Audition de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur le Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024, devant la Commission des affaires européennes, au Sénat le 30 octobre 2024.

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Texte intégral

Merci pour votre accueil, je suis très honoré de m'exprimer devant votre commission pour la première fois. Votre présence à la Cosac était très importante, je suis très attaché à la diplomatie parlementaire. Elle a tout son rôle à jouer pour faire porter la voix de la France en Europe dans les instances où se discutent les grands enjeux internationaux ; je serai moi-même présent dans ces forums. Je suis à votre disposition pour échanger dans tous les formats que vous jugerez utiles pour anticiper les débats à venir sur les directives européennes en préparation, et pour organiser des échanges avec les institutions européennes. Il faut faire prendre en compte le point de vue de notre pays le plus en amont possible dans les textes qui viennent à l'agenda européen.

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R - Effectivement, et je vous confirme que le Premier ministre est tout à fait sur cette ligne, il est très important de faire entendre notre point de vue le plus en amont, je suis favorable à ce que les choses s'organisent dans ce sens.

Un point sur les élections en Géorgie, qui suivent l'élection présidentielle en Moldavie, où l'ingérence russe a été massive. Les observateurs électoraux, ceux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), du Parlement européen ou du Conseil de l'Europe, ont été très clairs : les élections en Géorgie n'ont pas été libres ni équitables ; les rapports des parlementaires parlent d'intimidations, de menaces, de recul démocratique. Nous suivons la situation avec une grande vigilance : les Géorgiens doivent pouvoir exprimer leur mécontentement de façon pacifique, sans violence de la part du gouvernement. La Géorgie est candidate à l'Union européenne, cette candidature a été reconnue l'an dernier. Cela entraîne des responsabilités en ce qui concerne le respect de l'État de droit et l'intégrité des élections. Aussi, la poursuite de la dérive autoritaire du gouvernement géorgien se fera au détriment de la perspective européenne – qui est pourtant souhaitée par l'immense majorité de la population géorgienne.

Cette séquence illustre l'influence et les ingérences russes que l'on peut percevoir de façon générale dans notre voisinage, dans une "zone grise" où l'on a laissé prospérer des conflits, dans des régions que l'on a longtemps négligées à nos frontières – c'est la cas de la Moldavie, de la Géorgie, des Balkans occidentaux, et bien sûr de l'Ukraine depuis le mouvement pro-européen de Maïdan en 2014. Il faut un réengagement européen aux côtés de nos partenaires dans la région.

La Communauté politique européenne (CPE) est une initiative française qui fait suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et qui a eu un grand succès, réunissant tous les grands États européens autour d'une plateforme commune. J'accompagnerai le Président de la République à la CPE la semaine prochaine ; elle sera suivie par un sommet informel sur les questions de compétitivité. Nous avons encouragé nos partenaires hongrois à inviter le président ukrainien, l'invitation a été envoyée et elle est étudiée par la présidence ukrainienne. La présence du président Zelensky est importante en cette période stratégique, au lendemain des élections américaines.

La visite du Premier ministre Orban à Tbilissi n'engage pas l'UE, c'est ce qu'a rappelé le président du Conseil européen, il n'y a là qu'une visite d'un dirigeant d'un pays membre, alors que les élections en Géorgie ne sont pas validées et que les observateurs électoraux montrent clairement qu'elles n'ont pas été libres.

Le soutien à l'Ukraine a été au cœur des discussions du Conseil européen. Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a présenté son "plan de victoire" aux pays européens : nous le soutenons. C'était également l'occasion d'avancer sur la finalisation du prêt du G7, financé à partir des intérêts générés par les avoirs de la Banque centrale russe gelés en Europe – soit entre 2 et 3 milliards d'euros par an. Nous avons déjà fléché une première tranche de 1,4 milliard d'euros cet été pour financer les besoins militaires de l'Ukraine, nous continuons dans ce sens. Il y a eu quelques difficultés avec les Américains et les Hongrois sur le nouveau prêt concernant notamment la durée de gel des actifs russes, mais nous avons bien avancé. Nous allons vers la répartition suivante concernant le prêt à l'Ukraine sur lequel s'est engagé le G7 en juin : 20 milliards de dollars pour la partie américaine, 20 milliards pour les Européens et 10 milliards pour les autres membres du G7. La France soutient activement cette initiative auprès de ses partenaires et souhaite que l'essentiel de cette aide soit fléché vers les besoins militaires de l'Ukraine, conformément à ce que nous demandent les Ukrainiens.

La question migratoire a fait l'objet de discussions nourries au Conseil européen. Nous étions encouragés par la lettre de la présidente von der Leyen sur les questions migratoires, qui reprend beaucoup de nos priorités. La maîtrise des flux migratoires est une exigence des citoyens de tous les pays européens. C'est un objectif de la France, je travaille aux côtés du ministre de l'Intérieur à ce que cela fasse partie de nos priorités aussi bien au niveau national qu'européen.

Notre action est à développer sur plusieurs axes. Le premier, c'est la mise en œuvre rapide et équilibrée du pacte sur la migration et l'asile. Cela a été une avancée majeure de prévoir un traitement des demandes d'asile à la frontière de l'Union européenne. La zone Schengen, avec la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne, a été une avancée historique, mais la libre circulation ne peut fonctionner que si l'on contrôle nos frontières extérieures, ce qui implique de donner aux pays de première entrée – l'Italie, la Grèce, etc. – les moyens de ce contrôle. Ils ont été laissés trop longtemps seuls avec ce défi. Nous sommes très favorables à la mise en œuvre rapide, accélérée, du pacte sur la migration et l'asile, à condition naturellement de respecter son équilibre d'ensemble, vous l'avez souligné, et tous les intérêts des États membres ; nous travaillons, avec nos services, à voir quels éléments du pacte mettre en œuvre plus rapidement.

Deuxième axe, la révision de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – dite directive "retour" –, le ministre de l'Intérieur l'a évoquée à plusieurs reprises. Cela fait partie aussi des priorités qui ont été fléchées par la présidente de la Commission dans son document pour pouvoir faciliter les expulsions et les retours.

Troisième axe, une meilleure intégration de la question migratoire dans les politiques externes de l'Union européenne. Nous utiliserons tous nos instruments, notamment les visas et la conditionnalité de l'aide au développement. Nous visons également à établir des partenariats économiques robustes et complets avec nos partenaires de la rive sud de la Méditerranée – le partenariat récent avec la Tunisie en est un exemple. Nous examinons attentivement ces initiatives et étudions comment elles peuvent être reproduites pour résoudre la question migratoire, en mettant en œuvre des solutions innovantes, telles que l'externalisation.

L'externalisation du traitement des demandes d'asile est surtout déclaratoire : le Royaume-Uni avec le Rwanda et l'Italie avec l'Albanie n'ont pas encore mis en place de dispositif effectif. Cette externalisation pose des questions opérationnelles, logistiques, financières et juridiques, en particulier dans notre ordre juridique national. Nous n'avons pas de tabou, mais nous sommes réservés sur l'efficacité de ces solutions. Les résultats obtenus en Méditerranée centrale en matière de réduction des flux de migrants irréguliers ne sont pas imputables à ces solutions, mais à la coopération européenne, demandée en particulier par l'Italie. C'est en Européens qu'il faut trouver des réponses efficaces : elles sont européennes.

Un autre débat important a été abordé, celui du soutien à nos partenaires d'Europe centrale et orientale, comme la Pologne et les États baltes, confrontés à l'instrumentalisation des migrations. Les conclusions du Conseil européen reflètent notre solidarité et notre soutien avec nos amis polonais et tous les pays qui sont exposés à cette situation d'instrumentalisation du fait migratoire.

Mon équipe, naturellement, est à votre disposition pour répondre aux questions que vous vous posez – et auxquelles je n'aurais pas répondu dans le temps imparti.

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R - Vous avez parfaitement raison d'insister sur l'importance de la lutte contre les discriminations. Nous avons abordé ce sujet lors du dernier Conseil Affaires générales, en particulier la lutte contre ce fléau qu'est l'antisémitisme : les membres de l'UE sont sur la même ligne. L'Union européenne a adopté fin 2020 la loi Magnitsky, qui permet d'imposer des sanctions en cas de violation des droits de l'homme, notamment en matière de violences liées au genre. L'Union a donc un outil entre les mains, elle doit s'en servir dans son action internationale – vous avez raison de mentionner la situation dramatique des femmes afghanes : la France et les pays de l'UE doivent faire entendre leur voix sur la scène internationale, je suis personnellement très favorable et disponible pour aller dans ce sens.

Vous connaissez l'engagement de la France au Moyen-Orient. Une grande conférence s'est tenue le 24 octobre à Paris en soutien au Liban. Nous avons pu réunir près d'un milliard de dollars, qui seront alloués à hauteur de 800 millions à l'aide humanitaire et de 200 millions au soutien aux forces armées libanaises afin qu'elles reprennent le contrôle du territoire libanais. Le Président de la République et le Gouvernement s'investissent sur le plan diplomatique pour créer un consensus en Europe, là où des intérêts et des visions divergentes peuvent subsister. Nous sommes parvenus à des conclusions, qui insistent notamment sur la nécessité d'aboutir à un cessez-le-feu, de relancer un dialogue politique et de trouver une solution diplomatique qui garantira la sécurité d'Israël et l'existence d'un État palestinien souverain à ses côtés.

La France a une position claire sur la situation au Proche-Orient. Nous défendons l'acheminement de l'aide humanitaire, la libération inconditionnelle des otages, dont les deux français toujours retenus par le Hamas à Gaza, le cessez-le-feu, la relance du dialogue politique régional et la fin du terrorisme – et j'inclus la dénonciation de l'activité des "proxys" de l'Iran, qui a fait l'objet de nouvelles sanctions au niveau européen.

La position de la France est également très claire sur l'accord avec le Mercosur. En l'état, cet accord ne respecte pas nos exigences concernant les accords de Paris, la déforestation, les clauses miroirs, et l'équité commerciale. Nous ne pouvons pas imposer à nos agriculteurs et à nos entreprises des normes et des critères que nos partenaires commerciaux, eux, ne respectent pas. Nous l'avons rappelé à nos partenaires, le Gouvernement est mobilisé sur le sujet ; j'ai eu des entretiens avec mes homologues danois, polonais, chypriotes et grecs pour mobiliser nos partenaires européens qui partagent nos inquiétudes. Notre position est donc sans équivoque : cet accord, en l'état, n'est pas acceptable pour la France.

Enfin, concernant la question migratoire, je rappelle que la réforme de Frontex est en cours, avec l'objectif d'atteindre 10 000 garde-côtes et de renforcer l'agence pour la rendre plus efficace : il est essentiel que Frontex ait les ressources financières et un nombre suffisant de garde-frontières pour répondre à sa mission. Sur le plan des idées, je ne crois pas que les idées extrémistes l'emportent, je pense même que c'est tout l'inverse. Alors que Mme Le Pen – vous l'avez citée – a toujours prôné des solutions anti-européennes, alors qu'elle était opposée au pacte sur la migration et l'asile, voilà qu'elle se rallie à la nécessité de trouver des solutions européennes à ce défi de la maîtrise de l'immigration. Un consensus émerge non pas pour se ranger derrière une forteresse Europe ni pour fermer nos frontières, mais pour se fixer des moyens et des critères capables de nous faire maîtriser ensemble l'immigration. Cette politique passe par notre capacité à intégrer ceux qui viennent légalement sur le territoire et à faciliter les retours de ceux qui n'ont pas vocation à y rester, qui ont été déboutés du droit d'asile ou qui sont entrés de façon illégale. Cette politique passe nécessairement par la coopération européenne, et même ceux qui ont fait campagne pour des solutions nationales reconnaissent aujourd'hui la nécessité de passer par la coopération européenne. Nous sommes donc loin des solutions prônées par les mouvements souverainistes. Le Gouvernement se mobilise pour répondre à cette nécessité et à cette urgence de maîtriser nos flux migratoires avec nos partenaires européens ; nous nous appuierons sur les trois piliers que sont la mise en œuvre rapide et équilibrée du pacte sur la migration et l'asile, la révision de la directive "retours" et l'intégration de la question migratoire dans nos outils de politique extérieure.

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R - Effectivement, la Géorgie et la Moldavie font partie d'un même arc de crise. Ce sont nos voisins, ils sont des théâtres d'influence extérieure et nous les avons longtemps négligés, alors que leurs populations ont des aspirations européennes – à travers la Moldavie et la Géorgie, c'est bien l'idée européenne et la stabilité des pays à nos frontières qui sont attaquées par l'ingérence russe. Il n'y a pas d'incompatibilité entre l'accompagnement dans le processus d'adhésion et une très grande exigence vis-à-vis de ces pays. C'est précisément parce que la Géorgie – c'est-à-dire son gouvernement dirigé par le Rêve géorgien – a déposé candidature à l'Union Européenne l'an dernier, que ce gouvernement a des responsabilités particulières dans la protection de sa population, des minorités, des obligations en matière d'intégrité des élections, de respect des normes d'État de droit, à savoir les critères de Copenhague présidant à toute adhésion à l'Union européenne. Nous regardons à cette aune ce qui se passe désormais en Géorgie ; la France, l'UE mais aussi les États-Unis ont demandé une enquête impartiale sur le déroulement et les résultats des élections – tandis que le gouvernement géorgien lance une procédure judiciaire contre la présidente Salomé Zourabichvili et contre les forces d'opposition : c'est très inquiétant. Je salue le courage de la présidente géorgienne, dans le combat qu'elle mène depuis des années. On ne peut pas négliger nos voisins, confrontés à ces actions de déstabilisation et d'ingérence à nos frontières, de même qu'on ne peut pas abandonner l'Ukraine à la veille d'élections américaines qui seront décisives pour notre sécurité et pour la fiabilité des garanties de sécurité américaines. C'est bien pourquoi il faut finaliser le nouveau prêt du G7 à l'Ukraine et le flécher vers ses besoins militaires. Nos intérêts de sécurité sont en jeu, et c'est aussi pourquoi la France forme des militaires ukrainiens sur son sol et livrera à l'Ukraine des avions Mirage. Nous devons avancer, quel que soit le résultat des élections américaines. On ne peut pas jouer la sécurité de l'Europe à pile ou face tous les quatre ans en espérant que les électeurs du Michigan ou du Wisconsin prennent une décision ou une autre : nous devons être capables de prendre notre destin en main collectivement avec nos alliés américains et, bien sûr, en restant unis et soudés en Européens. C'est en Européens que nous avons à parler à nos amis américains, pour faire valoir nos intérêts de sécurité communs, les enjeux globaux que nous partageons comme la lutte contre le réchauffement climatique, le prix que nous accordons ensemble au multilatéralisme, et aussi pour souligner l'intérêt commun que nous avons à ne pas nous lancer dans des guerres commerciales qui se feront au détriment des économies des uns et des autres. C'est en parlant d'une voix européenne aux Américains que nous pourrons peser, mais c'est aussi en reprenant le contrôle de nos destins sur le plan militaire, en augmentant nos capacités nationales – nous le faisons puisque notre budget de la défense aura doublé sur les deux mandats présidentiels – et en investissant dans les coopérations industrielles et dans notre base industrielle de défense européenne. C'est une priorité pour la France : nous demandons à flécher les financements européens vers le soutien à notre industrie de défense pour réduire le plus possible nos dépendances à des acteurs extérieurs. Nous mettons aussi l'accent sur l'agenda de compétitivité, le rapport Draghi ayant souligné le risque de décrochage industriel de l'Europe – ces trois dernières décennies, les Américains ont produit deux fois plus de PIB que l'Europe – ; c'est en investissant collectivement, en mobilisant mieux notre épargne publique et privée, que nous serons capables de rattraper nos retards vis-à-vis des Américains et des autres grands ensembles de ce monde.

Notre influence doit s'exercer partout en Europe : le Gouvernement s'en est fait une priorité, nous sommes le plus présents possible avec tous nos partenaires. Je pense bien sûr à la relation franco-allemande, mais elle ne doit pas être exclusive ; dans son discours de Bratislava le 31 mai 2023, le Président de la République saluait les élargissements, la relation avec les nouveaux États membres et appelait à créer des coalitions les plus agiles possible, avec les pays du Sud sur les questions économiques ou migratoires, avec les pays d'Europe centrale sur les questions de défense... Je mets cet élément au cœur de ma mission : je veux approfondir les relations bilatérales avec tous les acteurs de notre système, en mobilisant aussi bien les diplomates que les parlementaires, les chercheurs, les experts dont la voix est très importante dans les forums et conférences internationales. C'est en avançant avec tous nos partenaires de façon agile et en mobilisant tous les acteurs de notre système diplomatique au sens large, que nous serons le plus influents possible. Nos voisins allemands ont, parmi leurs outils de diplomatie, de grandes fondations, comme la Fondation Konrad Adenauer, la Fondation Bosch, qui sont très actives à l'international ; est-on est capable de se doter de ce type de fondations ? C'est une réflexion que nous devons mener ; j'y suis d'autant plus attaché que je viens moi-même du monde des think tanks – et je crois que l'influence de la France se joue aussi à travers de tels outils.

La suspension de la directive CSRD fait partie du débat sur la simplification des normes : c'est une demande de très nombreux Européens et le Premier ministre en a parlé. La question de la surtransposition des normes revient souvent dans le débat, nos entreprises aussi bien que nos agriculteurs le relèvent souvent – nous avons donc décidé d'y travailler, avec nos voisins allemands en particulier.

La possibilité de demander l'asile depuis l'étranger ne fait pas partie du pacte sur la migration et l'asile. Dans notre ordre constitutionnel, il n'est de toute façon pas possible de déposer une demande d'asile en dehors du territoire national. On peut demander un visa particulier auprès d'un consulat pour pouvoir après demander l'asile en France, mais ce n'est pas à proprement parler une demande d'asile qui serait instruite à l'étranger. Quant à ce qu'on appelle l'externalisation, comme l'essayent l'Italie et le Royaume-Uni, nous sommes assez réservés ; pas pour des raisons de principe, même si des questions constitutionnelles se posent, mais sur la faisabilité, financière aussi bien que logistique. Ce n'est donc pas une priorité, même si ce n'est pas un tabou non plus.

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R - J'ai échangé également avec mon homologue danoise, nous avons beaucoup de sujets de convergence, du soutien à l'Ukraine en passant par la question du respect des droits et le statut de la pêche.

La compétitivité – qui est au cœur du portefeuille de Stéphane Séjourné à la Commission européenne – fait partie de nos agendas prioritaires : elle conditionne en réalité la survie même de l'Europe. Les rapports Letta et Draghi ont souligné le risque de décrochage industriel, l'absence d'innovation, la nécessité de mobiliser les fonds privés en donnant un environnement plus favorable à l'entrepreneuriat et à l'investissement, tout en continuant à mobiliser l'investissement public comme on a su le faire pendant la crise sanitaire avec le plan Next Generation. Il y aura des négociations difficiles avec certains de nos partenaires ; les réformes à réaliser sont d'importance, par exemple la révision du mandat de la Banque européenne d'investissement, dont les investissements restent encore assez prudents et qui excluent certains domaines pourtant stratégiques. Je pense ainsi au nucléaire et à la défense, domaines qui sont liés à la question de la transition énergétique.

La transition environnementale, qui passe par le soutien à la décarbonation du continent, fait partie des avancées majeures de la mandature précédente. L'objectif est désormais de mettre en œuvre ces avancées, en accompagnant le mieux possible nos entreprises et nos industries, et en en faisant un critère dans nos échanges commerciaux avec nos partenaires extérieurs – l'intérêt de la taxe carbone aux frontières, c'est d'exporter nos ambitions environnementales plutôt que de les faire peser sur nos entreprises seules. S'agissant des entreprises que vous évoquez en Loire-Atlantique, je vous invite à vous rapprocher de mon collègue à l'Industrie, Marc Ferracci, et de mes autres collègues de Bercy. Le Gouvernement veut accompagner les entreprises et faire entendre leur voix à Bruxelles. La position française est de ne pas opposer l'ambition de la transition environnementale et l'objectif de décarbonation, l'investissement massif dans les renouvelables et la reconnaissance stratégique de la place du nucléaire comme énergie de décarbonation du continent – un chantier mené ces dernières années par ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui est parvenue à créer une coalition d'États sur le sujet et je me réjouis de voir que la présidente de la Commission européenne a reconnu l'importance du nucléaire dans le mix énergétique de l'Union européenne.

Merci d'avoir rappelé que la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine sont actives dans la francophonie ; ces trois pays ont en commun de vouloir prendre leur indépendance nationale et de défendre leur identité face à ce qui a été un impérialisme du XXe siècle, et leurs populations veulent pour cela se rapprocher d'autres ensembles culturels et faire prospérer la francophonie. J'ai constaté le dynamisme du groupe d'amitié Ukraine-France à la Rada ukrainienne, qui compte beaucoup de francophones. La Moldavie est proche de la Roumanie, qui a une tradition francophone très prononcée, et l'on sait aussi le parcours francophone de la présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili. Ces trois pays ont toute leur place dans la francophonie, ils peuvent jouer un rôle important auprès d'autres partenaires de la francophonie pour lutter contre les récits à double standard, pour faire comprendre combien la Russie, en Ukraine, déploie une activité coloniale et néo-impériale.

Je ne me suis pas encore rendu en Ukraine en tant que ministre, puisque j'y étais une semaine avant ma nomination : j'y accompagnais le Premier ministre Gabriel Attal. Depuis 2014, avec ce qu'on a appelé la révolution de la dignité, le mouvement de Maïdan, les Ukrainiens se battent pour leur liberté, pour leur capacité à choisir librement leur avenir politique, démocratique et géopolitique, et pouvoir orienter leur pays vers l'Europe : c'est bien cela que la Russie veut empêcher. Quand les jeunes de la place Maïdan brandissant des drapeaux européens ont été visés par les forces de l'ordre de l'ancien régime ukrainien, c'était la première fois dans notre histoire que des jeunes étaient assassinés pour avoir brandi ce drapeau européen. Cela nous donne une responsabilité particulière vis-à-vis d'eux. Il y a une dimension territoriale, pour laquelle la France demande le respect de la Charte des Nations Unies, donc l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans ses frontières de 1991, mais il y a aussi cette dimension politique qu'apportera la victoire, celle de la capacité de l'Ukraine à pouvoir se tourner librement vers l'Union européenne – avec le temps que ça prendra de remplir les exigences attendues, impliquant des réformes profondes en matière d'État de droit, la lutte contre la corruption, l'indépendance de la justice, les réformes de marché, la question agricole, tous ces sujets que nous suivons de près : ce sera un processus avec des garanties de sécurité robustes et durables, à même d'assurer la sécurité et la stabilité de la région. C'est pour cela que la France soutient la perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Le sujet fait débat avec nos partenaires : il faut le mener, avec cette perspective de garanties de sécurité durable pour l'Ukraine, qui permettra aux Ukrainiens de choisir librement leur avenir politique et géopolitique.

La France fait entendre sa voix au Proche-Orient, elle joue son rôle, en cohérence avec la position historique qui a toujours été la sienne, consistant à relancer le dialogue politique régional vers une solution à deux États. La France a été l'un des tout premiers États dans le monde à reconnaître l'État d'Israël et à avoir des relations très fortes avec Israël. La sécurité d'Israël n'est pas négociable pour la France ; je le dis parce que la guerre actuelle a commencé avec l'attaque terroriste barbare du Hamas le 7 octobre contre des civils israéliens et qu'elle a été renforcée dès le lendemain par les "proxys" de l'Iran dans la région. La France a été aussi l'un des premiers États à dire la nécessité de reconnaître un État palestinien souverain aux côtés des Israéliens : c'est le message que portent toujours le Président de la République et la diplomatie française. Nous nous engageons pour atteindre les conditions d'un cessez-le-feu – la libération inconditionnelle des otages, l'accès à l'aide humanitaire – et jouer un rôle opérationnel. Le ministre Jean-Noël Barrot s'est rendu au Liban pour délivrer de l'aide humanitaire, nous avons organisé le 24 octobre la conférence de Paris pour le Liban, qui a mobilisé presque 1 milliard d'euros, soit davantage que les objectifs des Nations unies. Ces moyens vont aller à l'aide humanitaire aux civils et au soutien aux forces armées libanaises. Cette exigence de respect du droit international est au cœur du message diplomatique de la France avec nos partenaires.

Sur les règles européennes pour prévenir les pénuries de médicaments, Madame Gruny, mon équipe vous répondra dans les tout prochains jours.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2024