Interview de Mme Anne Genetet, ministre de l'éducation nationale, à TF1 le 17 octobre 2024, sur la réaction des syndicats à l'annonce de la suppression de 4 000 postes d'enseignants, le déploiement du dispositif "choc des savoirs", la minute de silence organisée dans les établissements secondaires en hommage à Samuel Paty et Dominique Bertrand et la lutte contre le harcèlement scolaire.

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Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour Anne GENETET.

ANNE GENETET
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Les syndicats enseignants ont lancé, lundi, ce qu'ils appellent une "alerte sociale". C'est le terme, la dernière étape avant la grève pour protester contre le budget de l'Education, contre la suppression de 4 000 postes. Ils ont été reçus, hier, par votre cabinet. Verdict à la sortie : "Non, la réunion ne s'est pas bien passée" disent-ils. Est-ce que vous pensez encore pouvoir éviter la grève ?

ANNE GENETET
Je tiens d'abord à rappeler un petit peu que… mettre en place quelques éléments… de rappeler quelques éléments de méthode. Quand je suis arrivée au ministère, ce que je vois absolument, c'est dans le dialogue, dans l'écoute, je l'ai fait, je les ai reçus une par une, les organisations syndicales.

ADRIEN GINDRE
Hier, ce n'est pas vous qui avez fait la réunion, c'était votre cabinet.

ANNE GENETET
Ils ont été reçus au ministère parce qu'à leur demande, ils avaient lancé cette alerte sociale. Ce n'est pas anodin, c'est très sérieux. Je le prends très au sérieux. C'est pour cela que j'ai tenu à ce que mon ministère puisse les recevoir hier. Derrière, on a convenu… Il a été convenu de rouvrir un dialogue social. On va avancer sur les bas salaires, sur les conditions de travail, sur les progressions de carrière. Tout ça, ça va être fait mais…

ADRIEN GINDRE
Mais sur les 4 000 postes, vous avez-vous-même dit que des évolutions sont possibles. Est-ce que cela veut dire que le Gouvernement que vous souhaitez, en tant que ministre, des évolutions… Est-ce que vous souhaitez qu'on revienne sur ce chiffre de 4 000 suppressions de postes ?

ANNE GENETET
Il faut voir comment il peut évoluer. C'est l'objet, d'une part, de ce que le Gouvernement peut bouger et puis également, c'est l'objet du débat parlementaire. Donc, j'attends que le débat parlementaire se déroule.

ADRIEN GINDRE
Mais vous appelez les parlementaires à modifier ces chiffres ?

ANNE GENETET
Derrière… Je veux simplement rappeler, pour bien comprendre ce chiffre, parce que le chiffre est toujours… impressionne énormément. Mais prenons un tout petit peu de recul. On est aussi dans un contexte dans lequel on a une base démographique considérable. On a perdu 80 000 élèves à cette rentrée, on en perdra 100 000, presque 100 000 à la rentrée prochaine. 180 000…

ADRIEN GINDRE
Les enseignants vous disent que vous auriez pu en profiter pour renforcer le taux d'encadrement des élèves ; ce n'est pas comme s'il n'avait pas des besoins.

ANNE GENETET
Mais c'est déjà le cas. Aujourd'hui dans les classes, dans nos écoles, on a un peu moins de 22 élèves par classe. C'est le taux historiquement bas qu'on n'a jamais eu en France. Et ce taux continue à s'améliorer. On abaisse année après année et il sera encore à baisser avec ces suppressions de postes.

ADRIEN GINDRE
Donc vous êtes en train de nous dire que c'est une bonne mesure, cette suppression de 4 000 postes ?

ANNE GENETET
Alors, je ne dis pas que c'est une bonne mesure. Le ministère de l'Education nationale doit prendre ses responsabilités dans le contexte que nous connaissons. Mais je veux aussi rappeler que question budget, on a les postes d'un côté, on a le budget. Et là, moi, je me suis battue pour qu'on puisse conserver d'abord, c'est toujours le premier budget de la nation. Et j'ai gagné presque 1 milliard de plus sur le budget. Ce n'est pas rien. Donc c'est une victoire pour l'école et ça, je veux aussi le saluer.

ADRIEN GINDRE
C'est intéressant ce que vous dites parce que ça dit quelque chose de votre rôle de ministre. Est-ce que vous considérez que votre rôle, c'est de vous battre contre ces suppressions de postes ou c'est de les accompagner ?

ANNE GENETET
C'est mener ce grand ministère pour qu'au bout du compte, je puisse avoir des élèves qui sont en situation de réussir. Et je l'ai bien dit, ma priorité c'est d'élever le niveau, élever le niveau, élever le niveau. Et ça, j'y tiens et ce budget permettra de le faire. On verra comment mais on pourra le faire.

ADRIEN GINDRE
Quand votre collègue de la Justice, Didier MIGAUD, dit, il y a quelques jours : "Si on en reste à la lettre plafond…" - La lettre plafond, c'est ce qui fixe, on va dire, les grandes masses du budget – « … je ne vois pas ce que je ferais encore au Gouvernement. » Vous pourriez dire la même chose si le budget ne bouge pas, si les postes ne bougent pas ? Vous pourriez partir ?

ANNE GENETET
D'abord, pour le moment, le budget qui est présenté permet de faire des choses. Je rappelle qu'en 2019 notamment - je crois que c'était Jean-Michel BLANQUER qui était ministre de l'Education nationale à l'époque - Il a eu un budget supplémentaire d'un peu plus de 800 millions d'euros ; exactement à peu près ce que j'ai aujourd'hui. Et on sait tout ce qu'il a pu mener comme modification de l'école.

ADRIEN GINDRE
On ne va pas rentrer en détail de chiffres, mais vous avez plus 800 parce qu'on a supprimé 700 en cours d'année. Donc en fait, en fait, c'est plus par rapport à ce qu'il était l'année dernière.

ANNE GENETET
Oui mais le ministère a joué son rôle. En 2024, il a fait les économies qu'on lui demandait de faire, donc il repart d'une page blanche. Il n'y a pas d'économies envisagées pour cette année 2025 et il y a donc un budget supplémentaire.

ADRIEN GINDRE
De petites précisions quand même pour bien comprendre ; les suppressions, ce sera partout ? Il y aura des quartiers qui seront présentés, les quartiers en une classe prioritaire…

ANNE GENETET
Ce n'est pas une carte scolaire qui se décide depuis Paris. La carte scolaire, on la voit qui, dans chaque académie, c'est école par école, c'est lycée par lycée, c'est collège par collège, c'est avec les élus, c'est avec les responsables d'établissements, c'est avec aussi les associations de parents d'élèves. C'est tout cet ensemble, collectivement, qui fait qu'il y a des disparités territoriales. On le sait, il y a des endroits, il y aura des classes un peu plus chargées, d'autres très peu chargées. Donc, on ne va pas, depuis Paris, décider la carte scolaire. C'est localement que ça se fera ; toujours dans le dialogue et dans l'écoute.

ADRIEN GINDRE
Et même avec ces efforts budgétaires, vous pourrez déployer les groupes de niveau en 4e et 3e. Ça a été fait en 6e et 5e. C'est ce qu'on avait appelé "le choc des savoirs", il y a quelques mois. Ça se déploiera en 4e et 3e ?

ANNE GENETET
Pour le moment, on est en train de les déployer sur des groupes de besoins pour les classes de 6e et 5e. Moi, je suis quelqu'un de très pragmatique. J'ai besoin de voir comment les choses se mettent en place. Les professeurs… la plupart des professeurs sont en train de se saisir du dispositif pour le mettre en œuvre pour la rentrée des vacances de la Toussaint. C'est justement l'objectif du déplacement que je vais faire pendant deux jours. Là, je pars, tout à l'heure, sur l'académie de Limoges. Je vais voir trois établissements différents où les groupes de besoins sont en train de se mettre en place dans des zones très différentes : urbaines, rurales…

ADRIEN GINDRE
Pour le moment, 6e et 5e ?

ANNE GENETET
Voilà. Et on voit comment ça se met en place ; après on verra.

ADRIEN GINDRE
Lundi, se sont tenues dans les établissements également des minutes de silence à la mémoire des professeurs Samuel PATY et Dominique BERNARD qui avaient été assassinés en 2020 et 2023. Combien d'incidents vous sont remontés ?

ANNE GENETET
Alors rappeler qu'ils ont été assassinés pour défendre la liberté d'expression par le terrorisme islamiste, c'était un moment très important pour nos écoles. Oui, on a eu un certain nombre d'incidents, on a à peu près 119 incidents remontés hier, c'était à la même époque, 200, un peu plus de 280 l'année dernière. Néanmoins, tous ces incidents, chacun de ces incidents, je veux bien insister, donnera lieu à une sanction disciplinaire et pour les cas les plus graves, ils les signaleront au procureur de la République, c'est très important. On ne peut pas laisser passer ces atteintes, ces atteintes au moment de recueillement qui sont très importants.

ADRIEN GINDRE
Pour bien comprendre, quand on dit incident, on parle de quoi ? On parle de chahut ? On parle d'atteinte à la laïcité ? D'apologie du terrorisme ?

ANNE GENETET
Alors, il peut y avoir... Ça va, ça va du simple chahut, donc ils ne respectent pas ce moment de recueillement, jusqu'à des propos, des comportements inacceptables avec des propos qui sont une forme d'apologie du terrorisme, c'est inacceptable, c'est illégal.

BRUCE TOUSSAINT
Des élèves vont être exclus ?

ANNE GENETET
Ça, c'est les sanctions disciplinaires sont portées, sont prononcées par les conseils de discipline. Il peut y avoir exclusion prononcée, absolument.

ADRIEN GINDRE
Vous venez de souligner la différence avec les chiffres, l'année dernière, parce qu'il y avait eu un hommage à Samuel PATY à ce moment-là. Est-ce que vous en tirez la conclusion que les atteintes à la laïcité dans le milieu scolaire sont en baisse ?

ANNE GENETET
Alors, il y a une amélioration parce qu'il y a un certain nombre de dispositifs qui ont été mis en place. Il y a des chiffres très clairs, on étudie ça item par item, on sait exactement où nous en sommes. A la rentrée scolaire, par exemple, en septembre 2024, le port de signes ostensibles religieux avait diminué une façon drastique, on était sur une centaine de cas, contre plus de 800 l'année dernière, donc, mais ça, c'est aussi le résultat de l'interdiction du port de l'abaya et du qamis, ce qui était une bonne chose, une bonne décision de Gabriel ATTAL, ministre de l'Éducation nationale à l'époque. Maintenant, il y a d'autres atteintes à la laïcité, on voit par exemple les contestations d'enseignements qui peuvent légèrement progresser, ça, je ne l'accepterai pas et je veux insister sur le fait que nous devons tous être en soutien, nous professeurs, qui, avec détermination, engagement, défendre la laïcité, défendre la liberté d'expression, défendre les valeurs de la République et je veux absolument qu'on soit très clairs : tous les soutiens doivent se porter vers nos professeurs dans ces moments-là.

ADRIEN GINDRE
Un autre sujet qui vous échoue, en tant que ministre de l'Éducation, c'est le harcèlement scolaire qui avait été notamment largement traité par vos prédécesseurs, les élèves de CE2 à la terminale. Il y a un an, ont rempli un questionnaire pour voir comment ils ressentaient, eux, leur quotidien. Le résultat, ça avait donné plus d'un élève par classe qui se disait concerné par le harcèlement. Est-ce que c'est un chiffre qui vaut toujours aujourd'hui ?

ANNE GENETET
Alors, rappeler d'abord deux choses : Le harcèlement, c'est un délit et ensuite, c'est une souffrance épouvantable pour les élèves qui le subissent. Donc le questionnaire a permis de repérer de nouveaux cas de harcèlement, c'est pour ça que je le reconduirai le 7 novembre, qui sera la journée nationale de lutte contre le harcèlement, c'est vraiment un questionnaire qui permet de libérer la parole, elle s'est libérée depuis un an. On a quand même encore environ deux élèves par classe qui sont concernés par le harcèlement. Ce questionnaire permettra justement de voir où nous en sommes. Je veux vraiment répéter aux élèves : libérez-vous, parlez, parlez ; et dire aussi aux adultes qui les encadrent : « Écoutez les élèves quand ils parlent ».

ADRIEN GINDRE
Mais il se passe quoi quand les questionnaires révèlent qu'un élève se sent concerné, concrètement ?

ANNE GENETET
Alors, ça permet de mettre en place les dispositifs que nous avons. On a dans chaque rectorat, on a 150 personnes déployées sur l'ensemble du territoire français, qui sont formées sur le harcèlement pour aller aider à la lutte contre le harcèlement. Dans chaque établissement, j'en ai rencontré, on a des élèves qui sont ambassadeurs du harcèlement, qui aident les victimes de harcèlement à parler, à s'exprimer, à aller se confier à un adulte pour faire mettre en œuvre derrière les procédures disciplinaires et rappeler que le harcèlement scolaire et en delà, au deçà est un délit.

BRUCE TOUSSAINT
Les vacances scolaires commencent demain. Les rythmes scolaires, c'est toujours un sujet tabou ?

ANNE GENETET
C'est toujours compliqué. On rêverait, nous tous... J'ai été interpellé là-dessus pour avoir un rythme scolaire qui fasse que les matières plus, plus engageantes soient le matin et plus « légères », l'après-midi, ça demande des aménagements très concrets.

BRUCE TOUSSAINT
Et les vacances, il y a trop de vacances ou pas ?

ANNE GENETET
Trop de vacances ?

BRUCE TOUSSAINT
Mal organisées ? Est-ce qu'il ne faut pas raccourcir les vacances d'été ? Vous vous souvenez ? Emmanuel MACRON avait mis ça sur le tapis l'an dernier.

ANNE GENETET
Elles sont très régulières, elles sont… On a récupéré une partie du mois de juin, notamment au moment du lycée, au moment des examens. Ça, c'est important qu'on puisse vraiment travailler jusqu'au 30 juin, y compris dans les écoles primaires, à voir. Pour le moment, la question des rythmes scolaires qui permettrait d'avoir moins de vacances et des journées plus légères, c'est une belle ambition, on n'y est pas encore, mais il faut continuer à réfléchir, voir comment ça peut se mettre en place.

BRUCE TOUSSAINT
Merci Anne GENETET. Merci beaucoup Adrien GINDRE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 octobre 2024