Texte intégral
ARNAUD PONTUS
Bonjour Sophie PRIMAS.
SOPHIE PRIMAS
Bonjour Arnaud PONTUS.
ARNAUD PONTUS
Merci d'être avec nous ce matin. Vous rentrez de trois jours de visite au Brésil où vous avez participé au G-20 Commerce. Vous y avez redit que la France ne voulait pas, en l'état de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur, alors qu'on dit qu'on entend que la signature est imminente. Est-ce que la France peut bloquer ?
SOPHIE PRIMAS
Alors la France doit continuer à faire valoir ses arguments. C'est ce que je suis allée porter au G-20. Le G-20 ne portait pas sur le Mercosur, il portait…
ARNAUD PONTUS
Pas spécifiquement.
SOPHIE PRIMAS
Pas spécifiquement ; il portait sur d'autres éléments qui sont d'ailleurs extrêmement importants. Comme par exemple la réforme de l'OMC qui régit en fait les relations commerciales entre tous les différents pays du monde. Mais je suis allée porter aussi, bien sûr, en marge de ce sommet, la voix de la France pour expliquer à nos partenaires européens, mais aussi expliquer à nos partenaires du Mercosur, pourquoi la France refusait de ratifier cet accord en l'état.
ARNAUD PONTUS
Alors deux petits mots pour ceux qui n'ont pas forcément suivi le dossier. Le Mercosur regroupe Brésil, l'Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie. Négocié depuis plus de 20 ans, un accord de libre-échange conclu mais pas signé il y a cinq ans. On en est là. Ce serait le plus important traité de libre-échange européen ; 780 millions de consommateurs autour de 45 milliards d'euros d'échanges. Qu'est-ce qui ne vous va pas ? Qu'est-ce qui ne va pas à la France dans le traité tel qu'il est dessiné aujourd'hui ?
SOPHIE PRIMAS
Alors, vous avez raison de dire qu'il est… En fait, il n'a pas bougé depuis 2019. Et depuis 2019, la France réaffirme son désaccord sur des éléments qui sont liés à plusieurs choses. La première, c'est le respect de normes environnementales. Nous avons, en Europe, une politique environnementale qui est forte, qui se base sur les accords de Paris avec des réglementations qui sont mises en place au niveau de la Commission européenne, extrêmement exigeantes. Les accords de commerce et de développement durable que nous devons porter dans tous les accords qui sont désormais signés. Et nous considérons, aujourd'hui, que ces accords ne sont pas respectés par la forme de l'accord avec le Mercosur.
ARNAUD PONTUS
C'est-à-dire que les produits qui seraient importés du Brésil notamment, ne correspondent pas aux normes environnementales aujourd'hui en vigueur en Europe ?
SOPHIE PRIMAS
Exactement. Je peux vous citer par exemple deux exemples qui sont emblématiques. Le premier, c'est que nous avons adopté un règlement sur la déforestation pour empêcher la déforestation importée. Aujourd'hui, nous n'avons pas suffisamment de certitudes sur cet élément. Le deuxième élément que nous souhaitons adosser au Mercosur, au niveau de la Commission européenne, c'est la définition d'un agenda pour mettre en place ce qu'on appelle des clauses miroirs qui sont très chers, par exemple au…
ARNAUD PONTUS
Les clauses miroirs, c'est avoir les mêmes règles de part et d'autre.
SOPHIE PRIMAS
Les mêmes règles de part et d'autre, avec des contrôles avec… qui permettent, en cas de différends, de suspendre l'accord.
ARNAUD PONTUS
Pour éviter une concurrence déloyale puisque c'est ça, derrière…
SOPHIE PRIMAS
Pour éviter la concurrence déloyale.
ARNAUD PONTUS
…ce qu'il y a derrière cet accord. On entend les agriculteurs français déjà annoncer une nouvelle mobilisation mi-novembre. C'est ça que craint le Gouvernement ? Une nouvelle colère agricole ?
SOPHIE PRIMAS
Oui, mais aujourd'hui, le Mercosur est un moteur de cette colère des agriculteurs. Il est emblématique des difficultés qu'ils ont, des difficultés de compétitivité qui, parfois, sont dues à des mises en place de réglementations environnementales exigeantes qui leur imposent un certain nombre de pratiques qui sont moins productives, moins compétitives. Et face à l'agrobusiness brésilien, évidemment…
ARNAUD PONTUS
Oui, agrobusiness parce qu'on parle de viande nourrie aux hormones, on parle de volailles dopées aux accélérateurs de croissance ; chose interdite pour le…
SOPHIE PRIMAS
On parle de feed-lots. On parle de pratiques de production que je ne me permets pas de juger, au Brésil.
ARNAUD PONTUS
Mais que nous n'acceptons pas.
SOPHIE PRIMAS
Mais que nous n'acceptons pas et que les agriculteurs n'acceptent pas, évidemment.
ARNAUD PONTUS
Sophie PRIMAS La conclusion est proche, a dit, il y a quelques jours, le Premier ministre espagnol, en parlant de cet accord. Le ministre brésilien de l'Industrie et du Commerce attend une signature d'ici à la fin de l'année. Il bluffe ?
SOPHIE PRIMAS
En fait, il y a un moment politique important pour le Mercosur parce qu'il y a à la fois, le G-20 total qui va avoir lieu mi-novembre avec le Président MACRON et le Président LULA, à Rio…
ARNAUD PONTUS
A Rio puis le sommet du Mercosur.
SOPHIE PRIMAS
Puis le sommet du Mercosur. Donc il y a des moments emblématiques.
ARNAUD PONTUS
Donc c'est le moment, ça frissonne. Est-ce que ça veut dire que ça va être signé malgré l'opposition de la France ?
SOPHIE PRIMAS
Ecoutez, moi je compte sur la vigilance d'Ursula VON DER LEYEN pour comprendre que l'opposition de la France a des conséquences qui sont des conséquences politiques importantes, qu'elles ne sont pas vaines, qu'il faut de la cohérence quand on est Présidente de la Commission européenne. Il faut à la fois pousser et mettre en place des politiques de développement durable qui sont importantes et ensuite les appliquer. Donc nous, nous pousserons cette voie. Et je pense que le risque politique pour madame VON DER LEYEN de créer, en France, une politique, en tout cas un état d'esprit anti-européen, est un élément qu'elle doit prendre en compte dans sa réflexion.
ARNAUD PONTUS
Tout en disant, elle-même, qu'elle est 100% favorable à un accord.
SOPHIE PRIMAS
Oui. Elle est 100% favorable à un accord. Elle est poussée par certains de nos collègues européens.
ARNAUD PONTUS
Oui. Elle n'est pas la seule. L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne sont pour l'accord. La France est un peu isolée dans cette affaire.
SOPHIE PRIMAS
Non, elle n'est pas isolée. D'autres pays aussi sont tout à fait…
ARNAUD PONTUS
L'Autriche, mais certains l'ont lâché.
SOPHIE PRIMAS
L'Autriche, la Pologne, l'Irlande. Il y a des pays qui ne se sont pas exprimés.
ARNAUD PONTUS
Avec peut-être plus de nuances.
SOPHIE PRIMAS
Les Pays-Bas… On ne sait pas quelles sont les tractations derrière. Mais en tout cas, ces pays-là sont des pays qui…
ARNAUD PONTUS
Mais vous pensez que la voix de la France peut être entendue ?
SOPHIE PRIMAS
La voix de la France peut être entendue. Et il faut aussi que la voix de ceux qui ne sont pas d'accord – c'est-à-dire par exemple, les agriculteurs européens… Quand j'interroge les organisations agricoles européennes, elles ne sont pas d'accord avec cet accord. En Italie, en Pologne, ils ne sont pas d'accord. Il y a aussi des ONG qui ne sont pas d'accord. Donc il y a quand même une volonté politique populaire, j'allais dire qui doit être entendue.
ARNAUD PONTUS
Une volonté politique qui doit être entendue. Est-ce que vous êtes optimiste dans le contexte qu'on vient de décrire ?
SOPHIE PRIMAS
Optimiste, je ne sais pas, mais en tout cas combattante. Oui, ça, c'est sûr.
ARNAUD PONTUS
Il y a des discussions. Vous menez, vous-même, des discussions pour ?
SOPHIE PRIMAS
Oui, bien sûr. Je mène des discussions avec mes collègues européens. C'était l'objet de mon déplacement au Brésil. Je mène des discussions aussi avec les partis politiques. Je mène des discussions avec les ONG. On fait notre job. On combat sur des valeurs qui sont les nôtres.
ARNAUD PONTUS
Bon, vous avez beaucoup de dossiers dans votre pochette devant vous.
SOPHIE PRIMAS
Oui.
ARNAUD PONTUS
Vous étiez à Brasilia il y a quelques jours. Vous serez à Shanghai à la fin de cette semaine.
SOPHIE PRIMAS
Oui.
ARNAUD PONTUS
On voyage beaucoup quand on est ministre du Commerce extérieur.
SOPHIE PRIMAS
Oui.
ARNAUD PONTUS
Il y a aussi quelques tensions entre la Chine et l'Union européenne autour des voitures électriques. Ça n'a échappé à personne. L'Europe veut surtaxer - je fais simple, je résume - les véhicules chinois. En représailles, Pékin surtaxe notamment le cognac français. Est-ce que c'est une nouvelle guerre commerciale qui est ouverte ?
SOPHIE PRIMAS
Il ne faut pas que ce soit une nouvelle guerre commerciale.
ARNAUD PONTUS
Mais ça y ressemble tout de même, Sophie PRIMAS.
SOPHIE PRIMAS
Il ne faut pas que ça soit une escalade. Oui, alors en fait, dans votre présentation, il y a juste un petit écart de vision. C'est que nous ne voulons pas surtaxer les véhicules chinois. Nous voulons en fait régler les problèmes de subventionnement de l'Etat chinois aux entreprises automobiles chinoises.
ARNAUD PONTUS
Parce qu'elles sont vendues trop peu cher, c'est ça ? Et donc, il s'agit de rééquilibrer ?
SOPHIE PRIMAS
En fait, l'Etat chinois subventionne la production de véhicules chinois. Ce qui est interdit…
ARNAUD PONTUS
Donc c'est pour instaurer une concurrence saine ?
SOPHIE PRIMAS
Voilà, concurrence saine. Les voitures sont compétitives… Les voitures chinoises électriques sont très compétitives. On l'est moins ; ça, c'est notre problème. Par contre, le fait qu'il y ait des subventions à la production de l'Etat chinois, ça, c'est interdit par les règles de l'OMC.
ARNAUD PONTUS
Mais il y a une conséquence aujourd'hui, c'est la surtaxe sur le cognac. Est-ce que l'Europe… Est-ce que la France a les moyens de se fâcher un petit peu avec la Chine ?
SOPHIE PRIMAS
C'est ce que… Se fâcher, en tout cas montrer les muscles et expliquer que ça n'est pas sur le même plan. La Chine accuse les producteurs français de dumping, ce qui n'est pas le cas du tout. Les chiffres le prouvent de façon assez évidente. Donc je vais aller effectivement à Shanghai, essayer de rencontrer les autorités chinoises pour expliquer et défendre notre…
ARNAUD PONTUS
Défendre le dossier… Le cognac, je le… Il l'inscrit.
SOPHIE PRIMAS
Le dossier de cognac mais pas que le cognac.
ARNAUD PONTUS
Oui, oui, l'Armagnac aussi. Non, je ne suis pas obsédé par l'alcool.
SOPHIE PRIMAS
Le lait et le porc.
ARNAUD PONTUS
Je signale, parce que l'appellation Cognac, 15 000 emplois directs, 70 000 emplois indirects en France donc c'est énorme.
SOPHIE PRIMAS
90% d'exportations. Pas tous vers la Chine, bien sûr.
ARNAUD PONTUS
D'où l'importance de ce dossier.
SOPHIE PRIMAS
Mais si le marché américain se ferme.
ARNAUD PONTUS
Merci Sophie PRIMAS. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais vous reviendrez.
SOPHIE PRIMAS
Bien sûr.
ARNAUD PONTUS
À bientôt !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 octobre 2024