Interview de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à France Inter le 6 janvier 2025, sur le budget pour 2025, le déficit public, la réforme des retraites et le taux du Livret A.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME, nous recevons ce matin un homme nouveau en politique mais qui sera clé dans les semaines et les mois à venir. Le ministre de l'Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique. Vos questions, 01 45 24 70 00 et application de Radio France. Éric LOMBARD, bonjour.

ÉRIC LOMBARD
Bonjour Léa SALAME, bonjour Nicolas DEMORAND.

LEA SALAME
Bonjour

NICOLAS DEMORAND
Soyez le bienvenu sur Inter. Ce n'est pas vous faire injure que de dire que le grand public ne vous connaît pas. Vous avez dirigé la Caisse des dépôts pendant 7 ans. Auparavant vous avez travaillé dans la finance patron de BNP PARIBAS ASSURANCE puis de GENERALI FRANCE. A 66 ans, votre seul mandat électoral se résume à un siège de conseiller municipal à Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne, c'était dans les années 90. Vous êtes passé par le cabinet de Michel SAPIN, 92-93. Mais contrairement à nombre de vos prédécesseurs à Bercy, vous n'êtes pas énarque. Est-ce une qualité ? Un défaut ? Vous nous le direz. Mais plus sérieusement, qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste dans une situation aussi compliquée et alors que le Gouvernement BAYROU n'a peut-être que quelques semaines ou quelques mois d'espérance de vie ? Vous aimez le risque, Éric LOMBARD ?

ÉRIC LOMBARD
En fait, c'est parce que c'est difficile que j'ai accepté le défi. Avant de l'accepter, j'ai eu trois entretiens avec le Premier ministre, avec François BAYROU, pour parler de la ligne politique qu'il allait suivre, pour parler des défis et de la façon de travailler. Et pourquoi est-ce que j'ai accepté ? Aujourd'hui, la France n'a pas de budget. On est le 6 janvier, je peux déjà vous dire que c'est une situation inconfortable. Le 31 décembre, avec la ministre des Comptes publics, Amélie de MONTCHALIN, on a signé une communication permettant de lancer un certain nombre de sujets, de maintenir un certain nombre de situations en place, notamment, par exemple, je pense aux agriculteurs qui défilent aujourd'hui, et pour lesquels, dans ce budget, dans ce projet de budget, il y a des mesures qui sont prévues. Mais pour qu'elles s'appliquent, il faut bien que le budget soit voté. Donc c'est important que ce budget soit voté. Pour ça, il faut dialoguer. Et ce que j'ai enrichi dans mon parcours à la Caisse des dépôts, c'est des liens avec l'ensemble des partis politiques, avec l'ensemble des acteurs politiques, une capacité de dialogue que je veux mettre au service des Françaises et des Français, pour parvenir à un accord ou, à minima, un accord de non-censure, pour que, dans les meilleurs délais, notre pays ait un budget. Et il y a des situations, quand on vous demande de vous engager, eh bien, la responsabilité commande de dire oui, c'est ce que j'ai fait.

LEA SALAME
Vous allez nous dire comment vous allez faire pour essayer d'avoir cet accord de non-censure à minima, comme vous dites. Comment vous allez réussir là où le Gouvernement BARNIER n'a pas pu, a failli. Mais encore un mot sur vous, parce qu'au journal Le Point, vous avez cité une influence étonnante, qui nous a un peu intrigués. Vous avez dit : " Je me sens comme Spiderman, comme l'homme-araignée. " Alors pourquoi ? Parce que vous avez le sentiment d'être pris dans une toile, ou parce que la toile vous permet de vous déplacer ?

ÉRIC LOMBARD
Je savais que cette référence, mais que j'aime bien, me poursuivrait. En fait, je pensais surtout à ce qu'a dit l'oncle Ben, avant de mourir. Il a dit à Spiderman, " tu as de grands pouvoirs, ça implique de grandes responsabilités. " C'est exactement ça, quand on est nommé ministre de l'Economie et des Finances. On a des pouvoirs importants que j'aborde avec humilité, c'est au service des Françaises et des Français, et ça donne des grandes responsabilités. La responsabilité, là, avec Amélie de MONTCHALIN, c'est que le budget soit voté pour que les Françaises et les Français bénéficient de services publics qui ne soient pas en service minimum, ce qui va être un petit peu le cas dans les semaines qui viennent.

LEA SALAME
Ça veut dire quoi ? C'est vrai qu'on avait entendu, au moment du Gouvernement BARNIER, des phrases un peu catastrophistes. Elisabeth BORNE avait dit " s'il n'y a pas de budget le 1er janvier, il n'y a plus de Carte Vitale. " Bon, la Carte Vitale marche toujours. On est le 6 janvier et elle marche.

ÉRIC LOMBARD
Parce que le Gouvernement a fait passer une loi spéciale qui permet d'être sous le régime des services votés. Et donc, les budgets qui avaient été votés pour 2024 peuvent continuer à s'appliquer. L'administration fonctionne, la Sécurité sociale fait ses remboursements, les fonctionnaires de la République, que je remercie de leur engagement, sont évidemment rémunérés, mais on ne peut pas engager de nouveaux projets, de nouvelles politiques, ce qui est quand même très embêtant quand on est dans un Gouvernement.

LEA SALAME
Un mot encore, l'ancien Premier ministre, Michel BARNIER, avait déclaré, en découvrant les tas des comptes publics : " Je découvre une situation budgétaire très, très grave. " Est-ce que vous dites la même chose ? La situation budgétaire est très, très grave ?

ÉRIC LOMBARD
Mais bien sûr elle est grave, bien sûr. Pourquoi elle est grave ? Nous avons accumulé, au cours des dernières années, plus de 3 000 milliards d'euros de dettes. Ça va nous coûter plus de 50 milliards d'euros par an. Le service de la dette, les intérêts que nous versons à nos créanciers, c'est le deuxième budget de l'État. C'est quoi cette dette ? C'est quelque chose que nous allons léguer à nos enfants. Quand on est une famille, on ne veut pas léguer des dettes à ses enfants, on veut leur léguer un petit peu de biens, un petit peu de patrimoine quand on en a. Et nous, on va léguer 3 000 milliards de dettes à nos enfants. C'est insupportable. C'est grave. Donc, il est impératif de modifier notre trajectoire. La dette vient des déficits parce que nos trois fonctions publiques sont en déficit : la sécurité sociale, la collectivité locale et l'État. Elles sont toutes en déficit. Donc il faut traiter sérieusement ce sujet pour inverser l'évolution de nos finances publiques, que le déficit décroisse progressivement de façon à ce qu'en 2029 - et nous nous y sommes engagés - on atteigne les 3%. Et les 3%, ce n'est pas une règle européenne, c'est une règle de bonne gestion des finances publiques de notre pays.

LEA SALAME
Et en 2025, le déficit ? Puisque, objectif BARNIER, c'était 5%. Vous, quel est l'objectif que vous fixez, Éric LOMBARD ? Est-ce que vous pouvez nous le dire ce matin ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, c'est très technique, je ne veux pas perdre les Françaises et les Français qui nous écoutent. En 2024, le déficit sera probablement autour de 6,1% de la richesse nationale. Un ajustement se mesure en écart. Si on vise 5%, c'est un écart de plus de 1%, c'est considérable ; je pense que c'est trop. Parce qu'il faut aussi soutenir l'économie. Moi, je pense à nos entreprises qui sont dans l'hésitation.

NICOLAS DEMORAND
Il ne faut pas casser la croissance.

ÉRIC LOMBARD
Il ne faut pas casser la croissance. Il faut protéger la croissance. Ce sont les entreprises qui créent la richesse, qui créent l'emploi. Et donc, on vise un déficit, avec le Premier ministre - le chiffre n'est pas encore complètement calé - qui se situerait entre 5 et 5,5%. C'est dans cette fourchette. Donc, avec un petit peu plus de souplesse que ce que le Gouvernement de Michel BARNIER avait prévu.

LEA SALAME
Donc, on retient 5,5% pour être... 5,4-5,5 ?

ÉRIC LOMBARD
Ça sera moins de 5,5 et plus de 5. On est en train de faire le calage.

NICOLAS DEMORAND
D'accord. Comment comptez-vous - alors maintenant, entrons dans les détails - comment comptez-vous faire pour présenter votre budget sans être censuré, comme l'a été le Gouvernement BARNIER ? Vous dites que vous allez recevoir à Bercy tous les partis politiques, les groupes parlementaires à partir de ce matin. Déjà, une question sur le «" tous. " Tous, ça veut dire même La France Insoumise et le Rassemblement National. On se rappelle que votre prédécesseur, Antoine ARMAND, à ce micro, avait exclu le RN, estimant qu'il ne faisait pas partie de l'arc républicain. Vous, vous recevez tout le monde.

ÉRIC LOMBARD
Alors, entre, je vais vous livrer mes secrets de fabrication, entre Noël et le jour de l'an, j'ai écrit par texto, par SMS, à tous les responsables de partis et de groupes à l'Assemblée nationale et au Sénat, tous. Et je leur ai proposé de les appeler, afin de convenir des modalités d'un échange. Tous ont répondu favorablement, à l'exception de La France Insoumise, qui ne m'a pas répondu, ce qui est leur droit, bien sûr, et qui par une agence, par une dépêche AFP, a dit qu'ils ne viendraient pas à ces entretiens. Cependant, Éric COQUEREL, qui est un représentant de La France Insoumise et qui est président de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale… En tant que président de cette commission et dans son rôle institutionnel, parce que j'ai aussi invité, évidemment, les présidents de commission…nous allons recevoir tout le monde avec Amélie de MONTCHALIN, ministre des Comptes Publics, je le rappelle, viendra, à ce titre, jeudi. On a finalisé le rendez-vous hier soir.

LEA SALAME
Donc, aujourd'hui, c'est le PS, c'est ça ?

ÉRIC LOMBARD
Aujourd'hui, c'est le Modem, puis le Parti Socialiste.

LEA SALAME
Le Parti Socialiste à midi.

ÉRIC LOMBARD
Et puis, on est en train de caler les rendez-vous.

LEA SALAME
Et le Rassemblement National ?

ÉRIC LOMBARD
Le Rassemblement National, c'est organisé pour vendredi. Le rendez-vous avec les écologistes et le Parti Communiste est calé pour mercredi. Voilà, enfin, le calendrier est en train de se mettre en place. Mais je recevrai tout le monde avec Amélie de MONTCHALIN et…

LEA SALAME
On rappelle…

ÉRIC LOMBARD
Oui ?

LEA SALAME
Avec qui d'autre ?

ÉRIC LOMBARD
Et aussi avec Patrick MIGNOLA, le ministre des Relations avec le Parlement.

LEA SALAME
On se rappelle que le RN avait fixé ces lignes rouges sur le budget, accusé Michel BARNIER de ne pas les avoir acceptées. Marine Le PEN avait obtenu des reculs sur la hausse des taxes sur l'électricité, sur le déremboursement des médicaments, mais pas sur le renoncement à la désindexation partielle des retraites sur l'inflation. Pour éviter la censure, vous vous alignerez sur ces trois lignes rouges de Marine Le PEN ?

ÉRIC LOMBARD
Non. Pas nécessairement. En fait, je pense que la démarche par lignes rouges est une démarche qui coince tout le monde, parce que les lignes rouges en fait, elles définissent un triangle d'incompatibilité si je puis dire. Pardon, c'est un peu... Ça veut dire qu'il n'y a pas de solution avec les lignes rouges.

LEA SALAME
Mais elle, elle les a fixées.

ÉRIC LOMBARD
Eh bien, je vais écouter l'ensemble des partis, l'ensemble des responsables. Nous allons, avec le Premier ministre, avec les autres membres du Gouvernement concernés notamment Catherine VAUTRIN, qui gère les questions de retraite, regarder à qui nous pouvons non pas donner de satisfaction, mais plutôt quelle politique qui nous paraît conforme aux objectifs que nous nous sommes donnés, et qui répond à leurs demandes aussi. Et on pourra vérifier à la fin de la semaine, si cela nous permet d'obtenir des uns et des autres. Mais nous prendrons nos responsabilités. C'est-à-dire que ce n'est pas une négociation, parce que si on négocie avec tout le monde, on finit par arriver à une situation, encore une fois, où il n'y a plus de possible. On va écouter, on va intégrer, on va faire une synthèse et on la proposera aux partis, et puis ils se détermineront. Ils se détermineront.

LEA SALAME
D'accord, mais si elle dit, moi je voterai la censure, s'il n'y a pas un renoncement à la désindexation.

ÉRIC LOMBARD
Eh bien, si les conditions qu'elle fixe ne sont pas acceptables, elle votera la censure. Et voilà.

NICOLAS DEMORAND
Même question pour les Socialistes ; qu'avez-vous prévu de leur dire ? Vous les recevez donc aujourd'hui, leur dire pour qu'ils ne votent pas la censure. On rappelle que vous vous dites de gauche, qu'Olivier FAURE, le patron du PS, dit que vous êtes un ami, sur le plan personnel. François HOLLANDE vous demande des gestes forts. Lesquels êtes-vous prêts à accorder ?

ÉRIC LOMBARD
Je pense, alors que la semaine commence, qu'il y a plus de perspectives d'un dialogue fécond, je dirais, avec les partis de gauche, qu'avec le Rassemblement National. Mais, encore une fois, je suis ouvert, et on verra ce que donnera le dialogue.

LEA SALAME
Vous nous dites ce matin, au micro, ce qu'on veut éviter, en gros, c'est que le PS vote la censure. Puisque, mathématiquement, s'il ne vote pas la censure, vous passez. Le budget passe. Parce que maintenant, c'est bis repetita. On a déjà vécu l'histoire avec le Gouvernement BARNIER. C'est ça, l'idée ?

ÉRIC LOMBARD
Vous avez raison, Léa SALAME. Je pense qu'il y a des convergences possibles avec le PS, mais aussi avec le Parti Communiste et avec les Verts. Pourquoi ? Moi, je suis pour la justice fiscale. Il y a, dans ce pays, des mécanismes, par exemple, d'optimisation fiscale, qui font que des personnes qui ont des revenus importants ne paient pas leur part d'impôt. Il ne s'agit pas de proposer des impôts nouveaux. Il y a déjà vraiment toute la panoplie qui convient, il s'agit de vérifier que chacun paie sa juste part de l'impôt et contribue à l'action de l'État, l'action de la sécurité sociale. C'est un point, par exemple, sur lequel nous pouvons trouver des convergences.

LEA SALAME
Donc, taxer davantage les très, très riches qui optimisent l'impôt ?

ÉRIC LOMBARD
Pas les taxer davantage. Veiller à ce que le niveau d'impôt qu'ils paient soit homogène à celui que paient les autres Français.

LEA SALAME
Qu'en est-il de la taxe sur les profits des grandes entreprises qui était prévue dans le Gouvernement BARNIER, qui était censée rapporter 8 milliards d'euros ? Là, c'est foutu, puisque, quoi qu'il arrive, le prochain budget entrera en vigueur plus tard. Donc, il n'y aura pas 8 milliards, mais est-ce que vous la gardez ?

ÉRIC LOMBARD
Non, ce n'est pas foutu, Léa SALAME. Nous travaillons avec les équipes du ministère des Finances qui ont aussi passé de très, très courtes vacances et que je remercie à nouveau, à des mécanismes ; ce mécanisme de surtaxe pour les grandes entreprises a été discuté avec les entreprises, avec notamment le MEDEF. Il a été accepté comme un geste de solidarité. Cet accord, j'ai eu le président du MEDEF entre Noël et le Jour de l'An… décidément, beaucoup de gens étaient près de leur téléphone. Cet accord, il reste, il demeure. Donc, nous allons travailler sur un mécanisme qui s'appliquerait et qui permettrait d'avoir les revenus de l'ordre de 8 milliards d'euros en 2025.

LEA SALAME
Donc, c'est la même chose que ce qui était prévu dans le Gouvernement BARNIER, que les grandes entreprises qui font des profits devront payer ?

ÉRIC LOMBARD
Oui, c'est la même idée. Ça ne peut pas être la même chose, parce qu'il y a un principe qu'on appelle la rétroactivité.

LEA SALAME
C'est pour ça que je vous dis est-ce que… Donc, ce sera plus, en fait pour… ?

ÉRIC LOMBARD
Ce sera un principe qui doit nous permettre d'avoir à peu près la même contribution des grandes entreprises autour de 8 milliards d'euros, basé sur une base fiscale différente. Encore une fois, ne vous inquiétez pas, on trouvera la solution. Et peu importe, le principe demeure.

NICOLAS DEMORAND
On a beaucoup de questions encore, Éric LOMBARD. François BAYROU a dit vouloir engager des discussions pour amender la réforme des retraites. Les 64 ans sont-ils toujours un marqueur, une ligne rouge, non négociable, je réemploie l'expression, où cet âge pivot est amendable désormais ?

ÉRIC LOMBARD
Le Premier ministre a dit que dans la discussion qui allait se dérouler sous l'autorité de Catherine VAUTRIN et d'Astrid PANOSYAN-BOUVET, les ministres de Travail et de la Santé, Astrid PANOSYAN-BOUVET, ministre du Travail, tout était sur la table. J'ai ajouté une contrainte dans ma responsabilité de ministre des Finances. En réalité, nos systèmes de retraite sont déjà très déficitaires. Donc, je souhaite que cette réforme s'applique en n'aggravant pas ce déficit, et même si possible, en le redivisant. Mais on dépense 14% de la richesse nationale pour payer les retraites. A l'intérieur de ces 14%, on peut changer beaucoup de curseurs. Comme disait un grand syndicaliste, il y a du grain à moudre. Et donc, nous allons regarder quels sont les curseurs que nous pouvons bouger, quels sont les principes intangibles. La réforme qu'Elisabeth BORNE a apportée augmentait les retraites les plus basses. Il faut évidemment maintenir cela. Il y avait déjà des actes qui étaient posés pour les carrières longues, pour les carrières hachées, notamment pour beaucoup de femmes qui, pour des raisons de parcours de vie, ont des carrières hachées. Donc, il faut continuer à protéger ces Françaises et ces Français qui sont défavorisés devant les régimes de retraite. Cela peut se financer par d'autres mesures. Il y a des choses à faire.

LEA SALAME
Mais les 64 ans qui ont suscité la plus grande grève et les plus grandes manifestations depuis 1968, ces 64 ans, on ne touche pas.

ÉRIC LOMBARD
On n'a pas dit qu'on n'y touchait pas, on a dit qu'on mettait tout sur la table et qu'à l'intérieur de l'équilibre financier actuel, on pouvait faire bouger des choses. Donc, le Premier ministre n'a pas dit que nous allons revenir sur les 64 ans. Si un accord global, qui est riche, qui est équilibré, qui apporte beaucoup, et sur lequel il y aurait des amodiations, je pense qu'on peut tout à fait le regarder. Et effectivement, c'est un des points qui est porté par le Parti Socialiste avec beaucoup de force et sur lequel nous allons dialoguer. Mais j'ai parlé aussi des verts. Quand j'étais patron de la Caisse des dépôts, j'avais placé la transformation écologique en première priorité et Éric COQUEREL dirait la bifurcation écologique. En tant que ministre des Finances, je garde cette priorité. C'est une priorité absolue pour notre pays. Et donc, il y a aussi là de quoi dialoguer. J'ai eu Marine TONDELIER au téléphone. On a eu un entretien extrêmement riche par téléphone. On va se voir mercredi avec ses collègues. Il y a beaucoup de choses à faire sur la transformation écologique. Il faut qu'on fasse plus. Il faut qu'on fasse plus avec les collectivités locales, d'ailleurs, qui sont des agents de transformation absolument essentiels. Donc, il y a beaucoup de sujets sur lesquels, moi, je suis absolument convaincu que le dialogue nous permettra de trouver des convergences. Et ces convergences vont permettre peut-être qu'une partie de la gauche ne nous censure pas tout de suite et nous laisse notre chance pour continuer à travailler sur un budget 2025 et ensuite pour préparer un budget 2026. Parce que moi, je ne sais pas exercer une responsabilité publique sans nous projeter dans le moyen terme.

LEA SALAME
Donc, vous vous voyez à l'automne prochain. Parce que le budget 2026, il faut le préparer à l'automne prochain. Vous y êtes.

ÉRIC LOMBARD
C'est l'Assemblée nationale qui en décidera. Et j'ai un respect infini pour la démocratie. Mais dès lors qu'on est dans une responsabilité, il faut se projeter parce qu'on est responsable de l'avenir du pays. Même si on reste trois jours.

NICOLAS DEMORAND
Éric LOMBARD, qu'en est-il de la fameuse flat tax ? La taxation des revenus du capital instaurée par Emmanuel MACRON, elle est à 30%. Allez-vous ajuster le curseur ? Est-ce que ce taux de prélèvement va augmenter ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, la flat tax, le prélèvement fiscal unique semble technique, est à 30% sauf pour les personnes qui ont des revenus importants, elle est à 34%. Ça fait partie des sujets qui sont sur la table. Aucune décision n'est prise ni dans un sens ni dans l'autre. D'ailleurs, je vous rappelle…

LEA SALAME
Mais vous, vous dites ce matin que la flat tax, c'est peut-être là qu'il faut aller regarder ?

ÉRIC LOMBARD
On aborde cette discussion de façon ouverte. On verra après les demandes…

LEA SALAME
Pour le coup, c'est un des marqueurs, la flat tax, de l'arrivée d'Emmanuel MACRON au pouvoir.

ÉRIC LOMBARD
C'était un des marqueurs. En tout état de cause, si ça devait bouger, ça ne peut être qu'une évolution modérée. Parce que ça fait partie des sujets qui nous positionnent dans la compétition internationale. Moi, je souhaite que la France reste un pays attractif pour les investisseurs internationaux.

LEA SALAME
Vous ne craignez pas que les grands patrons vous disent " Si vous augmentez la flat tax, nous, on part. On part aux Etats-Unis où Donald TRUMP veut tout libéraliser, tout déréguler " ?

ÉRIC LOMBARD
Il y a beaucoup de pays où la flat tax est... La flat tax dans les pays développés se situe entre 30 et 35%. Vous voyez qu'on aurait un peu de marge si on décidait. Ce qui n'est pas fait, aujourd'hui, elle est à 30%. Il n'y a aucun texte…

NICOLAS DEMORAND
Mais vous pourriez aller vers 35%.

ÉRIC LOMBARD
C'est quelque chose qui n'est pas décidé. Tout est sur la table jusqu'au moment où le Premier ministre tranchera et annoncera ses décisions dans son discours de politique générale le 14 janvier.

LEA SALAME
Hier, sur BFM, la nouvelle ministre de l'Éducation, Elisabeth BORNE, a affirmé se battre pour empêcher les 4 000 suppressions de postes prévues dans le budget de Michel BARNIER à l'Éducation nationale, principalement dans les écoles maternelles et élémentaires. Elle a raison de se battre ou vous lui dites " non, il y aura ces suppressions de postes, ces 4 000 suppressions de postes. Et c'est ainsi, tout le monde doit faire des efforts, même l'école " ?

ÉRIC LOMBARD
C'est effectivement aussi une demande forte du Parti Socialiste et du Président HOLLANDE qui l'a relayée. J'en ai parlé d'ailleurs avec Elisabeth BORNE ces jours derniers. Ça fait partie des sujets qui sont en réflexion et qui seront également tranchés les jours qui viennent. Et je n'ai pas d'annonce particulière à faire ce matin. Sauf que nous allons écouter et nous allons faire une proposition qui va répondre à certaines demandes des partis. Et puis certaines demandes, nous considérons dans notre responsabilité que nous ne pouvons pas y répondre. Et nous espérons que ce dosage permettra à la fois de répondre aux difficultés du pays, parce que c'est de ça dont nous sommes garants, mais aussi, encore une fois, de faire évoluer un certain nombre de partis.

LEA SALAME
Mais vous êtes sur le même objectif que Michel BARNIER, c'est de retrouver 60 milliards d'économies ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, dès lors qu'on a un peu assoupli le sujet, on est plutôt autour de 50 milliards d'euros. Et comme la ministre…

LEA SALAME
Combien en économies et combien en hausse d'impôts ?

ÉRIC LOMBARD
Ça sera essentiellement des économies. Les hausses d'impôts, il n'y aura pas de nouvelles hausses d'impôts par rapport à celles qui ont déjà été annoncées. D'abord parce que la pratique budgétaire à l'Assemblée nationale et au Sénat ne nous le permet pas. On va repartir pour des raisons pratiques - et pardon, je crois que c'est important que les auditrices et les auditeurs le savent - du texte, parce que le budget est toujours à l'examen devant le Sénat. Et j'ai vu le président LARCHER vendredi dernier. L'examen du texte va se poursuivre au Sénat. C'est-à-dire qu'on ne peut pas ajouter de mesures nouvelles. On peut modifier des mesures qui sont en débat. Mais donc ça réduit un peu nos marges de manoeuvre. Le budget sera profondément transformé mais sur la base…

LEA SALAME
Donc aucune nouvelle hausse d'impôts que celles qui ont été annoncées ?

ÉRIC LOMBARD
Il n'y aura pas d'autres hausses d'impôts que celles qui ont été annoncées. Il y a des impôts qui tombent du fait du passage de l'année qu'on ne peut pas faire en 2025 ce qu'on aurait pu faire en 2024 que nous souhaitons remplacer. Je veux parler aussi de la contribution des hauts revenus qui était prévue pour 2 milliards d'euros, qui est une mesure de justice fiscale à laquelle je suis attaché. Elle ne peut pas se faire suivant les modalités qui étaient prévues en 2024. En revanche, on peut trouver des mécanismes, comme je le disais tout à l'heure, qui visent à ce que les personnes qui ont des revenus importants participent simplement à l'effort fiscal que tous les citoyens mènent. Parce que quand on est salarié, on ne peut pas faire d'optimisation fiscale. Il faut limiter les effets de l'optimisation fiscale.

NICOLAS DEMORAND
Vous continuez à dire que la croissance sera de 1,1%. Parce que ce n'est pas ce que dit la BANQUE DE FRANCE qui table plutôt sur 0,9. D'autres projections parlent de 0,8 voire 0,7. Est-ce que vous n'êtes pas un peu trop optimiste ?

ÉRIC LOMBARD
La BANQUE DE FRANCE est à 0,9. Le budget a été présenté sur une base de 1,1. Convenez qu'on est quand même un peu dans l'épaisseur du trait même s'il faut se battre pour chaque demi-point ou quart de point de croissance. Ma conviction est la suivante. Aujourd'hui, les entrepreneurs que je rencontre, que je vois...

LEA SALAME
…qui sont inquiets…

ÉRIC LOMBARD
Ils sont inquiets parce que nous n'avons pas de budget. Ils ne savent pas ce qui va se passer. Mais malgré ça, l'économie tient. L'économie tient.

LEA SALAME
L'économie tient mais il y a quand même de plus en plus, il y a une remontée du chômage, des défaillances d'entreprises qu'on n'avait pas vues depuis longtemps.

ÉRIC LOMBARD
Ce qui se passe en conséquence du Covid, on avait beaucoup protégé les entreprises. Il y a une sorte de retour à la normale. Mais malgré tout, l'économie tient, l'emploi tient et notre situation relative en Europe est mauvaise. Notre conviction avec le Premier ministre, c'est que quand il y aura un budget et que ce budget aura été établi dans le cadre que je vous indique avec non pas un soutien mais une absence de censure, ça va rassurer les entrepreneurs. Ça va aussi rassurer les Françaises et les Français. Donc, ça va avoir un effet positif sur les perspectives.

NICOLAS DEMORAND
Et donc sur la croissance, vous restez sur 1,1 ?

ÉRIC LOMBARD
Ça fait partie des sujets qui seront présentés lors du discours de politique générale. Encore une fois, on est dans une phase d'élaboration. Je rappelle qu'on est le 6 janvier, que le gouvernement a été nommé le 23 décembre. Ça fait 15 jours. On n'a pas pris de vacances, mais ça fait quand même que 15 jours. 15 jours et 15 nuits, on va dire, parce que c'est vrai que c'est un travail à plein temps. Donc, laissez-nous encore quelques jours pour caler les curseurs. C'est au Premier ministre de prendre toutes ces décisions.

LEA SALAME
Comme patron de la Caisse des dépôts, vous aviez en charge le taux du Livret A, une question qui intéresse beaucoup les Français. Aujourd'hui, il est à 3%. En octobre dernier, quand vous n'étiez pas ministre, vous disiez que ce taux pourrait céder de 0,5 point au début d'année pour revenir à 2,5%. Qu'en est-il ? La décision va être prise et là, elle est attendue.

ÉRIC LOMBARD
Il se trouve qu'effectivement, je connais bien la procédure. Le gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, François VILLEROY de GALHAU, fera une proposition au ministre des Finances. Très certainement, effectivement, de baisse puisque la base de la réflexion, c'est une formule - on ne va pas rentrer dans le détail - qui nous amènerait, effectivement, autour de 2,5%. Autour de 2,5%, c'est autour de ce chiffre que la décision sera prise. Mais, je n'ai pas encore reçu la proposition.

LEA SALAME
Donc, il faut préparer les Français. Le taux du Livret A va baisser, quoi qu'il arrive, autour de 2,5.

ÉRIC LOMBARD
Le taux du Livret A va baisser, Léa SALAME, mais l'inflation a fortement baissé puisqu'elle est autour de 1%. Donc, l'épargne est non seulement protégée, mais elle permet au patrimoine réel d'augmenter.

NICOLAS DEMORAND
Dernière question rapide, Éric LOMBARD. Vous n'êtes donc pas énarque. Qualité ou défaut pour diriger Bercy ?

ÉRIC LOMBARD
J'ai beaucoup de respect pour les personnes qui ont fait l'ENA, qui est une très grande école de la République. J'ai un autre parcours.

LEA SALAME
HEC.

ÉRIC LOMBARD
Oui, qui est aussi une très bonne école. D'abord, nous sommes 6 ministres à Bercy. Nous sommes une équipe en charge des finances et de l'économie du pays. Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que c'est 6 ministres, il y a 4 femmes et 2 hommes. C'est quelque chose de pas nouveau…

LEA SALAME
Oui, mais c'est vous le boss.

ÉRIC LOMBARD
Oui, il se trouve que c'est moi le boss. Ce sont des choses qui arrivent. Mais comme c'est une équipe, et que c'est une équipe très partenariale, je peux vous dire que chaque voix compte. D'ailleurs, la ministre des Comptes publics, Amélie de MONTCHALIN, vous avez noté, est une femme qui a beaucoup d'autorité et d'engagement. Et c'est un plaisir de travailler avec elle.

LEA SALAME
On la recevra prochainement. Merci.

NICOLAS DEMORAND
Merci infiniment Éric LOMBARD d'avoir été au micro d'Inter ce matin. Il est 8h48.

ÉRIC LOMBARD
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 janvier 2025