Texte intégral
Q - La Conférence de Paris avait pour objectif principal de lever plusieurs centaines de millions de dollars afin de répondre à l'urgence humanitaire liée au déplacement de plus de 1,3 million de personnes. Vous avez finalement récolté plus de 800 millions de dollars d'aide humanitaire et 200 millions d'aide pour l'armée. "Les amis du Liban" ont-ils donc répondu à la hauteur de vos attentes ?
R - Le Liban a aujourd'hui besoin de la France, et la France ne fera pas défaut au Liban. C'est un pays ami, qui était fragile avant le début des opérations terrestres israéliennes, et qui est aujourd'hui dans une situation dramatique. Vous l'avez dit : des centaines de milliers de déplacés ; des dizaines de milliers de blessés ; des milliers de morts civils (dont deux de nos compatriotes) ; et une société libanaise menacée par des tensions interconfessionnelles, par la pression que la guerre met sur le système de soins. Mais aussi sur le système éducatif puisque les écoles sont occupées par les personnes déplacées qui y cherchent refuge. Face à tout cela, il nous fallait agir. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité accueillir une conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban. Les 70 pays invités et les 15 organisations internationales ont tous répondu présents. Nous avions pour objectif de lever au moins 500 millions d'euros pour faire face à l'urgence et nous avons pu récolter une somme plus élevée. Cette conférence avait trois objectifs : diplomatique, avec la réaffirmation de la nécessité d'un cessez-le-feu et d'une solution durable garantissant l'unité et la souveraineté du Liban ainsi que la sécurité au nord d'Israël ; humanitaire, pour répondre aux besoins urgents de la population libanaise ; et institutionnel, pour soutenir les institutions libanaises, en particulier les forces armées, qui jouent un rôle crucial dans la stabilisation des zones non directement affectées par les combats et auront demain un rôle décisif pour garantir une paix juste et durable.
Q - Les Etats-Unis ont envoyé une faible délégation à la conférence. On décèle une forme de concurrence entre Paris et Washington sur le dossier libanais...
R - Je suis de l'avis inverse. La France et les Etats-Unis ont, il y a trois semaines, proposé une trêve suivie de la mise en oeuvre des résolutions 1701 et 2735. C'est un travail de longue haleine mené en concertation avec nos partenaires américains. Nous échangeons régulièrement sur ce sujet. Mon homologue Antony Blinken, envoyé spécial du président Biden dans la région, ne pourra pas être présent aujourd'hui, mais nous nous sommes entretenus hier, et nous échangerons demain sur les résultats de cette conférence.
Q - Sentez-vous une volonté des pays du Golfe, en particulier de l'Arabie saoudite, de revenir dans le jeu libanais ? Et à quelles conditions ?
R - Les pays du Golfe, y compris l'Arabie saoudite, sont très préoccupés par la situation au Liban. Ils savent bien que si la situation dégénère, le Liban pourrait devenir un foyer d'insécurité, où prospèrent les milices, le terrorisme et les trafics, comme en Syrie. C'est ce qu'ils veulent éviter. C'est pourquoi ils sont présents aujourd'hui. Mon homologue saoudien sera à Paris, et nous échangerons sur les résultats de la conférence et les prochaines étapes.
Q - La France réclame un cessez-le-feu depuis le début de l'intensification du conflit. Quels sont ses leviers pour peser sur Israël d'une part, et sur le Hezbollah et l'Iran d'autre part ?
R - Nous considérons que, au Liban comme à Gaza, la force doit céder la place à la diplomatie et au dialogue. Il est temps de bâtir des arrangements permettant à Israël d'obtenir des garanties de sécurité dans le Nord, et de permettre aux 60.000 personnes qui ont fui les violences de revenir chez elles. Du côté libanais, il faut garantir l'unité et la souveraineté du pays, pour que le Liban puisse maîtriser son destin. La France est convaincue qu'il est possible d'amener les parties au conflit à baisser les armes et à entrer dans un dialogue garantissant une paix juste et durable pour le Liban.
Q - Vous avez rappelé l'attachement de la France à faire appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Américains estiment qu'elle doit être renforcée. Quels mécanismes d'application pourraient être acceptable pour les deux parties ?
R - Nous y travaillons actuellement. Il est essentiel de créer les conditions d'une pleine souveraineté du Liban. C'est indispensable si nous voulons que ce grand pays, ce pays ami de la France, puisse retrouver la maîtrise de son destin. Il faut tenir compte de la situation au nord d'Israël, des inquiétudes qui ont pu naître au fil des années de voir cette résolution 1701 ne pas être appliquée. Nous devons définir les paramètres acceptables pour les deux parties afin que cette résolution, peut-être renforcée par certains arrangements, soit enfin mise en oeuvre, contrairement à ce qui a été le cas en 2006.
Q - Un déploiement de forces internationales dans le sud du Liban aux côtés de l'armée libanaise est également sur la table. Ce scénario, qui rappelle l'époque de la guerre civile libanaise, n'implique-t-il pas un désaveu du rôle de la FINUL ?
R - Je tiens à saluer le travail de la FINUL, en particulier le courage des 700 soldats français qui oeuvrent dans des conditions très difficiles. Nous condamnons fermement les attaques de l'armée israélienne contre les positions de la FINUL, qui ont blessé plusieurs soldats. Le respect du droit international humanitaire est une obligation. Le président Macron a rappelé cela au Premier ministre israélien, et j'ai fait de même avec mon homologue israélien. Nous avons également convoqué l'ambassadeur d'Israël en France pour lui exprimer notre position. Israël doit cesser de prendre la FINUL pour cible, car celle-ci jouera un rôle central, aux côtés des forces armées libanaises, dans la stabilisation du sud du Liban dès la cessation des hostilités.
Q - Depuis la semaine dernière, on sent un durcissement de ton de la part de l'Elysée vis-à-vis du Hezbollah et de l'Iran, avec notamment un appel au renoncement des armes par le parti. Ce désarmement est-il une condition préalable à la fin des combats ou bien l'aboutissement d'un long processus ?
R - Le Hezbollah porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle du Liban. Il a choisi, après le 7 octobre, de lancer des roquettes sur Israël, provoquant ainsi une riposte. La France appelle à un cessez-le-feu immédiat et travaille à définir des paramètres garantissant la souveraineté du Liban et la sécurité d'Israël. C'est pourquoi renforcer les forces armées libanaises est essentiel. L'objectif, c'est bien à terme d'avoir un Liban fort qui puisse s'appuyer sur des forces armées libanaises qui contrôlent la dimension sécuritaire, qui soient en mesure, comme dans tout autre pays, de disposer du monopole de la force légitime. Nous pensons aussi qu'il est important d'élire dès que possible un président, qui sera la voix et le visage du Liban dans un moment où son unité et son intégrité sont menacées. Tout cela concourra à faire en sorte que le Liban puisse affronter son avenir de manière forte, de manière sereine et de manière incontestable.
Q - Donc vous pensez qu'un cessez-le-feu soit possible sans aborder aujourd'hui la question du désarmement ?
R - La France travaille activement à définir les paramètres permettant de garantir la souveraineté et l'intégrité du Liban, la sécurité pour Israël, c'est parce que nous savons bien que c'est là où nous pouvons être le plus utile pour hâter, pour précipiter la fin des hostilités et le cessez-le-feu, pour convaincre les parties en présence qu'il y a une possibilité, par la négociation et par la diplomatie, de trouver une solution durable à ce conflit et garantir une paix juste et durable des deux côtés de la ligne bleue.
Q - Sur le plan régional, la France est l'un des rares pays à parler à tous les acteurs. Quelles garanties pouvez-vous aujourd'hui offrir à l'Iran afin qu'il accepte qu'il a perdu la partie ?
R - L'Iran porte aussi une responsabilité dans les déstabilisations profondes qui ont plongé la région dans la guerre et dans des convulsions qui prennent aujourd'hui une ampleur inédite. L'Iran doit cesser ses activités de déstabilisation, doit cesser d'attiser au travers de ses courroies de transmission, la violence et le chaos dans un pays comme le Liban qui aspire, et c'est bien légitime, à décider par lui-même de son propre destin. Personne dans la région n'a intérêt à un effondrement du Liban. C'est la conviction de la France et le coeur de son effort diplomatique.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2024