Interview de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, à France 2 le 20 novembre 2024, sur la contestation des agriculteurs et l'accord avec le Mercosur.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
C'est l'heure du rendez-vous politique dans " Télématin ". C'est la ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt, Annie GENEVARD, qui est l'invitée de Julien au " 4V ". Elle vient de s'installer. Bonjour et bienvenue !

JULIEN ARNAUD
Oui, Annie GENEVARD, on est content de vous entendre ce matin parce que vous faites face au premier grand conflit social de l'ère BARNIER, celui des agriculteurs. La Coordination rurale, on le voit depuis hier, est entrée dans la danse avec des images assez fortes. Il y a eu des violences à Guéret, également à Agen. On a vu les images dans le journal, à la préfecture, des images assez fortes. Est-ce que la Coordination rurale va trop loin ?

ANNIE GENEVARD
Et nous l'avons dit d'emblée, protester contre le Mercosur, exprimer ses inquiétudes, revendiquer un certain nombre d'avancées dans différents domaines, c'est légitime. S'en prendre au bien, s'en prendre aux personnes, bloquer durablement le pays ; ça, ce n'est pas acceptable. Et je le dis aux membres de la Coordination rurale qui, dans six départements de France, hier soir, se sont livrés à des actes de dégradations, de blocages à la frontière espagnole. Je pense que ce n'est pas raisonnable et cela ne sert pas la cause agricole.

JULIEN ARNAUD
Ils disent qu'ils veulent vous rencontrer. Ils font cela pour avoir un rendez-vous avec vous. Vous répondez quoi ? Vous regardez votre agenda ?

ANNIE GENEVARD
Mais pas du tout. Je les rencontre en permanence. Ils ont une présidente, Véronique LE FLOC'H, que j'ai rencontrée à plusieurs reprises, que j'avais encore au téléphone il y a peu. Je rencontre les responsables syndicaux et ma porte n'est aucunement fermée. Mais voilà, ils ont des exigences et je pense qu'on peut dialoguer sans violence, sans dégradation.

JULIEN ARNAUD
Ils disent qu'ils veulent bloquer les points stratégiques dans les heures et les jours qui viennent. Comment faire pour empêcher que ça arrive ? Est-ce que vous allez envoyer des CRS, dès le premier blocage ?

ANNIE GENEVARD
Les Français ont de la sympathie pour leurs agriculteurs. Ils aiment leurs agriculteurs. Si demain, à l'approche de Noël, certains membres de ces organisations syndicales bloquent le pays, empêchent les Français d'aller travailler, de préparer les fêtes de fin d'année, de consommer ; si les commerçants ne peuvent pas travailler ; si les artisans sont empêchés de faire ce qu'ils ont à faire, je pense que véritablement cette sympathie, ce mouvement de sympathie qu'ils ont, que les Français ont pour les agriculteurs, se dissipera. Et je ne le voudrais pas.

JULIEN ARNAUD
Mais est-ce que vous pointez du doigt, plus spécifiquement, disons les choses, la Coordination rurale et ses dirigeants ?

ANNIE GENEVARD
Je ne pointe personne du doigt. Je leur dis simplement « vous avez une responsabilité vis-à-vis de vos agriculteurs, de ceux que vous représentez, dont vous défendez les droits… »

JULIEN ARNAUD
Et ils agissent de façon irresponsable ?

ANNIE GENEVARD
Alors quand ils dégradent et quand ils bloquent durablement, je pense que ce n'est pas responsable.

JULIEN ARNAUD
Quand ils appellent au chaos, à la pénurie alimentaire ; ce sont des mots très, très forts.

ANNIE GENEVARD
Exactement, les mots sont très forts. Pénurie, chaos, ce n'est pas ce qu'attendent les agriculteurs, ce n'est pas ce qu'ils veulent. Les agriculteurs veulent qu'on reconnaisse le travail dur qu'ils fournissent pour nourrir les Français. Ils veulent moins de contraintes administratives. Ils veulent du soutien lorsque leur trésorerie est en berne. Ils veulent être indemnisés quand leurs animaux meurent de maladie. Ils veulent être entendus. Ils veulent pouvoir vivre de leur travail. C'est cela leur revendication. Et moi, j'agis à leurs côtés pour cela.

JULIEN ARNAUD
Sauf que, eux, ils disent " Pour tout ce que vous avez dit, il y a des promesses qui nous ont été faites il y a dix mois, mais ces promesses ne sont pas tenues ou pas suffisamment. En tout cas, on est encore loin du compte. " Vous répondez quoi ? Est-ce que vous dites que ces promesses vont être davantage tenues peut-être là dans les jours qui viennent ?

ANNIE GENEVARD
Je leur réponds que les engagements qui ont été pris auprès d'eux il y a dix mois sont tenus ou sont en passe de l'être.

JULIEN ARNAUD
Ils disent que ce n'est pas le cas. Alors, qui dit vrai ?

ANNIE GENEVARD
Avant la fin de l'année, ceux qui ont besoin d'être soutenus dans leur trésorerie seront soutenus avant la fin de l'année. Ceux qui ont besoin d'être indemnisés quand ils ont perdu des animaux seront indemnisés. Moi, je me suis efforcée, depuis 50 jours, d'agir au plus vite, d'agir juste, de les entendre, d'entendre ce qu'ils demandent : davantage de simplification, moins de contraintes dans l'exercice de leur métier, plus de soutien financier quand c'est nécessaire. Et j'ai délivré systématiquement ce qu'ils m'ont demandé.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous allez aller encore plus loin peut-être dans les annonces ? Est-ce qu'il y a de nouvelles choses qui pourraient leur être accordées dans les jours qui viennent ?

ANNIE GENEVARD
Je crois que ce qu'ils attendent surtout, c'est de la considération pour le travail très dur qu'ils font pour nourrir les Français.

JULIEN ARNAUD
Oui, mais ça, ce sont des mots. Pardon, c'est ça qu'ils vous disent. " Les belles paroles, le blabla, il y en a marre, la considération. D'accord, on est super, mais nous on veut que les choses changent et on a l'impression que cela ne change pas. "

ANNIE GENEVARD
Concrètement, les choses changent lorsqu'ils demandent d'être davantage écoutés, d'être davantage soutenus. 300 millions d'allégements de charges La mise en oeuvre de la réforme des retraites prenant en compte les 25 meilleures années, le soutien à la trésorerie, l'indemnisation de leurs animaux morts de maladie ; tout cela, c'est du concret.

JULIEN ARNAUD
Mais alors pourquoi ils reprennent le tracteur, pourquoi ils les remettent sur les routes ? Pourquoi il dégrade ?

ANNIE GENEVARD
Le contrôle administratif qui demandait depuis des mois… je l'ai mis en place à peine étais-je arrivée. En réalité, c'est probablement l'accumulation d'incompréhension, le sentiment de n'être pas écouté. Et puis, et puis, il y a eu cette année des conditions exceptionnelles : quatre épidémies sanitaires qui touchent les élevages, une météo on ne peut plus défavorable qui a diminué les rendements de production, donc le revenu des producteurs. Et puis ce Mercosur.

JULIEN ARNAUD
Alors parlons-en justement du Mercosur, parce qu'on sent bien que c'est un point de blocage important. On a appris, hier, qu'il allait y avoir un débat parlementaire. Ce sera sans doute la semaine prochaine. Mais franchement, ça sert à quoi un débat sur cette question alors que tous les groupes parlementaires sont contre ? Vous allez débattre de quoi ?

ANNIE GENEVARD
Vous savez, à l'Assemblée nationale, il y a peu de sujets qui recueillent l'unanimité.

JULIEN ARNAUD
Justement, ce n'est pas la peine d'en débattre.

ANNIE GENEVARD
Lorsque tout un pays se dresse contre un projet d'accord et qu'il s'agit d'éclairer les Français... Les Français ont le droit de savoir pourquoi leurs parlementaires s'opposent à ce traité. Ce traité qui va amener davantage de production au prix de la déforestation, avec des substances chimiques qui sont interdites depuis 20 ans en France, avec des hormones de croissance. Ils ont le droit de savoir pourquoi leurs parlementaires s'opposent à ce traité.

JULIEN ARNAUD
Sauf qu'il y a des normes pour empêcher que ces hormones de croissance soient utilisées dans le boeuf qui est envoyé en France. Vous dites que l'ensemble du pays est contre. Ce n'est pas tout à fait vrai. Le Mercosur, " pas si mauvais que cela ", c'est ce qu'écrit crie Le Parisien aujourd'hui ; on entend de plus en plus de voix pour dire " mais pardon, mais le Mercosur, la France a beaucoup à en gagner ". Est-ce un accord si mauvais que cela ? Parce que la France s'ouvrira à un marché colossal : 220 millions de consommateurs. Et les quantités de viandes importées, au fond, sont relativement faibles ; un steak par ressortissant européen par an.

ANNIE GENEVARD
Alors vous savez, prenons l'exemple de la volaille. Aujourd'hui, un poulet sur deux consommés en France vient de l'extérieur. Quand vous importez 180 000 tonnes de volaille sur le continent européen, vous déséquilibrez un peu plus par un effet cumulatif ces filières qui ont besoin de vivre.

JULIEN ARNAUD
Et ça représente très peu de pourcent. Ce n'est rien du tout ; 1 ou 2%

ANNIE GENEVARD
Mais vous savez, notre agriculture, c'est une agriculture familiale dont les équilibres sont fragiles. Il faut peu de choses pour les déséquilibrer. Et on ne peut pas admettre qu'on importe des produits qui sont faits dans des conditions... La déforestation là-bas, l'abandon des prairies ici, ce n'est pas possible.

JULIEN ARNAUD
Et vous dites quoi aux producteurs de vin, aux producteurs de fromage qui, eux, ont tout à gagner d'un accord sur le Mercosur ?

ANNIE GENEVARD
Je dis simplement qu'un accord qui se fait sur le dos de l'agriculture n'est pas un bon accord.

JULIEN ARNAUD
Pas tous les agriculteurs. Je vous ai cité les vignerons et les producteurs de fromage.

ANNIE GENEVARD
Vous savez, dans un accord, le tout, c'est l'équilibre. Quand il y a des facteurs de déséquilibre, on ne peut pas l'accepter. Donc l'accord du Mercosur, le projet d'accord du Mercosur dans ces conditions n'est pas acceptable.

JULIEN ARNAUD
Mais vous ne pensez pas qu'il sera... Tout le monde sait qu'il sera voté de toute façon. Les forces en présence pour le faire passer sont trop puissantes. On va vers un échec pour la France. Vous en convenez ou pas ?

ANNIE GENEVARD
Alors non, je n'en conviens pas du tout. Tout le travail que nous faisons avec le Premier ministre, avec ma collègue Sophie PRIMAS, c'est précisément d'amener à nous les pays qui, aujourd'hui, partagent les mêmes doutes que nous. Parce que toutes les populations des pays européens ont envie de consommer des produits sains, des produits qui sont faits dans leur pays aux conditions qu'ils se sont données. Donc je ne suis pas aussi affirmative que vous. Tout ce travail, nous le faisons.

JULIEN ARNAUD
C'est ce qu'on verra dans les semaines qui viennent avec la poursuite de ces discussions. Vous essayez de faire venir à vous l'Italie. Il y a une déclaration du ministre, mais aussi la Pologne ou les Pays-Bas. On verra ce que diront ces pays. Merci beaucoup, madame la ministre.

ANNIE GENEVARD
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2024