir à un constat évident : notre pays manque de médecins.

Je m'en excuse d'emblée auprès des soignants : mon intervention traitera davantage des médecins que des soignants au sens large, car je pense que « la nécessité de former davantage de médecins » soulève en elle-même beaucoup de questions, et ce même si traiter le sujet de l'accès aux soins nécessite, en pratique, de se pencher sur la question de la coopération entre tous les professionnels de santé.

En 2024, le nombre de médecins, y compris remplaçants et retraités actifs, est d'environ 237 000, contre 215 000 il y a à peine quinze ans. C'est donc 22 000 de plus, et cette augmentation est tout aussi encourageante que frustrante : comment peut-on ne pas réussir à faire mieux avec plus ?

Tout d'abord, il est évident que les nouveaux médecins travaillent différemment par rapport à ceux des générations précédentes. Beaucoup d'entre eux, et c'est bien légitime, recherchent un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle et ne souhaitent plus travailler douze heures par jour six jours – voire sept – sur sept.

Ensuite, plusieurs facteurs concourent à ce que les besoins de la population en matière de soins augmentent : le vieillissement de la population, l'augmentation de la dépendance, l'explosion des maladies chroniques ou encore la dégradation de la santé mentale.

Il est donc nécessaire de continuer à former davantage de médecins et, plus largement, de soignants. Mais il est tout aussi nécessaire d'optimiser le temps médical que représentent ces effectifs supplémentaires.

Les difficultés sont connues depuis longtemps.

Je ne saurais évidemment commencer mon propos sans mentionner le problème de la surcharge administrative : un accident du travail, par exemple, implique la rédaction d'un certificat médical initial, éventuellement d'un arrêt de travail, d'une ordonnance, d'une feuille de soins, etc. autant de documents sur lesquels il faut chaque fois réinscrire des informations identiques. Pensons aussi aux nombreux certificats médicaux inutiles.

Diminuer cette surcharge administrative reviendrait à dégager davantage de temps médical pour les médecins et de consultations pour les patients qui en ont besoin.

L'informatique représente aussi une perte de temps ahurissante. Comment est-il possible que, dans certains – je dis bien « certains » – hôpitaux, en 2024, il n'y ait pas de logiciel unique ? Un médecin doit se connecter sur le logiciel des scanners, puis, via un mot de passe différent, sur le logiciel de biologie, et ainsi de suite en fonction des examens nécessaires. Un urgentiste me disait récemment : « Cinq minutes avec un patient, c'est quinze minutes d'informatique. »

Je me dois de mentionner aussi le problème de la répartition des médecins sur le territoire et parmi les différentes spécialités ; la psychiatrie, et notamment la pédopsychiatrie, est en grande souffrance. J'en profite d'ailleurs pour saluer le choix du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Il y a quelques mois, ici au Sénat, nous adoptions une proposition de résolution invitant précisément le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.

La médecine générale et beaucoup d'autres spécialités sont aussi en difficulté : on manque d'urgentistes, de rhumatologues, de chirurgiens pédiatriques, de gastro-entérologues, etc. Se pose ainsi la question du nombre de places et de l'opportunité de laisser aux étudiants la possibilité de redoubler en vue d'obtenir certaines spécialités au détriment d'autres, sachant qu'un tel redoublement a été particulièrement important cette année.

Optimiser le temps médical, cela relève aussi de la responsabilité des patients. Il est tout bonnement inacceptable qu'un patient se rende aux urgences parce qu'il a le nez qui coule, qu'il bénéficie d'un examen et d'un traitement qui doit durer quatre jours et qu'il retourne aux urgences le lendemain… car il présente exactement le même symptôme.

Heureusement, un tel cas ne représente pas la majorité des patients ; mais il y a là une réalité dont tous les médecins vous parleront. Responsabiliser, cela ne veut pas dire pénaliser les plus démunis : cela veut dire sanctionner les abus – et c'est une nécessité.

Tous ces problèmes sont connus, comme sont connues beaucoup de solutions : revoir les études et les modalités de choix des spécialités, augmenter les capacités d'accueil des facultés et des lieux de stage, investir dans des systèmes informatiques adaptés, automatiser l'usage du dossier médical partagé (DMP), alléger et simplifier la charge administrative.

Madame la ministre, ma question est plutôt simple : à l'heure où la situation budgétaire nous oblige à des choix particulièrement contraints, parmi toutes les solutions possibles, laquelle vous semble prioritaire afin d'optimiser le temps des médecins ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice Bourcier, vous posez une question importante : comment faire en sorte que les médecins fassent de la médecine, c'est-à-dire, très simplement, soignent les patients et, pour ce faire, posent des diagnostics et procèdent à des examens cliniques ?

Vous le savez, les assistants médicaux sont une des solutions à ce problème, mise en œuvre depuis la fin de l'année 2019 : en septembre 2024, nous en étions à 6 700 assistants médicaux recrutés, ce qui est tout à fait significatif. Grâce à un assistant médical, le médecin généraliste peut prendre en charge en moyenne 10 % de patients supplémentaires à nombre d'heures travaillées constant ; ce sont plus de 500 000 patients qui ont déjà trouvé un médecin traitant grâce à ce dispositif : voilà une amélioration.

Mais il ne s'agit pas là du seul axe de travail. La présence dans les cabinets médicaux ou les maisons de santé d'infirmières en pratique avancée (IPA) spécialisées dans certains domaines peut, elle aussi, soulager les médecins en les déchargeant de certains actes, voire d'un certain temps consacré à la prévention, sujet majeur de santé publique. Voilà qui permet là encore de libérer du temps médical, purement et simplement.

Quant aux simplifications administratives, vous en avez parlé, madame la sénatrice : il faut par exemple éviter les certificats médicaux inutiles ou faciliter les facturations à l'assurance maladie pour les médecins libéraux.

Pour ce qui est de s'appuyer sur les outils informatiques, effort évidemment nécessaire, la difficulté – je l'ai vécue – est que chacun a son outil, qui n'est pas toujours compatible avec ceux des hôpitaux ou des laboratoires. La transformation numérique doit donc se faire avec tous les acteurs concernés afin de fluidifier les choses au bénéfice des patients.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour la réplique.

Mme Corinne Bourcier. Je vous remercie, madame la ministre.

Il y a en effet des choix importants à faire, qui ne se traduiront pas forcément en réponses immédiates. Les assistants médicaux, comme les orthoptistes, par exemple, sont extrêmement importants : ils apportent des solutions aux patients.

Il faut agir vite et bien pour que nos concitoyens puissent être soignés comme il le faut ; et, comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut bien sûr s'interroger sur les études de médecine. Beaucoup d'étudiants souhaiteraient faire ces beaux métiers, mais ne peuvent suivre le parcours qui y mène – et certains partent à l'étranger.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Brigitte Devésa et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier nos collègues du groupe CRCE – Kanaky d'avoir demandé l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants, car ce sujet nous préoccupe tous – il fait partie des premières préoccupations de nos concitoyens et des élus. Car, au-delà de la prise en charge des patients et de la réponse à leurs besoins de santé, il s'agit aussi d'un sujet d'aménagement du territoire !

Oui, madame la ministre, il faut former plus de médecins et de soignants dans notre pays, pour l'hôpital comme pour la ville ! L'affirmation est simple, et la réponse attendue rapidement sur le terrain, voire urgemment dans certains territoires, alors que le sujet de la formation s'inscrit dans un temps long. Nous avons perdu trop de temps depuis dix ans – dix ans, c'est tout simplement le temps qu'il faut pour former un médecin…

L'accès aux soins ambulatoires est un enjeu politique majeur, et, en parallèle des différents textes de loi adoptés ces derniers temps, je me réjouis de l'élan insufflé par le nouveau gouvernement en faveur de l'accès aux soins, dont témoigne le programme Hippocrate annoncé par le Premier ministre. Et je salue les propos qu'il a tenus lors de sa déclaration de politique générale, qui ont déjà été rappelés : « Le temps est révolu où l'on avait la crainte de former trop de médecins. »

Je m'en réjouis d'autant plus que le groupe Les Républicains a proposé dans son pacte législatif, avant la constitution du Gouvernement, une loi santé dont les grands axes sont clairement énoncés. J'espère, madame la ministre, que vous vous saisirez de ces propositions !

Il est donc indispensable de former plus de médecins et de soignants, mais aussi, ajouterai-je, de techniciens ; nous manquons par exemple de manipulateurs en radiologie. Aussi le sujet est-il vaste, car il concerne nombre de professions de santé. Je parlerai essentiellement de médecine générale, pierre angulaire de notre système de santé en ville.

Former davantage de médecins, c'est territorialiser les études de médecine.

C'est continuer à créer des antennes universitaires de première et deuxième années d'études, parfois plus accessibles pour les étudiants, tant géographiquement que financièrement.

C'est revoir la réforme récente de la première année d'études de santé : il n'est pas acceptable que la réforme dite Pass (parcours accès santé spécifique) – LAS (licence accès santé) ne soit pas appliquée de la même manière dans toutes les universités. Certaines universités ont même inventé la « LAS 50-50 » ; je vous laisse y réfléchir…

C'est reconnaître que la suppression du numerus clausus a eu des effets limités, car on ne peut pousser les murs des facultés et créer des terrains de stage d'un coup de baguette magique !

C'est faire en sorte que la volonté du législateur ne soit pas détournée pour ce qui est de la création d'une quatrième année d'internat de médecine générale, évolution souhaitée par le Sénat via le vote de la proposition de loi de Bruno Retailleau avant d'être introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Il conviendra surtout, madame la ministre, de veiller à ce que les stages afférents soient prioritairement réalisés en ambulatoire dans des zones sous-denses, plutôt qu'orientés vers l'hôpital par dérogation. Bien sûr, il faudra en contrepartie que la qualité de l'accueil réservé à ces futurs médecins soit au rendez-vous, sur le plan tant des locaux que de l'accompagnement professionnel.

Selon l'indice d'attractivité défini par la Drees, la médecine générale occupe la quarante-deuxième place parmi les spécialités choisies par les internes en 2023, sur un total de quarante-quatre spécialités. C'est une réalité, la médecine générale est de moins en moins considérée par les futurs internes.

Dès lors, même si nous observons avec attention la légère augmentation du nombre de médecins en activité annoncée par l'ordre des médecins – en 2023, il y avait 1 672 médecins en activité régulière de plus que l'année précédente –, cette hausse ne suffit pas à répondre aux besoins compte tenu des enjeux liés au vieillissement de la population et à l'augmentation des maladies chroniques. Si l'âge moyen des médecins continue de baisser, s'établissant à 48,1 ans contre 48,6 ans l'an dernier pour les médecins en activité régulière, le temps médical, quant à lui, diminue.

Former plus, c'est aussi corriger les effets négatifs de la réforme des études de santé, laquelle a affecté, par exemple, la filière pharmacie – ma collègue l'a rappelé. Depuis la réforme, cette filière n'est plus visible et les deuxièmes années de pharmacie ne font plus le plein !

Les inégalités territoriales en matière d'accès aux soins s'aggravent. Nous parlons de déserts médicaux et nous commençons à parler de déserts pharmaceutiques. Les bonnes volontés existent, mais il y a urgence ! Sans un nombre suffisant de professionnels de santé, la volonté de partage des tâches ne réglera pas tout.

Madame la ministre, mes questions sont simples.

Comment pensez-vous vous saisir des propositions faites par le groupe Les Républicains du Sénat en matière de santé ?

Comment envisagez-vous de travailler avec votre collègue ministre chargé de l'enseignement supérieur pour corriger la réforme des études de santé ?

Où en sont les décrets d'application de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux ? Je pense par exemple à l'élargissement du contrat d'engagement de service public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, la réforme de l'accès aux études de santé est en place depuis quatre ans. La Cour des comptes a procédé à une évaluation des trois premières années. Nous attendons ses conclusions, qui ne devraient pas tarder.

Bien qu'il soit trop tôt pour estimer les effets à long terme de cette réforme, il sera sans doute opportun de réfléchir à des ajustements. C'est un point que j'aborderai avec le ministre de l'enseignement supérieur. Quoi qu'il en soit, il me paraît opportun d'attendre les conclusions des travaux de la Cour des comptes.

En tout état de cause, les principes fondamentaux de la loi, à savoir favoriser la réussite des étudiants et diversifier les profils de ces derniers pour mieux répondre aux enjeux futurs du système de santé, doivent être conservés. J'y serai très attentive.

Vous souhaitez mettre l'accent sur les stages dans les zones sous-denses. Je souscris à vos propositions, mais les universités envoient déjà leurs externes de quatrième année, par exemple, dans les hôpitaux des villes moyennes. C'est un vrai enjeu pour irriguer tous nos territoires ruraux de jeunes médecins en stage, qui apprendront à connaître cet environnement.

Concernant l'état des lieux de la loi Valletoux, 34 textes d'application ont été recensés, dont 14 pour le seul article 36 relatif aux épreuves de vérification des connaissances des Padhue, dont la parution avait été actée en 2024.

Actuellement, 10 décrets ont été publiés, soit 50 % des textes publiés à ce jour ; 8 décrets d'application sont prêts ou ont été débloqués à la suite de la dissolution, soit 23 % des textes à prendre ; 2 décrets d'application sont actuellement en concertation – ils devraient paraître d'ici au mois de novembre prochain ; enfin, 14 décrets ne sont pas encore prêts. Il me semble donc que je vais signer des décrets très rapidement…

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.

Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses. Comme vous, je suis favorable à la diversité des profils : ce n'est pas parce que l'on rate un examen de mathématiques ou de physique que l'on sera forcément un mauvais médecin…

Toutefois, renseignez-vous : on demande aux étudiants en licences accès santé (LAS) d'avoir la moyenne à la fois en santé et dans l'autre filière choisie, ce qui pourrait les empêcher de passer en deuxième année. Ce n'est compréhensible ni pour les étudiants ni pour les sénateurs que nous sommes. Cette exigence dévoie, selon nous, l'objectif de la réforme.

En ce qui concerne les lieux de stage, je pensais essentiellement à la quatrième année d'internat et de médecine générale. Soyons attentifs à ne pas accorder trop de dérogations et veillons à bien respecter la volonté du législateur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Je remercie tout d'abord le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d'avoir pris l'initiative de demander l'organisation de ce débat.

La préoccupation de l'accès à des soins de qualité pour tous, partout sur notre territoire et à tout moment de la vie, nous rassemble sur toutes les travées.

Je ne l'apprends à personne, la France fait face à une pénurie croissante de soignants et de médecins, avec des déserts médicaux dans de nombreuses régions. On estime aujourd'hui que près d'un Français sur trois vit dans un désert médical.

Par ailleurs, le vieillissement des médecins et de la population exige une augmentation de l'offre de soins.

Nous le voyons tous dans nos territoires respectifs : nos hôpitaux, nos Ehpad, nos centres de soins et nos cabinets libéraux sont sous tension permanente. Partout en France, des postes restent vacants, les services d'urgence saturent et les listes d'attente pour consulter un spécialiste s'allongent.

La solution la plus évidente pour remédier à ces pénuries, révélées notamment par la crise sanitaire, est d'augmenter le nombre de praticiens en en formant davantage. C'est un impératif pour l'avenir.

Pour les médecins, le numerus clausus a été supprimé en 2020, sous l'impulsion du Président de la République. Quatre ans après cette réforme si nécessaire, nous en constatons déjà les premiers résultats. On observe une nette augmentation du nombre d'étudiants accédant à la deuxième année de médecine.

De 8 150 en 2017, le nombre de places en médecine à l'université est passé à 10 000 en 2023. Il augmentera à 12 000 places par an en 2025, puis à 16 000 places par an en 2027. On formera jusqu'à deux fois plus de médecins qu'avant 2017.

Néanmoins l'augmentation du nombre d'étudiants, tant en médecine que pour les autres formations de santé, pose des défis logistiques majeurs, notamment en termes de capacité d'accueil des universités, de qualité de l'encadrement et de disponibilité des terrains de stage.

Les facultés doivent s'adapter rapidement pour garantir un niveau de formation élevé malgré l'afflux d'étudiants.

Par ailleurs, si l'augmentation du nombre de médecins formés peut, à terme, aider à combler les déficits dans les zones sous-dotées, cela dépend également de la mise en place de politiques plus incitatives pour encourager les jeunes médecins à s'installer dans ces régions, voire de la mise en place d'une politique coercitive, comme c'est le cas pour plusieurs professions médicales.

Enfin, il nous faut aussi prendre en compte l'impact sociétal : le mode d'exercice de la pratique médicale a largement évolué depuis les années 1970, avec un temps de travail plus faible, comme dans beaucoup d'autres secteurs d'activité. On peut estimer qu'il faut maintenant près de trois jeunes médecins pour remplacer un départ à la retraite.

La suppression du numerus clausus est donc un premier pas majeur vers une transformation profonde de la formation médicale en France, même si son effet ne se fera ressentir que dans quelques années.

En complément, un deuxième levier serait d'aller chercher à l'étranger les talents qui souhaiteraient s'établir en France et de faire revenir les praticiens français établis à l'étranger. C'est une politique que l'Allemagne applique d'ailleurs dans des proportions bien supérieures. En 2022, environ 52 000 médecins étrangers exerçaient en Allemagne, contre 26 000 en France.

Cela étant, je me réjouis que la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, adoptée l'an dernier, soit venue consolider le statut des Padhue, ce qui permettra de faciliter leur venue.

Par ailleurs, un troisième levier est également possible, via une plus grande collaboration entre les différents professionnels de santé, pour libérer du temps médical, en confiant notamment à des non-médecins des activités et des actes aujourd'hui réservés aux médecins.

Le précédent gouvernement a beaucoup œuvré en ce sens. Au mois d'avril dernier, l'objectif était de « reconquérir 15 millions à 20 millions de rendez-vous chez le médecin » dès 2024. Ces mots ont très vite été suivis d'actions : par décret pris au mois de juin dernier, ce ne sont pas moins de seize procédures qui ont été simplifiées.

Ainsi, les pharmaciens peuvent désormais prescrire directement des antibiotiques en cas d'angine ou de cystite. Dans certains cas, il est aussi possible de recevoir une nouvelle ordonnance pour des lunettes directement chez l'opticien.

Par ailleurs, depuis le mois de juin, une expérimentation permettant l'accès direct à un kinésithérapeute ou à un médecin spécialiste, sans passer par un médecin traitant, a été lancée dans treize départements.

Ces dispositions viennent répondre à une demande de la profession : non seulement elles présentent l'avantage de libérer du temps médical, mais elles permettent d'améliorer l'accès aux kinésithérapeutes, qui est rendu de plus en plus compliqué faute de rendez-vous chez les médecins.

Toujours dans l'idée de libérer du temps pour les praticiens, le nombre d'assistants médicaux passera de 6 000 à 10 000 à la fin de l'année. Nous saluons aussi la généralisation du service d'accès aux soins (SAS), effective depuis le mois de juin. Elle vise à répondre à la demande de soins vitaux, urgents et non programmés de la population partout et à toute heure, grâce à une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l'hôpital et de la ville d'un même territoire.

Continuer de former davantage de médecins et de soignants, aller chercher des talents à l'étranger et libérer du temps médical : ces trois orientations sont complémentaires.

Toutefois, ce débat sur les ressources humaines des professionnels de santé doit s'inscrire dans une stratégie globale, à la fois pour le système de santé et en matière de gestion des ressources humaines.

Déterminer le nombre de professionnels à former n'a que peu d'intérêt opérationnel si l'on ne s'assure pas que ceux-ci accomplissent effectivement les missions attendues.

Par ailleurs, lors d'une audition au mois de mai dernier par la commission des affaires sociales, le président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) avait souligné la nécessité d'une évaluation des besoins territoriaux.

Madame la ministre, vous l'aurez compris, nous devons travailler ensemble pour coconstruire une feuille de route. Le groupe RDPI vous soutiendra dans cet objectif, de façon exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir détaillé toutes les mesures mises en place ces dernières années.

En définitive, la restructuration de notre système de santé s'opère bien au quotidien, de façon progressive et en prenant surtout appui sur les acteurs de terrain. Vous avez évoqué les SAS, mais on peut aussi citer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Tous ces services constituent véritablement la source vive de la transformation de notre système de santé.

Nous avons besoin d'étudiants et de jeunes médecins. Je donnerai quelques chiffres que vous connaissez certainement sur l'évolution du nombre d'étudiants dans les différentes formations en santé.

En médecine, avant 2017, quelque 8 700 places étaient offertes, contre 11 000 aujourd'hui, soit une hausse de 26 %. En pharmacie, il y avait 3 200 places, contre 3 600 aujourd'hui. En odontologie, où il manque aussi beaucoup de praticiens sur le terrain dans certains territoires, il y avait 1 250 places en 2017, contre 1 450 aujourd'hui. Enfin, en ce qui concerne la maïeutique et les sages-femmes, il y avait 1 020 places, contre 1 100 aujourd'hui. Tous ces chiffres témoignent d'une augmentation.

La réalité des admissions est bonne en médecine et en odontologie, mais plus difficile en pharmacie et en maïeutique. Il nous faudra y prêter attention.

Bien entendu, il ne faudra pas non plus décréter arbitrairement un nombre d'étudiants en deuxième année – 20 000, par exemple. Tout cela nécessite de la prospective, afin de déterminer exactement le nombre de professionnels de santé nécessaire pour répondre aux besoins de la population.

Il faut donc d'abord mesurer l'évolution de la population, estimer ses besoins, évaluer son vieillissement, calculer la consommation des soins, établir les grandes pathologies, fixer l'organisation du système de santé et tenir compte du progrès médical et technologique. C'est donc un ensemble de paramètres qui nous permettra de déterminer le nombre de médecins à former, car il ne faudrait pas non plus tomber dans l'excès inverse et former trop de médecins. (Protestations sur diverses travées.)

M. Michel Savin. On ne sait jamais !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Trop de médecins, maintenant ?

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour la réplique.

Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, nous sommes loin de courir un tel risque au regard du manque de praticiens ! J'aimerais que vous ayez une attention particulière pour la formation des soignants. Le groupe CRCE-K a mis le doigt sur un problème d'actualité, que nous devons tous contribuer à régler.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on connaît le nombre de villages qui recherchent désespérément un généraliste,…

M. Michel Savin. Et de villes !

M. Raphaël Daubet. … quand on voit la situation des services de gérontologie dans les hôpitaux périphériques, quand on sait que nombre de médecins sont contraints, comme cela a été mon cas, de fermer leur cabinet sans avoir trouvé de successeur, l'intitulé de ce débat « sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants » pourrait franchement passer pour une provocation aux yeux de nos concitoyens !

Pourtant, je veux remercier le groupe CRCE-K, car ce débat pose de vraies questions. Les projections démographiques sont-elles suffisantes ? Prend-on en compte l'attractivité des filières ? Comment résorber les inégalités territoriales ?

Je souhaite sincèrement, madame la ministre, que ce débat soit suivi d'effets, pour une simple et bonne raison : au-delà des enjeux de santé publique, la situation médicale est aujourd'hui ce qui alimente le plus, avec le délabrement des services publics, le sentiment de déliquescence, l'angoisse de l'avenir et la colère de nos concitoyens.

Pour les professions médicales, le numerus apertus est essentiel afin de redresser la démographie. Mais je vous le dis tout net : le nombre de places ouvertes au concours n'est pas à la hauteur des enjeux. J'ai examiné les projections de très près. On nous annonce que la densité des médecins généralistes connaîtra une augmentation de 23 % en 2050 – ce n'est donc pas demain –, ce qui la portera à 172 généralistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c'est exactement la densité du Limousin en 2012, à une époque où l'on parlait déjà de désertification médicale !

Pour les chirurgiens-dentistes, la densité s'accroîtra de 40 % en 2050. Heureuse nouvelle a priori… On atteindra 78 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c'est huit de moins que la densité actuelle en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) !

Le plus inquiétant, c'est que ces prévisions ne tiennent pas compte des facteurs sociétaux, de l'évolution des pratiques et de la baisse du temps médical, que l'on a évidemment du mal à évaluer.

De surcroît, ces chiffres intègrent le flux des soignants diplômés à l'étranger, sur lequel nous n'avons aucune prise.

C'est particulièrement inquiétant pour les chirurgiens-dentistes, puisque la moitié, j'y insiste, des inscrits au tableau de l'Ordre cette année sont diplômés de l'étranger. Plutôt que d'ouvrir le robinet du numerus clausus, on laisse nos jeunes aller se former dans les pays voisins à 10 000 euros ou 12 000 euros l'année, ce qui exclut de facto les enfants de milieux défavorisés.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !

M. Raphaël Daubet. C'est à la fois une rupture d'égalité scandaleuse, un coup porté à l'excellence universitaire française et une remise en cause de notre souveraineté, puisque, sans ces diplômés étrangers, nous sommes incapables de répondre au besoin de soins de la population.

Notre nation aura renoncé à sa capacité de former la totalité des soignants utiles au pays. Il faut donc augmenter le nombre de places au concours, pour atteindre des seuils de densité suffisants bien avant 2050.

La massification des étudiants est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante pour résoudre les disparités géographiques. Il faut y associer des dispositifs de régulation : l'État, les pouvoirs publics et le monde universitaire doivent se doter d'une stratégie d'aménagement du territoire – créer des options santé dans les lycées, développer les stages dans les territoires, ouvrir les hôpitaux périphériques aux internes.

Bref, il faut se donner les moyens d'une politique déconcentrée pour garantir le déploiement équilibré de l'offre de soins sur le territoire national.

Je n'ai malheureusement pas le temps d'aborder la question des pharmaciens, des sages-femmes, des kinésithérapeutes, des infirmiers, des aides-soignants, autant de professions dont la démographie, le statut ou l'attractivité doivent nous préoccuper.

Madame la ministre, former des soignants, c'est investir dans l'humain et dans l'avenir. Le RDSE vous alerte sur la nécessité de recalibrer les ambitions à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Nous nous tenons à votre disposition pour vous proposer des solutions concrètes. Comment comptez-vous vous y pendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Je fais un peu la même analyse que vous : on a vraiment manqué d'anticipation pour les trente années qui viennent. (M. Pascal Savoldelli s'exclame.)

Depuis 2017, nous enregistrons néanmoins un rebond, grâce à la suppression du numerus clausus et à l'accueil de davantage d'étudiants dans les universités. Pour ce faire, il faut certes des locaux, mais aussi des professeurs, ainsi que des stages à la hauteur de la formation. Tout cela s'est mis en place, mais il existe toujours un temps de latence.

Quoi qu'il en soit, je suis tout à fait favorable à une politique déconcentrée pour les formations, car je crois que c'est cela qui fera connaître les territoires à nos jeunes étudiants.

La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dite loi OTSS, de 2019 a mis en place une planification pluriannuelle du nombre de professionnels à former pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités d'accès aux soins et permettre l'insertion professionnelle des étudiants. Des objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former pour cinq ans – 2021-2025 – ont été ainsi arrêtés par les ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur après la tenue d'une conférence nationale chargée de présenter des propositions concrètes.

Cette première conférence s'est tenue en mars 2021. Il revient ensuite aux universités et aux écoles de maïeutique, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), de déterminer le nombre d'étudiants à admettre chaque année pour atteindre les objectifs de professionnels à former.

Ces objectifs sont quelquefois différents selon les territoires, car la situation n'y est pas la même, mais, au-delà des approches diverses, l'ambition commune est d'avoir une régulation quantitative.

Le numerus clausus fixait directement un nombre d'étudiants autorisés à poursuivre dans les études de santé. À l'inverse, la détermination d'objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former implique la concertation des acteurs et impose une approche territoriale d'analyse prospective des besoins en professionnels, en fonction des besoins de santé.

Fixer un objectif pluriannuel donne donc plus de latitude aux acteurs locaux. Nous travaillerons en 2025 sur la feuille de route 2026-2030.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Rojouan applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat proposé aujourd'hui est vaste et difficile à circonscrire. Il ne doit pas nous cantonner dans les idées reçues.

Tous ici, dans nos familles, dans nos lieux de vie et dans nos fonctions d'élus, nous constatons la difficulté à accéder aux soins. La question du nombre de soignants formés s'impose.

Dans cette situation de pénurie, il serait cependant dangereux d'amalgamer différentes réalités : celles des territoires ruraux, où l'accès s'entend aussi au sens littéral du transport vers les lieux de soin, et des zones urbaines ; celles des médecins et des autres soignants ; celles des généralistes et les spécialistes ; celles des soignants de ville et des soignants hospitaliers ; celles des soins urgents et des soins programmés ; celles du secteur public et du système privé.

Une évidence s'impose pourtant : l'offre de soins n'est globalement pas à la hauteur de la demande de soins. L'équation n'est pas équilibrée.

Alors que l'on raisonne souvent en nombre de soignants formés, je préfère m'en tenir à la seule jauge qui ait du sens : celle du temps de soin effectif. Sinon, on pourrait croire à tort que les 12 000 médecins formés actuellement produisent autant de temps médical que les mêmes professionnels formés dans les années quatre-vingt.

Or on reconnaît désormais que les médecins nouvellement formés produisent globalement, pour diverses raisons, notamment le nécessaire équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, environ moitié moins de temps médical que leurs aînés. Par un calcul simple, on obtient en fait le temps médical de 6 000 médecins d'il y a quarante ans…

Dans ce sens, oui, il faut former encore plus de médecins, en proratisant constamment leur nombre par le temps médical fourni à une population vieillissante, dont les besoins augmentent.

Évidemment, cette logique a ses limites : prenons le cas des infirmiers que l'on n'a jamais formés en si grand nombre et qui n'ont jamais eu une durée d'exercice aussi courte, usés sans doute prématurément par leurs conditions de travail.

Pourtant, un autre moyen de gagner du temps médical est le report de tâches vers d'autres professionnels de santé, qui doivent eux aussi être en nombre suffisant.

La réforme des études médicales est une piste, avec l'arrivée tant attendue, dès l'automne 2026, des fameux docteurs juniors en milieu rural. Ces étudiants en quatrième année de médecine générale approfondiront leur formation tout en apportant du temps médical dans des zones sous-dotées. La condition de réussite de ce dispositif est cependant la qualité de leur accueil et de leur encadrement, comme le soulignait Corinne Imbert.

Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que tout sera prêt en temps et en heure pour accueillir dans les meilleures conditions ces jeunes praticiens ?

Une autre piste est celle du temps médical produit par des étudiants français qui font leur cursus à l'étranger. Des passerelles sont-elles à l'étude, par exemple pour les jeunes qui sont en Roumanie ou en Espagne, leur permettant de revenir dès les troisième, quatrième ou cinquième années ? Peut-on leur redonner une possibilité de réussite aux épreuves classantes nationales, qui leur sont quasiment inaccessibles depuis la dernière réforme ?

Pour ceux qui sont au-delà de la sixième année, donc les internes, est-il envisagé de favoriser leur retour en France, par exemple en contrepartie d'un exercice en zone sous-dense ? Ce serait particulièrement intéressant en cette année qui connaîtra un déficit d'internes…

J'évoque enfin, madame la ministre, le cas des médecins en situation de cumul emploi-retraite, à qui une exonération totale des cotisations sociales avait été promise. Certains d'entre eux seraient prêts à donner plus de temps médical. Pouvez-vous nous confirmer que cette disposition sera prochainement effective dans les termes initialement prévus ?

Pour conclure, une chose est certaine : les exonérations fiscales ne donnent pas de temps médical supplémentaire.

En revanche, le temps médical des docteurs juniors, le temps médical des docteurs seniors, le temps médical des futurs docteurs, qu'ils soient formés en France ou à l'étranger, le temps de soin en général, toutes professions confondues, sont autant de leviers qui doivent être actionnés simultanément, afin que plus aucun patient, en France, ne se sente abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, comment augmenter le temps médical et comment faire en sorte que de jeunes médecins en fin de formation puissent être utiles dans tous les territoires, particulièrement ceux qui sont en difficulté ?

Jusqu'à maintenant, la médecine générale était la seule spécialité à n'avoir que trois années d'internat. Cette absence de phase de consolidation était considérée comme une faiblesse, qui ne favorisait pas une installation immédiate en sortie de cursus.

La nouvelle maquette des formations de diplômes d'études spécialisées de médecine générale, publiée en 2023, prévoit une augmentation d'une année de leur cursus. Nous avons également besoin de médecins pour accompagner ces jeunes praticiens. Ce sont certes des médecins juniors, mais ils doivent encore être encadrés par des praticiens tuteurs.

Partout dans nos territoires, 3 600 docteurs juniors pourront donner des consultations sous la supervision de médecins généralistes dès 2026. C'est plutôt une bonne nouvelle : le processus est en cours de structuration.

Ils exerceront également dans des déserts médicaux sur la base d'incitations. L'incitation est couplée à la fin du numerus clausus en vigueur depuis 2019. Cette réforme pédagogique représente un tournant majeur pour un soutien aux territoires en déprise.

Vous avez évoqué des étudiants français qui font leurs études dans des pays européens. Il existe des équivalences qui permettent à ces étudiants de postuler au sein des universités françaises. Ces derniers peuvent également accéder au troisième cycle des études médicales pour effectuer leur formation de spécialité en France. Il leur est enfin possible de signer des contrats d'engagement de service public.

Quoi qu'il en soit, ils peuvent prendre la place d'étudiants français. Tout cela est donc à étudier avec finesse.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, nous attendons tous avec impatience ces fameux étudiants en quatrième année de médecine générale.

Or, à en croire les potentiels tuteurs, la formation ne serait pas opérationnelle pour l'instant. Il existe peut-être quelque chose à Nantes, mais c'est très compliqué dans la Nièvre où je suis élue. Je me permets de vous alerter sur ce point avant qu'il ne soit trop tard.

Quant aux jeunes qui étudient en Roumanie, certains toquent à la porte et aimeraient faire leur internat en France. Il serait utile d'agir, car nous allons être confrontés à une année creuse. C'est donc le moment ou jamais de leur accorder des facilités, peut-être en négociant une installation dans des territoires sous-dotés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un médecin traitant ou obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou un généraliste est devenu un parcours du combattant pour nos concitoyens, tandis que les élus, les maires et les présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne savent plus à quel saint se vouer pour rendre leur territoire attractif afin d'apporter des réponses durables à la désertification médicale.

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, dans le Pas-de-Calais, le président de la communauté de communes du Ternois, Marc Bridoux, a présenté une motion signée par plus de 90 maires. Cette motion, que je vous ai adressée par courrier, contient des propositions de bon sens. Je vous invite à y répondre.

Nous manquons de médecins, et les années à venir seront encore plus problématiques compte tenu de la vague de départs à la retraite qui nous attend d'ici à 2030. Nous payons aujourd'hui les effets de la politique de non-formation d'il y a quarante ans.

Il y a donc urgence à former dès à présent beaucoup plus de professionnels de santé et de professionnels paramédicaux, y compris pour faire face au vieillissement de la société et à l'explosion des maladies chroniques.

Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus a certes permis d'augmenter le nombre d'internes en médecine, mais cela reste bien insuffisant.

Empêcher la démission des personnels passe par une revalorisation des carrières et des rémunérations et par l'amélioration des conditions de travail. Dans le même temps, le dogme de la réduction des dépenses publiques appliquée à la santé a fait fuir des dizaines de milliers de soignants, écœurés, lessivés.

Madame la ministre, le cœur de la solution réside dans le budget que vous allez décider d'octroyer aux universités et à notre système de santé tout entier. Ce sera possible si vous résistez aux injonctions de Bruxelles de réduire encore les dépenses publiques, alors que l'Ondam est en hausse de 2,8 % pour 2025, quand les besoins nécessiteraient une augmentation de 5 %.

Madame la ministre, allez-vous expliquer à vos homologues de Bercy que les politiques d'austérité menées pendant des années à l'hôpital sont en grande partie responsables du montant de la facture de la gestion de la covid-19, imputée au budget de la sécurité sociale alors qu'elle aurait dû être supportée par l'État 

Les services publics et la sécurité sociale doivent être sanctuarisés, au-dessus des logiques de réduction de moyens. Or les gouvernements d'Emmanuel Macron ont supprimé 21 000 lits d'hospitalisation, soit 5 % des capacités d'accueil de notre pays.

Toutefois, au-delà du nombre de médecins, la question qui se pose, mes chers collègues, est celle de leur répartition sur le territoire. L'Académie nationale de médecine a récemment suggéré "l'instauration d'un service médical citoyen d'un an pour les médecins nouvellement diplômés dans les zones sous-denses".

Pour notre part, nous y sommes favorables, tout comme à la régulation des lieux d'installation des médecins et à la réquisition automatique des médecins spécialistes des cliniques privées pour maintenir la permanence des soins.

Je conclurai par l'exemple de la situation vécue en Seine-et-Marne par ma collègue Marianne Margaté, qui a déposé la semaine dernière une question écrite à son sujet : l'opérateur de télémédecine HD4 vient de cesser ses activités, privant les habitants du département d'une solution qui, si elle était loin d'être idéale, avait le mérite d'exister.

Ce n'est pourtant pas faute d'argent public, puisque l'entreprise a empoché 100 000 euros par machine et près de 1,5 million de crédit d'impôt recherche (CIR) ! Les élus sont mis devant le fait accompli et ont dépensé ces sommes pour rien.

Mes questions sont donc les suivantes, madame la ministre : allez-vous défendre la piste d'une régulation de l'installation ? Allez-vous imposer une obligation de participation à la permanence des soins les soirs et les week-ends aux professionnels de santé, quel que soit leur mode d'exercice ? Allez-vous défendre l'idée qu'il faut augmenter le nombre de professionnels de santé, ainsi que leur rémunération, et améliorer leurs conditions de travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez tout d'abord parlé des moyens. Or ceux de la santé n'ont jamais diminué. L'Ondam augmente tous les ans : chaque année, les moyens vont croissant. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)

La question que nous pouvons nous poser collectivement est celle de leur bonne utilisation. La structuration de notre système de santé mérite un regard pointu. Je veux d'ailleurs travailler avec vous tous sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs.

Vous évoquez la liberté d'installation des médecins, vous demandant si l'on ne doit pas la réduire. Plutôt que la coercition, nous avons fait le choix de la construction avec les médecins et de l'attractivité, par des mesures de facilitation.

En effet, la contrainte seule ne fonctionne pas face aux pénuries. On manque déjà de médecins. Il n'est pas possible de recourir à la contrainte sur des ressources humaines insuffisantes ! Compte tenu des voies de contournement existantes – départ pour un pays étranger, choix d'une autre activité professionnelle, déconventionnement… –, le risque est important de voir cette pénurie s'aggraver encore.

Je rappelle que le PLFSS pour 2022 a permis à chaque profession d'inclure des mesures de régulation démographiques dans ses négociations conventionnelles avec l'assurance maladie.

Par exemple, les chirurgiens-dentistes se sont emparés de cette disposition en signant avec l'assurance maladie, le 21 juillet 2023, un accord aux termes duquel, dans certaines zones du territoire qui disposent d'un haut niveau d'offre de soins buccodentaires, l'installation ne sera possible, à partir de 2025, qu'à la condition du départ d'un autre chirurgien-dentiste – il faudra un départ pour une arrivée. Je crois que c'est une première pour une profession médicale libérale en France.

Mme Cathy Apourceau-Poly. C'est ce que l'on vous demande pour les médecins !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Les professionnels de santé doivent adhérer et construire eux-mêmes les solutions, avec nous. Je fais confiance au dialogue social.

Vous avez évoqué la permanence des soins. Nous y travaillons. Sur les territoires, de nombreux dispositifs de participation à la permanence des soins de médecins issus du secteur privé, en particulier de l'hospitalisation privée, ont été mis en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Elle est assez éclairante : finalement, vous ne voulez essayer aucune solution !

Vous nous dites vous-même qu'une régulation de l'installation sera mise en place pour l'installation des chirurgiens-dentistes.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Ce sont eux qui le disent !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il en va de même pour les pharmaciens et pour de nombreuses professions, mais vous ne voulez pas l'essayer pour les médecins. Vous me semblez finalement sous le joug de l'ordre des médecins, qui défend le maintien de la possibilité pour ses membres de s'installer n'importe où.

Quoi que vous en disiez, madame la ministre, nous serons obligés de réguler. On est en train de mourir dans nos territoires ! Des tas de personnes sont sans généraliste. Des tas de personnes cherchent un généraliste depuis un ou deux ans et n'en trouvent pas !

Certes, il faut améliorer la formation des médecins, mais, si vous ne prenez pas de mesures pour réguler l'installation, nos problèmes ne seront absolument pas réglés. Ce sera le serpent qui se mord la queue ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous débattons, près de 8 000 étudiants en médecine révisent les épreuves dématérialisées nationales (EDN) qui commenceront dans six jours.

À l'issue du concours, 7 974 étudiants se verront attribuer une place en internat dans les différentes spécialités, ce qui représente 1 510 postes d'internes en médecine de moins que l'an dernier. Et pour cause, une réforme sous-financée, peu transparente et approximative a mis les étudiants en grande difficulté.

La loi de finances pour 2020 avait prévu, pour mettre en œuvre cette réforme, une enveloppe de 17 millions d'euros, dont 6 millions d'euros seulement étaient destinés à compenser la hausse du nombre d'étudiants et étudiantes. C'est sur cette faible somme que reposait la promesse illusoire de voir s'ouvrir de nouvelles places en deuxième année de médecine.

Madame la ministre, l'ARS et les facultés de médecine, désormais chargées d'arrêter les objectifs pluriannuels d'admission, sont à court de moyens pour augmenter les places, alors que les facultés sont déjà largement saturées. Et pour cause, l'augmentation du nombre d'étudiants, qui constitue déjà un enjeu en soi, doit s'articuler avec une capacité d'accueil dans les lieux de stage – vous l'avez dit tout à l'heure.

Ainsi, en 2024, soit quatre ans après la réforme, nous avons seulement 1 600 places de plus en deuxième année de médecine, soit une progression plutôt similaire à celle que l'on connaissait avant cette réforme – 1 374 places supplémentaires avaient été créées de 2016 à 2020.

Changer la sémantique en passant de numerus clausus au numerus apertus ne permettra ni de faire arriver miraculeusement dans les campagnes les 6 000 généralistes demandés par les maires ruraux ni de pourvoir les 30 % de postes de psychiatres hospitaliers vacants ! Cela fera encore moins revenir les 700 médecins généralistes qui sont partis à la retraite en 2023 à Paris…

Vous avez évoqué l'évaluation des besoins, mais les chiffres, les témoignages, les appels au secours des professionnels et des élus locaux sont éloquents.

Oui, face à la pénurie de soignants, il faudra donner les moyens de former davantage au travers du PLF 2025 et, par la suite, flécher les financements plus précisément et avec transparence.

Par ailleurs, le financement de la réforme d'entrée dans les études de santé (Rees) devra s'accompagner de réformes similaires pour l'intégralité des professions soignantes : infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes… En effet, la réalité est que nous manquons de toutes ces professions. Et parce qu'augmenter les places en formation ne suffira pas à attirer plus d'étudiants en formation, il faudra créer des écoles normales des métiers de la santé.

À l'image des nouvelles « écoles normales du XXIe siècle » promises par M. le Président de la République pour renforcer l'attractivité du métier d'enseignant, ces écoles normales des métiers de la santé offriront une formation gratuite et rémunérée, en contrepartie d'un engagement à exercer dans les territoires sous-dotés en offre de soins.

Les écoles normales des métiers de la santé représentent un double investissement, pour l'accès aux soins et pour les étudiants en santé. Tout d'abord, ces écoles permettraient d'accroître le nombre de soignants, d'éradiquer les déserts médicaux et de garantir l'accès aux soins. Ensuite, elles permettraient aux étudiants de poursuivre des études de santé sans condition de ressources, de garantir l'égalité des chances et la diversité socio-économique et de revaloriser des professions délaissées.

Pour rappel, une formation d'aide-soignant coûte entre 6 000 euros et 10 000 euros à l'étudiant lui-même, pour un salaire inférieur à 2 000 euros en début de carrière. Comment penser attirer des professionnels du care quand ils doivent payer aussi cher pour se former ?

Nous le devons à celles et ceux qui travaillent tous les jours pour notre santé et pour celle de nos proches : investissons dans la formation des professionnels de santé et dans l'accès aux soins ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez posé beaucoup de questions, particulièrement sur la formation.

Pour ce qui concerne les étudiants, je puis vous assurer que le nombre de places disponibles s'élève à 11 000 par an aujourd'hui, contre 8 700 en 2017. C'est une réalité. Certains internes ayant choisi de redoubler pour passer le concours dans d'autres conditions, leur chiffre connaît, cette année, une petite diminution, à 8 500, mais, dès l'année prochaine, il reviendra, de manière certaine, à 11 000. Nous les attendons de pied ferme !

Pour ce qui est des formations, j'entrevois l'école normale des métiers de la santé que vous imaginez. Pour ma part, je pense qu'il faut surtout que nous évoluions vers des campus santé, qui seraient des campus de formation pour tous les métiers de la santé, de l'aide-soignant jusqu'au médecin d'ailleurs. Cela permettrait à tous les étudiants qui travailleront dans l'environnement du care – pour reprendre votre terme – et de la santé de se côtoyer et de se connaître.

Nous pouvons travailler à imaginer des solutions avec le ministère de l'enseignement supérieur, ainsi qu'avec les organismes de formation. De fait, il nous faut évoluer et sortir des silos de formation que nous connaissons aujourd'hui – ce serait une bonne piste d'évolution.

S'agissant des formations d'aides-soignants, elles sont majoritairement dispensées dans des instituts publics, éligibles aux financements accordés à tous les organismes de formation.

Certaines régions, qui sont compétentes dans la formation, se sont également emparées de ces sujets et aident les personnes à pouvoir financer leur formation. Il me paraît important de continuer dans ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Je vous remercie, madame la ministre. Oui, les aides-soignants et les aides-soignantes peuvent se faire financer leur formation par les régions – sauf que, dans les faits, il est encore difficile d'avoir accès à une formation, pour des raisons administratives : il faut encore remplir divers papiers, contrairement à ce qui existe pour d'autres métiers. C'est un obstacle supplémentaire, sur lequel je me permets d'insister.

Par ailleurs, un campus, c'est formidable, mais encore faut-il que tout le monde puisse y accéder ! Vous savez comme moi que les études de médecine sont longues. Il faut pouvoir les assumer dès le départ. Les étudiants et les externes sont payés à peine plus de 2 euros de l'heure ! C'est extrêmement faible. Au final, quand on n'en a pas les moyens, on ne devient pas médecin.

On voit bien que la situation est encore très complexe. Il faudra y réfléchir, au-delà de la question du campus.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord moi aussi à remercier nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d'avoir inscrit ce débat fondamental à l'ordre du jour de notre assemblée.

Madame la ministre, vous avez été nommée « ministre de la santé et de l'accès aux soins ». Je tiens à le souligner : cela nous donne peut-être une lueur d'espoir dans un contexte où l'accès aux soins est une problématique essentielle dans notre pays – c'est la première préoccupation de nos concitoyens.

Nous connaissons tous les chiffres : 30 % de la population vit dans ce que l'on appelle communément un « désert médical » ; plus de 6 millions de personnes et, surtout, près de 800 000 patients en affection de longue durée (ALD) n'ont pas de médecin traitant, ce qui est particulièrement grave.

C'est donc la promesse d'égalité d'accès à la santé, au cœur de notre modèle social, qui est brisée pour de nombreux Français.

Confrontés chaque jour au désarroi de nos concitoyens, partout, sur les territoires, les élus tirent la sonnette d'alarme. Ainsi, je veux donner l'exemple des dizaines de maires du département des Côtes-d'Armor qui ont pris des arrêtés mettant en demeure l'État de lancer dans les plus brefs délais un plan d'urgence pour l'accès à la santé, invoquant le respect de la dignité de la personne humaine.

Ce constat de la pénurie est établi et documenté depuis de nombreuses années. Pour autant, le manque de soignants – médecins, infirmiers, sages-femmes, aides-soignants – ne cesse de progresser et aboutit à des situations souvent dramatiques. En témoigne l'état dans lequel se sont encore trouvées les urgences cet été dans notre pays.

En ce qui concerne les médecins, la mise en place du numerus clausus dans les années 1970 – on formait alors 9 500 médecins, contre à peine 3 500 en 1993 – est la cause principale de la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Le numerus clausus a été remplacé par le numerus apertus, déterminé par les ARS et les doyens de faculté, certes en fonction des besoins des territoires, ce qui est intéressant, mais aussi des capacités d'accueil des universités.

En 2019, étaient inscrits en deuxième année de médecine 9 571 étudiants, contre 11 300 à la rentrée 2022. On note donc une légère progression, mais celle-ci doit être mise en perspective, notre pays faisant face à une demande croissante en raison de l'augmentation de la population depuis les années 1970, bien sûr, et du vieillissement de celle-ci, qui entraîne une augmentation des pathologies chroniques et des pertes d'autonomie, mais aussi malheureusement parce que la prévention est très insuffisante dans notre pays. Finalement, les besoins sont beaucoup plus importants, et cette légère progression ne suffit pas à combler la différence.

Autre élément : en 2015, dans une étude du Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), le docteur Jean-François Rault écrivait que « chaque année, pas moins de 25 % des médecins diplômés d'une faculté française décident de ne pas s'inscrire à l'ordre pour exercer d'autres professions ». Cela doit nous interroger, et cela prouve bien qu'il ne suffira pas d'augmenter le numerus apertus pour que le nombre de médecins traitants soit suffisant !

Enfin, il faut également tenir compte des inégalités entre les différentes spécialités : entre 2010 et 2022, le nombre de médecins généralistes a diminué de 11 %, quand celui des dermatologues a baissé de 19 %, celui des gynécologues de 17 % et celui des psychiatres de 6 %.

Le Premier ministre a annoncé que la santé mentale serait l'une des causes de l'année, mais avec quels moyens, madame la ministre ? Cela semble extrêmement compliqué…

Si l'augmentation des effectifs en formation est une nécessité, elle doit absolument tenir compte des effectifs d'étudiants qui pratiquent réellement la médecine en fin de cursus, de l'évolution des pratiques médicales, de l'évolution démographique de la société, des besoins réels des territoires et des spécialités sous-dotées. Et il faut, bien sûr, une politique budgétaire qui aille en ce sens !

L'ambition affichée par le précédent gouvernement est de passer à 12 000, puis à 16 000 élèves, mais, vous l'avez dit, il ne suffit pas de décréter un chiffre – ce serait trop simple. Il faut aussi donner les moyens.

Lesquels ? Aujourd'hui, l'augmentation du nombre d'étudiants est contrainte par les capacités des universités, qui manquent de moyens matériels, mais aussi d'enseignants. C'est simple, la médecine générale dispose d'un ratio d'un enseignant pour 86 étudiants, alors que celui-ci est d'un enseignant pour 10 étudiants dans les autres spécialités ! La nécessité de former davantage de soignants a un corollaire : celui d'augmenter les moyens des universités.

Au reste, il n'y a pas que le nombre : comme l'ont souligné plusieurs de mes collègues, il faut augmenter et diversifier les lieux de stage de médecine, notamment dans les zones sous-denses, et former plus de maîtres de stage universitaire, voire envisager de rendre obligatoire pour tout nouvel installé de devenir maître de stage universitaire, en prévoyant évidemment l'attractivité qui va avec.

De fait, selon la Drees, « l'origine rurale des médecins est un facteur essentiel et le meilleur prédicateur de l'installation en zone rurale » : un médecin a deux fois plus de chances de s'installer dans une zone sous-dotée s'il en est originaire ou s'il y a été scolarisé.

Il faut également généraliser l'initiative intéressante de la région Occitanie, qui a créé dès le lycée une spécialité santé, pour susciter des vocations pour tous les métiers de la santé, au-delà de la seule médecine.

Enfin, il est important de créer des antennes universitaires délocalisées, comme à Nevers, où, depuis 2020, une trentaine d'étudiants en première année de médecine ont la possibilité de suivre des cours en distanciel dispensés à Dijon. Cela permet de rendre les études accessibles pour les jeunes nivernais et de favoriser l'installation dans ce territoire, qui, comme ma collègue le disait tout à l'heure, est l'un des plus grands déserts médicaux français.

Madame la ministre, vous avez parlé de déconcentration tout à l'heure : cet impératif est fondamental.

Outre les médecins, la France connaît une pénurie d'infirmiers et d'aides-soignants, puisque ces deux professions sont confrontées à une baisse de leur attractivité due aux conditions de travail de plus en plus difficiles : manque de personnel, manque de reconnaissance, horaires décalés, etc.

Là encore, la sonnette d'alarme a été tirée depuis longtemps, mais, si le Ségur de la santé est venu revaloriser financièrement ces professions, rien n'a été fait pour améliorer ces conditions de travail.

Ainsi, près de 200 000 infirmiers diplômés n'exercent plus, et 20 % à 25 % des élèves abandonnent leurs études au cours de leur cursus. Les stages effectués dans des situations dégradées, dans des services où ils doivent souvent remplacer le personnel en sous-effectif, sans véritable encadrement, ont raison de la vocation de ces étudiants.

On estime aujourd'hui qu'il manquerait au moins 100 000 infirmiers. Selon les études de la Drees, le nombre d'infirmiers et infirmières devrait augmenter de 53 % entre 2014 et 2040, pour atteindre 881 000, contre 630 000 seulement aujourd'hui.

Au reste, les écoles d'aides-soignants ne parviennent pas à remplir leurs classes. Pourtant, la Dares prévoit que le métier d'aide-soignant sera, aux côtés de ceux de sage-femme et d'infirmier, l'un des métiers dont les besoins de recrutement vont le plus augmenter jusqu'en 2030. Cette année est en quelque sorte notre « mur du vieillissement »…

Selon cette étude et au regard des besoins de notre population, le nombre de jeunes diplômés couvrirait moins des deux tiers des besoins en aides-soignants.

Nous le voyons, mes chers collègues, il est plus que nécessaire de former plus de soignants. Mais, je le répète, cela ne peut se faire à moyens constants et sans véritable réflexion sur l'attractivité et les conditions de travail de ces professions.

La formation n'est pas le seul élément de réponse : elle ne peut favoriser l'accès aux soins que si elle est accompagnée d'un véritable travail sur l'organisation même de l'exercice médical sur les territoires, en particulier – j'y tiens particulièrement – en équipe de soins pluriprofessionnels de premier recours. Il faut créer une organisation territoriale qui mette fin aux inégalités majeures et insupportables existant aujourd'hui.

Face à cette situation, que les Français vivent comme un véritable déclassement, nous attendons des réponses rapides. Il ne suffira pas d'appeler à la rescousse les médecins retraités, qui sont déjà aujourd'hui environ 15 000 à exercer après l'âge légal de départ à la retraite et qui maintiennent notre système de santé à bout de bras, ou les médecins diplômés à l'étranger. Il faut désormais investir dans l'avenir et dans l'humain.

Je ne reposerai pas les questions sur la formation et sur les réformes qui ont eu lieu, s'agissant du Pass, de la LAS, des épreuves classantes nationales (ECN) ou de la permanence des soins. Je voudrais surtout, madame la ministre, que vous me parliez des équipes multidisciplinaires de premier recours.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez abordé beaucoup de sujets très intéressants.

Vous avez parlé des patients en ALD. Vous savez qu'un plan a été lancé en 2023 pour leur permettre de trouver un médecin traitant. Quelque 240 000 patients en ALD ont trouvé un médecin traitant grâce à ce plan. À la fin du mois de décembre, encore 472 000 patients en ALD n'auront pas de médecin traitant. Il y a donc encore du travail, mais cela avance.

Vous m'avez demandé de concentrer mon propos sur l'exercice pluridisciplinaire. Je pense que celui-ci permet d'attirer des confrères, parce que travailler ensemble est très différent d'exercer de manière solitaire.

L'exercice pluridisciplinaire devrait pouvoir comprendre des consultations de médecins généralistes et des consultations de spécialistes qui vont vers les patients. Je vous ai parlé d'« équipes », parce que je pense que nous allons devoir faire entrer beaucoup de prévention dans les objectifs des médecins, dans les cabinets médicaux et dans les maisons médicales.

Aujourd'hui, nous soignons, mais nous ne faisons pas suffisamment de prévention. Je pense à la prévention primaire – les vaccinations, les modes de vie, l'alimentation –, mais aussi à la prévention secondaire, qui vise à permettre aux patients atteints de maladies d'être en meilleure santé possible.

Ces objectifs sont très importants et doivent être déployés dans tous les espaces de notre pays, notamment dans les maisons pluridisciplinaires.

En effet, les personnes qui y travaillent – ce sont souvent des infirmiers en pratique avancée, mais cela peut aussi être des médecins –, peuvent rendre des services importants à notre santé collective et œuvrer à une moindre progression des ALD et des maladies chroniques très invalidantes.

Cela doit être notre but dans les années à venir. C'est un objectif important. Tâchons de l'atteindre ensemble !

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Le chiffre de 3 % du budget de la sécurité sociale qui est dédié à la prévention parle de lui-même ! Notre politique de santé est axée depuis très longtemps – trop longtemps – sur le seul curatif.

Je voudrais revenir sur l'intérêt des maisons de santé pluriprofessionnelles.

Vendredi dernier, j'ai assisté à la signature d'une CPTS dans mon département. Le travail conjoint qui y est mené, dans une équipe pouvant rassembler, par exemple, un IPA, un auxiliaire médical, un pharmacien, un kinésithérapeute ou encore un dentiste, représente une solution importante.

Il faut étendre cette organisation à l'ensemble du territoire. Cela participe de l'attractivité de la profession, de même que l'exercice mixte, qui permet à un jeune médecin de travailler à l'hôpital, aux urgences, certains samedis. Toutes ces petites solutions jouent un rôle très important, car il n'existe pas de réponse simple à un problème aussi complexe.

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, former davantage de médecins – et plus encore de soignants – est une nécessité. J'y souscris pleinement, mais cela ne doit pas éluder un défi tout aussi essentiel : comment faire en sorte que ces médecins s'installent dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Comment utiliser leur formation comme un levier de résorption des inégalités territoriales d'accès aux soins ?

Récemment, j'ai entendu nombre de parties prenantes et de professionnels, en tant que rapporteur de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins dans le cadre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Les enseignements que j'en retire permettent d'esquisser pour l'avenir des pistes que j'aimerais partager avec vous.

Une première réponse réside dans l'évolution de la sélection, pour favoriser le recrutement en médecine d'étudiants issus de zones sous-dotées. La ruralité et les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont largement sous-représentés parmi les territoires dont sont issus les étudiants en santé. Or ceux-ci sont les plus enclins à s'installer dans ces espaces à l'offre de soins insuffisante.

Pourquoi ne pas définir des taux minimaux d'étudiants issus de ces territoires, comme c'est déjà le cas pour les boursiers ? Un tel dispositif serait plus efficace que le très cher contrat d'engagement de service public, aux résultats aujourd'hui insuffisants.

Il faut en outre mener un véritable choc de territorialisation de la formation. Les futurs professionnels de santé s'ancrent progressivement dans leur territoire de formation lors de leurs études et s'installent souvent à proximité. Comme mes collègues, je propose donc de lancer un plan d'urgence pour ouvrir de nouvelles antennes ou facultés de médecine, sur le modèle du plan déployé en odontologie en 2021, qui a déjà porté ses fruits.

Ce virage territorial doit également s'appliquer aux stages, pour sortir de notre modèle trop « CHU-centré ». Davantage de stages doivent être réalisés en médecine de ville, pour permettre aux jeunes de découvrir de nouveaux lieux d'exercice et méthodes de travail, en particulier dans les maisons de santé.

Faire venir les jeunes dans les territoires sous-dotés est une clé pour répondre aux disparités territoriales. Bien sûr, un tel changement de logiciel suppose de mieux accompagner nos étudiants, notamment en mettant en place des indemnités de déplacement et de logement suffisantes.

Enfin, il faut lever le tabou de la régulation des installations. La situation actuelle est le résultat de décennies d'incitations financières des médecins à s'installer en zone sous-dense. Le bilan est sans appel : un accroissement des inégalités d'accès aux soins et 6 millions de Français sans médecin traitant. Cessons enfin de distribuer vainement l'argent public !

Une régulation pourrait être instaurée pour les étudiants à l'issue de leur formation, en ouvrant la possibilité d'installation en zone mieux dotée seulement lors du départ d'un médecin, ou en conditionnant l'installation à l'exercice à temps partiel en zone sous-dotée.

Je suis favorable à ce que ce travail soit mené directement par la profession : le législateur n'interviendrait qu'en cas d'échec de cette réflexion.

Madame la ministre, comptez-vous soumettre les études de santé à un véritable choc qui changera immédiatement les choses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Je suis d'accord avec vous : des évolutions sont nécessaires. Certaines sont d'ailleurs en cours, car des universités, précisément, les plébiscitent.

Vous soulignez également, à raison, l'importance des stages réalisés dans les territoires sous-dotés, pas seulement dans le cadre de l'internat, mais dès la quatrième année d'études de médecine.

Tout cela doit être organisé. Cela relève en partie de la compétence du ministère de l'enseignement supérieur, mais, en tant que ministre de la santé, j'en appelle à un travail fin sur ce point. En particulier, facilitons le déplacement et l'hébergement des stagiaires, qui sont souvent à l'origine de difficultés pour ceux-ci. C'est en effet en s'installant dans ces territoires que les étudiants apprennent à le connaître, s'y font des amis et éprouvent, par la suite, le désir d'y rester. J'en suis intimement convaincue.

À l'occasion de leurs stages, les étudiants doivent davantage sortir du CHU pour découvrir les maisons de santé pluriprofessionnelles et les CPTS. Pour cela, nous avons besoin de plus de maîtres de stage. Certes, leur nombre a progressé de 25 %, mais cette dynamique doit se poursuivre.

Plutôt que d'empêcher, comme nous le faisons trop souvent, cherchons au contraire à faciliter, en trouvant des solutions adaptées à chaque territoire, car il n'existe pas de réponse unique.

Je ne puis donc qu'être d'accord avec vos propos. S'agissant de l'obligation de régulation, j'ai mentionné tout à l'heure les propositions des chirurgiens-dentistes. Nous devons inciter les professionnels à travailler en ce sens. Cela fait partie de l'équilibre de la convention médicale qu'ils ont signée.

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, j'apprécie votre réponse. Néanmoins, il ne s'agit que de solutions de moyen et de long termes. Or les Français attendent une réponse immédiate.

À court terme, je ne vois qu'une solution. Dans les territoires les plus désertés, deux professions restent présentes : ce sont les infirmiers et les pharmaciens. Les premiers transferts de compétences ont marqué une belle avancée. Dans l'attente du renforcement de la présence médicale, davantage de compétences doivent leur être déléguées, pour répondre aux besoins des patients.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il ne fait plus aucun doute que notre pays fait face à une crise aiguë liée au manque de médecins.

Partout en France, mais surtout dans les territoires ruraux et les quartiers populaires, l'accès aux soins devient un parcours du combattant. Les temps d'attente atteignent plusieurs semaines, au minimum, pour un généraliste, et plusieurs mois pour un spécialiste. Ce phénomène n'est, bien entendu, pas homogène : certains territoires s'en sortent mieux, alors que d'autres sont devenus de véritables déserts médicaux.

Le législateur a bien pris conscience de l'ampleur de cette crise en supprimant, en 2019, le numerus clausus qui limitait le nombre d'étudiants en médecine.

Nous avons ainsi mis fin à une politique qui, pendant des décennies, a étouffé l'offre médicale en France. Le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus, qui est fixé conjointement par les agences régionales de santé et les doyens des facultés de médecine. Le progrès est notable, mais il faudra des années avant que cette réforme ne produise tous ses effets, car, et c'est bien là le cœur du problème, former un médecin prend beaucoup de temps.

C'est pourquoi, dans l'immédiat, nous devons faire preuve d'imagination et de pragmatisme pour apporter des solutions à la pénurie de médecins et de soignants.

À court terme, le Gouvernement a fait le choix de déléguer de plus en plus de tâches médicales aux infirmiers, aux aides-soignants et à d'autres professionnels de santé. Ces délégations d'actes comprennent, par exemple, la prescription et l'administration de vaccins par les infirmiers, ou encore le renouvellement, par les pharmaciens, d'ordonnances pour les maladies chroniques.

Ouvrir plus largement les délégations d'actes était sans doute une mesure nécessaire pour permettre à notre système de santé de faire face à la demande de soins. Mais prenons garde : on peut déléguer à condition que cela ne morde pas sur le temps médical accordé aux patients. Certaines compétences ne se délèguent pas. Celle de poser un diagnostic, notamment, constitue le cœur du métier de médecin et ne peut être confiée à une autre profession. Il ne faudrait pas priver le patient du temps médical dont il a besoin.

Par ailleurs, les infirmiers et les aides-soignants sont, eux-mêmes, en sous-effectif. Ils sont épuisés. Leurs horaires et leur charge de travail s'alourdissent considérablement, et cela pourrait, à terme, nuire à la qualité des soins qu'ils prodiguent. On ne peut donc pas continuer à leur déléguer toujours plus d'actes.

Ainsi, madame la ministre, cette réponse de court terme ne peut être satisfaisante. Elle a ses limites, et nous ne pouvons continuer à faire peser tout le poids de la crise sur les épaules de nos soignants. Si cette solution permet de tenir dans l'immédiat, il est nécessaire de trouver d'autres pistes.

Surtout, il nous faut penser au long terme. Il est impératif de remédier, de manière structurelle, au manque d'offre de soins dans notre pays, en formant plus de médecins. Mais cela pose plusieurs problèmes, auxquels la fin du numerus clausus ne répond pas complètement.

Il y a d'abord la question des places disponibles dans nos universités de médecine. Nos facultés ne peuvent accueillir un nombre d'étudiants infini. Le numerus apertus a d'ailleurs notamment pour but de s'assurer que le nombre d'étudiants admis est cohérent avec la capacité d'accueil de chaque faculté. Pour former plus d'étudiants, il faudrait plus de moyens. Or la situation de nos finances publiques ne semble pas nous le permettre.

Ensuite, un problème de ressources humaines se pose. La médecine est un art qui se transmet. Pour former de nouveaux médecins, encore faut-il avoir des professeurs pour enseigner aux étudiants, et des médecins expérimentés pour encadrer les internes. Or, sous l'effet des départs à la retraite, le nombre de praticiens expérimentés diminue, et ceux qui restent sont désormais surchargés.

Comment, dans ces conditions, réussir à former en nombre suffisant une nouvelle génération de médecins compétents ?

Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez aura donc une double responsabilité. Tout d'abord, à long terme, il devra trouver les moyens humains et financiers pour former une nouvelle génération de médecins et de soignants. Ensuite, à court terme, il lui faudra trouver des solutions innovantes pour répondre au manque de médecins et de soignants sur notre territoire, car nos citoyens ont besoin d'accéder à ces soins sans attendre. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice, il est vrai que nous manquons de médecins et d'infirmiers. Notons cependant que davantage d'aides-soignants et d'infirmiers ont été formés ces dernières années. La reprise du recrutement des infirmiers par les hôpitaux est en outre le signe d'un renforcement de l'attractivité de ces métiers.

Vient ensuite la question de l'organisation territoriale. Bien sûr, il nous faut des médecins pour poser les diagnostics. Pour autant, les infirmiers peuvent aussi réaliser des actes importants, bien qu'ils ne constituent pas directement un diagnostic ou une prescription. Cette complémentarité entre les médecins, les infirmiers et les aides-soignants est nécessaire et doit évoluer.

N'oublions pas que, pour les aides-soignants, la perspective d'évolution vers le métier d'infirmier, puis d'infirmier en pratique avancée, avant, pourquoi pas, d'engager des études de médecine, fait partie de l'attractivité de ce métier. Elle représente une véritable dynamique de progression.

Si certains territoires connaissent des difficultés, il faut aussi souligner que de formidables organisations territoriales se sont construites, souvent grâce aux élus locaux. J'en ai vu des exemples exceptionnels sur le terrain. Ces constructions, articulées autour des quelques médecins présents, reposent fortement sur les infirmiers et sur l'ensemble des métiers du soin.

Au travers des CPTS et des SAS, qui répondent au problème des soins non programmés, des organisations territoriales ont émergé. Nous devons les encourager, les aider et faciliter leur développement.

Il faut rester modeste : ces solutions ne régleront pas tout, car nous manquons encore de ressources humaines. Mais inspirons-nous de ces solutions locales. Dans la Creuse, j'ai rencontré l'association Médecins solidaires, qui organise un relais hebdomadaire de médecins généralistes. Les patients avec lesquels j'ai échangé étaient très heureux de cette solution.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour la réplique.

Mme Brigitte Devésa. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Pour autant, la problématique des soignants ne date pas d'hier. Cessons d'en parler, car le diagnostic exact est désormais connu, et passons plutôt aux actes ! Je compte sur votre gouvernement et sur votre ministère pour agir le plus rapidement possible pour nos concitoyens. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la formation des soignants constitue malheureusement une préoccupation phare de notre société. Cette problématique s'étend et inquiète bien au-delà du domaine médical et paramédical.

Abandon de cursus, problèmes de recrutement, départs vers le privé : ces maux, dont souffre l'ensemble du corps médical, sont bien connus. Ils constituent une affection de longue durée, qui perdure d'année en année au sein de notre société.

Pour autant, nous avons récemment pu entrevoir les prémices d'une rémission en la matière. D'après les chiffres publiés par le Conseil national de l'ordre des médecins au début du mois d'octobre, 1 672 médecins supplémentaires sont entrés en fonction au cours de l'année 2024, soit une hausse de 0,8 % par rapport à l'année précédente.

Pourtant, malgré cette éclaircie, les déserts médicaux, dans nos villes et dans nos campagnes, eux, progressent. Dans le département dont je suis élue, l'Ardèche, 35 000 personnes n'ont pas accès à un médecin traitant. Ce constat n'est pas nouveau. Il est la conjugaison de plusieurs facteurs, certains maîtrisables, d'autres inéluctables.

Parmi les écueils à l'origine de la catastrophe quotidienne que vivent tant de nos concitoyens, deux, en particulier, doivent être rappelés.

Notre première erreur a été de former toujours moins de médecins chaque année. Le numerus clausus, dont la suppression a été trop tardive, a durablement affecté le renouvellement générationnel, particulièrement celui de nos soignants de proximité.

De plus, nous savons d'ores et déjà que les effets de cette réforme, mise en œuvre en 2022, ne se feront pas sentir avant 2030, date à laquelle la première promotion sans numerus clausus finira ses études. D'ici là, les zones déjà sous-dotées continueront inexorablement de voir les départs de leurs médecins non compensés et leur population privée d'un accès aux soins minimum.

Notre seconde erreur a été le choix d'une organisation centrée sur l'hôpital, qui concentre l'activité des soins et qui contribue ainsi à accroître une répartition déjà inégale de l'offre sur le territoire.

Face à ce fléau qui gangrène nos communes et leur fait perdre petit à petit leur attractivité, nos élus locaux ont été fidèles à l'ingéniosité et au sens pratique qui les caractérisent tant. Je pense notamment à la création de maisons de santé pluridisciplinaires et au recrutement de personnels déchargeant les médecins des tâches administratives.

Malheureusement, les initiatives concrètes et innovantes pour lutter contre les déserts médicaux, souvent engagées avec détermination par les collectivités locales, mais isolées, ne peuvent à elles seules résoudre cette problématique.

Sur ce sujet comme sur tant d'autres, écouter les propositions de la Haute Assemblée aurait permis un gain de temps non négligeable. En effet, le 18 octobre 2022, le Sénat adoptait la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Présenté par notre ancien président Bruno Retailleau, que je tiens à saluer, ce texte cherchait à agir au moment de la formation des médecins en créant une quatrième année d'internat.

L'objectif était ainsi d'inciter les jeunes médecins à effectuer leur dernière année de formation dans des zones sous-dotées en cabinet libéral ou en maison de santé, avec une rémunération à l'acte.

Bien qu'il ait été dénaturé, le dispositif a été retenu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et la première promotion concernée a fait sa rentrée en 2023.

Madame la ministre, quels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer de ce dispositif ? Comment allez-vous assurer le déploiement effectif et rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé pluridisciplinaires et des bus de santé, promis par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Cette quatrième année d'internat, qui vise à inciter les jeunes médecins à s'installer dans des territoires en difficulté, fait en effet partie des solutions.

Nous devons continuer à travailler à cette organisation, qui se met en place très progressivement. Pour cela, nous avons aussi besoin de maîtres de stage en médecine générale. Leur nombre a déjà augmenté de 25 %, mais ce mouvement doit se poursuivre. L'idéal serait que tous les médecins généralistes puissent le devenir ! Cela contribuerait à l'attractivité des territoires et renforcerait les possibilités d'accueil des étudiants.

Les infirmiers en pratique avancée, ainsi que la télémédecine, font également partie des réponses.

Pour autant, je reconnais que c'est là une forme de bricolage. Tant que nous n'aurons pas davantage de médecins sur le terrain, soit jusqu'en 2030, nous resterons dans cette situation…

Aussi, appuyons-nous sur l'intelligence des territoires. Les élus locaux sont une aide formidable sur ces questions. Ils se montrent toujours innovants et cherchent à accompagner financièrement les projets, notamment les maisons de santé. Aidons-les, notamment, à faire fonctionner ces maisons, pour qu'elles accueillent encore davantage de professionnels complémentaires, afin de répondre aux besoins de la population dans les déserts médicaux.


Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat très intéressant que nous venons d'avoir paraît avant tout traduire une inquiétude partagée dans l'ensemble des territoires.

Je suis issue d'une zone rurale, où cette problématique est particulièrement sensible, mais il y a aussi des déserts médicaux dans les territoires urbains et dans les banlieues. Le sujet est donc vaste et se pose de manière variable.

Aurions-nous donc un nombre insuffisant de professionnels pour faire face aux besoins de santé ? Oui ! La France, comme tous les pays d'Europe et du monde, est confrontée à la raréfaction des ressources humaines médicales et non médicales.

À l'échelle mondiale, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu'il manquera près de 10 millions de professionnels de santé à l'horizon de 2030. Cette tension est la conséquence à la fois d'une évolution des besoins de santé, supérieurs aux capacités de formation, d'un nouveau rapport au travail et aux conditions de son exercice, mais aussi d'une répartition insuffisamment efficace des professionnels entre les différents offreurs de soins.

De manière prospective, la poursuite du vieillissement de la population et l'absence de perspective de diminution du nombre de personnes touchées par les grandes causes de morbidité laissent présager un besoin croissant de professionnels de santé.

Ces derniers mois ont toutefois été marqués par des signes encourageants pour le recrutement de professionnels en établissements de santé dans notre pays. La Fédération hospitalière de France (FHF) a mené ces dernières années une grande enquête auprès des hôpitaux publics, qui permet d'analyser la situation du point de vue des ressources humaines pour la totalité de l'année 2023. Celle-ci révèle plusieurs signaux positifs sur le plan de l'attractivité des métiers hospitaliers, ce qui confirme que l'attention portée à la rémunération, mais aussi aux conditions de travail, porte ses fruits.

Concernant le personnel non médical, le taux de postes vacants poursuit sa diminution, en particulier pour les infirmiers, puisqu'il était de seulement 3 % en 2023, contre 5,7 % en avril 2022. L'absentéisme continue également de décroître, pour s'établir, tous établissements confondus, à 9,5 %, contre 11,1 % en 2022, soit le niveau le plus bas observé depuis la covid-19.

Dans cette situation, bien sûr, la priorité doit être de soutenir la reconquête progressive de l'attractivité des métiers de la santé et de la fidélisation des professionnels. Les études en santé – médecine, pharmacie et formation en soins infirmiers – occupent le podium des formations les plus demandées par les lycéens sur Parcoursup en 2024. Il faut le souligner, ce sont des métiers qui attirent.

Afin de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens, le Gouvernement a engagé des mesures fortes ces cinq dernières années pour accroître ses capacités de formation, mais aussi maintenir dans le système de santé les étudiants formés et les professionnels en exercice.

Ainsi, le nombre d'étudiants au sein des filières de médecine, d'odontologie, de soins infirmiers et d'aides-soignants a considérablement augmenté. La suppression du numerus clausus en 2021, remplacé par le numerus apertus, a conduit à une augmentation du nombre d'étudiants en médecine qui s'élève désormais à 11 000 chaque année, soit 26 % de plus que sur la période antérieure.

Pour l'odontologie, le nombre d'étudiants atteint 1 400 par an, soit une augmentation de 15 %. Pour les formations d'infirmiers et d'aides-soignants, le plan de relance du Gouvernement a permis la création de places supplémentaires, aboutissant à une augmentation des places offertes de plus de 20 % depuis 2019 dans les deux formations.

Cependant, il faut du temps pour que ces mesures montrent leurs effets, car la durée des formations médicales est longue. Il faudra attendre 2025, et surtout 2026, pour constater l'arrivée d'un flux plus important d'internes. Mais depuis septembre 2023, les premiers effets du plan de relance sur les formations en soins infirmiers se font sentir sur le système de santé.

Afin d'améliorer la réponse aux besoins de la population, la transformation des professions de santé et des pratiques de soins s'est accélérée durant ces dernières années. Cette dynamique va se poursuivre.

Cette transformation implique l'accès direct à de nouvelles professions de santé, mobilisant notamment les nouveaux métiers paramédicaux, ainsi que l'élargissement des compétences des professionnels de santé. Les protocoles de coopération, locaux et nationaux, bien qu'ils soient organisationnels, jouent un rôle essentiel dans ce cadre.

Nous devons repenser notre système de santé à partir des métiers et de leur évolution. C'est une nécessité.

La réforme de la formation et du métier d'infirmier en est un exemple. Le Premier ministre en a fait une priorité. Un projet de loi, en préparation depuis 2023, sera présenté au Parlement dans les prochains mois. Il vise à conforter ce métier qui a tant évolué depuis la dernière loi régissant cette profession, qui date de quelques années maintenant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les sujets que nous avons abordés ont une dimension très humaine : ils ont trait à l'avenir de la prise en charge de notre population. Les métiers et les organisations sont en pleine évolution, et nous devons apporter notre force collective pour accompagner ces transformations. Je sais que je peux compter sur vous pour cela. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)


source https://www.senat.fr, le 16 octobre 2024