Audition de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur les résultats du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024, devant la Commission des affaires européennes, à l'Assemblée nationale le 30 octobre 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Merci beaucoup Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de me retrouver aujourd'hui devant la commission des affaires européennes pour une première audition. Je souhaite réaffirmer ma pleine disponibilité pour collaborer avec les parlementaires sur notre priorité européenne. Je crois profondément au rôle essentiel de la diplomatie parlementaire pour faire entendre la voix de la France en Europe, échanger avec les membres du Parlement européen et des autres parlements nationaux, et représenter la France dans les forums, conférences et think tanks où se débattent les grands enjeux stratégiques et économiques du continent.

Je me tiens à la disposition de la commission, notamment à l'occasion des réunions du Conseil européen et lors des débats majeurs concernant les priorités françaises en Europe. En accord avec le Premier ministre, je propose de réfléchir à des formats permettant d'associer les parlementaires nationaux le plus en amont possible aux discussions sur les textes européens, au-delà de leur transposition. Cela pourrait se concrétiser par des débats ou des auditions devant votre commission.

Ma mission vise également à faire vivre nos priorités européennes dans nos territoires. Je me suis récemment rendu dans l'Isère pour visiter une usine de tracteurs innovants financée par des fonds régionaux, et dans l'Essonne sur la problématique des semi-conducteurs, cruciale pour notre autonomie stratégique. Je reste à votre écoute pour relayer vos préoccupations territoriales.

Concernant les sujets abordés lors du dernier Conseil européen, le soutien à l'Ukraine demeure une priorité absolue. Le président Zelensky a présenté son plan de victoire, que la France soutient pleinement. Nous poursuivons notre appui militaire et économique à l'Ukraine face à l'agression russe, en coordination avec nos partenaires européens.

Dans le contexte des prochaines élections américaines, qui pourraient influencer la relation transatlantique et le soutien à l'Ukraine, notre position est claire : l'Europe doit se donner collectivement les moyens de maintenir son soutien à l'Ukraine, indépendamment des décisions prises outre-Atlantique. Il en va de la stabilité de notre flanc est, de la défense de nos valeurs et de la sécurité de nos intérêts stratégiques.

Nous sommes sur le point de finaliser un prêt de 50 milliards de dollars pour l'Ukraine, financé par les intérêts générés par les avoirs gelés de la banque centrale russe en Europe. Ce prêt sera réparti entre l'Europe (20 milliards), les États-Unis (20 milliards) et les autres membres du G7 (10 milliards). Notre objectif principal est de soutenir l'effort militaire ukrainien. Ces avoirs immobilisés génèrent actuellement entre 2 et 3 milliards d'euros d'intérêts par an.

Une première tranche de 1,4 milliard d'euros a été allouée au soutien militaire à l'Ukraine en août dernier. Certains blocages persistaient, tant du côté américain que hongrois, mais nous sommes en passe de les surmonter. Cet instrument poursuivra le soutien militaire à l'Ukraine, en complément des autres mesures de soutien, notamment le renouvellement de la facilité européenne pour la paix (FEP).

Au Proche-Orient, vous avez rappelé la position de la France, qui maintient sa position en faveur d'un cessez-le-feu immédiat garantissant la sécurité d'Israël et la libération inconditionnelle des otages. Je rappelle que deux otages français, Ohad Yahalomi et Ofer kalderon, sont toujours détenus par les terroristes du Hamas à Gaza. Nous plaidons pour l'accès de l'aide humanitaire aux civils palestiniens et la relance du dialogue politique régional, notamment par la création d'un État palestinien souverain aux côtés d'Israël, dans la sécurité de ce dernier.

Je souligne l'effort diplomatique mené par la France aux côtés de ses partenaires européens, notamment lors de la conférence de soutien au Liban tenue à Paris le 24 octobre. Réunissant plus de 70 pays, dont nos partenaires de l'Union européenne, elle a permis de mobiliser près d'un milliard d'euros de dons, dépassant les objectifs des Nations unies. Sur ce montant, 800 millions seront consacrés à l'aide humanitaire pour la population civile libanaise et 200 millions au soutien des forces armées libanaises pour le contrôle du territoire.

Concernant les migrations, sujet largement débattu lors du Conseil européen, une exigence partagée par la majorité des citoyens et des États membres est de répondre collectivement à ce défi en maîtrisant notre immigration et en contrôlant notre frontière extérieure. La création de l'espace Schengen, permettant la libre circulation au sein de l'Union européenne, constitue une avancée historique. Cependant, l'ouverture des frontières intérieures implique une véritable maîtrise de nos frontières extérieures et un soutien aux États en première ligne, comme l'Italie et la Grèce.

La priorité de la France, partagée par de nombreux voisins européens, est la mise en œuvre rapide et accélérée du pacte sur la migration et l'asile dans le respect de son équilibre. Ce pacte prévoit notamment une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne.

S'y ajoute l'ouverture du débat sur la directive retour afin de faciliter les expulsions de migrants illégaux. Les retours constituent une priorité du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, avec lesquels je collabore étroitement sur ces sujets.

Le troisième volet prioritaire concerne l'intégration de la question migratoire dans les dimensions externes de la politique européenne, notamment les visas, la conditionnalité de l'aide au développement et des partenariats plus robustes avec les pays de transit et de départ. Le partenariat récent entre l'Union européenne et la Tunisie a permis d'enregistrer des résultats positifs, avec une baisse des départs en Méditerranée centrale.

Un autre élément débattu lors du Conseil européen, touchant particulièrement nos partenaires d'Europe centrale et orientale, est l'instrumentalisation des migrations par le Bélarus. Nous avons collectivement exprimé notre solidarité et notre soutien à la Pologne et aux États affectés par cette pratique.

Cette question des migrations, prioritaire pour le Gouvernement, nécessite des réponses européennes. Face à ces enjeux complexes, seules la coopération européenne et la mise en œuvre rapide des solutions adoptées permettront d'obtenir des résultats durables. Cela inclut le renforcement des moyens l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), avec l'objectif d'atteindre 10 000 gardes-frontières.

Je souhaite réaffirmer notre position concernant les points que vous avez évoqués, qui ne figurent pas dans les conclusions du Conseil mais constituent des enjeux européens majeurs.

À propos de la Géorgie, il faut également mentionner la Moldavie, où nous avons constaté des ingérences russes massives. Ces pays candidats à l'Union européenne, situés dans notre voisinage immédiat, aspirent à l'intégration européenne. Les rapports des observateurs électoraux ont clairement démontré que les élections en Géorgie n'étaient pas libres et qu'elles se sont déroulées dans un climat de menaces, d'intimidation et de recul démocratique, comme l'a souligné le Parlement européen.

La Géorgie a fait le choix, soutenu par une immense majorité de sa population, de devenir candidate à l'Union européenne. Ce statut implique des responsabilités, notamment le respect de l'État de droit, l'intégrité des élections et l'adhésion aux valeurs inscrites dans les critères de Copenhague. C'est pourquoi nous suivons la situation avec une extrême vigilance. Nous saluons le fait que le gouvernement ait autorisé les manifestations pacifiques et nous avons exigé une enquête impartiale sur les élections. Je déplore cependant les décisions annoncées aujourd'hui par le gouvernement géorgien d'engager des poursuites judiciaires contre ceux qui remettent en question les résultats du scrutin.

Face à ces tentatives de déstabilisation et d'ingérence à nos frontières, l'Union européenne doit se réengager résolument dans ces régions trop longtemps négligées et considérées comme des zones grises ou des théâtres d'influence extérieure. Pensons à la Biélorussie avec la Géorgie, à l'Ukraine avant le début de la guerre d'agression russe le 24 février 2022, ou encore aux Balkans occidentaux. La France soutient un réengagement massif de l'Union européenne dans cette région.

Concernant les droits de douane, nous appuyons l'initiative de la Commission européenne. Il y a quelques mois, une enquête a été lancée contre les pratiques commerciales déloyales de la Chine dans le secteur des véhicules électriques. À la suite des conclusions de cette enquête, la Commission a proposé d'instaurer des droits de douane allant jusqu'à 35 % sur l'importation de véhicules électriques chinois, mesure entrée en vigueur hier.

Cette démarche s'inscrit dans la continuité de l'agenda défini par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne en 2017, prônant une Europe souveraine qui assume sa puissance sans naïveté et défend ses intérêts. Ce sujet s'entend aussi bien sur le plan sécuritaire, avec des investissements massifs dans la défense et les coopérations pour renforcer notre base industrielle européenne de défense, que sur le plan commercial, en imposant à nos partenaires les mêmes normes d'équité et pratiques commerciales loyales, sans oublier le volet environnemental. Le fait que l'Europe sorte d'une forme de naïveté et se défende face aux pratiques déloyales de la Chine constitue une avancée positive. Je rappelle d'ailleurs que l'administration Biden a imposé des tarifs de 100 % sur les véhicules électriques chinois. Si nous ne voulons pas être les derniers à réagir et subir davantage de déséquilibres, nous devons être en mesure de nous défendre.

Quant à l'accord avec le Mercosur, je tiens à réitérer la position claire et ferme du Gouvernement, du Président de la République et du Premier ministre : cet accord n'est pas acceptable en l'état car il ne respecte pas nos exigences en matière de durabilité, de respect des accords de Paris, de clauses miroirs, et d'équité commerciale, notamment pour nos agriculteurs. La France n'est pas opposée aux accords commerciaux par principe. L'accord de nouvelle génération avec la Nouvelle-Zélande, qui place les accords de Paris au cœur du dispositif, va dans la bonne direction. Cependant, lorsqu'un accord comme celui avec le Mercosur ne respecte pas ces exigences, nous devons nous y opposer.

Notre diplomatie est pleinement mobilisée sur ce sujet. À titre personnel, je me suis entretenu hier avec mes homologues danois, polonais, chypriotes et grecs pour réaffirmer notre opposition et rallier nos partenaires. Je sais que les autres membres du Gouvernement, notamment la ministre de l'Agriculture et la ministre du Commerce extérieur, partagent cette position. Vous pouvez compter sur notre détermination et notre vigilance sur ce dossier.

(...)

R - Je souhaite évoquer le double rattachement de mon ministère, au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères. Cette configuration vise à assurer une présence ministérielle accrue auprès des institutions européennes, notamment en identifiant les commissaires et parlementaires européens de tous les groupes auprès desquels faire valoir la défense de nos intérêts.

Je partage vos positions concernant la Hongrie. À cet égard, le président du Conseil européen, Charles Michel, a clairement affirmé que Viktor Orbán ne représentait que la Hongrie et non l'Union européenne. De même, les autres États membres ont fermement condamné les fraudes lors de l'élection géorgienne.

Nous maintenons notre soutien à la présidente Maia Sandu, notamment dans sa lutte contre la corruption, pour les réformes et le renforcement de l'État de droit et de la démocratie en Moldavie. Je tiens également à saluer le courage de la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, compte tenu de nos liens spécifiques avec elle.

Sur les élections américaines, la conclusion qu'il faudra en tirer quel que soit le résultat, est que nous ne pouvons pas jouer la sécurité de l'Europe tous les quatre ans en nous basant sur les résultats du Michigan ou du Wisconsin. Bien au contraire, nous devons collectivement assurer notre propre sécurité. C'est pourquoi il nous appartiendra d'investir stratégiquement dans notre outil militaire et de soutenir notre base européenne de défense. De surcroît, il sera indispensable d'investir massivement dans notre compétitivité. Le rapport Draghi a souligné le décrochage industriel de l'Europe, tant du point de vue des investissements publics que privés. Notre retard se manifeste également dans le domaine des brevets sur l'intelligence artificielle. Au cours des trente dernières années, les États-Unis ont généré deux fois plus de PIB que l'Europe.

Pour maintenir notre influence sur la scène internationale et continuer à peser dans les débats d'idées, nous devons impérativement prendre notre destin en main.

(...)

R - Monsieur le Député, je partage fondamentalement votre analyse de la situation ukrainienne. La guerre menée par la Russie contre nos valeurs européennes, l'architecture de sécurité de notre continent et la préservation de la démocratie en général rendent urgent le soutien à l'Ukraine.

Concernant les avoirs gelés, nous avons effectivement immobilisé ceux de la Banque centrale russe en Europe au lendemain de l'agression. Il a fallu du temps pour parvenir à un consensus sur la confiscation des seuls revenus des intérêts générés par ces avoirs gelés. Ces fonds permettront de financer le prêt de 50 milliards de dollars avec les États-Unis et les autres membres du G7.

Des débats complexes subsistent sur l'équité et le risque systémique pour la zone euro que pourrait représenter une confiscation générale des avoirs gelés. Je précise néanmoins que les conclusions du Conseil européen et des différentes réunions des pays du G7 stipulent clairement que ces avoirs ne seraient dégelés que lorsque la Russie cesserait son agression et accepterait de verser des réparations à l'Ukraine pour les dommages économiques et humains causés par son agression. Un travail juridique se poursuit avec nos partenaires du G7 sur ce sujet.

Le contournement des sanctions constitue effectivement un enjeu majeur. C'est pourquoi nous avons, à plusieurs reprises, adapté et renforcé notre système de sanctions au niveau européen. De nouveaux débats auront lieu lors de la présidence polonaise de l'Union européenne à partir du 1er janvier prochain, précisément sur cette question. Nous collaborons avec le coordinateur des sanctions de l'Union européenne, M. O'Sullivan, pour combler toutes les failles, qu'il s'agisse du contournement des sanctions par des pays tiers (parfois même candidats à l'adhésion à l'Union européenne) ou de la création de filiales dans ces pays. Le renforcement de nos instruments européens pour prévenir le contournement des sanctions constitue une de mes priorités personnelles.

Enfin, concernant la compétitivité, nous devons protéger nos intérêts industriels face à la concurrence déloyale de la Chine et au protectionnisme américain découlant de l'Inflation Reduction Act (IRA), qui incite certaines industries européennes à se délocaliser aux États-Unis. Le message que nous portons est celui d'une Europe qui n'est pas naïve, capable d'investir dans sa souveraineté et de défendre ses intérêts industriels et son innovation.

(...)

R - Monsieur le Député, je partage entièrement votre analyse concernant la question migratoire et la priorité accordée par le Gouvernement à l'accélération de la mise en œuvre du pacte sur la migration et l'asile. Initialement prévu pour juin 2026, le calendrier a été avancé d'au moins six mois. Nous collaborons avec nos partenaires pour concrétiser cette accélération, tout en préservant l'équilibre initial du pacte, élément essentiel pour maintenir le soutien de tous les États membres.

Nous appuyons la révision de la directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive Retour), afin de faciliter le renvoi et l'expulsion des migrants en situation irrégulière sur le territoire européen. Nos priorités se reflètent d'ailleurs dans la récente communication de la présidente de la Commission européenne, notamment l'accélération du pacte, la révision de la directive Retour, l'intégration de la maîtrise de l'immigration dans la politique extérieure de l'Union européenne, la conditionnalité des visas et du développement, ainsi que le renforcement des partenariats avec les pays de transit et de départ. Nous nous félicitons que la Commission européenne en fasse également une priorité, reprenant ainsi le message porté par la France ces derniers mois.

Concernant le Mercosur, je réitère la position inflexible de la France : nous nous opposons à un accord qui, en l'état, ne respecte pas nos exigences. Comme vous l'avez souligné, il s'agit d'équité commerciale pour nos entreprises et nos agriculteurs. Si nous nous imposons des normes et des critères, il est légitime que nos partenaires commerciaux en fassent de même. Nos exigences portent également sur le plan environnemental et le respect des accords de Paris. Bien que ce sujet n'ait pas été officiellement à l'ordre du jour du Conseil, soyez assurés que nous l'abordons systématiquement et sans ambiguïté lors de nos échanges avec nos interlocuteurs, que ce soit au niveau du Président, du Premier ministre ou des membres du Gouvernement.

Un des enjeux actuels réside dans notre opposition sur le fond, mais aussi face à la méthode employée par la Commission qui cherche à scinder l'accord entre sa dimension commerciale et sa dimension politique afin de contourner l'exigence d'un vote à l'unanimité. Cela ne correspondrait pas au mandat qui lui a été confié. Nous faisons valoir ces arguments tant auprès de la Commission que de nos partenaires européens.

(...)

R - Je tiens à souligner deux points en réponse à vos observations. D'une part, la France accorde une grande importance à la question de la sécurité alimentaire, ce qui se reflète dans de nombreuses initiatives, notamment dans le dialogue du Président de la République avec les pays du Sud global. L'agression russe contre l'Ukraine engendre des conséquences stratégiques et constitue une attaque contre nos valeurs démocratiques et européennes, mais elle impacte également directement la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et les prix des denrées. Ces impacts se ressentent tant pour nous-mêmes que pour nombre de nos partenaires du Sud global. Nous veillons à ces intérêts dans nos discussions avec ceux-ci.

À cet égard, j'exprime notre solidarité avec nos partenaires espagnols et les assure que nous sommes disposés, avec nos voisins européens, à les soutenir face à la situation actuelle.

Concernant le Mercosur, j'ai rappelé la position de la France.

Vous avez évoqué les causes profondes de l'immigration, qui figurent effectivement parmi les priorités de l'agenda de développement de l'Union européenne. Nous pouvons citer les enjeux climatiques, économiques et les transitions démographiques. S'attaquer à la maîtrise de nos frontières et à la mise en œuvre du pacte Asile et migration n'exclut en rien l'élaboration d'une politique plus solide de co-développement sur le long terme avec les pays d'origine. Cet objectif doit indéniablement être considéré comme prioritaire.

(...)

R - La compétitivité constituera l'une des priorités majeures de la France. Le sommet informel à Budapest la semaine prochaine l'évoquera. La prochaine Commission et le futur cadre financier devront cibler nos priorités à cet égard, en partant du constat simple que j'ai évoqué : le risque de décrochage industriel de l'Europe face à ses partenaires et concurrents.

Pour y répondre, nous devons mieux mobiliser notre épargne publique et privée, en créant d'abord un environnement d'investissement plus favorable. Cela implique de mettre l'accent sur l'innovation plutôt que sur la régulation, d'unifier les marchés de capitaux et de réfléchir au mandat de la Banque européenne d'investissement. Actuellement trop conservateur, ce mandat pourrait s'élargir au financement du nucléaire ou de la défense, secteurs qui en sont aujourd'hui exclus.

Nous devons également envisager la mobilisation de l'investissement public et de la dette, comme lors de la crise Covid, vers les priorités, notamment les technologies d'avenir tels que l'intelligence artificielle et le quantique, ou encore le soutien à la transition environnementale.

Ces priorités se retrouvent dans le portefeuille de notre candidat à la Commission européenne, Stéphane Séjourné. Nous travaillerons avec lui pour assurer la souveraineté technologique et industrielle de notre continent. Je le répète, en nous comparant sur les trente dernières années en termes d'innovation, de création de brevets et de mobilisation des investissements, nous accusons un retard considérable par rapport à nos voisins et notamment les États-Unis. Cette situation doit sonner comme un signal d'alarme pour les Européens.

Concernant l'Ukraine, je réitère l'engagement de la France dans le soutien militaire, avec la formation de 2 300 soldats ukrainiens sur le sol français, la livraison des Mirage dès l'an prochain, notre appui aux différents instruments européens comme la FEP que j'ai mentionnés précédemment.

Vous évoquez à juste titre la Hongrie, mais je tiens à souligner, pour voir le verre à moitié plein, que nous avons su rester unis pour l'Ukraine, notamment en renouvelant régulièrement les sanctions. Nous devons persévérer dans cette voie, quel que soit le résultat des élections américaines.

(...)

Nous partageons votre exigence de réponse aux questions migratoires, une priorité évoquée par le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale. Vous mentionnez le succès du modèle italien, mais il convient de nuancer cette affirmation. Actuellement, aucun demandeur d'asile n'est présent en Albanie dans le cadre de l'accord avec l'Italie. De même, pour prendre un exemple en dehors de l'Union européenne, l'accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda n'a pas encore connu d'application concrète.

Les résultats obtenus en Méditerranée centrale ces derniers mois, avec la baisse des traversées en 2024, sont le fruit de la coopération européenne. Ils découlent des réponses que nous avons su apporter conjointement avec l'Italie, un pays de première entrée qui a trop longtemps été laissé seul pour maîtriser nos frontières extérieures. Mme Meloni a compris la nécessité de cette solidarité et de ce partenariat européen, une fois arrivée au pouvoir. Ce n'est qu'à travers cette coopération européenne et la mise en œuvre rapide du pacte sur la migration et l'asile que nous pourrons obtenir les résultats les plus efficaces.

Concernant l'externalisation, ou ce que l'on nomme "solutions innovantes", au-delà des considérations juridiques et constitutionnelles qu'elles soulèvent, on peut s'interroger sur leur efficacité logistique et financière. Sans pour autant affirmer que ces mesures sont taboues ou doivent être exclues du débat, il faut souligner qu'elles ne sont actuellement pas mises en œuvre par l'Italie, et n'expliquent donc pas les résultats enregistrés.

Je tiens à réaffirmer notre détermination, notamment en ce qui concerne les positions innovantes du Premier ministre et les propos très clairs du Président de la République sur la mise en œuvre du pacte Asile et migration, la révision de la directive Retour et l'application des politiques externes de l'Union européenne sur les questions migratoires. Ces questions se reflètent effectivement, comme vous l'avez souligné Monsieur le Député, dans les priorités évoquées par la présidence de la Commission européenne.

(...)

R - Ces sujets européens, complexes par nature, méritent d'être traités avec plus de nuance et moins de caricature et d'outrance.

J'ai précédemment évoqué la situation de l'Italie face au défi migratoire. Dans leurs propositions, nombre de vos alliés préconisent des solutions nationales et la sortie des traités européens. Pourtant, une fois au pouvoir, ils comprennent, à l'instar de leurs homologues, la nécessité de la coopération européenne dans la défense de nos intérêts. C'est précisément ce que nous faisons, que ce soit sur le plan sécuritaire, énergétique ou commercial. Nous défendons les intérêts de la France au sein de l'Europe, en partenariat avec nos voisins, afin de promouvoir une Europe capable d'assumer sa puissance et sa souveraineté, et de protéger ses frontières face aux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine.

À l'approche des élections américaines qui pourraient avoir un impact direct sur nos intérêts si l'on en croit les menaces protectionnistes de certains candidats soutenus par votre mouvement. Pourtant, ces menaces pourraient nuire à nos agriculteurs, nos entreprises et nos industries. De plus, les risques sécuritaires liés à l'absence de soutien à l'Ukraine soulignent la nécessité d'une action collective avec nos voisins européens, si nous entendons continuer à défendre nos intérêts.

Soyons sérieux. Il ne s'agit nullement, Monsieur le Député, d'une "dissolution de la France", mais bien de notre capacité à agir collectivement. Sur tous ces sujets, qu'il s'agisse de la mise en œuvre du pacte Asile et migration, de la défense de nos frontières extérieures, ou de l'opposition à l'accord du Mercosur, nous portons la voix de la France dans les enjeux commerciaux. La décision récente d'imposer des tarifs douaniers aux véhicules électriques importés de Chine, en réponse aux pratiques commerciales déloyales de ce pays, illustre parfaitement cette démarche de la France.

Les priorités de la France, portées depuis sept ans – souveraineté industrielle et technologique, défense, nucléaire comme énergie de décarbonation en Europe – se reflètent aujourd'hui dans les priorités de la Commission européenne et dans le portefeuille de Stéphane Séjourné, notre candidat à la Commission européenne.

Nous assistons ici à l'expression de deux visions idéologiques distinctes, qui se sont d'ailleurs exprimées dans le débat sur le prélèvement sur recettes.

Un dernier mot, Monsieur le Député : l'exemple du Brexit britannique démontre qu'à force de demander des rabais, on finit par sortir de l'Union européenne. Notre place dans l'Union européenne et notre contribution ne se résument pas à un simple bilan comptable avec des entrées et des sorties. Elle englobe aussi les avantages pour nos agriculteurs de participer au marché agricole commun, pour nos entreprises d'accéder au marché unique, et pour nos étudiants et citoyens de pouvoir voyager librement. C'est cela aussi, la participation de la France à l'Union européenne, qui se reflète à travers notre contribution au budget.

(...)

R - Je tiens à préciser que nous pourrons approfondir ces sujets complexes ultérieurement si vous le souhaitez. Concernant l'instrumentalisation des migrations, les membres du Conseil ont clairement exprimé leur soutien et leur solidarité envers la Pologne, notamment dans les moyens mis en œuvre pour lutter contre cette guerre hybride. Il ne s'agit pas ici de flux migratoires normaux, mais bien d'une instrumentalisation politique.

Quant à Frontex, je vous apporterai des précisions sur le calendrier. Nous soutenons activement le recrutement de personnel et le renforcement financier de l'agence.

S'agissant des véhicules thermiques, il convient de rappeler que la dernière mandature a permis des avancées significatives en matière environnementale. L'objectif n'est pas d'élaborer de nouvelles mesures, mais de mettre en œuvre celles existantes et d'accompagner les industries dans cette transition. Le Gouvernement s'y attelle particulièrement.

Enfin, concernant le Mercosur, je réitère mes propos précédents : nous nous efforçons de mobiliser nos partenaires afin de constituer une minorité de blocage.

(...)

R - Je souhaite souligner la pertinence de votre référence à l'IA Act. Cette législation a effectivement permis d'établir une charte de normes éthiques et déontologiques encadrant le développement et l'utilisation de certaines capacités de l'intelligence artificielle, notamment concernant la création de contenus comme les deep fakes. Cette réglementation s'inscrit dans l'agenda de l'Union européenne et s'impose aux entreprises opérant sur le territoire européen, à l'instar du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA) qui régissent les plateformes technologiques.

Néanmoins, il convient de rappeler que pour exercer une influence significative dans ce domaine, nous ne pouvons laisser à nos partenaires et concurrents le monopole du développement de l'intelligence artificielle. En effet, c'est l'innovateur qui joue un rôle prépondérant dans l'établissement des normes, le régulateur n'intervenant qu'à la marge.

Actuellement, la répartition des investissements en intelligence artificielle est révélatrice : 61 % sont dirigés vers les États-Unis, 17 % vers la Chine, et seulement 6 % vers l'Union européenne. Il est donc impératif de combler ce retard en investissant massivement, tout en respectant les normes élaborées par la Commission européenne.

Cette démarche constituera une priorité majeure pour notre compétitivité dans ce secteur stratégique.

(...)

R - Je vous remercie de mentionner les Balkans occidentaux, dont la situation nous rappelle l'existence d'autres zones grises d'influence extérieure au cœur de notre continent. Nous accompagnons ces pays dans leur processus d'adhésion à l'Union européenne, qui exige des réformes importantes en matière d'État de droit, de lutte contre la corruption, de réforme des marchés et de résolution des conflits bilatéraux. En particulier, le dialogue entre le Kosovo et la Serbie constituera une priorité.

La présidence française de l'Union européenne a permis des avancées significatives, notamment sur le blocage entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord, en refusant que des enjeux bilatéraux entravent le processus d'adhésion. Je m'implique personnellement sur ce sujet. J'étais d'ailleurs récemment en Allemagne pour le processus de Berlin, avec nos partenaires de la région.

L'année prochaine marquera le trentième anniversaire du génocide de Srebrenica contre les Bosniaques, mais aussi celui des accords de Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. Ces événements nous rappellent l'urgence de nous impliquer dans cette région, tant pour la résolution des conflits que pour accompagner son cheminement vers l'Union européenne.

(...)

R - Je vous remercie pour votre remarque pertinente, Monsieur le Député. En effet, deux enjeux majeurs se dégagent. D'une part, le contenu de l'accord, fréquemment évoqué, notamment concernant les normes environnementales et les questions commerciales. D'autre part, le processus lui-même soulève des interrogations.

Sans dévoiler la teneur précise de nos échanges avec les différents partenaires, je peux indiquer que certains partagent nos préoccupations sur le fond, redoutant les répercussions potentielles sur l'agriculture ou l'environnement. D'autres s'inquiètent, comme vous l'avez souligné, du découpage envisagé. Celui-ci permettrait à la Commission de revenir sur le mandat originel qui lui est donné, en séparant la dimension associative de la dimension commerciale, contournant ainsi le principe de mixité des accords.

Nous nous opposons fermement à cette démarche. C'est l'argument que nous devons faire valoir auprès de nos partenaires pour constituer une minorité de blocage, tant au Conseil qu'au Parlement européen, lequel devra se prononcer sur le fond de l'accord.

(...)

R - Je confirme que le soutien de la France à la FEP, un instrument que nous avons activement promu, s'élève à environ 18 % à 20 % de l'enveloppe globale. Je n'en connais pas le montant exact avec précision mais il est facile à retrouver.

Nous considérons l'envoi de troupes nord-coréennes en Ukraine – qui semble se confirmer – comme un facteur d'escalade, au même titre que le soutien iranien à la Russie via la fourniture de missiles et de drones. Nous avons dénoncé ces envois de troupes et avons rappelé avec fermeté la nécessité de défendre notre sécurité à nos frontières.

Cette situation souligne une fois de plus la nécessité impérieuse de renforcer notre capacité à défendre notre sécurité aux frontières de l'Europe. C'est pourquoi nous poursuivons notre coopération étroite avec notre partenaire ukrainien.

(...)

R - Vous avez raison, et je suis parfaitement conscient de votre engagement sur ce sujet. Cette région des Balkans revêt une importance stratégique pour nous et pour l'Europe. Nous devons par conséquent être en mesure d'accompagner ces pays dans le processus européen. Je préfère ne pas employer le terme "accéléré", car ce processus doit évidemment se dérouler dans le respect des critères de Copenhague, impliquant des réformes de l'État de droit, la lutte contre la corruption et des réformes économiques. Cependant, cette précision n'a pas pour but de fermer la porte, mais au contraire de les accompagner en soutenant les forces pro-européennes, nombreuses dans cette région, et la société civile. Il s'agit également d'investir sur le plan économique, car cette zone offre de réelles opportunités.

Le succès de la récente visite du Président de la République en Serbie en témoigne, tout comme la relation bilatérale riche que nous entretenons avec Belgrade. Notre investissement est primordial, non seulement dans le cadre du processus d'adhésion, mais aussi de manière absolue, notamment dans la résolution des conflits, comme je l'ai évoqué précédemment avec la députée Karamanli.

Pour conclure, je tiens à vous féliciter et à vous remercier, ainsi que les autres députés, pour votre implication dans la COSAC et dans les différents organes de dialogue parlementaire. Votre participation à ces forums permet de faire entendre la voix de la France, de défendre nos intérêts et notre vision. L'influence de notre pays se joue également dans ces instances, à travers la diplomatie parlementaire.

(...)

R - Je tiens à préciser que le protectionnisme n'est pas notre objectif. Au contraire, nous cherchons plutôt à établir des échanges commerciaux équitables avec nos partenaires, fondés sur des normes et des standards respectés par tous. Pour autant, face à des pratiques de concurrence déloyale, nous devons être en mesure de nous défendre et de protéger nos secteurs susceptibles d'être affectés par des mesures de rétorsion.

J'ai pris note que la Commission européenne avait évoqué l'identification de mesures compensatoires pour les secteurs touchés par ces rétorsions. Nous appuyons pleinement cette initiative. Notre but est précisément de modifier les pratiques de concurrence déloyale, qu'elles émanent de nos partenaires chinois ou américains, et d'éviter d'entrer dans ce type de cycle. Cependant, nous ne pouvons y parvenir qu'en restant unis et solidaires en tant qu'Européens, afin de défendre nos intérêts et d'assumer les rapports de force inhérents à ces négociations.

Il est temps de nous affranchir d'une certaine naïveté qui a longtemps caractérisé l'Union européenne sur ces sujets.

(...)

R - Je ne souhaite pas anticiper des décisions qui n'ont pas encore été prises. Notre objectif actuel est d'exprimer de manière claire et ferme, à tous les niveaux, auprès de nos partenaires, de la Commission européenne et de nos homologues européens, notre opposition catégorique à cet accord.

Je réitère que celui-ci ne satisfait pas les exigences formulées à maintes reprises par le Président de la République, le Premier ministre et les différents membres du Gouvernement. Je suis également conscient que cette position est partagée par les parlementaires lors de nos échanges.

L'accord ne répond pas à nos attentes, tant sur le plan de l'équité commerciale que sur celui de l'équité environnementale. C'est pourquoi nous maintenons fermement notre position et continuons à nous mobiliser.

(...)

R - Je vous remercie d'avoir souligné les progrès réalisés par le gouvernement précédent concernant la réforme du marché européen de l'énergie. Ces avancées incluent notamment le découplage des prix de l'électricité et du gaz, ainsi que la reconnaissance du nucléaire comme une énergie essentielle à la décarbonation du continent, parallèlement aux investissements dans les énergies renouvelables et aux objectifs de réduction des émissions. Nous maintiendrons notre engagement sur ces questions.

Cependant, je souhaiterais vous interroger sur votre position alternative concernant le marché européen de l'énergie, que je peine à saisir clairement. Préconisez-vous d'en sortir, d'y rester ou de le réformer ? J'ai entendu des positions très contradictoires à ce sujet, alors que la France a souvent été exportatrice sur ce marché, ce qui s'est avéré bénéfique pour nos intérêts nationaux.

Une fois de plus, nous avons obtenu des résultats concrets pour la réforme du marché européen de l'énergie, mais votre proposition alternative demeure floue pour moi. Je suis convaincu qu'un retrait de ce marché ne servirait pas les intérêts des Français, qu'il s'agisse des contribuables ou des entreprises.

Q (M. Pascal Lecamp) - Un article de presse évoquait récemment que "la Commission travaille à un fonds d'indemnisation des agriculteurs" dans l'espoir d'apaiser les inquiétudes. Le Gouvernement devrait affirmer que ce fonds ne satisfera pas l'ensemble des agriculteurs et ne répondra pas aux attentes. Les conclusions du Conseil européen du 22 mai 2018 stipulent que l'accord entre l'Union et le Mercosur demeure un accord d'association sans possibilité de dissocier le volet commercial.

Nous sommes plus de 200 signataires d'une tribune que nous présenterons mercredi prochain lors de la prochaine séance à l'Assemblée, à l'initiative du président Chassaigne. Nous sommes tous convaincus de l'unanimité du Parlement sur cette question.

R - Je suis en phase avec l'ensemble de vos propos.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2024