Interview de M. Marc Ferracci, ministre délégué, chargé de l'industrie, à France Inter le 15 octobre 2024, sur la cession d'une filiale de SANOFI qui fabrique le Doliprane à un fonds d'investissement américain, la filière automobile et le budget 2025.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME, nous recevons, ce matin, le ministre de l'Industrie dans " le Grand Entretien " du 7/10. Questions/réactions : 01 45 24 70 00 et via l'application Radio France. Marc FERRACCI, bonjour.

MARC FERRACCI
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue sur Inter. Beaucoup de sujets à aborder avec vous, ce matin : le budget 2025 dont l'examen commence cette semaine à l'Assemblée nationale, la mauvaise passe de l'industrie automobile, les prix de l'énergie. Mais d'abord, le premier gros dossier sur votre bureau, c'est SANOFI qui entend céder au fonds d'investissement américain CD&R, le contrôle de sa filiale OPELLA qui fabrique les médicaments grand public comme le Doliprane, la Lysopaïne ou encore le Maalox. Tous les groupes politiques se sont emparés du sujet et craignent un nouvel ALSTOM. Vous étiez, hier, à Lisieux, aux côtés du ministre de l'Economie, Antoine ARMAND, sur l'un des sites de production du Doliprane. Pouvez-vous vous opposer… Question simple, Marc FERRACCI, pouvez-vous vous opposer à cette vente ?

MARC FERRACCI
Juridiquement, nous le pouvons. Avec Antoine ARMAND, nous sommes bien conscients des enjeux de ce dossier. Le Doliprane et les autres médicaments que vous avez cités sont au coeur du quotidien des Français, sont au coeur de leur vie. On a tous pris du Doliprane un jour ou l'autre parce qu'on avait mal à la tête, parce qu'on avait mal ailleurs. Et donc, il y a une préoccupation bien légitime des Français, mais aussi des forces politiques autour de cette opération. Par rapport à ça, nous, ce qu'on a dit hier aux salariés, parce qu'on est d'abord allé voir les salariés à Lisieux, c'est que nous avions deux objectifs extrêmement clairs. Le premier, c'était la sécurité sanitaire des Français, donc la sécurité d'approvisionnement. Le deuxième, c'était de maintenir ce qu'on appelle l'empreinte industrielle, les emplois, mais aussi la recherche et développement en France. Ces deux objectifs ne sont pas négociables. Ces deux objectifs, nous allons nous donner les moyens de les atteindre. Et pour ça, nous allons demander à SANOFI et au fonds d'investissement qui, apparemment est retenu, parce que l'opération n'est pas encore signée, des engagements sur l'emploi industriel - ça, c'est essentiel - des engagements sur les volumes produits, parce que pour maintenir l'emploi, il faut aussi s'engager sur des volumes ; des engagements sur la recherche et développement, qui n'est pas Lisieux, mais qui est à Compiègne. Et puis aussi des engagements, c'est important, sur les sous-traitants. Parce que si vous déstabilisez votre réseau de sous-traitants, eh bien, vous avez des problèmes. Donc voilà ce que nous allons demander effectivement, pour répondre à votre question, si ces engagements n'étaient pas pris, eh bien, il y a aujourd'hui, dans le code monétaire et financier, une possibilité de bloquer cette vente.

LEA SALAME
Et si ces engagements n'étaient pas pris, vous bloqueriez cette vente ?

MARC FERRACCI
Eh bien, écoutez, effectivement, ces sont les objectifs qu'on s'est fixés, et donc nous avons cette option qui est tout à fait sur la table.

LEA SALAME
Mais pour qu'on comprenne bien, il y avait deux offres sur la table, une Américaine donc, et une autre d'un fonds français, PAI, dont 50% des investissements sont faits en France, dont le siège est en France. SANOFI a choisi d'entrer en négociation exclusive avec l'Américain, avec CD&R, qui n'investit que 1% de ses fonds en France. Est-ce que vous comprenez ce choix ? Alors que SANOFI a reçu 400 millions d'euros, récemment, pour construire sa nouvelle usine de vaccins qui a été inauguré, d'ailleurs, le mois dernier par Emmanuel MACRON, qu'elle a reçu plus d'un milliard d'euros en dix ans via le crédit d'impôt recherche. Est-ce qu'il n'y a pas un défaut de patriotisme de SANOFI de choisir l'offre américaine plutôt que l'offre française quand ils en ont deux à peu près égales sur la table ?

MARC FERRACCI
Alors d'abord, moi, en tant que ministre, il ne m'appartient pas de commenter les choix d'entreprises privées qui rachètent des entreprises privées. Ce n'est pas comme ça que je conçois mon rôle de ministre. Puis, le deuxième élément qu'il faut signaler, c'est que SANOFI va rester actionnaire à hauteur de 50%. Et ça, c'est un élément extrêmement important. Au conseil d'administration d'OPELLA, dans la future structure, il y aura 50% pour SANOFI ; c'est très important. Et le troisième élément que je veux signaler, ce que l'autre fonds…

LEA SALAME
PAI.

MARC FERRACCI
PAI - on l'appelle comme ça - il n'est pas tout seul. C'est un fonds français, mais il est associé à trois autres fonds qui sont, eux, des fonds étrangers. Donc moi, je ne commente pas, ce n'est pas mon sujet. Ce qui m'intéresse, ce sont, encore une fois, les engagements que nous allons écrire noir sur blanc et que nous allons faire respecter avec un certain nombre de leviers dont on va parler. Parce que signer des engagements, ça n'est pas forcément la fin de l'histoire, il faut aussi les faire respecter. Mais s'agissant du choix, je n'ai pas de commentaire à faire, ce qui m'intéresse, c'est surtout qu'il y a des perspectives d'investissement et de création d'emplois industriels à terme de cette opération.

LEA SALAME
Vous n'avez pas de commentaire à faire, mais tout de même, c'est une entreprise privée qui vend à une autre entreprise privée. Vous avez raison, mais c'est une entreprise privée qui a reçu énormément d'aides de l'Etat.

MARC FERRACCI
Vous avez raison.

LEA SALAME
Peut-être vous avez un mot à dire, quand même ?

MARC FERRACCI
Vous avez raison, ce sont des aides qui ont également servi à SANOFI, mais d'ailleurs à toute la filière pharmaceutique, à investir et à créer un écosystème qui est, aujourd'hui, un écosystème performant qui fait qu'on exporte des médicaments en France. C'est une filière performante. Donc, moi, j'assume assez bien le fait, de manière générale, pas que sur le médicament, le fait d'aider l'industrie. Nous l'avons fait beaucoup depuis 2017 et l'emploi industriel est revenu en France. Donc ça, c'est quelque chose que j'assume, en tant que ministre de l'Industrie et au titre de ce qu'ont fait mes prédécesseurs.

NICOLAS DEMORAND
Enormément de réactions, Marc FERRACCI ; " la vente à la découpe de la France se poursuit ", Jordan BARDELLA. " Aucune leçon n'aura été tirée du Covid ", Marine TONDELIER. " Une honte, encore un symbole de notre perte de souveraineté ", Fabien ROUSSEL. " Mais il n'y a pas que la gauche et le RN, l'opération pose un enjeu très préoccupant pour notre sécurité nationale " écrivent une soixantaine de députés issus des groupes Ensemble pour la République, Horizons, MoDem, Droite Républicaine, LIOT. Parmi les signataires, Gérald DARMANIN ou le chef du groupe Horizons, Laurent MARCANGELI. Question : Emmanuel MACRON et ses gouvernements successifs disaient faire de la souveraineté sanitaire, un axe clé de leur politique pour ensuite, laisser faire des opérations de ce type ?

MARC FERRACCI
Et vous avez raison, c'est un sujet de souveraineté. C'est un sujet de souveraineté. La question, c'est de savoir si…

NICOLAS DEMORAND
Est-ce qu'elle n'est pas bradée-là ?

MARC FERRACCI
Eh ben, je ne le pense pas, parce que je pense que le sujet de la souveraineté, c'est justement d'avoir la maîtrise de son destin. Et avoir la maîtrise de son destin en l'occurrence, c'est être certain qu'on aura des médicaments quand on en a besoin, qu'on maintiendra les emplois parce que ces emplois, ils irriguent nos territoires. J'étais hier à Lisieux, pas simplement au contact des salariés, mais aussi au contact des élus locaux qui sont préoccupés par tout ça. Et donc, la souveraineté, pour moi, c'est faire respecter ces deux objectifs fondamentaux : la sécurité sanitaire, le maintien de l'empreinte industrielle et c'est ce que nous nous donnons comme objectifs.

LEA SALAME
Mais vous vous souvenez des engagements pris par l'Indien MITTAL au moment du rachat d'ARCELOR ? C'était de maintenir les emplois en France. On se souvient de ça. Deux ans après, ils ont fermé une première aciérie. Deux ans après, ils ont fermé un premier haut fourneau et quatre ans après, c'était la fermeture définitive de tous les hauts fourneaux. Les engagements pris par les Américains de maintenir l'emploi en France, comment on peut être sûrs qu'ils vont les maintenir ?

MARC FERRACCI
D'abord, on va les écrire noir sur blanc et on va les assortir d'un certain nombre de leviers, en particulier de sanctions, des sanctions qui pourront prendre la forme de sanctions pécuniaires. Ensuite, nous réfléchissons et n'excluons pas de faire rentrer au capital d'OPELLA, un acteur public, afin, dans la gouvernance, afin d'avoir une forme de droit de regard qui permettra de voir ce que sont les projets, de voir ce que sont les projets d'investissement et faire en sorte que ces objectifs de maintien de l'empreinte industriel soient préservés. Et j'ajoute quand même qu'il y a un élément qu'il faut avoir en tête, c'est que le DOLIPRANE, qui est un peu le médicament emblématique dans cette affaire, le DOLIPRANE est produit quasiment exclusivement pour la France. 97% des ventes de DOLIPRANE se font en France, donc il y a un intérêt, me semble-t-il, à maintenir la localisation en France, mais cet intérêt ne nous suffit pas. Nous voulons également des engagements écrits.

LEA SALAME
On a encore beaucoup de questions à vous poser sur d'autres sujets, mais convenez que la politique, c'est aussi des symboles que ce nouveau Gouvernement laisse… Que le premier signal politique de ce Gouvernement, c'est de laisser vendre le DOLIPRANE aux Américains. Convenez que ce n'est pas… En termes de signal politique… Quand Emmanuel MACRON défendait encore il y a six mois la souveraineté sanitaire, ça pose question, non ?

MARC FERRACCI
Vous savez, moi en tant que ministre de l'Industrie, je me donne pour objectif, avec le ministre de l'Économie, Antoine ARMAND, de protéger les emplois industriels, de protéger les emplois tout courts. Mais nous nous donnons aussi un autre objectif, qui est de créer des emplois, de faire en sorte que les investissements étrangers en France se maintiennent. Vous savez que la France est pour la cinquième année le pays d'Europe le plus attractif pour les investissements étrangers et nous ne voulons pas dévier de ce cap. Donc nous devons tenir au fond deux rennes : c'est protéger, et nous allons le faire, dans cette affaire, nous nous y engageons, le DOLIPRANE continuera d'être produit en France, mais aussi envoyer à toutes celles et ceux qui veulent investir en France le signal qu'il est bon d'investir en France, il est bon de créer des usines. Il est bon de créer des emplois dans notre pays. Et c'est de ce point de vue quelque chose de tout à fait cohérent avec les Gouvernements précédents.

NICOLAS DEMORAND
Il y a eu l'an dernier des pénuries de médicaments, notamment les antibiotiques et les antibiotiques pour enfants. Faut-il se préparer à d'autres pénuries cet hiver ?

MARC FERRACCI
Tout est mis en oeuvre pour que ça ne soit pas le cas, et en particulier une législation qui impose aux laboratoires et à l'ensemble de la chaîne du médicament de réaliser des stocks. Dès lors que ces stocks descendent au-dessous d'un certain seuil, quatre mois par exemple, des pénalités financières sont appliquées. Nous serons évidemment extrêmement vigilants à ce que tout cela fonctionne.

LEA SALAME
Vous dites : " Mon objectif comme ministre de l'Industrie, c'est de créer des emplois. " Le cabinet ALTARES a dévoilé ce matin le chiffre des défaillances d'entreprises : 66 000 entreprises touchées plus 20% sur un an, 52 000 emplois menacés, des défaillances qui touchent les très petites entreprises, mais aussi les PME. La situation est-elle inquiétante, Marc FERRACCI ? L'économie est-elle en train de caler ?

MARC FERRACCI
La situation traduit d'abord une forme de retour à la normale, parce que vous savez que durant la période du Covid et un petit peu après, beaucoup d'entreprises ont été aidées avec les prêts garantis par l'Etat, avec beaucoup d'aides publiques et il y a eu moins de défaillances à ce moment-là. Et donc aujourd'hui, on a au fond une forme de rattrapage de ce phénomène. Nous regardons les chiffres évidemment avec beaucoup d'intérêt et avec beaucoup d'attention.

LEA SALAME
Ils vous inquiètent les chiffres de ce matin ?

MARC FERRACCI
Très sincèrement, quand je regarde la tendance de long terme, pour l'instant, je dis bien pour l'instant, je reste confiant dans la capacité de rebond de l'industrie française. On va avoir un rattrapage et on est en train de le constater, mais je pense que ça ne traduit pas une tendance de fond qui va se prolonger pendant des mois et des années.

NICOLAS DEMORAND
Marc FERRACCI, quelques mots sur le Salon de l'Automobile qui ouvre ses portes au grand public aujourd'hui. Les inquiétudes sur le marché de l'automobile sont nombreuses en France. Les ventes de voitures neuves en septembre ont été les plus faibles enregistrées depuis 20 ans. En Allemagne, VOLKSWAGEN annonce d'éventuelles fermetures d'usines. STELLANTIS a presque divisé par deux ses objectifs de profits pour 2024. L'industrie joue désormais sa survie, disait ce week-end, Luc CHATEL, le président de la PFA, c'est le lobby du secteur. Il a tort, Luc CHATEL ? Il exagère ? Vous lui dites quoi ?

MARC FERRACCI
Il a raison de pointer le fait que la situation est préoccupante pour la filière automobile. Vous avez rappelé les chiffres, je ne vais pas y revenir…

NICOLAS DEMORAND
" Joue sa survie ", c'est un cran de plus.

MARC FERRACCI
Il y a des problèmes un peu structurels et notamment le problème de la compétition avec les Chinois et en particulier la compétition concernant les véhicules électriques. Face à ces problèmes, nous avons agi, à la fois en français et en européens, et nous allons continuer d'agir. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a aussi des bonnes nouvelles quand même. J'étais hier au salon pour la pré-inauguration, puisque l'ouverture au public a lieu aujourd'hui. Et on se rend compte que la transition vers l'électrique, qui est un objectif… Vous savez qu'en 2035, il n'y aura plus de moteurs thermiques produit en Europe.

LEA SALAME
Faut le garder cet objectif de 2035 ou il faut le décaler ?

MARC FERRACCI
Il y a des débats, il y a des débats au sein de la filière…

LEA SALAME
Quel est votre avis ?

MARC FERRACCI
Moi, pour l'instant, je discute avec tous les acteurs. Je suis Ministre depuis trois semaines. Je suis en train de voir tous les acteurs de la filière. J'essaie de me faire mon idée. Il y a en Europe des débats, mais en tout état de cause, il ne faut pas changer de cap. Et ça, c'est très clair. Et tous les acteurs de la filière – vous évoquiez Luc CHATEL – nous le disent, il ne faut pas changer de cap. La question du rythme auquel on va vers l'électrique est une autre question, mais il ne faut pas changer de cap et il faut qu'on soutienne la filière. Et moi, je le dis en tant que ministre de l'Industrie, nous allons, avec le ministre de l'Économie, Antoine ARMAND, continuer de soutenir la filière automobile. Il y a plusieurs enjeux. Il y a un enjeu de soutenir ce qu'on appelle l'offre, c'est-à-dire les investissements et en particulier les très lourds investissements dans la décarbonation des usines. La semaine dernière, j'étais… Il y a dix jours plutôt, j'étais, pour inaugurer une ligne de production de STELLANTIS à Sochaux, qui produit des voitures électriques, c'est très emblématique. Ces voitures électriques, leurs batteries sont produites en France, chez ACC, dans les Hauts-de-France. Les moteurs sont produits en France à Trémery, en Moselle, et donc c'est une transition qui s'est faite en quatre ou cinq ans. C'est ça la bonne nouvelle, c'est qu'on est en train d'y parvenir et la France est plutôt en avance. 18% de parts de marché pour le véhicule électrique en France contre 12% en Europe. C'est là-dessus qu'il faut s'appuyer, mais c'est compliqué et il faut soutenir la filière, c'est ce que j'ai dit et c'est ce que je vais continuer de dire.

LEA SALAME
Il vous a parlé des malus Carlos TAVARES, quand vous l'avez vu il y a dix jours ? Parce qu'il s'est indigné hier de l'alourdissement du malus sur les voitures compris dans le budget 2025. " C'est la double peine ", a-t-il dit. Est-ce vraiment le moment d'alourdir le malus CO2 et le malus poids des voitures comme prévu dans le budget 2025 franchement ?

MARC FERRACCI
Beaucoup d'acteurs de la filière nous en ont parlées, et pas seulement Carlos TAVARES. Sur ce sujet, on va peut-être se parler du budget après. Donc on rentre déjà sur le sujet budgétaire…

LEA SALAME
On va se parler du budget tout de suite, c'est la prochaine.
MARC FERRACCI

Mais je vous réponds sur le sur le malus. Effectivement, le malus va être étendu et va toucher, dans la version initiale de ce projet de loi de finances, un nombre plus grand de véhicules. Moi, ce que je dis, c'est que ce budget, il va bouger, forcément, il va bouger. Il y a déjà un certain nombre de parlementaires, d'ailleurs, des parlementaires du groupe politique auquel j'appartiens, Ensemble pour la République, qui se sont positionnés pour trouver des équilibres différents. La contrainte qu'on a sur le budget, c'est de faire soixante milliards d'économies. Et dans ces soixante milliards, on peut trouver des équilibres différents. Un peu moins de malus, mais aussi cela doit être compensé par des réductions de dépenses un peu plus fortes sur d'autres aspects. A partir du moment où les gens…

LEA SALAME
Donc les malus, ça va bouger. C'est ce que vous nous dites ce matin, c'est que ça va bouger ?

MARC FERRACCI
En tout cas, moi, je regarderai avec beaucoup d'attention et j'ai envie de le dire avec l'esprit de le soutenir, les propositions qui viseront à soutenir la filière automobile, dès lors qu'elles sont engagées sur d'autres réductions de dépenses.

NICOLAS DEMORAND
Alors sur le budget, justement, il se fait dans une situation de crise grave : déficit public qui pourrait s'envoler au-delà de 6 % d'ici la fin de l'année, une dette qui a atteint un nouveau record fin juin à 3 228 milliards d'euros, soit presque mille milliards de plus qu'à l'arrivée d'Emmanuel MACRON à l'Élysée en 2017. Vous êtes, Marc FERRACCI, un intime d'Emmanuel MACRON depuis très longtemps, est-ce que vous reconnaissez que ses chiffres, que cette situation budgétaire est à mettre au débit des mandats d'Emmanuel MACRON ? N'est-ce pas là une forme de trahison de la promesse Macroniste des origines que d'aboutir ainsi à une impasse budgétaire ?

MARC FERRACCI
D'abord rappeler qu'on l'a un peu oublié, mais c'est sous Emmanuel MACRON qu'on est pour la dernière fois dans notre histoire économique, revenu sous 3 % de déficit. 3 % de déficit, c'était en 2018. Et on est sorti à l'époque de ce qu'on appelle la procédure de déficit excessive de l'Union européenne. Ensuite, ça ne vous a pas échappé, nous avons connu des crises. E ces crises, elles ont eu une réponse, qu'on a appelé peut-être de manière impropre, le « Quoi qu'il en coûte », qui a permis de protéger les entreprises et les Français, mais qui a dépensé beaucoup d'argent, à la fois le Covid et puis aussi la crise ukrainienne avec le choc inflationniste. Je pense que tout n'a pas été bien fait, forcément, parce que sinon, on ne serait pas dans cette situation-là. Donc un certain nombre de dispositifs n'ont pas été débranchés assez tôt, qui ont coûté beaucoup d'argent public, mais il faut quand même revoir la perspective de tout cela. Maintenant, il y a aussi un élément qu'il faut avoir en tête, c'est que par rapport à d'autres pays, nous avons toujours une croissance positive, parce que nous avons préservé l'emploi et les entreprises. Et ça, c'est ce qui nous permet le rebond.

LEA SALAME
Là, on va y revenir, à la croissance. Mais pardon de vous dire… ce que vous dites juste sur les 3 % avant Covid. Puis il y a eu le Covid. Mais là, ce qui se pose comme question, c'est ce qui s'est passé cette dernière année. C'est-à-dire qu'on est quand même trois ou quatre ans après le Covid. Comment on est passé de 5,5 % de déficit public en 2023 à 6,1 % en 2024, soit un écart gigantesque de l'ordre de 52 milliards d'euros ? Pierre MOSCOVICI avait parlé d'un dérapage important. Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est vrai qu'on essaye de comprendre, c'est… Qui est-ce qui est responsable de ce qui s'est passé, de ce dérapage cette dernière année ?

MARC FERRACCI
Alors, il y a d'abord une difficulté à prévoir les recettes. Vous savez que ce qui a manqué, c'est la capacité à prévoir correctement les recettes fiscales. Il y a eu un écart très important sur les recettes fiscales qui sont effectivement rentrées dans les caisses de l'Etat et des organismes de sécurité sociale et ce qui était prévu. Alors, moi, je ne vais pas jeter la pierre à ceux qui font les modèles de prévision. C'est le regretté Pierre DAC qui disait que : " Les prévisions, c'est difficile, surtout quand ça concerne l'avenir, mais fondamentalement, on a besoin d'interroger nos outils. Ensuite, on a besoin, je pense, d'avoir une approche qui soit basée de manière beaucoup plus systématique. Moi en tant que parlementaire, j'ai fait des propositions là-dessus sur l'évaluation des dépenses publiques et des dépenses publiques qui ne sont pas efficaces, des dépenses d'intervention, des aides, des prestations, des niches fiscales. On a sans doute mis trop de temps à s'attaquer à ces problèmes-là et ils se sont probablement enkystés de manière un peu structurelle dans nos dépenses publiques. Maintenant, on est face à une équation difficile, je vous l'ai dit, il faut faire soixante milliards d'euros d'économies, mais je pense qu'il faut aussi changer notre approche de la dépense publique et l'évaluer de manière beaucoup plus systématique et ne pas avoir peur de couper de manière drastique dans les dépenses qui sont inefficaces.

NICOLAS DEMORAND
En tout cas, les milieux économiques s'inquiètent de la baisse des allègements de charges patronales. Patrick MARTIN, du MEDEF : " La mesure détruira plusieurs centaines de milliers de postes ". Et François ASSELIN de la CPME, qui dit la même chose et anticipe des licenciements et des défaillances d'entreprises. Qu'est-ce que vous leur dites, ce matin ?

MARC FERRACCI
Eh bien, je leur dis que leur préoccupation est légitime. Moi, je suis économiste de profession et économiste de formation. Je me suis beaucoup intéressé au travail et je sais que le coût du travail est un déterminant très important dans les choix d'embaucher ou de se séparer de ses salariés. Donc ça, c'est un point de départ. Ensuite, je leur dis que - comme je vous l'ai dit tout à l'heure à propos du malus - cette disposition qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et bien, c'est une disposition qui peut être amenée à évoluer. Et là aussi, je le dis en tant que ministre appartenant au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, moi, je serai en soutien des propositions qui, tout en restant dans cette enveloppe de 60 milliards d'euros, allègent justement le coût du travail par rapport à ce qui est prévu et donc remettent en place un certain nombre d'exonérations, notamment au niveau du SMIC. Parce que c'est au niveau du SMIC que l'emploi bouge le plus quand on bouge le coût du travail, mais toujours avec le souci d'aller chercher des recettes ailleurs ou d'aller chercher des réductions de dépenses ailleurs. Donc le débat parlementaire va commencer, d'ailleurs, mon groupe, le groupe dont je suis issu, s'est déjà positionné sur ce sujet et a dit que c'était un point de préoccupation important. Nous allons regarder leurs propositions avec beaucoup d'attention.

LEA SALAME
Les patrons s'inquiètent de la baisse des allègements de charges patronales. Ils s'inquiètent aussi de la nouvelle taxation prévue pour les grandes entreprises qui font des profits. On le précise, ce ne sont pas toutes les grandes entreprises, celles qui font des profits. Marc FERRACCI, vous qui êtes un libéral assumé, ça ne vous gêne pas ces hausses d'impôt sur les entreprises ?

MARC FERRACCI
Alors, c'est amusant…

LEA SALAME
Vous les assumez ?

MARC FERRACCI
C'est amusant parce que quand je mets en place un bonus-malus contre la précarité des contrats courts, on ne dit pas que je suis un libéral assumé ; on dit que je suis quelqu'un qui penche à gauche.

LEA SALAME
Vous-même, vous dites que vous être libéral, que c'est votre logiciel.

MARC FERRACCI
J'assume le fait d'être un peu les deux et c'est peut-être ce qui me caractérise et ce qui fait que je suis, depuis sept ans, dans cette aventure. Mais je vous réponds. D'abord, ces hausses, ce ne sont pas des hausses du taux d'imposition sur les sociétés et ce ne sont pas surtout des hausses pérennes, ce sont des hausses temporaires et exceptionnelles. On va faire ce qu'on appelle une surtaxe pour les entreprises qui font de plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. On va leur demander un effort pendant deux ans et deux ans seulement, et cette durée sera inscrite dans la loi. Alors, nous sommes conscients également que cet effort, il ne doit pas, d'une part, s'inscrire dans la durée. Il ne doit pas avoir de conséquences sur les stratégies d'investissement, sur les stratégies de création d'emplois… Comme nous l'avons fait d'ailleurs, il y a quelques années…

LEA SALAME
Ça ne va pas casser la croissance, tout ça ?

MARC FERRACCI
Ecoutez, je ne pense pas. En tout cas, ce n'est pas ce que disent les prévisions, aujourd'hui.

LEA SALAME
Eh bien, attendez, là, vous vous référez aux prévisions maintenant ?

MARC FERRACCI
Mais vous savez, il faut s'appuyer sur ce dont on dispose. Ça ne veut pas dire que les prévisions sont toujours exactes. Mais ce qui est important, je vous réponds quand même, pour ne pas casser la croissance, il faut bien choisir les dépenses dans lesquelles on coupe. Il y a des dépenses qui génèrent des effets d'aubaine. Moi, j'ai milité, pendant un certain temps, pour que les aides à l'apprentissage, les aides à l'embauche des apprentis qui coûtent, aujourd'hui, plus de 4 milliards d'euros par an, qu'on a introduites pendant le Covid de manière provisoire pour éviter que le système d'apprentissage ne s'effondre, bien qu'elles soient recentrées sur les bas niveaux de qualification sur les niveaux C.A.P, BTS, Bac pro. Eh bien ça, je pense que ce sont des dépenses qu'on peut réduire sans nuire à la croissance.

NICOLAS DEMORAND
Marc FERRACCI, le Gouvernement a prévu d'augmenter la taxe sur l'électricité, dont le montant avait été réduit durant la crise inflationniste. Elle augmentera en février au-delà de son niveau d'avant l'instauration du bouclier tarifaire. Pour parler simplement, les factures d'électricité des ménages et des entreprises vont augmenter de combien ? C'est quoi la fourchette ? Cinq, dix, quinze, vingt ?

MARC FERRACCI
Eh bien justement, les factures n'ont pas vocation à augmenter, elles ont même vocation à baisser. Pourquoi ? Parce qu'en face de cette augmentation de la taxe, il y a des baisses de prix qui vont intervenir. Et les simulations qui sont faites aujourd'hui montrent que les factures des Français, compte tenu de l'augmentation de la taxe, mais compte tenu aussi des baisses de prix, eh bien se stabiliseront, voire baisseront de l'ordre de 9%. Donc on assume le fait qu'on a besoin de faire rentrer des recettes fiscales, on a besoin de financer nos services publics, on a besoin de financer notre modèle social et on a besoin de réduire notre dette.

NICOLAS DEMORAND
Vous dites que ce sera neutre à l'arrivée ? C'est ça ?

MARC FERRACCI
Ce sera neutre, voire dans un certain nombre de cas, pour les 80% de Français qui sont à ce que l'on appelle le tarif réglementé, eh bien, ça a vocation à baisser parce que les baisses de prix excéderont l'augmentation de la taxe.

LÉA SALAME
Il ne nous reste même pas 30 secondes. Elisabeth BORNE est officiellement candidate pour reprendre la tête de Renaissance, votre parti. C'est une bonne candidate ?

MARC FERRACCI
C'est une candidate que j'estime. J'espère que les candidatures à la tête du parti tiendront en compte le fait qu'un parti, c'est deux choses : c'est d'abord une base militante. On a besoin d'avoir une base militante très forte et enthousiaste pour préparer les prochaines échéances électorales. Et puis, c'est un endroit où se produisent des idées. Et on a besoin, je pense, je le dis très tranquillement, de réactualiser dans ma famille politique un certain nombre d'idées. La France a changé, le monde a changé, la société française…

LÉA SALAME
Vous manquez d'idées ? Renaissance manque d'idées ?

MARC FERRACCI
Non, justement, on n'en manque pas, mais il faut les consolider et les mettre sur la table. Et je serai très attentif à ce que les candidats à la tête de Renaissance posent des solutions et des propositions sur ces deux sujets.

LÉA SALAME
Gabriel ATTAL devrait annoncer sa candidature cette semaine. Votre coeur balance ? Votre choix est fait ?

MARC FERRACCI
Mais, je me déterminerai en fonction de ces deux critères et en particulier les idées.

LÉA SALAME
Gabriel ATTAL, qui estimait, hier, à notre micro, qu'une nouvelle loi sur l'immigration annoncée pour 2025, ne lui semblait pas totalement prioritaire. Quel est votre avis ?

MARC FERRACCI
Moi, je pense que les lois sur l'immigration, il y en a eu beaucoup dans notre histoire récente. Je pense qu'il faut les évaluer. Il faut déjà les mettre en oeuvre parce que tous les décrets n'ont pas été pris. Et puis, je veux quand même le dire, en tant que ministre de l'Industrie, l'immigration en particulier, l'immigration de travail, c'est une nécessité. Quand j'étais chez STELLANTIS il y a dix jours, j'ai pu constater que sur la chaîne de production, il y avait 58 nationalités. Et donc, à un moment, je le dis en tant que ministre de l'Industrie…

LÉA SALAME
C'est une chance, vous dites ?

MARC FERRACCI
Sans l'immigration, on ne sait pas faire dans l'industrie.

LÉA SALAME
Donc c'est une chance ?

MARC FERRACCI
À certains égards, oui. Mais il faut aussi combattre l'immigration illégale et se donner tous les moyens de la réduire.

LÉA SALAME
Mais ce que j'entends ce matin, c'est que pour vous non plus, une nouvelle loi sur l'immigration n'est pas prioritaire.

MARC FERRACCI
Je pense qu'il faut se donner les moyens et il faut se donner le temps d'évaluer l'existant et surtout de mettre en oeuvre l'existant.

NICOLAS DEMORAND
Merci Marc FERRACCI.

MARC FERRACCI
Merci à vous.

NICOLAS DEMORAND
Ministre de l'Industrie, d'avoir été à notre micro ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2024