Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RTL le 23 octobre 2024, sur les conflits au Proche-Orient et en Ukraine.

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Média : RTL

Texte intégral

Q - Bonjour et bienvenue sur RTL, Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour,

Q - L'hymne américain, pour commencer, car dans quinze jours à cette heure-là, on connaîtra en principe le nom du gagnant ou de la gagnante de la prochaine présidentielle américaine. Donald Trump semble avoir de nouveau le vent dans le dos. La victoire de Trump serait-elle la catastrophe que certains redoutent ?

R - Les Etats-Unis, ce sont nos alliés de très longue date, et donc nous prendrons le président que les citoyens américains nous donneront. Mais vous le savez, la France n'indexe pas ses positions sur la vie politique américaine. L'Europe non plus d'ailleurs, puisque sous l'impulsion de la France, elle a commencé à bâtir les conditions de sa propre autonomie.

Q - On a quand même l'impression que hors micro, la France vote plutôt Kamala Harris que Donald Trump.

R - Vous savez, l'amitié franco-américaine a deux siècles et elle a survécu à cinquante-neuf élections présidentielles américaines. Elle survivra à une soixantième.

Q - Absolument. Trump, qui a affirmé que l'attaque du 7 octobre en Israël n'aurait jamais eu lieu s'il avait été au pouvoir. On sait aussi que le résultat de cette élection américaine pourra peser sur le conflit au Proche-Orient. On a besoin d'une clarification nette et précise sur le sujet : Emmanuel Macron a-t-il aujourd'hui un problème avec Israël ?

R - Aucun problème. Emmanuel Macron porte la voix de la France qui est constante et qui est ferme, c'est celle du droit international et de la justice. Et bien que la situation au Proche-Orient soit compliquée et bien que le peuple français soit un peuple ami du peuple israélien, le peuple juif...

Q - Là, il y a une grande compréhension, en fait.

R - Non, ce n'est pas faire offense au peuple d'Israël et au peuple juif que de rappeler au gouvernement israélien qu'il doit se conformer au droit international : permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire à Gaza ou au Liban, s'abstenir...

Q - Il y a eu d'autres déclarations qui ont froissé les Israéliens.

R - ... s'abstenir de porter atteinte aux casques bleus de la FINUL au Liban, s'abstenir de s'en prendre aux dirigeants des Nations unies comme le secrétaire général, ou encore mettre fin à sa politique de colonisation qui s'est beaucoup accélérée ces dernières années en Cisjordanie...

Q - Donc c'est quoi, une ligne ferme et amicale, c'est ça ?

R - Vous savez, la ligne de la France, elle est toujours la même, que ce soit au Proche-Orient, en Ukraine, en Arménie, au Soudan, en Afghanistan, en Irak. C'est celle de la justice et du droit international.

Q - La France, elle fait souvent des phrases et pour les actes, des fois, il faut attendre. Pourquoi la France, qui répète donc qu'elle est pour une solution à deux Etats, ne reconnaît-elle pas l'Etat de Palestine, comme l'ont fait beaucoup d'autres pays, y compris européens ?

R - Je ne peux pas vous laisser dire que la France ne fait que des phrases et qu'elle n'agit pas, et notamment dans le cas de Gaza que vous citez. Puisqu'il y a un an, c'est la France qui, la première, a organisé une conférence internationale en soutien à Gaza, qui a permis de lever un milliard d'euros. C'est la France qui est le premier pays occidental à avoir soigné des blessés gazaouis sur le porte-hélicoptères que nous avions déployé sur place. C'est encore la France qui a été motrice pour que des sanctions soient adoptées à l'encontre des colons extrémistes et violents en Cisjordanie. Et la France est aujourd'hui l'un des très rares pays du monde qui soutient directement l'Autorité palestinienne. Et oui, nous plaidons pour que dans la région, on puisse cheminer vers une solution à deux Etats avec un Etat de Palestine qui vive en paix et en sécurité aux côtés d'Israël...

Q - Pourquoi ne pas reconnaître cet Etat, aujourd'hui, puisque c'est un état de fait ?

R - Parce que la reconnaissance de la France, nous la concevons, le Président de la République l'a dit, comme un moyen d'obtenir des reconnaissances collectives, le plus grand nombre possible de reconnaissances de l'Etat de Palestine, et réciproque, c'est-à-dire des reconnaissances également de l'Etat d'Israël, avec des garanties de sécurité pour ces deux Etats, qui doivent pouvoir vivre en paix durablement.

Q - Et pendant ce temps-là, Jean-Noël Barrot, les frappes israéliennes au Liban se poursuivent. Ce matin même, l'armée israélienne appelle à évacuer des secteurs de tirs avant une nouvelle opération dans le sud du Liban. Les Israéliens qui affirment avoir tué celui qui devait succéder à Hassan Nasrallah, il s'appelait Hachem Safieddine. Est-ce que vous soutenez ? Est-ce que la France soutient Israël dans cette guerre contre le Hezbollah ?

R - C'est le Hezbollah qui a entraîné le Liban dans cette guerre en le précipitant dans le chaos, en décidant, après le 7 octobre, au lendemain du 7 octobre, de faire pleuvoir le feu de ses roquettes sur Israël. Ce que nous souhaitons aujourd'hui, dans l'intérêt du Liban, qui est un pays cher à la France, dans l'intérêt d'Israël, c'est qu'un cessez-le-feu puisse intervenir immédiatement pour que nous puissions mettre en oeuvre cette résolution 1701.

Q - Pardon, vous n'avez pas répondu à ma question. Est-ce que la France soutient Israël dans sa lutte contre le Hezbollah comme elle a pu soutenir Israël dans sa lutte contre les terroristes du Hamas ?

R - Je vous le dis, la position de la France, c'est d'appeler aujourd'hui immédiatement à un cessez-le-feu au Liban de manière à ce que puisse être en oeuvre ce qu'on appelle dans le jargon diplomatique, la résolution 1701 des Nations unies, qui permet de garantir, d'un côté la souveraineté et l'unité du Liban, et de l'autre de donner les garanties de sécurité à Israël pour que les 60.000 personnes qui ont dû quitter leurs foyers après le 7 octobre dans le nord d'Israël puissent y retourner.

Q - Vous n'avez pas répondu à ma question, on est d'accord ?

R - J'ai répondu à votre question : la position de la France, c'est que cette guerre au Liban doit cesser.

Q - D'accord.

R - Il n'y a pas de soutien pour des agressions de part et d'autre de la ligne bleue. Aujourd'hui, c'est la solution diplomatique qui doit primer.

Q - L'Iran est-elle, selon vous, selon la France, un interlocuteur pour aider le Liban à se relever, ou c'est un ennemi du Liban aujourd'hui, l'Iran ?

R - L'Iran est un acteur de déstabilisation régional qui a été un soutien pour le Hamas, qui s'est rendu coupable du pire massacre antisémite de notre histoire, et qui a sans doute encouragé le Hezbollah à embrayer dès le 8 octobre, en entraînant le Liban dans une guerre qu'il n'avait pas choisie.

Q - Demain, la France va organiser une conférence de soutien à la population libanaise pour tenter d'organiser l'aide humanitaire pour ce pays. Vous l'aviez fait, vous le disiez, l'an dernier pour Gaza. Vous avez bon espoir que cette aide puisse être concrètement acheminée sur place ? Parce que c'est le problème qu'on a à Gaza...

R - Le Liban a besoin de la France et la France ne lui fera pas défaut. Cette conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté libanaise, elle sera ouverte demain par le Président de la République, elle verra la participation de 70 pays et de 15 organisations internationales. Tous ceux que nous avons invités ont répondu présent. Elle aura pour objectif d'abord de réaffirmer la nécessité d'un cessez-le-feu, d'une résolution diplomatique et d'une fin des hostilités, de mobiliser l'aide humanitaire du plus grand nombre de pays possible, et de soutenir les institutions libanaises, au premier rang desquelles les forces armées libanaises, qui jouent aujourd'hui et joueront demain un rôle décisif pour la stabilisation du pays.

Q - Jean-Noël Barrot, Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous étiez en Ukraine sur le front le week-end dernier pour apporter, comme vous l'avez dit, encore et toujours votre soutien à la résistance de l'Ukraine contre l'agression russe. Sauf qu'il y a quelques minutes, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, il vient de se poser en Russie et demain, il va rencontrer Vladimir Poutine pour la première fois depuis deux ans. Ça fait un peu symphonie dissonante, quand même. Vous comprenez cette rencontre entre Guterres et Poutine ?

R - J'étais effectivement, ce week-end, en Ukraine, à Soumy, dans le nord-est du pays, à quelques kilomètres de la ligne de front. Ce qui m'a profondément marqué, et je profite d'être sur votre antenne pour en témoigner, ce sont d'abord les profondes morsures de la guerre. Je les ai vues sur les corps des soldats qui ont été mutilés au combat, et je les ai entendues dans les récits des enfants qui ont été déportés ou arrachés à leur famille par cette guerre.

Q - Mais du coup, est-ce que c'est le moment d'aller serrer la main de Vladimir Poutine ?

R - Ce qui m'a frappé aussi, c'est l'importance vitale du soutien que la France apporte à l'Ukraine depuis deux ans et demi dans le domaine militaire, dans le domaine humanitaire et civil, ou encore dans le domaine financier. La position de la France aujourd'hui, c'est que nous devons continuer à soutenir les Ukrainiens pour qu'ils puissent, le moment venu et dans les conditions qu'ils jugeront pertinentes, ouvrir des négociations de paix.

Q - Est-ce que la poignée de main entre Antonio Guterres et Vladimir Poutine vous gêne ?

R - Ce qui me gêne, Thomas Sotto, c'est que la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité et garant, comme la France, de l'ordre international fondé sur le droit que nous avons bâti ensemble en 1945, le viole délibérément aujourd'hui en s'en prenant à son voisin et en...

Q - Donc la Russie, n'est pas un interlocuteur pour la France, on est d'accord ?

R - ... en s'autorisant à violer les frontières de l'Ukraine.

Q - Donc la Russie n'est pas un interlocuteur pour la France aujourd'hui, elle ne remplit pas les conditions ?

R - Si la Russie doit participer à des discussions de paix comme les Ukrainiens l'ont suggéré, nous y sommes favorables, mais à condition qu'elle change radicalement son discours, qu'elle adopte le langage, la grammaire de la justice et du droit international.

Q - Vous êtes un ministre qui voyage beaucoup. Vous êtes parfois rattrapé par la politique française. Un possible recours au 49§3 sera au menu du Conseil des ministres, aujourd'hui, C'est ce qu'on apprend à l'instant de la bouche de la porte-parole du Gouvernement. Vous êtes favorable à ce 49§3, vous, pour faire avancer les choses ?

R - Le Premier ministre a été très clair : il souhaite que les débats puissent se tenir le plus longtemps possible au Parlement Le 49§3 est une option. Je comprends que ce n'est pas l'option qu'il privilégie, et dans tout état de cause, si un 49§3 devait intervenir, la responsabilité du Gouvernement sera, à ce moment-là, engagée sur la base d'un texte qui tiendra compte...

Q - Cela ne vous posera pas de problème...

R - ... des amendements des parlementaires. Je le redis, si à un moment donné, un 49§3 doit être engagé, c'est un outil constitutionnel, ce sera sur la base d'un texte dont je sais que le Premier ministre aura à coeur qu'il intègre les enrichissements du Parlement.

Q - Dernière question, je tiens à vous la poser pour ne pas qu'on les oublie, même si je crains de connaître la réponse. Avez-vous des nouvelles, des preuves de vie ou quoi que ce soit concernant Ofer Calderon et Ohad Yahalomi, qui sont nos deux otages franco-israéliens enlevés par le Hamas le 7 octobre 2023 ?

R - Nous continuons, comme nous l'avons fait depuis deux ans et demi, d'appeler à la libération inconditionnelle de nos deux otages et j'ai une pensée pour eux, retenus dans l'enfer de la captivité, pour leurs familles et pour leurs proches.

Q - Il n'y a pas de nouvelles ?

R - Quand j'aurai des nouvelles à vous donner, je viendrai le faire sur votre plateau.

Q - Merci Jean-Noël Barrot d'être venu ce matin sur RTL.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2024