Texte intégral
HADRIEN BECT
Bonjour Annie GENEVARD. Vous êtes la bienvenue à l'antenne de France Info. Donald TRUMP est de retour à la Maison Blanche. C'est la promesse de droits de douane augmentés notamment peut-être sur les sur les spiritueux. Voilà qui peut inquiéter les producteurs français. Est-ce que vous, ça vous inquiète ?
ANNIE GENEVARD
Naturellement. C'est très préoccupant parce que les spiritueux sont à la fois la cible de mesures douanières américaines et de mesures douanières chinoises. Donc, c'est une filière d'excellence très reconnue non seulement au niveau national mais au niveau international. Donc, on conduit une intense activité diplomatique en Chine en ce moment, pour que les Chinois renoncent à cette mesure de rétorsion.
HADRIEN BECT
Pardon, mais vous avez bon espoir d'y parvenir ?
ANNIE GENEVARD
Ecoutez, qui ne combat pas est assuré de perdre. Donc nous avons envoyé une délégation en Chine pour traiter cette question. Puis, quant à l'élection de Donald TRUMP, je n'ai pas à la commenter. Le peuple américain s'est prononcé, mais il faudra que nous regardions ça de très près.
HADRIEN BECT
Il va falloir s'y préparer et peut-être…
ANNIE GENEVARD
S'y préparer, c'est d'abord tout faire pour l'empêcher. Donc, " America First " …
BERENGERE BONTE
Et pour le coup, là, vous avez un espoir ? C'est dans le programme de Donald TRUMP.
ANNIE GENEVARD
C'est dans le programme de Donald TRUMP. Mais bon, on connaît le caractère imprévisible parfois de cette personnalité.
BERENGERE BONTE
Il y a quatre, ce qu'il avait annoncé, il l'a appliqué, globalement.
ANNIE GENEVARD
Ecoutez, en tout cas, on fera tout ce qu'il est en notre pouvoir pour combattre ces mesures qui, effectivement, porteraient atteinte à nos producteurs qui, légitimement, sont inquiets. Mais là, il faut que les responsables politiques au plus haut niveau se mobilisent.
BERENGERE BONTE
Cela se joue au niveau européen, dans une Europe qui est - on le voit en ce moment à Budapest - qui est divisée avec deux crises politiques profondes dans deux des États fondateurs : la France et l'Allemagne. Quel espoir vous avez de faire marcher l'Europe, sur ce sujet-là, d'une seule voie ?
ANNIE GENEVARD
Je pense que la nécessité de faire valoir la souveraineté alimentaire européenne ; au niveau national, bien sûr, mais au niveau européen, c'est indispensable. Parce que, face à des puissances telles que les États-Unis, la Chine ou l'Inde, il faut que l'Europe affirme sa volonté de protéger ses producteurs. C'est indispensable. Et peser dans le concert des nations, c'est, assurément, au niveau européen qu'il faut le faire.
HADRIEN BECT
Est-ce que si Donald TRUMP met en place des mesures, effectivement, d'ordre tarifaire sur les spiritueux français, il faudra lui répondre ? Prendre aussi, nous, de notre côté, des mesures ?
ANNIE GENEVARD
Écoutez, chaque chose en son temps. On va déjà prendre la mesure de sa volonté de mettre en oeuvre ce qu'il a promis, le calendrier de cette mise en oeuvre. Mais il est certain qu'on ne pourra pas rester sans réaction, y compris au niveau européen. Ça me semble indispensable.
BERENGERE BONTE
Donc, c'est quoi ? C'est aussi des augmentations de droits de douane pour les produits américains ? C'est un boycott, vous allez jusque-là ?
ANNIE GENEVARD
Chaque chose en son temps. Avant de prononcer les mots radicaux de boycott, il faut déjà faire jouer à plein toute la diplomatie. Moi, je suis une femme de dialogue. Tant qu'on n'a pas épuisé les ressources du dialogue, il ne faut pas sortir les armes tout de suite.
HADRIEN BECT
Annie GENEVARD, la FNSEA, les jeunes agriculteurs, appellent à la reprise de la mobilisation, un peu comme l'hiver dernier, à partir de la mi-novembre… Ça veut dire, en fait, la semaine prochaine, à peu près demain. Qu'est-ce qui s'est passé pour qu'on arrive d'une crise agricole au mois de janvier et qu'elle revienne au mois de novembre ? Ou qu'est-ce qu'il ne s'est pas passé, peut-être ?
ANNIE GENEVARD
Alors, je pense qu'il y a plusieurs facteurs d'explication. D'abord, les agriculteurs vivent des circonstances particulièrement difficiles. Il y a une convergence des crises qui est absolument inédite : crise sanitaire, les maladies vectorielles qui déciment les élevages et désespèrent les éleveurs. Il y a le changement climatique qui affecte vraiment les conditions de travail de nos agriculteurs. Il y a une météo absolument épouvantable. Trop d'eau ici, pas assez d'eau là.
HADRIEN BECT
Ce sont des facteurs un peu exogènes, j'allais dire. Il y a aussi l'action publique.
ANNIE GENEVARD
Oui, mais ça complique…
BERENGERE BONTE
Et ce n'est pas complètement nouveau, pardonnez-moi.
ANNIE GENEVARD
Non, mais il y a eu une accélération des crises, une convergence des crises. Ça complique terriblement leur travail et puis, ça fragilise énormément leur trésorerie. Alors, d'autre part, les mesures, les promesses qui leur ont été faites, il m'appartient, moi, de les mettre en oeuvre. C'est ce que j'ai fait depuis que je suis arrivée il y a une cinquantaine de jours. J'ai à coeur d'honorer les promesses qui leur ont été faites. J'ai préservé le budget. J'ai répondu à toutes les attentes qui étaient les leurs et j'ai déployé de nouvelles propositions.
HADRIEN BECT
On va détailler. Mais s'il y a bien une inquiétude qu'on entend beaucoup, on l'entendait encore ce matin sur France Info, c'est celle de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Cet accord auquel Emmanuel MACRON dit régulièrement qu'il est opposé, sur lequel il a des doutes, etc. Pour autant, La Commission européenne fait savoir que les négociations avancent et que cet accord est prêt à être signé et que même, cas échéant, elle pourrait se passer de la France.
ANNIE GENEVARD
Alors, l'accord avec le Mercosur, nous y sommes frontalement opposés.
BERENGERE BONTE
Nous, c'est la France ?
ANNIE GENEVARD
Nous, c'est la France, mais ce n'est pas seulement la France. Il y a d'autres pays…
HADRIEN BECT
Peu.
ANNIE GENEVARD
Certes peu de pays, mais vous savez qu'il y a un dispositif qui permet l'expression du droit de veto. Ce que nous devons faire avant l'adoption de cet accord international, c'est essayer de rallier à notre cause un maximum de pays, donc la Belgique, la Bulgarie, l'Autriche, l'Irlande, peut-être l'Italie. Nous travaillons activement à mettre en oeuvre ce droit de veto parce que cet accord avec le Mercosur, les pays du Mercosur, il est fondamentalement mauvais.
HADRIEN BECT
On rappelle d'ailleurs, pays du Mercosur, pays d'Amérique du Sud, dont le Brésil, qui est un des géants agricoles mondiaux.
ANNIE GENEVARD
On est absolument hostiles à cet accord. Pour quelles raisons ? D'abord parce que c'est une concurrence totalement déloyale. Imaginez-vous que si cet accord était signé, c'est l'importation de 99 000 tonnes de boeuf, 100 000 tonnes de volaille, 100 000 tonnes de sucre. Ça percute complètement et frontalement nos propres productions. C'est insupportable…
BERENGERE BONTE
Et avec des normes environnementales et sociales, surtout, qui sont inacceptables en Europe.
ANNIE GENEVARD
Avec des normes environnementales et sociales qui sont absolument en contradiction avec nos propres normes. 27% de produits sont utilisés pour ces productions du Mercosur et qui sont interdites dans l'Union Européenne. Donc non seulement il faut combattre pour les effets que ça produirait sur nos propres producteurs, mais aussi il faut absolument combattre le fait qu'on est à armes complètement inégales.
HADRIEN BECT
Pour bien comprendre, Annie GENEVARD, votre position et la manière dont vous entendez la défendre, on sait que la France seule ne peut pas lutter contre l'adoption, j'allais dire, au niveau européen. Mais vous dites, voilà, avec quelques autres pays, on peut y arriver. C'est ça l'idée ? Pour bien comprendre ce que vous voulez expliquer.
ANNIE GENEVARD
Il y a un dispositif qui permet le veto, c'est-à-dire l'opposition au niveau européen de l'adoption de cet accord. Y parviendrons-nous ? Nous y travaillons. Nous y travaillons activement avec les députés européens, notamment ceux du PPE, François-Xavier BELLAMY et Céline IMART, qui est une grande spécialiste des questions agricoles. Nous y travaillons. Le Premier ministre lui-même, Michel BARNIER, y travaille activement. Dieu sait qu'il n'y a pas meilleur connaisseur des arcanes européennes que le Premier ministre. Donc je sais qu'il rencontre Ursula VON DER LEYEN dans les jours qui viennent, ainsi que la…
HADRIEN BECT
À ce propos…
ANNIE GENEVARD
… Giorgia MELONI. Donc on se bat sur tous les fronts, sur le front diplomatique, sur le front européen, et voilà.
BERENGERE BONTE
Si c'est aussi clair, si la France est aussi clairement opposée, d'abord, pourquoi ne pas en débattre à l'Assemblée nationale, comme le demandent les députés à RN il y a quelques semaines, les Insoumis à nouveau. Le Gouvernement a refusé d'inscrire ça dans les niches parlementaires ?
ANNIE GENEVARD
Eh bien, je pense que le débat parlementaire sera indispensable. D'ailleurs, nous avions entendu dire qu'Ursula VON DER LEYEN voulait scinder l'accord en deux ; l'accord commercial, l'accord cadre, de façon à faire l'économie des débats dans les parlements européens. Et ça, nous n'en voulons pas. Il faut que les parlements nationaux puissent s'exprimer.
BERENGERE BONTE
Mais pourquoi refuser au groupe d'opposition ?
ANNIE GENEVARD
Mais parce qu'il y a une temporalité. Avant d'instaurer le débat parlementaire, il faut déjà explorer toutes les voies. Mais il est clair que le débat parlementaire aura lieu, j'en suis convaincue.
BERENGERE BONTE
Et quand François RUFFIN, le député Insoumis, soupçonne le chef de l'État d'une forme d'ambiguïté sur les sujets, en disant : " Je crois que dans la durée, Emmanuel MACRON est fondamentalement un partisan du libre-échange. " Est-ce que c'est un mauvais procès ? Est-ce que Emmanuel MACRON est fermement décidé à s'opposer à cet accord UE-Mercosur ?
ANNIE GENEVARD
Moi, je ne ferai pas ce procès d'intention au Président de la République. Parce que, d'abord, je ne l'ai jamais entendu dire qu'il était favorable au Mercosur, bien au contraire. Parce qu'il a le devoir, évidemment - et il en est conscient - de défendre les intérêts de la France. Et les intérêts de la France sont dans le rejet de l'accord du Mercosur et non dans son adoption. Donc, ce qui ne veut pas dire qu'il faut renoncer à tout accord international. Je vous rappelle que l'agriculture française est une agriculture exportatrice.
HADRIEN BECT
C'est la question que j'allais vous poser, Annie GENEVARD.
ANNIE GENEVARD
Mais les accords ne peuvent pas toujours se faire sur le dos des agriculteurs.
HADRIEN BECT
L'accord avec le Mercosur, pour vous, il faut le prendre et le mettre à la poubelle, ou il faut le renégocier ? Ce n'est pas tout à fait la même chose, quand même. Parce que les agriculteurs disent oui, ils s'opposent, et puis en fait, à la fin, ils négocieront. Les agriculteurs… en tout cas, certains… Et ils négocieront, on aura autre chose.
BERENGERE BONTE
Est-ce qu'il y a une réécriture possible, en fait ? Je me permets de vous poser la question.
ANNIE GENEVARD
Je n'en sais rien, mais il est clair que pour moi, la négociation ne peut pas exister sous la forme de compensations financières
HADRIEN BECT
C'est ce que propose de l'Union européenne effectivement.
ANNIE GENEVARD
Mais oui, mais non, mais ça, ça ne marche pas. Les agriculteurs ne veulent pas qu'on leur donne de l'argent en compensation de cet accord qui est très néfaste. Ils veulent simplement pouvoir produire, vivre de leur travail, pouvoir commercialiser à armes égales. La concurrence, là, est complètement déloyale. Donc ça, ça n'est pas possible.
BERENGERE BONTE
Les autres raisons de la colère qui traînent depuis la grogne de l'hiver dernier, vous y avez en partie répondu avec le gasoil non routier. La hausse a été supprimée, c'est confirmé dans le budget. Ce contrôle unique sur les exploitations qui étaient attendues, que vous avez annoncées, n'a pas l'air de suffire complètement. Certains disent que c'est des promesses antérieures, mais ça ne règle pas le problème au fond. Qu'est-ce que vous répondez ?
ANNIE GENEVARD
Écoutez, ce sont des promesses antérieures. Moi, je l'ai fait. Moi, je sais ce que me disent les agriculteurs. Ils sont accablés de contrôles, ils vivent très douloureusement ces contrôles. Pourquoi ? Parce que ça jette le soupçon sur la façon dont ils travaillent. Ils ont l'impression d'être observés. Souvent, ils sont l'objet de dénonciations de la part de tout un tas de gens qui considèrent qu'ils ne travaillent pas dans des conditions respectueuses de l'environnement. Ils sont parfois…
BERENGERE BONTE
Ce n'est pas le cas parfois ?
ANNIE GENEVARD
Ils enchaînent les contrôles. Le contrôle est devenu… nourrit le sentiment de n'être pas reconnu dans leur travail. Donc le contrôle administratif unique, pas plus d'un contrôle physique dans la ferme, pas plus d'une fois par an, et ça, c'était très attendu. Mais ce n'est que le début, pour moi, des actions de simplification que je veux conduire. Parce que ce que nous disent les agriculteurs, c'est que l'exercice de leur métier est devenu horriblement compliqué.
HADRIEN BECT
Vous allez nous détailler effectivement ces actions que vous voulez mener. Comment répondre à ce malaise agricole qui ne semble toujours pas se dissiper ? Vous restez avec nous, Annie GENEVARD, ministre de l'Agriculture. On se retrouve juste après le Fil Info.
/// (Fil info)
BERENGERE BONTE
Annie GENEVARD, ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire et de la Forêt, également secrétaire générale des Républicains. On est sur les raisons de cette colère qui ressurgit probablement à partir de la semaine prochaine, question saisonnière d'ailleurs. La raison pour laquelle ils reviennent la semaine prochaine, c'est parce que les cultures s'achèvent, ou en tout cas la partie de travail de l'automne s'achève, c'est bien ça ?
ANNIE GENEVARD
Oui.
BERENGERE BONTE
Vous avez le sentiment d'être parfois impuissante face à cette colère récurrente ?
ANNIE GENEVARD
Moi, je ne suis pas une femme qui se résigne du tout, donc j'ai la volonté d'abord d'écouter. Je vais sur le terrain chaque semaine, d'identifier les blocages, de comprendre ce qu'ils attendent, d'échanger avec eux et puis, surtout d'apporter des réponses, parce que ce qu'ils veulent, ce sont des réponses précises, concrètes, utiles. Donc, c'est ce qui guide mon travail. Donc, je ne renonce pas au dialogue.
HADRIEN BECT
Il y a quelques minutes, Annie GENEVARD, chez nos confrères et nos amis de France Bleu Roussillon, le président de la FNSEA, Arnaud ROUSSEAU, dit que l'une des premières revendications, c'est toujours le revenu, et il dit : " On a le sentiment que ça n'avance pas ". Pourquoi ça n'avance pas ? Est-ce que c'est un sentiment que vous jugez juste ? Et auquel cas, pourquoi ça n'avance pas ?
ANNIE GENEVARD
Alors la question du revenu, elle est majeure. Les agriculteurs travaillent durs, vous le savez, ne sont pas toujours reconnus à la mesure des efforts et du rôle capital qu'ils remplissent dans notre pays, ils nourrissent la population, et souvent, ils ont le sentiment de défiance, de soupçon, la nation a besoin de retisser un lien de confiance avec les agriculteurs, mais il faut que ça se traduise concrètement par du revenu. Ils travaillent durs et ils gagnent peu pour beaucoup d'entre eux. Je reviens d'Occitanie, il y a des situations extrêmement difficiles. Alors, le revenu des agriculteurs, c'est d'abord vivre du fruit de son travail, et pouvoir avoir des prix corrects payés aux productions qui sont les leurs, c'est tout le sens de la loi Egalim, et je pense que la loi Egalim a apporté un certain nombre de réponses pour améliorer le prix payé aux producteurs, c'est une partie de l'équation.
HADRIEN BECT
Est-ce qu'il est possible d'aller plus loin aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on peut faire de plus pour essayer d'améliorer cette question du revenu ? On a l'impression qu'à chaque fois, c'est le point principal, le Gouvernement dit : « on essaie de répondre », et patatras, après ça ne fonctionne pas.
ANNIE GENEVARD
Alors, dans le revenu des agriculteurs, il y a plusieurs choses qui entrent en ligne de compte. Il y a d'abord les aides européennes qui sont fondamentales.
HADRIEN BECT
La PAC.
ANNIE GENEVARD
La PAC. Il y a aussi toutes les dispositions que j'ai présentées dans le budget de 2025 : les allégements fiscaux, le soutien à la trésorerie, c'est le dernier dispositif que je mets en oeuvre à leur demande du reste. Le soutien à la trésorerie par des dispositions bancaires dans des conditions qui leur sont favorables. Tout ça contribue au revenu de l'agriculteur.
HADRIEN BECT
Vous sites : " Avec ça, je peux dire aujourd'hui en 2025 qu'un agriculteur vivra mieux qu'en 2024 " ?
ANNIE GENEVARD
Écoutez, en tout cas, je fais tout pour. Et puis, il y a aussi, et ça, c'est fondamental, à encourager l'acte de production. Quand on met trop de freins aux métiers d'agriculteur, aux conditions de production par tout un tas de normes, de règles, de réglementations, d'empêchements, on touche très directement aux revenus des agriculteurs. Donc, il faut, dans la loi d'orientation agricole, nous avons, lorsque j'étais députée, avec mes collègues de la droite républicaine, nous avons réinstauré dans cette loi la sanctuarisation de l'acte de produire, ce pour quoi est fait un agriculteur, c'est produire. Et les conditions, c'est vrai, cette année, sont particulièrement dégradées. Les rendements se sont effondrés parce que la météo a été absolument épouvantable, donc, ça touche, là aussi, directement le revenu du producteur.
BERENGERE BONTE
Il y a des questions de météo, il y a des questions de fièvre, de langue bleue pour les moutons, de maladies hémorragiques, épisodiques pour les vaches, année, donc, noire pour l'élevage, pour les céréaliers. Et dans le contexte climatique et météorologique très particulier que vous soulignez tout ailleurs, beaucoup de critiques se concentrent sur le fait qu'il manque, en fait, de mesures conjoncturelles pour indemniser toutes ces pertes, même si le budget de l'agriculture a plutôt été préservé. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
ANNIE GENEVARD
Alors, je réponds qu'à peine étions-nous arrivés au Gouvernement que le Premier ministre, lui-même est venu au Sommet de l'élevage, à Cournon et a annoncé un fonds de secours de 75 millions d'euros grâce auquel nous allons pouvoir indemniser les pertes directes des éleveurs, parce que, par exemple, dans la filière aux vignes, il y a des élevages qui ont perdu quarante, cinquante, soixante, parfois même jusqu'à 80% de leurs animaux. Il faut pouvoir les indemniser afin qu'ils reprennent leur activité. Nous avons également, je viens de commander deux millions de doses de vaccins contre la FCO3 qui seront mises à disposition gratuitement sur la France entière. Je vais lancer les assises du sanitaire parce qu'il faut qu'on remette à plat complètement notre politique de lutte contre les épizooties qui se multiplient et qui sont, cette année, très graves.
BERENGERE BONTE
De quelle façon tout ça implique et inclut la réflexion sur le dérèglement climatique ? Parce que, finalement, un des problèmes de fond, c'est celui-là, la maladie hémorragique épizootie, elle est transmise par un moucheron-piqueur qui est lié au climat. Idem, peut-être, pour la viticulture en crise, sur un autre type de problème, mais c'est une culture qui est déjà peu gourmande en eau. Or, le problème d'eau va se poser. Quelle vision, à plus long terme, vous avez là-dessus ?
ANNIE GENEVARD
Bon, il faut, évidemment, utiliser toutes les ressources de la recherche pour que l'on puisse mettre en oeuvre des cultures qui sont moins gourmandes en eau, plus résistante à la sécheresse, mais au-delà de ça, moi, je suis allée deux fois en Occitanie, qui est une région qui souffre particulièrement du manque d'eau. Ce que j'observe, et ça m'est apparue très clairement, le premier problème de cette région, c'est l'accès à l'eau et il y a des réponses. Il y a des réponses. Je viens de lancer le plan hydraulique qui va permettre à des exploitations d'accéder à l'eau, soit par des réserves collinaires, soit par des plans d'eau que nous allons créer, soit par de la rénovation de canaux d'irrigation, il y a des réponses. Je voudrais dire à toutes les associations environnementales qui sont hostiles par principe et par idéologie au fait que les agriculteurs aient légitimement accès à l'eau. Je voudrais leur dire qu'ils condamnent les agriculteurs à la désespérance en les empêchant d'accéder à l'eau. Et moi, je me dresserai toujours contre ceux qui veulent s'opposer à l'accès à l'eau pour les agriculteurs.
BERENGERE BONTE
Mais est-ce qu'il n'y a pas une réflexion à mener sur le type de culture ? Ça fait, j'ai l'impression que ça fait vingt ans que la question est posée comme ça. Mais est-ce qu'il faut... - pardon, c'est peut-être un peu brutal - continuer à aider des viticulteurs du Sud-ouest qui manquent d'eau, encore une fois, alors que c'est déjà une culture qui est peu gourmande en eau. Est-ce qu'il faut rerouter les choses ? Est-ce que vous, vous allez pousser en ce sens-là ?
ANNIE GENEVARD
Écoutez, il n'est pas question d'éteindre la viticulture française. La viticulture française a besoin d'être soutenue. Elle a d'ailleurs une réponse aux difficultés qu'elle connaît.
BERENGERE BONTE
Et tant pis s'il n'y a plus d'eau ?
ANNIE GENEVARD
Le plan d'arrachage pour 120 millions d'euros, c'est à leur demande. C'est la profession qui demande qu'on recalibre l'outil de production aux besoins du marché.
BERENGERE BONTE
Ça précisément, ce plan d'arrachage en cours... Pardon, je vous interromps, mais c'est intéressant, c'est un constat d'échec quand même ?
ANNIE GENEVARD
Non, c'est un constat qu'il faut parfois prendre des mesures, certes, douloureuses et radicales, mais pour mieux rebondir ensuite. S'il y a de la surproduction, il faut bien traiter le problème. On a aussi arraché des vignes dans le Bordelais. Donc, adapter la production aux besoins du marché, ça paraît, en tout cas, une démarche sensée, mais ça ne veut pas dire qu'on éteint la viticulture. Et c'est aussi pour les viticulteurs que j'ai mis en place ce soutien à la trésorerie, parce que cette année, effectivement, ils ont des baisses de rendement catastrophiques, mais ce que je voudrais vous dire, bien sûr qu'il faut adapter les productions au changement du climat, mais il ne faut pas renoncer non plus à la souveraineté alimentaire. Quand la filière des fruits et légumes ne suffit pas à l'autosuffisance alimentaire, ça veut dire qu'il faut progresser en matière d'autosuffisance alimentaire. Ça veut dire qu'il faut apporter de l'eau, chaque fois que l'on peut, de l'eau. Quand il y en a que ça ne déséquilibre pas le milieu naturel, pourquoi en priverait-on les agriculteurs ? Je trouve que c'est une injustice absolument fondamentale, et je veux protester contre l'attitude de certaines associations qui sont irresponsables en la matière.
HADRIEN BECT
Annie GENEVARD, assurer, comme vous le dites, la souveraineté alimentaire, ça passe aussi par plus d'usages de pesticides ou pas ?
ANNIE GENEVARD
Alors, cette question des produits phytosanitaires, c'est une question assez fondamentale.
HADRIEN BECT
Si je vous pose la question, pardon, c'est parce que vous avez déploré, cette semaine, des restrictions trop importantes sur certains pesticides. Qu'est-ce qu'il faut comprendre ?
ANNIE GENEVARD
Il faut comprendre qu'il y a aujourd'hui des filières qui sont menacées d'extinction parce qu'elles n'ont plus de quoi traiter leur production. Donc, il y a une espèce de grande confusion qui s'est installée sur cette question de ce qu'on appelle les pesticides, de ce qu'on appelle, de ce qu'il est plus raisonnable d'appeler les produits phytosanitaires. Il y a aujourd'hui des réponses phytosanitaires aux difficultés de production, aux attaques sanitaires. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, iI y a des produits qui sont utiles. Ce que je dis, c'est que la France a surtransposé des mesures.
HADRIEN BECT
Vous pensez à quoi par exemple ?
ANNIE GENEVARD
Elle nous a mis en concurrence directe avec les pays de l'Union européenne qui, eux, n'ont pas été aussi imprudents. Il y a des substances avec lesquelles il faut pouvoir continuer de travailler parce que ça permet de continuer de produire et que c'est très important de produire.
BERENGERE BONTE
En clair, vous voulez réautoriser ?
ANNIE GENEVARD
Non. Ce que je veux dire, c'est que toutes les décisions que l'ANSES s'est amenées à prendre doivent être regardées aussi par rapport aux conséquences économiques et sociales qu'elles emportent. Bien sûr, la question de la santé humaine ne se discute pas, mais aujourd'hui, moi, je veux, sur cette question, y aller sans a priori, y aller en prenant en compte tous les paramètres, et surtout dire que mon travail consiste à répondre à l'urgence, à proposer aux agriculteurs les mesures qu'ils attendent et je le fais systématiquement, à leur écoute, en essayant de calibrer les choses pour ce qu'ils attendent, mais au-delà de ça, il faut projeter les agriculteurs dans l'avenir, il faut leur donner à espérer, il faut que nos jeunes…
BERENGERE BONTE
Certains produits avaient été interdits parce qu'ils contribuaient au déclin des abeilles, par exemple.
ANNIE GENEVARD
On a bien fait de les interdire.
BERENGERE BONTE
Donc ça, vous ne voulez pas réautoriser, par exemple, sur les néonicotinoïdes ?
ANNIE GENEVARD
Il y a quatre familles néonicotinoïdes qui ont été interdits en Europe. Elles sont interdites partout, y compris en France, il n'est pas question de…
BERENGERE BONTE
Y compris sur les noisettes, par exemple, il y a un gros sujet.
ANNIE GENEVARD
Mais, moi, je veux redonner de l'espoir et là, la technologie peut aussi nous aider.
BERENGERE BONTE
On réautorise sur les noisettes ou pas ?
ANNIE GENEVARD
Vous savez qu'il y a des machines qui, aujourd'hui, peuvent traiter presque au brin d'herbe les mauvaises herbes, par exemple, qui perturbent les productions et réduisent de 70 à 80% l'utilisation des produits phytosanitaires. Il faut regarder du côté de la technologie aussi.
HADRIEN BECT
On regardera ça avec vous et on n'aura pas notre réponse, effectivement, sur les noisettes. Merci beaucoup.
ANNIE GENEVARD
Les noisettes, moi, j'espère…
BERENGERE BONTE
On réautorise ou pas ?
ANNIE GENEVARD
Aujourd'hui, ils n'ont pas de réponse et il faut leur en donner une, en effet.
HADRIEN BECT
Merci à vous, Annie GENEVARD, ministre de l'Agriculture, d'avoir été avec nous ce matin. Merci, Bérengère BONTE.
BERENGERE BONTE
Merci Hadrien.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2024