Texte intégral
Madame et messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mon général, monsieur le chef d'état-major des armées,
Monsieur le délégué national de l'Ordre de la Libération,
Monsieur le délégué général pour l'armement,
Monsieur le secrétaire général pour l'administration,
Messieurs les chefs d'état-major,
Mon général, monsieur le directeur général de la gendarmerie nationale,
Madame, Messieurs les directeurs généraux,
Officiers généraux, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, d'active et de réserve, personnels civils du ministère,
Mesdames et messieurs les anciens combattants et porte-drapeaux, Mesdames, Messieurs,
Pour la troisième fois,j'ai l'honneur de me présenter devant vous pour entamer l'année et fixer avec vous les priorités qui structureront l'action du ministère en 2025.
Il y a deux ans,je nous invitais collectivement à l'introspection, à interroger lucidement ce que sont nos armées : leur histoire, leur format, leurs missions; pour tracer ce que doit être leur avenir.
L'année dernière, je fixais le cap du réarmement, en engageant notre révolution culturelle et en nous exhortant à prendre des risques pour faire plus, pour faire mieux et pour faire plus vite.
Alors que le monde devient de plus en plus désordonné et brutal ; alors que la course aux technologies est de plus en plus rapide et dérégulée; alors que les menaces se cumulent pour notre sécurité, que les crises s'accélèrent et font peser sur la France et sur l'Europe entière un risque direct ou indirect, parfois encore invisible, sournois, discret, hybride, mais pourtant bien réel : nous ne devons pas faiblir.
Nous devons continuer de nous remettre en question et d'agir, pour donner à la France les moyens d'assumer son rôle de grande puissance, de garantir notre sécurité et de défendre nos intérêts partout sur la planète.
Nous devons aussi prendre le pouls de la France et des difficultés qu'elle traverse, alors que le ministère des armées est jusqu'alors préservé de l'instabilité politique. Les Françaises et les Français mesurent l'engagement absolu de leurs militaires, et comptent sur leurs armées pour les protéger. Pour cela, ils sont prêts à leur donner les moyens d'être prêts pour affronter les défis à venir.
Dans un contexte où l'absence à ce jour de budget pour 2025 menace le réarmement, soyez assurés de ma mobilisation, de celle de la ministre déléguée Patricia Miralles, sous l'autorité du président de la République, chef des armées, pour donner à ce ministère les conditions dont les armées ont besoin et - à tout le moins - les moyens prévus par la loi de programmation militaire pour assurer l'efficacité militaire réelle de la France, qui sera seule jugée devant l'Histoire.
Cet impératif appelle un sursaut national, dans sa dimension morale et patriotique également. Pour y parvenir, je ne doute pas que nos armées sauront également compter sur les représentants de la Nation, pour, le moment venu, prendre leur responsabilité et garantir ce réarmement. Il devra permettre l'exécution des marches d'augmentation budgétaire de 3 milliards d'euros prévues chaque année par la programmation militaire, qui ont été conçues dans mon esprit comme un plancher, et certainement pas comme un plafond. Cela n'est pas négociable.
A l'heure où beaucoup pensent que tout peut s'écrouler, que le déclin français est inéluctable, personne pour autant ne songe à douter de nos armées. Ce sont elles qui ont porté les grands succès de la Nation, ce sont elles qui ont relevé le pays de ses plus grands périls. Ce sont nos anciens combattants qui ont tenu bon, dans la moiteur d'une tranchée, la fureur d'un champ de bataille, dans les tempêtes des océans et des mers, depuis les hauteurs d'un avion ou les profondeurs d'un sous-marin.
Pour eux.
Pour la France.
Nous n'avons pas le droit de faiblir, nous devons sans cesse douter de nous- même, comme les gaullistes l'ont fait avec rigueur et non sans une certaine angoisse, pour conquérir la certitude d'être toujours à la hauteur.
1/ Le bilan
Mesdames et messieurs,
Pour être à la hauteur, nous avons agi depuis 2017, et singulièrement au cours de l'année écoulée. Et dans cette cour des Invalides, nous pouvons acter - sans toutefois être exhaustifs - de ce qui a été accompli et qui prépare notre outil de défense pour l'avenir :
- C'est d'abord la modernisation de notre dissuasion nucléaire avec des investissements majeurs, notamment pour les Forces Océaniques stratégiques, le futur missile M51.4 et la réalisation du 1er Sous-marin Nucléaire Lanceurs d'Engins de 3ème Génération. Et pour les Forces aériennes stratégiques, du missile Air Sol Nucléaire de 4ème génération (ASN4G), ou encore la montée en puissance du RAFALE au standard F5.
- C'est le chantier de l'économie de guerre qui a permis de belles premières avancées, notamment sur les munitions, avec le doublement des cadences de production d'obus de 155 mm et des missiles MISTRAL.
- C'est la politique de fidélisation, avec des mesures salariales de rattrapage, une meilleure prise en charge des sujétions militaires, permettant d'atteindre en 2024 la cible annuelle des effectifs, après plusieurs années consécutives de sous-exécution massive et de déflation.
- C'est la livraison depuis 2022 - entre autres - de plus de 500 blindés SCORPION, de 24 RAFALE, de 7 frégates, de 3 sous-marins nucléaires d'attaque de classe Suffren...
- C'est un investissement de près de 5 milliards d'euros pour nos infrastructures, permettant notamment en deux ans la livraison de 8.000 nouvelles places d'hébergements.
- C'est l'intégration des réservistes parmi l'armée d'active, avec 3 800 réservistes supplémentaires accueillis dans nos unités en 2024, conformément à la trajectoire qui vise à avoir un ratio d'un réserviste pour deux militaires d'active en 2035.
- C'est la transformation de l'armée de Terre dans son commandement, sur le plan capacitaire, et désormais en se tournant vers l'innovation.
- C'est la transformation des services de soutien, du SID, du SSA et la création du futur commissariat au numérique de défense.
- C'est la refonte de la journée de défense et de citoyenneté, qui va se déployer en 2025 et permettra de moderniser considérablement le recensement des jeunes Français pour disposer des données qui seront demain le cœur souverain de la capacité des armées à mobiliser en cas de besoin.
- C'est aussi la négociation du traité de coopération en matière de défense avec Djibouti qui reconduit la présence française sur la base de Djibouti pour 20 ans, et qui devra être ratifié par le Parlement prochainement.
- C'est enfin le lancement du projet du Fort neuf de Vincennes, qui accueillera demain la DGSE, et la livraison en mars prochain du nouveau siège de la DRSD.
Ce sont de nombreuses autres réalisations encore que je ne citerai pas, mais dont certaines étaient attendues depuis longtemps.
Mais cette période est marquée avant tout par une activité opérationnelle intense dans un climat de plus en plus dangereux. Je pense en particulier à nos marins qui ont affronté d'innombrables attaques de drones et de missiles en Mer Rouge dans leurs missions de sécurisation maritime, à nos soldats qui ont réussi des opérations extrêmement sensibles de désengagement de nos bases au Sahel, la protection des jeux olympiques et paralympiques de Paris et bien entendu la conduite du mandat difficile au sein de la FINUL au Liban à la frontière avec Israël, qui a vu la disparition de la Cheffe Claudin, morte pour la Paix et pour la France à l'automne dernier. Et bien sûr à nos aviateurs, qui ont été sollicités pour établir des ponts aériens vers nos outre-mer - tant en Nouvelle Calédonie qu'à Mayotte - et qui ont démontré un savoir-faire dont peu d'armées seraient capables, et dont l'entraînement a connu un tragique accident l'été dernier avec la disparition de deux de nos pilotes de Rafale.
Le pays avait besoin des armées en 2024 : elles ont répondu présentes. Y compris par le sang versé.
II/ Les menaces
Mesdames et messieurs,
Certains pouvaient sans doute penser que les efforts que nous avions collectivement consenti ces dernières années nous permettraient de faire face aux défis sécuritaires du moment.
Or, force est de constater que notre monde a connu une mutation rapide qui ne laisse que peu de raisons d'être optimiste. Ce constat est partagé - je le sais - par l'ensemble des hautes autorités du Ministère, et je salue la clairvoyance et l'action personnelle et convaincue de notre chef d'état- major des armées, le Général Burkhard, qui a su emmener nos armées sur ce chemin de lucidité. j'ajouterai, - car cela ne fut pas toujours le cas hélas dans l'histoire de France -, que ce constat fait l'objet d'une convergence d'analyse entre autorités politiques du moment et autorités militaires où personne ne nie l'existence d'une spirale escalatoire qu'il serait naïf et dangereux d'ignorer.
Au lieu d'un ordre international dessiné au lendemain de la seconde guerre mondiale - et que l'on croyait acquis après la dissolution du Pacte de Varsovie -, se dresse chaque jour davantage un désordre mondial alimenté par des puissances de déstabilisation.
Tous les moyens sont utilisables et utilisés : dérégulation, désinhibition, durcissement. Leurs déclinaisons sont multiples et protéiformes.
[Terrorisme/ djihadisme]Tout d'abord, il faut une nouvelle fois rappeler que le terrorisme n'a pas disparu. Depuis une décennie, nos militaires des trois armées se sont engagés courageusement et sans relâche contre les groupes djihadistes où qu'ils soient, au Proche et Moyen Orient, comme en Afrique. Et pourtant, nous commémorons aujourd'hui le triste dixième anniversaire des attentats du 7 janvier 2015, sans pouvoir être absolument assurés qu'une telle attaque ne se reproduise au regard des recompositions djihadistes qui vont du Sahel au Khorassan en passant par le Levant.
[Iran / DPRK] Au même moment, certains Etats franchissent des limites nouvelles de prolifération. L'accélération des programmes nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord constitue une menace toujours plus évidente contre nos intérêts, et pose le risque d'une remise en cause des grands équilibres stratégiques bâtis sur les traités internationaux. Elle va de pair avec une accélération tout aussi préoccupante des programmes balistiques de ces deux pays, qui menacent leur environnement régional mais aussi désormais par leur portée le continent européen.
A ces menaces anciennes s'ajoutent une internationalisation préoccupante, escalatoire et non sans contrepartie en transferts de technologies contre le soutien apporté par ces deux pays à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, qui prend depuis quelques mois la forme d'une participation directe avec l'engagement au combat de soldats nord-coréens dans la région de Koursk.
La République Islamique d'Iran, et son réseau de proxies, poursuit un agenda de déstabilisation et d'insécurisation du Moyen-Orient avec la fourniture de drones et de missiles de plus en plus nombreux et performants. Même s'il a été profondément fragilisé, le Hezbollah occupe toujours une place importante. Les actions déstabilisatrices houthies ont fait durablement chuter le trafic maritime en Mer Rouge et rien ne permet de penser à ce stade que la situation s'améliorera à court terme. L'Irak, dont la stabilité est clé, est traversée également par des risques sécuritaires portées par des milices chiites. La Syrie connaît une recomposition qu'il conviendra d'observer de près.
[Hybridité/démocratie] Dans le même temps, sur fond de chantage nucléaire, la Russie et ses soutiens inventent des guerres nouvelles et nous entraînent dans une nouvelle forme de confrontation à laquelle il nous faut faire face résolument. On assiste à une hybridation croissante de ces menaces, c'est-à-dire à un détournement d'objets civils à des fins militaires, pour cibler et affaiblir nos modèles politiques et sociaux. Les exemples récents de manipulations de la Russie dans le cycle électoral en Roumanie, en Moldavie et en Géorgie montrent le danger que font peser sur nos démocraties de tels modes d'action. Nous n'en sommes qu'au début. La Russie développe également sa stratégie d'instrumentalisation des flux migratoires, si elle ne planifie tout simplement pas demain des formes d'encouragement à l'immigration illégale vers l'hexagone ou vers nos outre-mer. Certaines puissances procèdent à des tentatives ciblées d'ingérence, de récupération et même de déstabilisation, comme l'Azerbaïdjan l'a fait en Nouvelle-Calédonie.
Sans oublier l'espace numérique, dont nos sociétés sont toujours plus dépendantes, qui est devenu en seulement quelques années un nouveau champ de bataille qui ne dit pas son nom et qui déporte la menace vers le monde civil, avec en première ligne nos entreprises mais aussi nos services publics.
III/ Les ruptures
A/ 1ère rupture : l'économie de guerre
Mesdames et messieurs,
Dans ce monde qui se durcit sous nos yeux, nous ne devons pas laisser s'installer une forme de routine et même de banalisation pour ne pas dire d'indifférence. A force de gérer la paix - ou de chercher pour certains à en tirer des dividendes plus que de raison -, nous avons sans doute cessé de penser suffisamment notre défense et de nous préparer concrètement. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous mentir à nous-mêmes, et l'honnêteté intellectuelle commande que nous engagions en 2025 des ruptures puissantes pour nous donner des capacités militaires concrètes et efficaces que l'Histoire décidera ou non de mettre à l'épreuve.
1/ Economie de Guerre 2.0
La première rupture ne surprendra personne. Nous ne pouvons pas ne pas voir que la montée en cadence de la production d'armes ne concerne pas uniquement les pays en guerre ou les régimes autoritaires, mais que désormais de grandes puissances démocratiques, - parfois alliées mais aussi concurrentes à l'exportation - sont engagées dans cette même démarche.
Soyons lucides, nous ne sommes qu'au début de ce que nous devons accomplir pour être au niveau d'une véritable " économie de guerre ". Les freins sont encore trop nombreux, alors que pourtant il s'agit là d'un impératif pour la survie de notre industrie de défense souveraine.
Il nous faut collectivement encore engager des modifications profondes des outils de production et ancrer cette culture autant au sein de la DGA que dans nos entreprises.
Il faut oser des solutions plus innovantes et agiles, en regardant ce qui se fait ailleurs, notamment sur les chaînes civiles de production industrielle. Mais aussi inventer les armes de demain, plus faciles à produire, en grande quantité et moins chères, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Notre industrie de défense doit poursuivre ses efforts de résilience, notamment via des relocalisations salutaires et en diversifiant les sources d'approvisionnement. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'inauguration au printemps de l'usine de poudre d'Eurenco relocalisée sur le site de Bergerac.
L'agenda européen de soutien à l'industrie de défense est utile mais il ne devra pas conduire à dépenser l'argent du contribuable européen pour produire sous licence des équipements américains. Si cela peut donner à certains l'illusion d'une autonomie européenne, cela nous mettrait surtout à la merci d'un revirement stratégique de notre allié américain. La défense n'est pas non plus en Europe un marché comme les autres: le pilotage des priorités doit rester chez les Etats membres, qui définissent souverainement leurs besoins opérationnels et capacitaires. Le rôle de la Commission européenne est - et doit être - d'accompagner de façon accélérée et simplifiée le développement des industries de défense européennes et non de se substituer aux Etats membres en créant des complexités ou contraintes supplémentaires. Nous devons porter un agenda de simplification des procédures européennes, et défendre pied à pied l'agenda de Versailles. C'est tout l'enjeu de la négociation en cours sur EDIP sur laquelle nous ne céderons rien. En la matière, il vaut mieux ne rien faire que faire mal.
2/ Finance de guerre
Un autre chantier dédié - en miroir de cette économie de guerre - concernera la finance de notre industrie de défense, ou en quelque sorte "la finance de guerre". Dorénavant, pour résoudre le problème à la racine, nous devrons donner aux entreprises les moyens d'investir - dans de nouvelles machines, dans des stocks plus importants, dans la formation et dans des recrutements.
Là encore, la taxonomie européenne actuelle génère encore un effet d'éviction aux financements de nos entreprises de défense. Cela est inacceptable !
La notion d'armes controversées dans les règlements européens ou même tout simplement dans les normes internes aux organismes bancaires et financiers, génère des freins et une confusion indue touchant les sous- traitants de notre dissuasion nucléaire. Cela est tout aussi inacceptable !
Les entreprises de défense sont plus endettées, moins bien financées que leurs équivalents civils. Nous ne pouvons nous résoudre au statu quo.
Il faut mettre sur pied un dispositif de soutien à l'investissement privé par la création de fonds, par la mise de garanties d'Etat de fonds propres et améliorer les dispositions incitatives. Avec le ministre de l'Economie et des Finances, nous réunirons dès ce premier trimestre les acteurs du financement et de l'industrie de défense pour préciser les modalités de mise en œuvre de ces mesures. Je tiens à ce titre à remercier le travail de l'ancien ministre délégué, Jean-Louis Thiériot, qui poursuivra ce chantier au Parlement.
3/ L'export.
Par ailleurs, l'économie de guerre que nous mettons en œuvre doit dans un même élan rendre notre industrie de défense plus compétitive à l'export, notamment en termes de délais et de prix - là où se joue une compétition brutale au moment où le monde se réarme. Exporter nos armes est vital pour développer notre base industrielle et technologique de défense. Cela l'est tout autant pour notre balance commerciale et pour créer des emplois partout en France. Mais c'est aussi une condition de notre souveraineté et le sous-jacent de l'équilibre du modèle voulu et dessiné par les gaullistes dans les années 60.
L'année 2024 a été la deuxième meilleure année de notre histoire, avec plus de 18 milliards d'euros de prise de commande, dont près de 10 milliards concernent des plateformes-phares comme les Rafale et les sous-marins. L'année 2025 s'annonce comme une excellente année, qui débute de manière prometteuse avec la vente de 14 hélicoptères Caracal en Irak.
Mais nous ne devons pas nous satisfaire de ces résultats. Aussi 2025 devra être une nouvelle année record, avec l'exportation de bâtiments de surface, - nos frégates de défense et d'intervention en particulier -, de nos sous- marins, de nos radars, de notre artillerie, de nos hélicoptères et bien sûr de nos Rafale. L'effort portera également sur le SAMPT-Nouvelle Génération, qui répond fondamentalement aux prochaines menaces balistiques venues d'Iran et de Russie.
4/ Transformation du capacitaire
Je veux enfin avoir un mot pour les agents civils et militaires de la DGA, dont certains ont fondamentalement osé ces derniers mois prendre des risques. Monsieur le Délégué général pour l'armement, cet état d'esprit doit devenir la règle générale, conformément à mon discours d'octobre dernier à Vert le Petit.
Nous savons que le contexte stratégique appelle désormais à une expression de besoin simplifiée. Ce choc de simplification capacitaire est attendu, et il ne sera possible que si les deux jambes "Direction générale pour l'Armement - Etat Major des Armées" progressent de concert. Nous ne devons pas avoir peur de simplifier, mais aussi de trouver plus de subsidiarité envers ceux qui conduisent les programmes d'armement et ceux qui les utilisent.
B/ 2e rupture : lever tous les freins à l'innovation
Mesdames et messieurs,
La deuxième rupture que nous devons engager consistera à lever certains freins inutiles à l'innovation. Notre histoire, - comme les grandes découvertes technologiques récentes - nous ont appris que pour innover au plan militaire il faut maîtriser les technologies quoi qu'il en coûte. La régulation d'une technologie ne peut raisonnablement arriver qu'après l'avoir scientifiquement maîtrisée.
Par ailleurs,j'appelle nos industriels à prendre plus de risques pour innover dans nos armes, et de ne plus compter sur l'Etat pour systématiquement financer de nouveaux projets. Là où il y a un marché, il y a un modèle économique à trouver, et le seul contribuable ne peut y être systématiquement convoqué en tout préalable.
1/ Intelligence artificielle
Dans le domaine de l'intelligence artificielle, 2025 sera une année charnière pour maîtriser et déployer cette technologie dans l'ensemble du ministère : avec la livraison du supercalculateur, la concrétisation de partenariats industriels et internationaux, et surtout de la mise en production d'IA à tous les niveaux et dans tous les métiers du ministère.
Le succès du déploiement d'un portail d'IA générative sur lntradef en fin d'année dernière est une première brique désormais accessible à tout le ministère. Ce n'est qu'un début et il sera étendu sur les réseaux classifiés dans les prochains mois au bénéfice du renseignement, des opérations et du cyber.
Mais nous ne devons pas nous fixer de limites, l'objectif étant de faire irriguer l'IA à tous les usages opérationnels aussi bien dans le domaine de la lutte anti-drones, de l'aide à la décision pour les opérations militaires, de l'appui aux conduites de tirs, de la robotique terrestre, ainsi que de l'assistance au pilotage des avions de chasse et de nos SNLE. Tous les militaires sont concernés, tous les systèmes d'armes le sont également, pour l'ensemble des combats auxquels ils se préparent, dans le champ conventionnel comme dans celui de la dissuasion.
L'année 2025 doit nous permettre un passage à l'échelle majeur et faire de la France un des premiers pays au monde leader en IA militaire.
2/ Quantique
Sur le quantique, la France doit là aussi être en capacité de rendre "l'invisible perceptible et l'imprévisible prédictible". Les technologies quantiques, en particulier les capteurs et les calculateurs, auront un impact important sur la physionomie du champ de bataille et sur notre manière de faire la guerre.
Les centrales inertielles quantiques seront dans nos sous-marins et nos Rafales, des horloges atomiques quantiques seront embarquées dans nos satellites. Il faut s'y préparer et le ministère des Armées devra faire sa révolution quantique, car nos adversaires et nos compétiteurs ne nous attendront pas. L'année 2025 verra la création d'un observatoire du quantique ministériel, doté d'une capacité de recherche et de développement orientée vers les applications de Défense. Cet observatoire permettra de fédérer toute une communauté d'experts, issus des laboratoires académiques, de la DGA, des start-ups et des grandes entreprises, afin de développer les technologies quantiques dont auront besoin les armées à court, moyen et long terme.
3/ Spatial
Mesdames et Messieurs,
Parmi tous les domaines d'innovation, celui du spatial est central mais il est à certains égards préoccupant.
En 2025, nous aurons l'impératif de redresser la barre. Si nous allons retrouver l'accès à l'espace avec le premier vol commercial d'Ariane 6 et l'injection en orbite du satellite militaire CSO-3, l'histoire industrielle reste toutefois en partie à écrire.
Les contraintes des dernières programmations nous ont permis de sanctuariser le strict nécessaire en matière de capacité militaire d'observation, de communication et d'écoute. Mais l'avènement du New Space offre aujourd'hui aux armées autant de nouvelles opportunités qu'elle procure des risques sécuritaires venus de nos compétiteurs.
Soutenue par le Ministère, la start-up Kinéis offrira dès 2025, via une constellation de nano satellites en basse orbite, un service de connectivité et de tracking de flux logistiques. De nouvelles capacités opérationnelles seront aussi permises, comme la possibilité de lancements réactifs en cas d'entrave d'un de nos satellites, par le développement de lanceurs légers. Le Ministère soutient cette nouvelle filière : à Massy, où une usine de moteurs de propulsion plasmique sera inaugurée à l'été, ou encore à près de Reims.
Mais il est évident que la mise à jour des programmations à venir devra laisser une large place aux capacités de renseignement et d'action dans l'espace. Aussi,j'ai souhaité l'organisation au premier semestre 2025 d'un sommet sur le spatial militaire en France, réunissant nos partenaires et les différents acteurs de l'écosystème spatial national. Ce sera l'occasion de prioriser nos besoins et de saisir les opportunités offertes par les acteurs du New Space. Là encore, sans tabou, et en assumant même plus de volontarisme, - pour ne pas dire même d'agressivité.
Sans quoi, nous serons condamnés à un déclassement certain.
4/ Les drones
Au registre des préoccupations, un autre domaine d'innovation doit nous mobiliser encore davantage. C'est évidemment celui des drones. Ils sont devenus les piliers du combat moderne, et ce dans tous les milieux. L'objectif est clair : chaque unité de l'armée de Terre, chaque bâtiment de la Marine nationale ou chaque appareil de l'Armée de l'Air et de l'Espace doit avoir son - ou ses - drones accompagnateurs, - et le dispositif de lutte anti-drone correspondant.
Pour cela, l'ensemble de la chaîne capacitaire et les industriels doivent réagir vite, allant jusqu'à prendre sur étagère des plateformes bon marché lorsqu'elles existent déjà, sans passer par des années de développement ou d'homologations en tous genres.
Il y a urgence et seul le résultat comptera.
Par ailleurs, là où il y a des drones, il doit y avoir en miroir des moyens de guerre électronique, soit pour brouiller, soit pour détecter. Toutes nos plateformes et bases avancées seront demain des cibles et doivent avoir des capacités propres de guerre électronique. Ces capacités sont d'ores et déjà accessibles sur le marché et testées par la Marine nationale en Mer Rouge. Mais disons le clairement, nous ne sommes pas encore au niveau des circonstances, et j'attends que l'année 2025 soit celle d'un sursaut salutaire en la matière.
C/ 3e rupture : former nos chefs et penser la guerre
Officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, d'active et de réserve, personnels civils du ministère,
La troisième rupture doit concerner la manière dont le ministère pense la guerre et prépare donc les chefs militaires de demain à la mener.
La formation des chefs, sélectionnés parmi les meilleurs de nos officiers, est primordiale. L'école de guerre doit être le creuset permettant d'alimenter la réflexion stratégique pour adapter notre modèle d'armée aux conflits actuels et futurs. Comme le voulait Pierre Messmer, son concours ne doit plus être abordé comme un couperet pour sélectionner les officiers qui "bachoteraient" le mieux ; mais comme un exercice dans un cycle qui doit accompagner et faire réfléchir nos officiers supérieurs pour leur permettre de prendre les meilleures décisions pour remporter des succès sur le terrain. Plus que jamais, les futures élites militaires doivent s'ouvrir à toutes les sciences, technologies et données qui irriguent désormais un champ de bataille ; mais aussi à la compréhension du fonctionnement des sociétés civiles pour mieux appréhender les menaces hybrides.
Pour former nos ingénieurs, nous avons également décidé de la fusion de l'ENSTA Paris avec l'ENSTA Bretagne au 1er janvier 2025, qui consacre la création de la future grande école de la souveraineté dont je forme le vœu qu'elle figure dans le top 5 des grandes écoles d'ingénieurs. Cette fusion vient parachever les élargissements successifs pour que l'institut polytechnique de Paris rayonne pleinement à l'international.
Quant à la formation continue de nos militaires, elle doit sans cesse être repensée pour correspondre aux nouvelles missions. C'est pourquoi le renforcement des filières intelligence artificielle, cyber, numérique et nucléaire, - sans déséquilibrer les forces de soutien -, doit êtreeffectif d'ici 2026. Les formations techniques et tactiques sur la dronisation seront par ailleurs amplifiées en 2025 et déclinées au plus près des unités avant d'être généralisées dès 2026.
Plus généralement, nous devons nous poser la question du rayonnement de la pensée stratégique française.
Il revient au ministère d'impulser les débats doctrinaux, et non de les confisquer.
Notre réseau de think-tanks joue un rôle clé pour les animer mais nous devons les aider à s'internationaliser davantage. La création d'Academ et la première édition du Forum de Paris sur la défense et la stratégie organisée en 2024 ont permis d'acter le retour de la France dans ces cercles. Sa deuxième édition en 2025 doit consacrer la montée en puissance de cet outil de rayonnement de la pensée stratégique.
Nous devons mener ce travail d'animation en plus étroite coopération encore avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, dont les diplomates sont en première ligne pour expliquer partout dans le monde notre analyse des menaces et la singularité de notre appareil de défense et de nos choix capacitaires.
Par ailleurs, la filière internationale au sein de notre ministère doit aussi être mieux valorisée dans le parcours de nos officiers supérieurs. Nos missions de défense sont un outil que nous devons réinventer, notamment en Afrique dans les pays où notre présence militaire évolue, mais aussi dans l'lndopacifique. Je souhaite que ces missions de défense soient significativement renforcées, y compris par des personnels de la DGA, pour nous permettre de mieux faire vivre nos partenariats de défense bilatéraux partout où nos intérêts de sécurité le requièrent, que ce soit dans le domaine de la formation, de l'équipement, du renseignement ou du conseil. Je demande à la DGRIS, en lien avec l'EMA et la DGA, de me faire des propositions en ce sens pour le premier semestre.
Officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, d'active et de réserve, personnels civils du ministère,
Tous ces chantiers auront un jour un impact décisif. Car rien ne laisse à penser que nous nous dirigions vers des temps plus calmes.
C'est la force d'une Nation que d'en prendre la mesure et de donner à ses militaires les moyens de la défendre.
Et dans une démocratie, grande et glorieuse comme l'est la République française, c'est tout autant la responsabilité du soldat que du politique que d'assumer cette mission au nom du peuple, et devant l'Histoire.
Cette Histoire a donné à la France une place singulière dans le monde et pour le monde. Nous l'occupons depuis des siècles en défendant une certaine idée de cette France, dont nos militaires sont le visage partout à travers la planète.
Parce que la vocation de la France est d'être une puissance mondiale. Sans quoi, elle ne serait plus la France.
Voilà quel est notre rang. Mais il ne se décrète pas. Il n'est pas le fruit d'une rente, et notre glorieuse histoire qui résonne ici aux Invalides ne suffit pas - ou plus - à rendre cette puissance française évidente et irréversible. C'est une conquête, et nous devons la mener souverainement et indépendamment de toutes les autres puissances.
Les efforts que nous devrons consentir pour préserver cet héritage sont immenses. Nul doute que l'ensemble des Françaises et des Français y consentiront. Et nul doute que tous nos militaires répondront présents.
C'est l'honneur de nos armées que de porter l'effort de la Nation. Cette année, cet effort impliquera de se réinventer, de douter, de décider et d'agir: pour se tenir prêts. Nos militaires le seront.
C'est le vœu que je nous forme en cette nouvelle année. Pour le succès des armes de la France.
Vive les armées françaises ! Vive la République !
Et vive la France !
Source https://www.defense.gouv.fr, le 9 janvier 2025