Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Sonia, votre invitée ce matin, est ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
SONIA DEVILLERS
Bonjour Annie GENEVARD.
ANNIE GENEVARD
Bonjour Sonia DEVILLERS.
SONIA DEVILLERS
Barrage à la frontière espagnole, blocage du port de commerce de Bordeaux, saccage des locaux de l'Office français de la biodiversité à Guéret, des feux, des montagnes de poubelles déversées, les agriculteurs n'en ont manifestement pas terminé, leur syndicat appelle à une nouvelle semaine d'action. Risque-t-on la surenchère ?
ANNIE GENEVARD
Je ne sais pas, en tout cas, il y a eu cette semaine des événements regrettables, à Agen notamment, où on s'en est pris à un dirigeant d'une organisation syndicale. Je pense que ça n'est pas acceptable et je l'ai dit d'emblée, manifester, c'est légitime.
SONIA DEVILLERS
On va expliquer, à Agen, c'était Arnaud ROUSSEAU le président de la FNSEA, qui s'est fait alpaguer par l'autre grand syndicat qui s'appelle la Coordination rurale, au point qu'il a fallu, pour lui, une escorte policière pour pouvoir rejoindre sa voiture.
ANNIE GENEVARD
Oui, ça, ça n'est pas acceptable, mais on ne peut pas non plus... Alors, on ne peut pas tolérer les atteintes aux biens aux personnes, et nous avons été très clairs au Gouvernement pour dire manifester oui, bien sûr, d'autant que la crise est grave et profonde. Il y a dix mois, il y a eu ce premier épisode de crise où des engagements ont été pris, moi, je les honore aujourd'hui, notamment par le budget, mais cet été, il y a eu une conjonction insensée de crise : crise sanitaire avec des élevages touchés par quatre épidémies très graves, crise météorologique qui a affecté les rendements des productions et donc, le revenu des agriculteurs, et puis au-delà de ça, une crise de sens. Le monde de l'agriculture est régulièrement montré du doigt, accusé, donc il y a un climat que n'arrange pas, c'est vrai, ce contexte électoral, mais ça ne justifie pas les débordements auxquels on a assisté.
SONIA DEVILLERS
Le contexte électoral dont vous parlez Madame la Ministre, c'est le fait que deux millions d'agriculteurs sont appelés aux urnes pour renouveler les chambres d'agriculture syndicales, ça sera au mois de janvier.
ANNIE GENEVARD
Exactement. Ce devrait être le moment où on parle de l'avenir de l'agriculture, la vision que l'on a de l'agriculture pour les prochaines années. Donc, alors, il y a eu ces événements tout à fait regrettables, je comprends l'émotion ressentie par Arnaud ROUSSEAU.
SONIA DEVILLERS
Mais est-ce que les agriculteurs en ce moment n'ont pas encore énormément de travail dans les champs ? Et est-ce que ce ne sont que des premières alertes ? Est-ce qu'il ne peut pas se passer exactement ce qui s'est produit au début de l'année 2024, c'est-à-dire une explosion de la colère et là, vraiment, une grande mobilisation à la fin du mois de janvier ?
ANNIE GENEVARD
Je pense qu'on verra bien comment les choses se déroulent. J'ai le sentiment que le contexte est un peu différent. D'abord, parce qu'en effet, il y a encore des travaux aux champs, ensuite parce que très vite, dès mon arrivée au ministère de l'Agriculture, j'ai eu le souci de délivrer des dispositifs qui répondaient à leurs attentes, des réponses rapides, concrètes.
SONIA DEVILLERS
Enfin, la FNSEA, a ce même micro la semaine dernière, dit qu'on n'a quand même toujours rien vu venir, concrètement.
ANNIE GENEVARD
Écoutez, il y a ce qui se dit dans un contexte électoral, puis il y a la réalité des choses : 300 millions d'allègements de charges qui vont être votés dans quelques jours au Sénat et au Parlement, l'indemnisation des surmortalités animales s'est faite, le guichet est ouvert, le soutien à la trésorerie qui est indispensable, parce que quand vous n'avez plus de revenus, c'est l'angoisse, le désarroi, et on ne peut pas laisser les agriculteurs dans cette situation. Les premiers décaissements se feront avant la fin de l'année. Non, les réponses... La difficulté, si vous voulez, c'est qu'entre le moment où les agriculteurs demandent, où on délivre des dispositifs qui sont adaptés, et puis l'arrivée dans la cour de ferme, il y a quelques semaines, c'est vrai, mais le concret des choses, ils le verront très très vite.
SONIA DEVILLERS
Donc vous êtes confiante pour le mois de janvier, février ?
ANNIE GENEVARD
Écoutez, moi, je pense qu'on s'adapte aux circonstances du moment.
SONIA DEVILLERS
Pourquoi avoir choisi, justement, Annie GENEVARD, pour votre premier déplacement depuis le début de la mobilisation nationale, une petite commune du Pas-de-Calais, alors que ça chauffait si fort dans le Sud-ouest ?
ANNIE GENEVARD
Alors, je me déplace chaque semaine et en Occitanie, où il y a, objectivement, beaucoup beaucoup de difficultés, de la sécheresse, une sécheresse invraisemblable, il y a des départements où il n'a pas plu depuis trois ans, toutes les entraves qui sont faites pour l'accès à l'eau, par exemple, par des écologistes qui ne veulent pas que les agriculteurs s'approprient de l'eau pour cultiver. Il y a un climat qui est vraiment terrible, au sens propre et au sens figuré en Occitanie. J'y suis allée deux fois. Mon premier déplacement, c'était un déplacement dans la discrétion. Je suis allée voir une petite exploitation qui est assez exemplaire, mais je suis allée chaque semaine, vous voyez, cet après-midi, je vais dans la Sarthe, où les arboriculteurs ont vu leurs arbres ravagés par les chutes de neige.
SONIA DEVILLERS
Je vous dis ça parce qu'il est quand même en train de se passer des choses importantes. Il y a un vrai glissement du monde agricole, d'un point de vue politique. Jordan BARDELLA s'est rendu le 10 novembre chez un céréalier du Lot-et-Garonne, membre de la coordination rurale. Serge BOUSQUET-CASSAGNE, président de la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne, lui aussi de la Coordination rurale, s'est adressé dans ses termes à Jordan BARDELLA : " Tu es notre dernier espoir. On espère que tu n'es pas un pur produit du marketing parisien. On a besoin de quelqu'un, nous, les paysans, qui nous dise, voilà ce qu'il faut faire pour les vingt prochaines années. On te fait confiance, ne nous déçoit pas ". Vous l'entendez ?
ANNIE GENEVARD
J'entends, mais ce même Rassemblement national qui veut diminuer le budget français à l'Union européenne, ce qui impactera de facto immédiatement les ressources du monde agricole. Tout ça n'est pas cohérent.
SONIA DEVILLERS
Justement, les agriculteurs réclament quelqu'un qui leur parle pour les vingt prochaines années. Serez-vous, selon vous, Annie GENEVARD, encore ministre de l'Agriculture à Noël ?
ANNIE GENEVARD
Ce n'est pas mon sujet.
SONIA DEVILLERS
Ce n'est pas votre sujet ?
ANNIE GENEVARD
Non, ce n'est pas mon sujet, parce que si je ne veux pas… J'agis, mais vraiment sans relâche du matin au soir pour les agriculteurs. Aujourd'hui, ils sont dans une situation très difficile. Mon rôle n'est pas de spéculer politiquement sur l'avenir de la ministre de l'Agriculture à la tête de son ministère. Mon rôle, c'est d'agir au plus vite, au plus juste.
SONIA DEVILLERS
Sauf que concrètement, mettez-vous du point de vue des agriculteurs. Ils ont réclamé à feu et à sang l'année dernière des mesures, on leur a fait des promesses, comme vous dites, ils n'ont rien vu venir dans la cour de ferme. Entre-temps, il y a eu une dissolution : la loi d'orientation agricole a été reculée. Ils doivent attendre jusqu'en janvier et là, ils ont affaire à une ministre qui ne sera peut-être plus ministre à Noël. Tout ça, ça a de l'impact quand même.
ANNIE GENEVARD
Moi, je pense que si je n'ai le temps de prendre que dix mesures, je l'aurais fait. Quand je vous dis que ce n'est pas le sujet, c'est parce que toute mon attention, toute mon énergie est vraiment dictée par répondre à l'urgence dans laquelle se trouve le monde agricole et je ne veux pas me livrer à des spéculations politiques. D'ailleurs, ils n'en parlent pas, en réalité, ils n'en parlent pas.
SONIA DEVILLERS
Ils n'en parlent pas ? Quand la coordination rurale en appelle au Rassemblement national, ils ne parlent pas politique ?
ANNIE GENEVARD
Quand ils viennent me voir, vous savez, j'ai rencontré toutes les organisations syndicales. Toutes les filières ont pu parler avec moi. Ce n'est pas de ça qu'ils me parlent. Ils me parlent de choses concrètes, de leurs difficultés sur le terrain.
SONIA DEVILLERS
Et les élections, justement, pour les chambres syndicales, si la Coordination rurale réussit à déboulonner la FNSEA, qui pour l'instant est le principal syndicat agricole, est-ce que vous aurez comme interlocuteur un syndicat qui ne refuse plus de tendre la main à l'extrême droite ?
ANNIE GENEVARD
Laissons les élections se dérouler, laissons les syndicats faire leur campagne. La seule chose que j'espère, c'est que ce débat puisse faire émerger de vraies propositions et de vraies visions pour l'agriculture française dans les années qui viennent, c'est leur rôle, c'est leur devoir et moi, je suis démocrate et républicaine, je respecte le dialogue syndical, c'est à eux de le conduire, dans le respect les uns des autres.
SONIA DEVILLERS
Une dernière question sur le Mercosur, qui est donc ce traité de libre-échange avec les pays d'Amérique latine, qui vraiment concentre la colère des agriculteurs. Le Gouvernement français s'y oppose. La présidente du Parlement européen a déclaré entendre les inquiétudes des agriculteurs français, légitimes, je cite : " Jugeant crucial de prendre le temps d'y répondre totalement ". Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, pour les agriculteurs ?
ANNIE GENEVARD
Je n'en sais rien, en tout cas la position de la France est très claire et je dois dire que j'observe, j'étais tout récemment en Pologne, que la position très ferme de la France fait bouger les lignes.
SONIA DEVILLERS
Ah bon ?
ANNIE GENEVARD
Oui, j'ai le sentiment que la position de la France, qui est à la fois ferme et dans une belle unanimité politique, ce qui n'est pas si fréquent en France.
SONIA DEVILLERS
En France ?
ANNIE GENEVARD
En France, mais la France, est regardée dans son positionnement sur le Mercosur. Le projet d'accord du Mercosur n'est pas bon, ni économiquement, parce que ça va concurrencer déloyalement aux filières…
SONIA DEVILLERS
Et la France peut réussir à obtenir une minorité de blocages ?
ANNIE GENEVARD
… Ni sanitairement, ni sur le plan d'environnement. En tout cas, nous y travaillons ardemment, avec Sophie PRIMAS, avec Benjamin HADDAD, avec le Premier ministre lui-même, qui est, on ne peut meilleur connaisseur des arcanes européennes. Donc la position de la France, c'est de protéger, ne pas être dans le protectionnisme, mais la protection de nos intérêts, tout simplement.
SONIA DEVILLERS
Merci, Annie GENEVARD.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 novembre 2024