Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France Inter le 18 octobre 2024, sur les conflits au Proche-Orient et en Ukraine.

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Média : France Inter

Texte intégral

ALI BADDOU
Il est 8 h 22. Et le grand entretien, ce matin avec Marion L'HOUR, nous recevons le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Vos questions aux réactions, Chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter. Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour.

MARION L'HOUR
Bonjour.

ALI BADDOU
Et bienvenu, beaucoup de questions à vous poser évidemment de très nombreux dossiers et de très nombreux dossiers qui exigent de la France une clarification et probablement aussi des réactions pour qu'on comprenne. Jean-Noël BARROT, hier soir, le Gouvernement israélien annonçait avoir éliminé le chef du Hamas, Yahya SINOUAR, c'était la cible ultime de l'armée israélienne. Il était à l'origine de l'attaque terroriste du 7 octobre. On entendait Pierre dire l'importance de ce fait de guerre. Quelle est votre réaction ? Ce matin, Benyamin NETANYAHOU disait que la mort du chef du Hamas marquait, je le cite, " Le début de la fin de la guerre à Gaza ". Comment entendre cette expression " Le début de la fin " ?

JEAN-NOËL BARROT
Yahya SINOUAR, c'était l'architecte du pire massacre antisémite de notre histoire depuis la Shoa. Ce matin, j'ai évidemment une pensée pour les 1 200 victimes de cette attaque terroriste odieuse, à nos 48 compatriotes qui sont morts ce jour-là en Israël, aux otages qui sont morts en captivité, aux deux otages français qui sont encore retenus dans les tunnels de Gaza : Ofer CALDERON, Ohad YAHALOMI. Cette mort, ce doit être un tournant, ce doit être le moment de tourner la page de la guerre à Gaza : libération des otages, cessez-le-feu inconditionnel, acheminement sans entrave et massive dans l'enclave de Gaza, et ça doit être l'occasion de faire cheminer la région vers la paix.

ALI BADDOU
Qu'on comprenne très bien, juste simplement, Benyamin NETANYAHOU dit que c'est l'éradication du chef du Hamas, c'était le but de guerre avec la mort de SINOUAR. Est-ce que ce but de guerre d'éliminer le Hamas est atteint ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous l'avez dit, c'était un but ultime que s'était fixé le Gouvernement israélien. Je crois que désormais que ce but est atteint.

ALI BADDOU
Il faut que la guerre s'arrête ?

JEAN-NOËL BARROT
Il appartient, c'est la responsabilité et c'est dans l'intérêt d'Israël que la guerre à Gaza s'arrête, que la colonisation en Cisjordanie s'arrête et que soit enfin discutée cette solution à deux États avec un État de Palestine aux côtés d'un État d'Israël qui vivent en paix et en sécurité.

MARION L'HOUR
Mais justement, est-ce qu'on peut réellement parler de tournant comme le fait le président de la République ? Parce que même Benyamin NETANYAHOU ne dit pas, " c'est la fin ", il dit, " c'est le début de la fin ". Donc, ça n'a pas fini de finir ?

JEAN-NOËL BARROT
Je constate une inflexion dans le discours de Benyamin NETANYAHOU qui, hier, annonçait que la guerre allait continuer et qui, un peu plus tard, où dans les premières heures du jour, a annoncé qu'il y avait là un moment important la fin, le début de la fin.

ALI BADDOU
Le début de la fin.

JEAN-NOËL BARROT
Moi, je souhaite que ce soit le moment de la fin de la guerre à Gaza et le moment où la Région s'engage résolument dans la direction de la paix.

MARION L'HOUR
Mais en la matière, on a quand même l'impression que, quels que soient les chefs d'organisation qui sont tués, ils sont remplacés par d'autres tout aussi extrêmes. Est-ce que ça va vraiment changer les choses ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est ce que nous souhaitons, c'est ce que nous plaidons et c'est ce que nous plaidons depuis, en réalité le 7 octobre, puisque nous sommes indéfectiblement attachés à la sécurité d'Israël, nous l'avons démontré. Nous croyons aujourd'hui que cette sécurité ne peut durablement être obtenue, ne peut être garantie qu'à condition que le dialogue et la diplomatie prennent le pas sur la force.

ALI BADDOU
Vous avez demandé directement au président, au Premier ministre israélien d'arrêter les combats, de rejoindre la volonté française de cessez-le-feu. Il y a cette question qui est très compliquée, la situation diplomatique entre la France et Israël est très tendue et encore plus depuis les propos qu'on prête au président de la République cette semaine sur Benyamin NETANYAHOU qui, je cite : " Ne devrait pas oublier que son pays a été créé par une décision de l'ONU " - Je ferme les guillemets - Réponse immédiate du Premier ministre israélien, dans un communiqué, il a affirmé que l'État d'Israël était né de la victoire de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de l'Holocauste. Est-ce qu'il y a aujourd'hui une rupture, une véritable rupture irréconciliable entre la France et Israël ?

JEAN-NOËL BARROT
Je ne crois pas. Je ne veux pas faire l'exégèse de propos qui ont été extraits de leur contexte et déformé. Je voudrais néanmoins condamner…

ALI BADDOU
Mais qui n'ont pas été démenti.

JEAN-NOËL BARROT
Je voudrais quand même condamner l'instrumentalisation coupable qui en a été faite par certains pour alimenter leur propagande antisémite, qui est intolérable et qui est illégal, mais je voudrais vous répondre sur le fond. Si la France se tient toujours du côté du droit international, c'est parce que la seule alternative au droit international, c'est la loi du plus fort et parce qu'aucun pays ne peut indéfiniment demeurer le plus fort, tous les pays du monde ont un jour ou l'autre, besoin de se placer sous la protection du droit international. C'est vrai d'Israël et c'est vrai de tous les pays et c'est pourquoi la France… Oui ?

ALI BADDOU
Mais que nos auditeurs comprennent, Monsieur le Ministre, est-ce que vous estimez, enfin, que certains, qui sont ces personnes que vous visez, ont instrumentalisé justement cette déclaration du président de la République et cette passe d'armes avec Benyamin NETANYAHOU ?

MARION L'HOUR
Certains ont voulu prétendre…

JEAN-NOËL BARROT
En déformant cette… Certains qui habituellement et notamment à l'extrême gauche, s'en sont pris à Israël dans des termes qui ne sont ni conformes avec ce qu'est la France, ni conforme avec la loi et le droit, mais je ne veux pas passer toute la matinée sur ce sujet. Ce que je voudrais vous dire sur le fond, c'est que la France dénonce systématiquement toutes les violations au droit international : à Gaza par Israël, en Israël par le Hamas, au Liban par Israël, en Israël par le Hezbollah, au Soudan, par les forces armées, en Afghanistan par les talibans, en Irak et en Syrie par les bourreaux des Yézidis, en Ukraine, par la Russie ou encore en Arménie par l'Azerbaïdjan. Nous sommes toujours du côté des opprimés et nous sommes toujours du côté du droit international de la justice.

MARION L'HOUR
Mais qui a créé Israël ? C'est une décision de l'ONU où ce sont les combattants héroïques israéliens, dont la plupart étaient rescapés de l'Holocauste ?

JEAN-NOËL BARROT
Je ne veux pas me lancer dans cette explication historique que chacun a bien en tête. Ce qui est clair, c'est qu'Israël, comme tous les pays du monde, a eu, a, aura besoin, à un moment ou à un autre, dans son histoire, de se placer sous la protection du droit international et des Nations unies, c'est la raison pour laquelle nous devons tout faire aujourd'hui, nous devons tout faire aujourd'hui pour défendre les Nations unies. Et c'est pourquoi, alors même que nous sommes si attachés à ce pays d'Israël où nous avons 180 000 ressortissants qui vivent un cauchemar depuis un an, ce n'est pas faire offense au peuple d'Israël et au peuple juif que de dire au Gouvernement d'Israël aujourd'hui de laisser entrer massivement l'aide humanitaire à Gaza, de cesser de coloniser la Cisjordanie, de s'abstenir de prendre pour cible les casques bleus et tout simplement de s'engager dans les discussions de paix.

MARION L'HOUR
Défendre les Nations unies, ça veut dire qu'elles sont attaquées aujourd'hui par Israël ?

JEAN-NOËL BARROT
Benjamin NETANYAHOU a démontré, lorsqu'il s'en est pris directement à des responsables d'agence des Nations Unies ou même au Secrétaire général des Nations unies, lorsqu'il porte atteinte aux Casques bleus de la FINUL au Liban, qu'il déconsidérait les Nations unies. Nos devoirs…

ALI BADDOU
Quand vous dites " porte atteinte ", c'est quand un char israélien, par exemple, ouvre le feu sur des casques bleus de la FINUL ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, entrent dans des emprises, fait des blessés, laisser parmi les contingents de la FINUL. Je rappelle que nous avons 700 soldats français…

ALI BADDOU
Donc la FINUL est une cible de l'armée israélienne ?

JEAN-NOËL BARROT
Elle a été touchée par des tirs de l'armée israélienne, ce qui est absolument intolérable, ce qui est absolument intolérable.

MARION L'HOUR
C'est accidentel ou c'est volontaire ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, les Casques bleus, ils ont un casque bleu précisément pour être vu de loin. Donc, il est difficile de ne pas les détecter dans le paysage, c'est pourquoi nous l'avons dénoncé, c'est pourquoi nous avons amené les Européens à le dénoncer et c'est pourquoi nous avons amené les Nations unies à dénoncer ces agissements et c'est pourquoi la France, qui est garante de cet ordre international dont elle est l'un des membres-fondateurs, continuera de le faire inlassablement.

ALI BADDOU
Vous êtes allé deux fois dans la région ces dernières semaines. Est-ce que la France a encore la moindre influence sur ce qu'il se passe là-bas ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois qu'elle en a puisque si je reprends votre question précédente, lorsque le président de la République a tenu des propos qui, sortis de leur contexte et déformé, ont été entendus jusqu'en Israël, c'est le Premier ministre israélien lui-même…

ALI BADDOU
Mais qui n'ont pas été démenti.

JEAN-NOËL BARROT
C'est le Premier ministre israélien lui-même qui répond et c'était la même chose qui s'était produite il y a huit ou dix jours, c'est bien que la voix de la France est entendue et qu'elle est et qu'elle est entendue. Et c'est vrai dans la région, c'est vrai singulièrement au Liban, pays cher à la France, pays ami de la France, pays si fragile et ce n'est pas un hasard si le 24 octobre prochain, c'est à Paris que se tiendra la grande conférence internationale de soutien au Liban.

ALI BADDOU
Une conférence pour quoi faire alors que le pays est toujours sous les bombes, est-ce qu'il est déjà temps de reconstruire ? Ou est-ce que c'est uniquement pour demander à Israël de permettre l'arrivée d'une aide humanitaire qui n'arrive pas à accéder dans certaines régions du Liban ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous avez raison, l'aide humanitaire est acheminée de manière très difficile dans le sud du Liban et c'est inacceptable, mais le but de cette conférence, c'est d'abord de rallier le plus grand nombre possible de pays à l'aide humanitaire dont le Liban a besoin, des milliers de blessés, des milliers de morts, dont des femmes et des enfants, dont deux de nos compatriotes, des dizaines de milliers de blessés, plus d'un million de personnes déplacées, un pays au bord du gouffre, donc de l'aide humanitaire d'abord. Ensuite, le renfort que nous souhaitons apporter aux forces armées libanaises qui, avec la FINUL dans le sud du Liban, auront un rôle central à jouer pour garantir les conditions de la paix, c'est-à-dire l'intégrité et la souveraineté du Liban d'un côté, et la sécurité d'Israël de l'autre. Et puis ce sera également l'occasion de parler de l'avenir institutionnel du Liban qui n'a toujours pas de président de la République depuis deux ans.

MARION L'HOUR
Si on en croit Le Figaro, Jean-Noël BARROT, l'Iran serait prêt à négocier avec la France pour un cessez-le-feu au Liban, c'est en tout cas ce que laisse entendre le président du parlement iranien. Est-ce que vous avez connaissance de ce changement de position de Téhéran ?

JEAN-NOËL BARROT
Lorsque les conditions sont réunies, la France parle à tout le monde et lorsque nous avons, il y a trois semaines, proposé une formule de trêve pour le Liban, suivi d'un cessez-le-feu durable, nous avons échangé avec l'Iran, qui est un acteur important de la région.

MARION L'HOUR
Qui finance le Hezbollah, la milice chiite libanaise.

JEAN-NOËL BARROT
Absolument et qui avait, si l'on peut dire… Qui méritait d'être consulté pour que cette proposition puisse être crédible.

MARION L'HOUR
Donc, à qui vous dites, " On est prêt à parler " ?

JEAN-NOËL BARROT
Je constate, j'accueille favorablement cette réaction de la part de l'Iran qui appelle à son tour, d'une certaine manière, au cessez-le-feu. Maintenant, il faut que les propos soient suivis des actes.

MARION L'HOUR
Vous êtes optimiste ?

JEAN-NOËL BARROT
Si vous voulez, quand on est diplomate, on ne se demande pas si on est optimiste ou si on est pessimiste. Et je le dis en rendant hommage à nos ambassadeurs et aux agents dans nos postes dans la région qui oeuvre, du matin au soir, sans certitude que leurs efforts porteront, mais avec le souhait et la détermination de faire avancer les choses.

ALI BADDOU
Hier, le Premier ministre britannique, Keir STARMER, a annoncé, devant les membres du Parlement, étudier la piste de sanctions visant les ministres israéliens et ultranationalistes BEN-GVIR, SMOTRICH. Est-ce que l'Union européenne devrait suivre le mouvement et faire la même chose ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce qui se passe en Cisjordanie est une atteinte brutale qui fragilise très directement la perspective d'un État de Palestine vivant en paix et en sécurité aux côtés d'un Etat d'Israël. C'est pourquoi la France a pris, à titre national, des sanctions à l'encontre de 28 colons extrémistes et violents. C'est pourquoi…

ALI BADDOU
Là, on parle de membres du Gouvernement israélien.

JEAN-NOËL BARROT
Tout à fait. Et c'est pourquoi la France a, au niveau européen, entraîné ses partenaires à prendre deux trains de sanctions à l'encontre d'individus et d'entités complices ou coupables de faits de colonisation. Et c'est pourquoi aujourd'hui, nous continuons de travailler pour qu'un troisième train de sanctions puisse, une nouvelle fois rappeler, si je puis dire, ces mouvements à l'ordre, car aujourd'hui, il travaille contre toute perspective de paix.

MARION L'HOUR
On entend, Jean-Noël BARROT, vos propos assez durs à l'égard d'un certain nombre de personnes en Israël, à la fois ce train de sanctions dont vous parlez, à la fois le fait que certains casques bleus auraient pu être pris pour cible. Et en même temps, le Président de la République dit, je le cite, que la France n'a jamais fait défaut à Israël. Comment est-elle tenable cette position ?

JEAN-NOËL BARROT
La France se tient aux côtés d'Israël, notamment pour sa sécurité. Lorsque Israël est la cible d'une attaque balistique inédite et brutale de la part de l'Iran. La France mobilise ses moyens militaires pour aider Israël à la pareille. Ça a été le cas au mois d'avril ; ça a été une nouvelle fois le cas au mois d'octobre. Lorsque la sécurité d'Israël est menacée par le programme nucléaire iranien, la France est en première ligne des efforts internationaux pour faire échec à ce programme. Et lorsque Israël subit sur son sol le pire pogrom de notre histoire depuis la Shoah, c'est encore la France qui entraîne les Européens à prendre des sanctions à l'encontre des dirigeants du Hamas. Mais aujourd'hui, aujourd'hui, la sécurité d'Israël - cette sécurité à laquelle nous sommes si attachés - elle passe par la diplomatie et par le dialogue. Et la force doit céder la place à la négociation.

ALI BADDOU
Pour le moment, la garantie d'Israël… la garantie de la sécurité d'Israël, elle a été obtenue par la force et par la force de l'armée israélienne.

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que les Nations Unies, le droit international sont de manière durable parce qu'il n'ait de paix…

ALI BADDOU
Vraiment, malgré les propos de Benyamin NETANYAHOU contre le Secrétaire général des Nations Unies, par exemple ?

JEAN-NOËL BARROT
Mais vous savez, les Nations Unies, elles ne sont pas parfaites. Et l'ordre international mérite d'être renforcé. C'est pourquoi, au même moment où nous dénonçons toutes les violations au droit international et toutes les atteintes aux Nations Unies, nous proposons aussi des réformes des Nations Unies pour faire rentrer dans ce Conseil de sécurité l'Inde, le Japon, le Brésil, l'Allemagne, pour donner toute la force dont ces institutions ont besoin pour faire respecter le droit et la justice partout dans le monde.

ALI BADDOU
Autre sujet important, c'est le Conseil européen qui se tient en ce moment à Bruxelles, avec l'immigration comme thème majeur de discussion entre les 27 qui ont du mal à s'accorder. Certains ont parlé d'orbanisation des esprits en Europe, en référence à Viktor ORBAN. L'Italie, on l'a vu, cette semaine a demandé au gouvernement albanais d'accueillir des migrants interceptés par la marine ou par les garde-côtes italiens. L'Allemagne a l'air intéressée. Est-ce que ce modèle italien pourrait être une inspiration pour la France ? Michel BARNIER et Bruno RETAILLEAU - ce n'est pas un hasard - sont attendus à la frontière italienne aujourd'hui.

JEAN-NOËL BARROT
Vous me parlez du modèle italien. Sa caractéristique principale, si je regarde les faits, c'est la décision qui a été prise par madame MELONI au mois de décembre 2023, d'attribuer 402 000… 452 000 titres de séjour, visa de travail à des étrangers. Et je ne peux pas m'empêcher de relever que nous avons voté une loi au mois de janvier de cette année 2024 en France, qui permet de faciliter l'accès au travail de ceux qui arrivent sur notre sol. Je crois qu'ils seraient heureux que nous puissions l'appliquer.

ALI BADDOU
Mais vous oubliez aussi l'autre volet de la politique MELONI qui est le transfert de migrants dans des pays tiers.

JEAN-NOËL BARROT
Vous me parlez de seize personnes qui ont été transférées en Albanie ; je vous parle de 452 000 personnes que Giorgia MELONI entend faire entrer en Italie. Et par ailleurs, je voudrais simplement… pour faire le lien peut-être avec… dans une transition inversée avec les sujets précédents : où se joue l'avenir des flux migratoires de l'Europe aujourd'hui ? Et bien, il se joue au Liban. Parce que si nous ne faisons rien, le Liban, demain, ressemblera à la Syrie aujourd'hui, c'est-à-dire un foyer d'émigration massive de civils innocents qui fuient les persécutions en Europe.

MARION L'HOUR
Sur ce sujet de l'immigration, il y a eu une demande quand même en conclusion du Conseil européen, hier, des 27, qui ont demandé d'urgence une nouvelle loi contre l'immigration irrégulière. Il y a vraiment urgence quand on voit que les flux de migrations ont baissé de 42% sur les neuf premiers mois de cette année par rapport à l'an dernier ?

JEAN-NOËL BARROT
Justement, vous savez, cette question des migrations en Europe est née en 2015 avec l'afflux en Europe des réfugiés syriens qui fuyaient la guerre et les persécutions. Ça a mis dix ans. On a mis du temps et on a enfin réussi à sortir ce qu'on appelle le Pacte sur l'immigration et l'asile qui repose sur…

MARION L'HOUR
Qui n'est pas encore appliqué.

JEAN-NOËL BARROT
Qui est adopté mais qui est tellement ambitieux qu'il va mettre encore deux ans pour s'appliquer pleinement. Et c'est pourquoi nous soutenons l'application la plus rapide possible, la plus anticipée possible de toutes ces dispositions.

MARION L'HOUR
Pourquoi demander une nouvelle loi alors ?

JEAN-NOËL BARROT
Est-ce qu'il faut aller plus loin ? C'est possible parce que dans le droit européen, il y a des choses qui sont anciennes et qu'il faut revoir. Mais il y a aussi des choses que nous pouvons faire au niveau national s'agissant de la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Je voudrais vous donner un exemple…

ALI BADDOU
Un exemple avant de passer à l'Ukraine.

JEAN-NOËL BARROT
Un exemple, c'est celui des retours aidés. Vous savez, quand on veut reconduire un étranger en situation irrégulière à la frontière, on peut soit le faire de manière forcée, un retour forcé dont on parle beaucoup, soit de manière aidée, un retour aidé dont on parle beaucoup moins. Beaucoup moins alors qu'en 2022, nous en avons fait 5 000 en France ; c'est cinq fois moins que l'Allemagne. Oui, c'est cinq fois moins que l'Allemagne, alors que ça coûte cinq fois moins cher que les retours forcés. Je crois que nous pourrions utilement mobiliser, je dirais, plus volontairement ce levier.

ALI BADDOU
Bientôt les questions des auditeurs. Jean-Noël BARROT, il y a évidemment le sujet ukrainien, qui est toujours très sensible. Volodymyr ZELENSKY vient de présenter ce qu'il appelle un plan de la victoire, qui ressemble surtout à un plan pour mettre fin à la guerre. C'est un plan pour permettre à l'Ukraine de négocier en position de force. Est-ce que ce plan est soutenu par la force ? Est-ce qu'il faut déjà, dès aujourd'hui, commencer à discuter avec Vladimir POUTINE ou est-ce qu'il faut d'abord donner les moyens aux Ukrainiens de prendre la main pour négocier en position de force ?

JEAN-NOËL BARROT
Il faut d'abord donner aux Ukrainiens les moyens de négocier, au moment où ils le choisiront, en position de force. C'est ce que nous faisons avec les transferts d'équipements militaires depuis deux ans et demi. Il faut aussi préparer la paix. Et dans le cadre du plan de paix proposé par le Président ZELENSKY… J'ai accueilli hier, à Paris, une conférence sur la sûreté et la sécurité nucléaire en Ukraine. Parce qu'aujourd'hui, elle est en jeu ; mais aussi parce que demain, il faudra - pour que l'Ukraine puisse se reconstruire - que la centrale Zaporijia qui est la plus puissante des centrales nucléaires en Europe - puisse réouvrir. Donc, ce sont ces deux chantiers que nous menons en parallèle.

ALI BADDOU
Mais donc pas question de discuter, dès aujourd'hui, avec Vladimir POUTINE, comme le souhaite Olaf SCHOLZ ?

JEAN-NOËL BARROT
Les Ukrainiens ont souhaité que lors du prochain sommet de paix qui devrait être organisé avant la fin de l'année, la Russie puisse être invitée. Nous accueillons favorablement cette initiative, mais encore faut-il que la Russie de Vladimir POUTINE change sa grammaire, qu'elle adopte la grammaire du droit international, qu'elle y intègre l'intégrité territoriale, la souveraineté de l'Ukraine, sans quoi nous aurons des difficultés sans doute à nous entendre.

MARION L'HOUR
Mais là, on change quand même de discours, Jean-Noël BARROT ? Parce que jusqu'ici, il n'était pas question de négocier avec la Russie ; c'était l'envahisseur, c'était l'attaquant. Aujourd'hui, on s'assoit à la même table et on discute ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est toujours l'envahisseur, c'est toujours l'attaquant, c'est toujours l'agresseur et nous l'appelons toujours à se retirer de l'Ukraine.

MARION L'HOUR
Et on peut discuter avec eux qu'avec un envahisseur et un attaquant ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est depuis le début, notre position. C'est aux Ukrainiens de décider du moment à partir duquel les discussions de paix peuvent se tenir. C'est l'Ukraine qui est agressée. Si, lors de ce prochain sommet de paix, les conditions sont réunies pour que la Russie soit invitée, très bien. Pour ma part, je veillerai attentivement à ce que la Russie ait adopté un autre langage qui est celui du droit international que nous défendons.

ALI BADDOU
Question aussi vieille que la Cinquième République, Jean-Noël BARROT. Est-ce qu'il y a un domaine réservé du Président de la République en matière de politique étrangère ? Vous, par exemple, est-ce que vous vous rendez des comptes à Michel BARNIER ou à Emmanuel MACRON ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, je suis ministre du Gouvernement de Michel BARNIER. Le Président de la République, comme chef de l'Etat, a une responsabilité éminente en matière d'affaires étrangères et tous les Français le savent. Et donc nous travaillons tous les trois. Je travaille à leurs côtés pour que la voix de la France soit forte…

ALI BADDOU
Et vous la portez, la voix de la France, à l'étranger. Je disais que vous étiez au Proche-Orient. Vous partez tout à l'heure…

JEAN-NOËL BARROT
En Ukraine.

ALI BADDOU
En Ukraine, justement, pour porter le message du Président de la République ou de Michel BARNIER ?

JEAN-NOËL BARROT
Je me rends en Ukraine pour porter la voix de la France, pour rappeler que la France ne se détourne d'aucune crise, pour dire que ce qui se joue en Ukraine, c'est la sécurité de notre continent - sécurité, y compris alimentaire et énergétique - que ce qui se joue là-bas, c'est aussi une catastrophe humanitaire. Et je consacrerai une partie de ce déplacement au sort des enfants de l'Ukraine et notamment les enfants kidnappés et déportés…

ALI BADDOU
Par les Russes.

JEAN-NOËL BARROT
…par le régime russe. Il sera aussi l'occasion, une nouvelle fois, de réaffirmer que si l'Ukraine tombait, eh bien, ce serait la consécration de la loi du plus fort et que cela, nous ne pouvons l'accepter.

MARION L'HOUR
Mais dans la presse aujourd'hui, il y a des analystes qui font un diagnostic d'un désengagement américain en Ukraine. En gros, les Etats-Unis laisseraient le dossier à l'Union européenne. Est-ce que l'Europe a les moyens de se charger de ce dossier-là ?

JEAN-NOËL BARROT
L'Europe vient d'avancer en s'accordant sur un prêt allant jusqu'à 35 milliards d'euros fondés sur les revenus d'aubaine, tirés des actifs russes gelés, des actifs russes sanctionnés. C'est une étape importante parce qu'avec 35 milliards d'euros, c'est autant de force que nous pouvons donner aux Ukrainiens.

ALI BADDOU
Je disais qu'il y avait énormément de dossiers à aborder avec vous. Et tiens, Dominique, bonjour et bienvenue sur Inter. Vous avez une question pour le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.

DOMINIQUE, AUDITEUR
Oui, je voudrais savoir tout simplement si la France va donner accès à la demande d'asile politique de Paul WATSON.

ALI BADDOU
Merci Dominique pour la question. Elle a le mérite d'être simple et claire. Paul WATSON qui est en prison au Groenland et qui risque l'extradition vers le Japon.

JEAN-NOËL BARROT
Merci beaucoup Dominique. C'est une situation que nous suivons très attentivement jusqu'au Président de la République lui-même. Nous analysons la demande qui a été faite. Je crois qu'en principe, une demande d'asile ne peut être faite que sur le sol français ; là encore, un lien avec les sujets que nous abordions tout à l'heure. Et dans ces conditions, il serait difficile de lui répondre. Mais c'est un sujet que…

ALI BADDOU
Donc, il n'est pas question pour le moment de lui accorder le droit d'asile ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous examinons cette demande. Mais, en principe, une demande d'asile doit être faite sur le sol du pays dans lequel on demande l'asile.

ALI BADDOU
Je rappelle, Paul WATSON qui est à la tête de Sea Shepherd, cette ONG qui lutte contre les baleiniers et qui essaie de protéger les mammifères marins. Donc il y a énormément de questions à vous poser, beaucoup de questions auxquelles vous devrez encore répondre. Merci infiniment Jean-Noël BARROT, d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.

MARION L'HOUR
Merci.

ALI BADDOU
Et on vous laisse filer donc directement vers l'Ukraine en sortant de ce studio.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 octobre 2024