Texte intégral
Bonjour,
Permettez-moi tout d'abord de vous adresser à toutes et à tous mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. Une année 2025 que je suis très heureux de débuter en accueillant mon homologue polonais M. Radoslaw Sikorski. Heureux parce que Radek Sikorski était venu participer à la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs en 2013, et qu'il a accepté, 11 ans plus tard, si je puis dire, d'être à nouveau l'invité d'honneur de ce moment incontournable pour la diplomatie française.
Il nous fait l'honneur ce soir également de livrer devant les ambassadrices et les ambassadeurs français, pour la première fois, les priorités polonaises de sa présidence de l'Union européenne pour les six mois qui viennent. Une présidence qui intervient à un moment charnière pour l'Europe, comme le rappelait tout à l'heure le Président de la République à l'Elysée. Il y a 11 ans, lors de ta dernière venue, cher Radek, personne ne pouvait imaginer que la Russie de Vladimir Poutine envahirait l'Ukraine. Personne ne pouvait imaginer à cette époque qu'une élection dans un Etat membre de l'Union européenne puisse être annulée suite à des manipulations de réseaux sociaux. Personne n'aurait pu imaginer, il y a 11 ans, que des accords tels que ceux que nous avons trouvés à cette époque-là - l'accord sur le climat dont nous fêtons le dixième anniversaire cette année, l'accord sur le nucléaire iranien - soient beaucoup plus difficiles, voire impossibles à signer aujourd'hui.
Et c'est pourquoi cette présidence porte en elle des enjeux qui sont absolument majeurs, au moment où commence un nouveau cycle institutionnel. La nouvelle Commission est désormais en place. Le Parlement l'attendait pour commencer à travailler. Nous avons un agenda qui est très clair, qui est d'ailleurs largement issu d'un certain nombre des idées qui ont été développées par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, et qui repose sur l'idée que l'Europe doit redevenir maîtresse de sa propre sécurité - que ce soit sa sécurité dans le domaine de la défense ou la sécurité de ses frontières -, qu'elle doit faire beaucoup plus en matière de compétitivité pour éviter le décrochage, éviter de se faire prendre de vitesse par les Etats-Unis ou la Chine, et qu'elle doit être aussi capable de défendre son modèle démocratique, qui est aujourd'hui soumis aux coups de butoir des régimes autoritaires ou des démocraties illibérales. Et c'est pourquoi cette présidence que tu as souhaité placer sous le terme de la sécurité est si importante, et c'est pourquoi nous serons très attentifs à tes propos ce soir.
Ces liens qui nous unissent à la Pologne, nous avons souhaité, cette année qui vient de s'écouler, les cultiver en réactivant le format du triangle de Weimar, qui nous rassemble avec l'Allemagne, et qui nous permet de prendre des initiatives comme nous l'avons fait tout au long de l'année dernière, que ce soit en matière de lutte contre la désinformation ou tout récemment pour exprimer avec beaucoup de vigueur et de force notre réprobation d'un certain nombre d'actions qui sont entreprises par le gouvernement géorgien aujourd'hui. Je n'oublie pas la profondeur et la solidité de notre relation et de notre amitié bilatérale, de cette amitié historique, de cette fraternité d'armes, comme l'a rappelé le Président de la République lorsqu'il s'est rendu à Varsovie le 12 décembre dernier. Cette amitié, elle sera consacrée en 2025 par un nouveau traité, le Traité de Nancy, qui couvrira l'ensemble des domaines de la coopération et ouvrira un nouveau chapitre de notre relation.
C'est pourquoi, tant au niveau bilatéral, qu'au niveau européen et au-delà, nous sommes si heureux et honorés de te recevoir aujourd'hui, mon cher ami.
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R - Je veux laisser Radek Sikorski s'exprimer sur l'opportunité et l'éventualité d'un sommet entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Ce qui est certain, c'est que nous allons entretenir avec les Etats-Unis la même qualité de relation que celle que nous avons entretenue depuis des années, des décennies et, pour certains pays européens, des siècles. Nous sommes des alliés de longue date. Nous avons beaucoup en partage, et que ce soit sur le sujet de l'Ukraine, sur les sujets économiques, sur les sujets démocratiques, nous avons beaucoup à accomplir ensemble. Il va donc de soi que nous aurons à coeur - et à mon avis le sentiment sera partagé de l'autre côté de l'Atlantique - d'entretenir les meilleures relations.
Vous m'interrogez ensuite sur notre attitude vis-à-vis de l'Ukraine. Je crois que sur ce sujet, il y a une très forte convergence de vues entre la Pologne et la France, qui ont été moteurs ces derniers mois, pour réaffirmer un certain nombre de principes simples. Il ne peut y avoir de discussion sur l'Ukraine sans l'Ukraine. Il ne peut y avoir de discussion sur la sécurité européenne sans les Européens. Et il ne peut pas y avoir d'accord qui serait mauvais, défavorable pour les Ukrainiens et qui soit en même temps positif et favorable pour les Européens ou les Américains. Et c'est pourquoi nous avons, avec Radek Sikorski, beaucoup poussé nos collègues européens à activer tous les leviers à notre disposition pour faire en sorte que les Ukrainiens, lorsqu'ils le décideront, soient en position de négocier en situation de force. Le levier financier, avec ce prêt de 45 milliards d'euros agréé au G7, qui va permettre aux Ukrainiens de trouver des ressources pour financer leur effort de guerre. Le soutien militaire que nous apportons, chacun selon nos moyens, à l'Ukraine, avec la formation des soldats, avec la fourniture d'équipements. Les sanctions que nous avons prises à de nombreuses reprises, puisque nous en sommes au 15e paquet de sanctions adopté contre la Russie, et que je sais que Radek Sikorski aura à coeur de faire adopter, dans le courant de sa présidence, un 16e paquet de sanctions, pour mettre la pression sur la Russie et assécher les ressources qu'elle engouffre aujourd'hui dans cette guerre d'agression inique.
Je poursuis avec le levier de l'intégration euro-atlantique de l'Ukraine. Radek Sikorski vient de parler des sujets d'élargissement, qui sont au coeur des priorités françaises également. Et puis j'ajouterai à ces quatre leviers celui de la formule de paix du président Zelensky, dont un certain nombre de pays alliés de l'Ukraine se sont saisis pour lui apporter un soutien. Pour notre part, c'est du groupe sur la sécurité et la sûreté nucléaire que nous nous sommes mobilisés, avec un travail étroit avec l'AIEA, pour faire en sorte que le risque provoqué par la Russie sur les infrastructures nucléaires ukrainiennes soit le plus limité possible.
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R - Je remercie beaucoup Radek Sikorski de souligner l'importance dans notre histoire nationale de la figure du général La Fayette qui, effectivement, s'est embarqué à 19 ans sur le navire La Victoire pour aller porter secours, pour aller apporter des renforts à la jeune nation américaine qui voulait se libérer du joug britannique. C'est au même âge, à 19 ans, que des soldats américains se sont embarqués sur les bateaux qui sont venus, il y a 80 ans - qu'on a célébrés -, aux côtés d'un certain nombre de combattants polonais, libérer notre pays. Alors oui, pour certains ça peut paraître un peu loin, mais pour nous ça compte énormément.
Q - Le Président Macron, ce matin, a appelé aux Ukrainiens de mener des discussions réalistes sur les questions territoriales. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, de votre côté, Monsieur Barrot ? Et Monsieur Sikorski, est-ce que vous êtes d'accord que l'Ukraine doit mener des discussions plus réalistes sur les questions territoriales ?
R - Ce que le Président de la République a dit, c'est qu'il appartient aux Ukrainiens de choisir le moment et les conditions de négociations de paix et que, dans ce contexte, chacun, au sein de la communauté des pays qui soutiennent l'Ukraine, devra jouer son rôle. Le rôle des Etats-Unis, aujourd'hui, c'est certainement de continuer à soutenir l'Ukraine, comme ils l'ont fait depuis le début de cette guerre d'agression. C'est ce qu'a fait l'Union européenne, avec beaucoup de détermination, puisque nous sommes, si l'on prend les montants financiers, les principaux contributeurs du soutien à l'Ukraine. Ce qu'a dit le Président de la République, c'est qu'il appartiendrait aux Ukrainiens, le moment venu, de s'interroger sur ces questions que vous abordez. Et il appartiendrait aux Européens de s'interroger sur les garanties de sécurité qu'ils pourront apporter pour faire en sorte que cette paix, lorsqu'elle arrivera, soit véritablement durable.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2025