Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le conflit en Ukraine et la défense européenne, à Varsovie le 19 novembre 2024.

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Circonstance : Déclaration conjointe à la presse de M. Jean-Noël Barrot, M. Radoslaw Sikorski, Mme Annalena Baerbock et M. Antonio Tajani, après leur rencontre en format Weimar élargi

Texte intégral

Bonjour à toutes et tous.

Je remercie Radek Sikorski de nous avoir réunis avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne dans un moment décisif pour l'histoire du continent européen. Et en réalité, le simple fait que nous nous réunissions aujourd'hui à Varsovie, si proche de l'Ukraine, est un témoignage de notre unité et de notre volonté de maîtriser notre destin commun. Car mille jours après le début de la guerre d'agression de Vladimir Poutine en Ukraine, nous avons réaffirmé ce matin ensemble que le combat des Ukrainiens, c'est aussi le nôtre. Qu'en défendant leur liberté, leur intégrité territoriale, les Ukrainiens se battent pour la sécurité du continent européen, pour la défense de l'ordre international fondé sur le droit. Et mille jours après le début de cette guerre d'agression russe en Ukraine, ce qui ressort, c'est d'abord l'échec de Vladimir Poutine à atteindre les objectifs qu'il s'était fixés en février 2022, après avoir englouti dans cette guerre toutes les ressources de son pays et asphyxié son économie, au point d'en être réduit à aller chercher en Corée du Nord les soldats qu'il ne parvient pas à mobiliser chez lui. Mais c'est aussi et surtout la formidable résilience, le courage des Ukrainiens qui repoussent les assauts russes et qui ont payé dans cette guerre un tribut colossal, plus de 10.000 morts civils, y compris de nombreuses femmes et de nombreux enfants, plus de 20.000 blessés, des enfants arrachés à leurs familles et déportés, ce qui vaut à Vladimir Poutine un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale et il est le premier dirigeant d'un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à se trouver dans cette situation, mais c'est aussi la destruction massive à 80% des infrastructures énergétiques ukrainiennes. Alors, mille jours après le début de cette guerre d'agression russe, notre responsabilité, la responsabilité des amis et des alliés de l'Ukraine, c'est de donner tous les moyens aux Ukrainiens, d'abord, dès les prochains mois et l'année 2025, en position de force. Hier, à Bruxelles, lors du Conseil des Affaires étrangères, nous avons pris la décision, une nouvelle fois, de sanctionner des acteurs qui font parvenir à la Russie de Vladimir Poutine des armes qu'elle mobilise dans sa guerre contre l'Ukraine et nous sommes convenus de continuer à travailler sur de nouveaux trains des sanctions visant à la fois directement la Russie et les acteurs qui permettent aujourd'hui le contournement des sanctions.

Dans les prochains jours, les 2.300 soldats ukrainiens de la brigade Anne de Kiev, qui ont été formés ces derniers mois en France, vont regagner l'Ukraine et la ligne de front, formés et équipés par l'armée française. Ils s'ajoutent aux 13.000 soldats ukrainiens d'ores et déjà formés par la France, aux 60.000 soldats ukrainiens qui ont été formés, notamment en Pologne, grâce à la mission EUMAM de l'Union européenne que nous avons renouvelée il y a quelques jours. Là encore, il nous faudra continuer et faire plus. Dans les prochaines semaines, les Ukrainiens recevront les 45 milliards d'euros tirés des actifs russes immobilisés, qui leur permettront de faire face à leurs besoins de liquidité pour l'année 2025. Et puis, dans les prochains mois, c'est le Mirage français qui volera dans le ciel de l'Ukraine. Comme depuis le premier jour, nous continuerons à soutenir l'Ukraine et les Ukrainiens dans leur lutte. Mais ce matin, nous sommes aussi convenus qu'il nous faudra faire plus pour soutenir l'Ukraine, mais aussi pour penser en grand et agir en grand pour assumer la sécurité du continent européen. Et vous le verrez dans le communiqué de cette rencontre ce matin, nous avons dit, avec force, que nous envisageons de mobiliser tous les leviers à notre disposition, y compris la capacité financière et économique de l'Union européenne pour notre sécurité, pour le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne et pour faire échec à la poutinisation du continent européen.


Q - En général, on dit que l'Occident est là pour de bon. L'est-il ? Si Trump retire les Etats-Unis, est-ce que l'Europe a la force ou la volonté pour continuer à soutenir l'Ukraine ? Deuxièmement, au Vénézuéla, il y a de très fortes tensions. Qu'est-ce que vous avez préparé ? Est qu'il y a un train de sanctions pour cela ?

R - Beaucoup de choses ont été dites, peut-être simplement en complément de ce qui vient d'être rappelé, je voudrais dire d'abord qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance de cet acquis fondamental que sont les 50 milliards de dollars, 45 milliards d'euros tirés des actifs russes immobilisés qui vont parvenir prochainement aux Ukrainiens et qui vont leur permettre de couvrir leurs besoins de liquidité pour l'année qui vient. Je veux aussi rappeler que l'Europe ne ressemble pas tout à fait à celle à laquelle on avait peut-être pris l'habitude il y a encore quelques années. Nous avons tous fait progresser nos dépenses en matière de défense. Est-ce qu'il nous faudra faire plus ? Sans doute. Mais ce que nous investissons aujourd'hui, ce que nous finançons aujourd'hui, nous l'économiserons demain et c'est pourquoi, il était important pour nous de rappeler ce matin que tous les leviers économiques et financiers de l'Union européenne devront être mobilisés pour nous permettre d'assurer et d'assumer cette sécurité du continent.

Q - Il y a deux priorités du côté polonais en matière de défense, à savoir une participation financière de l'Union européenne à ce qui s'appelle le Tarcza Wschód, donc son bouclier à l'est qui est en cours de construction à la frontière biélorusse notamment, et la deuxième priorité, c'est la mise en place d'un bouclier antimissile européen. Je voulais savoir si ces points-là ont été abordés entre vous et quelle est la position de la France et de l'ensemble de vos pays ?

R - Merci pour cette question. Il est clair, je le disais tout à l'heure, que nous avons besoin de renforcer la défense du continent européen. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle et d'une certaine manière, l'histoire nous donne aujourd'hui rendez-vous et c'est à nous de ne pas être en retard. C'est pourquoi nous avons été, un certain nombre, à pousser la précédente Commission à publier son programme et sa stratégie pour la défense européenne, EDIP et EDIS, et que nous avons encouragé d'ailleurs, la Haute représentante désignée, Kaja Kallas, qui était avec nous ce matin, de poursuivre et d'amplifier les efforts pour que rapidement nous puissions collectivement identifier les besoins capacitaires, qui ne m'appartiens pas de définir ici et qui étaient peut-être un tout petit peu précis pour que nous les abordions les uns après les autres ce matin, mais en tout cas, d'avoir la détermination très rapidement, de pouvoir les définir de manière à ce que nous puissions déduire les moyens dont nous devons nous doter et je reviens une nouvelle fois sur les leviers économiques et financiers qui sont ceux de l'Union européenne pour pouvoir financer cet effort capacitaire qui nous permettra de protéger le continent. Et ce que je constate de nos échanges ce matin, c'est qu'il y a une conscience partagée, une convergence très forte sur le sentiment d'urgence à ce que ce travail de diagnostic puisse être fait le plus rapidement possible, mais aussi qu'on anticipe d'ores et déjà, la manière dont, une fois le diagnostic posé, les moyens pourront être mobilisés pour lui donner corps et pour assurer la sécurité des Européens.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2024