Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le conflit en Ukraine, à Kiev le 19 octobre 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de M. Andrii Sybiha, ministre des affaires étrangères de l'Ukraine

Texte intégral

Merci, Monsieur le ministre, cher Andrii. Si j'ai répondu à ton invitation, à celle du Président Zelensky, c'est parce que votre combat c'est aussi le nôtre. En résistant contre l'envahisseur avec du courage hors commun pour lutter pour l'intégralité territoriale, vous tenez aussi la ligne de front qui sépare l'Europe de la Russie de Vladimir Poutine, qui sépare la liberté de l'oppression. Car si l'Ukraine devait tomber, ce que nous ferons tout pour éviter, d'autres pays suivraient. Et ce sont les prix de l'énergie, les prix des céréales qui seraient impactés par des conséquences incalculables pour le quotidien des Européens et des Français.

C'est pourquoi je me suis rendu ce matin avec toi devant le mur des héros pour leur rendre hommage, et c'est pourquoi j'irai cet après-midi au Centre Pintchouk de reconstruction des blessés de guerre. C'est pourquoi j'irai demain dans l'est de l'Ukraine, où entrèrent avec fracas des chars de l'agresseur, comme étant des nombreuses exactions à l'encontre des civils, où les valeureuses forces ukrainiennes repoussent les assauts de l'agresseur et d'où elles lancèrent une formidable contre-offensive sur Koursk.

Si je suis aujourd'hui en Ukraine, c'est aussi parce que le peuple ukrainien, un peuple ami de la France, subi dans sa chair les blessures profondes de la guerre. Il n'y a pas aujourd'hui de situation humanitaire plus grave sur tout le continent européen que celle qui empire ici de jour en jour. Des milliers de morts civiles, des dizaines des milliers de blessés, des millions de déplacés, des familles qui s'apprêtent à entrer dans l'hiver froid de l'Ukraine avec des capacités de production énergétique détruites aux deux tiers par les frappes incessantes de la Russie. Des enfants kidnappés, déportés, arrachés à leurs familles, un véritable crime de guerre que rien au monde ne pourra jamais justifier ni excuser.

C'est pourquoi je visiterai aujourd'hui le Centre de protection des droits de l'enfant, aux cotés de Monsieur Loubinets, commissaire pour les droits de l'homme et aux cotés de l'UNICEF. Et c'est pourquoi j'annoncerai la création financée par la France de deux nouveaux centres à Dnipro et à Kharkiv, où les enfants, à leur retour, seront pris en charge pendant 3 mois, 6 mois parfois, pour évaluer leur état de santé physique et mentale et les accompagner vers la rémission.

Enfin, si je suis aujourd'hui en Ukraine, c'est parce que la France ne détourne le regard d'aucune violation du droit international dont elle est garante. Et parce qu'une victoire de la Russie consacrerait à la loi du plus fort et précipiterait l'ordre international vers le chaos. C'est pourquoi nos échanges, cher Andrii, doivent nous permettre de faire avancer le Plan de paix du Président Zelensky et d'y rallier le plus grand nombre des pays. Comme je l'ai fait ce jeudi en accueillant à Paris la conférence ministérielle du premier groupe de travail sur la sûreté et la sécurité nucléaire.

Ma visite, tu l'as rappelé, s'inscrit dans le sillage très intense concernant l'Ukraine et ses partenaires. La semaine dernière, le Président Zelensky était à Paris où il s'est entretenu avec le Président de la République et lui a présenté son Plan pour la victoire. Cette semaine à l'Union européenne a été acté un prêt à l'Ukraine fondé sur les revenus d'aubaine tirés des actifs russes gelés, pouvant aller jusqu'à 35 milliards d'euros. Et le même jour le Président Zelensky s'est adressé au Conseil européen et au Conseil des ministres de l'OTAN en présentant son Plan de la victoire. Hier, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, réunis au niveau des chefs d'Etat, ont réaffirmé avec force leur soutien à l'Ukraine.

Vous l'aurez compris, en dépit de la multiplication des crises, l'Ukraine reste et restera notre priorité. En misant sur notre lassitude et notre démobilisation, Vladimir Poutine a fait une très lourde erreur. Notre détermination est intacte. Et lorsque le troisième hiver de guerre approche et que la Russie de Vladimir Poutine poursuit sa guerre d'agression illégale et injustifiable, la France soutiendra l'Ukraine aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire.

Notre soutien se décline aujourd'hui d'une manière concrète : dans le domaine militaire nous avons fourni aux forces armées ukrainiennes des équipements qui contribuent à la défense du pays. La mise en oeuvre des engagements pris par le Président de la République se poursuit. La France est ainsi le premier pays à former et à équiper entièrement une brigade ukrainienne sur son sol, la brigade Anne de Kiev, à la rencontre de laquelle le Président de la République est allé la semaine dernière. Les premiers Mirages 2000 seront livrés à l'Ukraine dès le 1er trimestre 2025. En parallèle, la formation des pilotes et des mécaniciens Ukrainiens continue. De son côté le groupe franco-allemand KNDS a ouvert une filiale en Ukraine il y a 10 jours. Celle-ci permettra de faciliter la réparation et la maintenance de nos équipements en Ukraine.

Dans le domaine civil et humanitaire, nous avons alloué plus de 3 milliards d'euro d'aide aux Ukrainiens et aux Ukrainiennes depuis le début de la guerre et cela continue. Et je vais vous donner deux exemples très récents et très concrets.

D'abord, grâce au fonds bilatéral de 200 millions euros consenti par la France et que la Rada a ratifié il y a quelques semaines, 18 projets ont été retenus lors du Comité ukrainien qui s'est réuni il y a 10 jours pour un montant total de 187 millions d'euros. Ces 18 entreprises françaises ont développé notamment un réseau de distribution d'eau à Kharkiv, à Kryvy Rih, un réseau de télémédecine dans tous le pays, mais aussi des robots de déminage terrestre, des échographes portatifs ou des unités solaires mobiles.

Deuxième exemple : grâce à la mobilisation du gouvernement français, a été signé à Paris l'investissement étranger le plus important depuis 10 ans en Ukraine avec le rachat par un groupe Français NJJ de deux opérateurs de téléphonie fixe et mobile avec le soutien de la Banque mondiale et de la BERD, un projet de l'ordre de 1 milliard d'euros qui permettra d'assurer à l'Ukraine le réseau de communication robuste pour engager sa reconstruction.

Notre soutien, tu l'as rappelé, revêt aussi une dimension européenne avec la décision historique d'octroyer le statut de pays candidat à l'Ukraine en décembre 2023. Et j'ai moi-même assisté le 25 juin dernier à Luxembourg à la conférence intergouvernementale historique actant l'ouverture effective des négociations d'adhésion, une ouverture pour laquelle j'ai ardemment milité dans mes précédentes fonctions. Je salue la détermination admirable des autorités à mettre en oeuvre les réformes nécessaires dans un contexte extrêmement difficile. La France est là pour les aider en mettant à disposition des administrations ukrainiennes des experts techniques internationaux.

Enfin, nous soutenons activement les efforts diplomatiques de l'Ukraine, qui continue d'oeuvrer pour une paix juste et une paix durable. A cet égard, depuis le lancement de la formule de paix, un processus de discussion nourri, auquel un nombre croissant de pays participent, a été lancé. La France le soutient pleinement et l'a témoigné cette semaine, je l'ai dit, en accueillant la conférence ministérielle sur la sécurité et la sûreté nucléaire en Ukraine, jalon essentiel dans la préparation vers le second Sommet pour la paix.

Nos échanges aujourd'hui, cher Andrii, et je m'en félicite, ont reflété la densité de l'amitié franco-ukrainienne. Soyez assurés que j'aurai à coeur, ici en Ukraine, comme lorsque je serai de retour en France, à soutenir inlassablement votre combat pour la liberté, pour que vive l'Ukraine, pour que vive l'Europe, que vive la République et que vive la France.


Q - [Réaction à la décision de la Corée du Nord d'envoyer des troupes en Ukraine.]

R - Si c'était avéré, et nous écoutons nos partenaires ukrainiens sur le sujet, ce ne serait pas une surprise puisque le soutien de la Corée du Nord à l'effort de guerre russe est connu depuis longtemps. Ce serait néanmoins extrêmement grave, parce que cela ferait entrer le conflit dans une nouvelle étape, une étape escalatoire supplémentaire. Ce serait d'une certaine manière aussi une exportation par la Russie de ce conflit vers l'Asie. Mais si je puis dire, ce serait la confirmation que la Russie de Vladimir Poutine peine terriblement à percer les défenses et la résistance ukrainiennes au point d'avoir à faire appel à la Corée du Nord pour leur venir en renfort.

(...)

Q - Zelensky a mentionné que les partenaires de l'Ukraine, y compris les Etats-Unis, l'Italie, la France et l'Allemagne, souhaitent parvenir à une décision commune sur l'utilisation d'armes à longue portée contre des cibles militaires en Russie. Pouvez-vous confirmer cette information et quelle est la position de la France sur ce sujet en général ? Je vous remercie.

R - Je peux vous répondre sur la position de la France, qui a été exprimée de manière très claire par le président de la République le 25 mai dernier à Meseberg en indiquant que les frappes dans la profondeur étaient l'un des éléments qu'il appartient à l'Ukraine d'activer dans un cadre de légitime défense, à condition, effectivement, que cela puisse être utile et que cela puisse être coordonné avec les alliés que vous venez de citer.

Q - Encore une question sur les frappes en profondeur en Russie. Est-ce qu'il y a un accord entre les différents partenaires de l'Ukraine, parce que d'après ce qu'on sait, ça devrait être réglé aussi dans le cadre d'un accord entre les partenaires.

R - Vous me permettrez de ne pas m'exprimer au nom des partenaires. Je viens de vous exprimer la position de la France. Nous tentons, c'est tout l'objet de notre travail diplomatique, de rapprocher la position de nos partenaires de notre position. C'est l'un des éléments du plan pour la victoire présenté par le Président Zelensky et c'est un point que nous soutenons.

(...)

Q - Je voudrais clarifier les choses : nous avons entendu Monsieur le ministre français dire que la France soutient le Plan pour la victoire de l'Ukraine. La question est donc la suivante : la France soutient-elle également le premier point, en particulier l'invitation faite à l'Ukraine de rejoindre l'OTAN dès maintenant, sous conditions, d'ici la fin de l'année ? Par ailleurs, Monsieur le Ministre, Monsieur Andrii, la France est-elle prête à promouvoir le Plan de victoire de l'Ukraine, tel qu'il est discuté ? Parce que nous comprenons que l'Ukraine a besoin d'une coalition de soutien, la France nous aidera-t-elle à le faire ? Je vous remercie de votre attention.

R - Je peux répondre pour la partie française. Si nous soutenons le plan pour la victoire, c'est parce que nous sommes, depuis bientôt mille jours, au côté de l'Ukraine que nous soutenons et que nous soutiendrons aussi longtemps et aussi intensivement que nécessaire. C'est pourquoi comme j'ai pu le décliner dans mon propos introductif sur le plan financier, sur le plan humanitaire et civil, sur le plan militaire, sur le plan européen, nous avons à chaque étape tenté d'apporter à l'Ukraine toute la force dont elle a besoin pour résister à l'agresseur, et pour pouvoir se préparer le moment venu, à un moment qu'elle doit choisir, et dans des conditions qu'elle fixera, d'ouvrir des négociations de paix.

S'agissant de l'invitation à rejoindre l'OTAN, le Président de la République l'a dit la semaine dernière lors de la visite du Président Zelensky à Paris. Nous y sommes ouverts, et c'est une discussion que nous avons aujourd'hui avec nos partenaires de l'OTAN, et une conversation à laquelle nous associons évidemment nos partenaires ukrainiens. (...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2024