Texte intégral
ADRIEN GINDRE
Bonjour, Annie GENEVARD.
ANNIE GENEVARD
Bonjour Adrien GINDRE
ADRIEN GINDRE
Une question très simple, la colère agricole ? va-t-elle faire un retour massif ? On voit poindre les appels à la mobilisation pour ces prochains jours, dès aujourd'hui d'ailleurs, en particulier à partir de vendredi. Ces actions sont-elles légitimes de votre point de vue ?
ANNIE GENEVARD
Cette colère, cette inquiétude, je l'entends, je la mesure, je la comprends. Il y a des territoires qui souffrent beaucoup, la crise climatique, la crise sanitaire. Et puis, au-delà, je crois aussi une quête de sens sur le métier d'agriculteur. Beaucoup de normes, beaucoup de contraintes, beaucoup d'empêchements.
ADRIEN GINDRE
Mais c'est une colère justifiée.
ANNIE GENEVARD
Beaucoup de remises, beaucoup de remises en cause. Moi, il ne m'appartient pas de mettre de l'huile sur le feu, moi, il m'appartient, mon rôle, c'est d'identifier les problèmes, les blocages et d'y apporter des réponses, c'est à cela que je travaille avec eux.
ADRIEN GINDRE
Vous dites : " En 50 jours, j'ai fait tout ce qu'on leur a promis en dix mois " Cela veut dire qu'aujourd'hui, ils n'ont pas de raison d'être en colère et de se mobiliser après ce que vous avez fait ?
ANNIE GENEVARD
Je crois qu'il faut le temps que les mesures percolent sur le terrain. Elles sont dans le budget, j'ai honoré les engagements qui avaient été pris par l'Etat, je crois que c'est une question de confiance, de respecter la parole qui a été donnée. Et puis j'ai ajouté aussi d'autres mesures parce que la crise s'est intensifiée sur certains territoires, heureusement pas partout. Tout ne va pas mal en agriculture, mais il y a des territoires qui souffrent beaucoup, des agriculteurs qui s'interrogent, donc il est très important de répondre à ce qu'ils attendent.
ADRIEN GINDRE
Dans les dernières mesures que vous avez annoncées, il y a ce qu'on appelle le contrôle unique. C'est un peu compliqué comme ça, mais pour le dire très simplement, pour les agriculteurs, ça veut dire qu'une seule fois par an, ils seront soumis à un contrôle administratif et pas de manière incessante qui est l'une de leurs revendications. Est-ce qu'au-delà de cette mesure-là, aujourd'hui, vous êtes en capacité d'apporter encore des mesures supplémentaires pour répondre à cette colère ?
ANNIE GENEVARD
Des mesures de simplification et il le faut, c''est indispensable. Tous les agriculteurs nous disent à quel point l'exercice de leur métier est compliqué, est devenu compliqué, contraignant, beaucoup de démarches administratives, beaucoup de contrôles, beaucoup de normes.
ADRIEN GINDRE
Et c'est pour ça que ce qui devait être fait a été fait ?
ANNIE GENEVARD
Mais ce qui devait être fait a été engagé, mais il est clair que la dissolution, l'interruption politique pendant plusieurs mois complique la donne, mais je crois qu'il faut se placer dans une perspective d'avenir. Le contrôle administratif unique, je dis bien le contrôle administratif unique, cela exclut le judiciaire, le fiscal. Mais c'était très demandé, cela faisait des mois qu'on en parlait, je l'ai fait rapidement parce que c'est une attente et je veux travailler comme cela. Je vais chaque semaine sur le terrain, j'écoute, j'identifie les blocages et ensuite je fais les propositions.
ADRIEN GINDRE
Est-ce que vous irez sur le terrain ces prochains jours, s'il y a des actions de blocage, des opérations escargot, des blocages de routes, du fumier ou du lisier devant des préfectures ? Est ce que vous irez voir ces agriculteurs-là ?
ANNIE GENEVARD
Moi, je les reçois beaucoup, je vais les voir sur le terrain, vous savez, je n'ai jamais, cela fait 20 ans que je côtoie les agriculteurs…
ADRIEN GINDRE
Dans leur exploitation plutôt que sur les points de blocage.
ANNIE GENEVARD
Mais surtout dans les exploitations, bien sûr. Moi, je e dis simplement une chose je suis une femme de dialogue, donc le dialogue sera toujours présent avec moi. Et il ne faut pas de violence, pas de violence à l'égard des forces de l'ordre, pas de dégradation des biens publics parce que c'est le contribuable qui paie. Pas de désordre au moment où on approche les fêtes de Noël qui sont tellement importantes pour nos petits commerçants, nos artisans, donc…
ADRIEN GINDRE
C'est l'appel que vous leur lancez, ce matin ?
ANNIE GENEVARD
L'Agriculture est notre bien commun, les agriculteurs sont, les Français aiment les agriculteurs, il ne faut pas rompre ni abîmer ce lien entre les Français et les agriculteurs.
ADRIEN GINDRE
Mais quand on entend, Annie GENEVARD, déjà par exemple, la COORDINATION RURALE dans le Lot-et-Garonne qui dit envisager à partir de la semaine prochaine des actions de blocage du fret alimentaire français, la livraison de nourriture. Si cela se produit, il y aura une intervention des forces de l'ordre ?
ANNIE GENEVARD
Ecoutez, il y a des limites, effectivement, qu'il faudra poser. Il faut pouvoir acheminer l'alimentation, il faut pouvoir servir les commerces dans lesquels les Français s'approvisionnent, donc, moi, j'invite chacun à l'esprit de responsabilité. Manifester, c'est un droit constitutionnel, chacun en a la liberté, c'est très important de le rappeler. Mais les limites, c'est la violence et la dégradation, c'est l'empêchement, aussi, de la circulation des personnes, de la nourriture Et puis j'insiste sur la période économique qui n'est quand même pas simple, aujourd'hui, dans notre pays. On approche Noël, c'est important aussi de protéger ces commerçants, ces artisans qui vont faire le gros de leur chiffre d'affaires de l'année à ce moment-là.
ADRIEN GINDRE
Sinon, il y aura intervention des forces de l'ordre ?
ANNIE GENEVARD
Ecoutez, moi, je ne suis pas là, ce matin, pour menacer…
ADRIEN GINDRE
Vous posez un cadre.
ANNIE GENEVARD
Je dis : « Cette colère, je la mesure ». Je pose un cadre, effectivement, je dis le dialogue, il sera toujours présent, de mon côté, c'est une constante. C'est comme cela que j'ai toujours agi en politique.
BRUCE TOUSSAINT
Risquez-vous que la colère perdure alors ?
ANNIE GENEVARD
La colère perdure parce que je crois qu'il y a très profondément, au-delà des difficultés conjoncturelles, il y a la crise sanitaire qui touche leur cheptel, il y a la crise climatique qui les a empêchés de semer, de récolter. Mais au-delà de cela, il y a une crise de sens, presque une crise existentielle. Au fond, ce que demande…
BRUCE TOUSSAINT
Alors, là, vous dites : « Au fond, ce n'est pas, je ne peux rien faire ».
ANNIE GENEVARD
Ce que demandent les agriculteurs, c'est que les Français leur disent clairement quelle est la place qu'ils ont dans la société. Quand on les empêche de produire, imaginez-vous qu'ils remplissent un rôle qui est absolument essentiel, qui est celui de nourrir la population. Si on les empêche de produire, on les empêche de faire ce pour quoi ils sont faits, ce qu'ils aiment faire. Donc c'est cela à quoi il faut répondre, il faut leur dire combien ils sont importants pour le pays. Et tout mon travail consiste à apporter des réponses les plus précises, les plus les plus adaptées à leur demande et de dire aux Français : « Attention, protégeons notre agriculture, C'est un bien commun précieux ».
ADRIEN GINDRE
Un point très précis qui est un objet de mobilisation, l'accord dit du Mercosur, c'est un accord de libre-échange avec des pays d'Amérique du Sud qui prévoit, notamment, l'importation en Europe de dizaines de milliers de tonnes de viande de boeuf. C'est le sujet qui fait le plus réagir et qui doit nous permettre en échange d'exporter du lait ou des voitures. Vous avez dit cet accord ne sera pas signé à l'occasion du prochain G20 à Rio dans quelques jours. Est-ce que vous pouvez garantir aux agriculteurs ce matin que le Mercosur ne s'appliquera jamais en France ?
ANNIE GENEVARD
Non, ça je ne peux pas le dire. Ce que j'ai dit simplement, c'était qu'il est très peu probable que cet accord soit signé à ce G20…
ADRIEN GINDRE
Non…
ANNIE GENEVARD
Puisque la commission ne sera pas constituée…
ADRIEN GINDRE
Commission européenne.
ANNIE GENEVARD
Vous savez que tous les commissaires européens n'ont pas été nommés.
ADRIEN GINDRE
Donc, la menace reste.
ANNIE GENEVARD
Donc ce n'est pas à ce G20 que le Mercosur. Mais bien sûr que la menace demeure. Et c'est bien pour ça qu'il faut se mobiliser fortement. On a un alignement des positions français. Nous ne voulons pas de cet accord. Nous ne voulons pas de cet accord parce qu'il est mauvais. Il va voir arriver des quantités de produits qui sont fabriqués avec des substances qui sont interdites chez nous. Donc ça, ce n'est pas possible et de surcroît au prix de la déforestation. Donc, ça concurrence déloyale de nos propres productions. C'est fait avec des substances qui sont interdites chez nous et ça se fait au prix de la déforestation.
ADRIEN GINDRE
Vous confirmez d'ailleurs…
ANNIE GENEVARD
Trois raisons pour lesquelles on ne peut…
ADRIEN GINDRE
Que le Brésil a déjà exporté de la viande de vache aux hormones en Europe.
ANNIE GENEVARD
Pardon ?
ADRIEN GINDRE
Que le Brésil a déjà exporté de la viande de vache aux hormones en Europe. C'est ce qu'un audit européen a révélé.
ANNIE GENEVARD
Il est clair que c'est précisément ce que nous voulons empêcher. C'est précisément ce que nous ne voulons pas.
ADRIEN GINDRE
Mais ça s'est produit.
BRUCE TOUSSAINT
Et les consommateurs, ils ont une responsabilité dans tout ça ?
ANNIE GENEVARD
Les consommateurs, ils sont attachés aux productions françaises.
BRUCE TOUSSAINT
Oui.
ANNIE GENEVARD
Mais souvent un poulet sur deux qui est consommé vient de l'étranger. Pourquoi ? Parce qu'évidemment, c'est le prix qui est en question. Le coût du travail, et vous le savez, est plus important chez nous. Je crois qu'il faut vraiment que, stratégiquement, on travaille sur l'entrée de gamme de qualité. Je pense que c'est un pan dans la stratégie alimentaire qui doit être mieux exploré qu'il ne l'est aujourd'hui.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup Annie GENEVARD. Merci Adrien.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 novembre 2024