Texte intégral
DIMITRI PAVLENKO
Tout de suite sur Europe 1, le ministre des armées Sébastien LECORNU est l'invité de Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Bonjour Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour, merci pour votre invitation.
SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNEWS et Europe 1. Vous êtes le ministre des Armées, de nouveau reconduit à la tête de ce ministère ô combien stratégique dans la défense de nos intérêts. Vous êtes aussi l'auteur du livre " Vers la guerre, la France face au réarmement du monde " chez Plon, nous allons en parler. Mais tout d'abord Sébastien LECORNU, l'actualité, c'est la mort de Jean-Marie Le PEN. Il y a eu hier soir des manifestations de joie à Marseille, à Lyon, à Paris, place de la République, avec des tirs de feux d'artifices et des slogans antifascistes. Quoi qu'on pense du personnage, tel rassemblement, est-ce qu'il vous indigne, comme Bruno RETAILLEAU qui a dit ceci, " La mort d'un homme fut-il un adversaire politique, ne devrait inspirer que de la retenue et de la dignité " ?
SEBASTIEN LECORNU
Le combat politique, c'est pour les vivants. Et donc, il faut poursuivre le combat politique avec les vivants, mais il faut respecter les morts. C'est une affaire de dignité, je crois. C'est quelque chose de même civilisationnel, et Bruno RETAILLEAU a raison de le dire.
SONIA MABROUK
Évidemment, Jean-Marie Le PEN a été, vous ne l'avez peut-être pas connu personnellement, un adversaire politique.
SEBASTIEN LECORNU
Non, j'étais jeune en 2002, c'est un adversaire politique, mais une fois de plus, je pense que dans le champ civilisationnel, en tout cas dans le rapport personnel que j'entretiens, et avec les morts, et à la mort, il y a une forme de respect qu'il faut avoir. Et les scènes de liesse, je crois, disent quelque chose d'assez dégradant sur le rapport que les vivants doivent entretenir avec les morts. Mais une fois de plus, on a ces opinions politiques, et le combat politique continue avec les vivants. Ça me semble simple et de bon sens.
SONIA MABROUK
Dans l'actualité, justement, ce sont les hommages et les commémorations des dix ans des attentats de Charlie Hebdo, l'HYPER CACHER et Montrouge, qui occupent nos pensées, nos mémoires, dans un contexte de menaces terroristes prégnants. Une menace, Sébastien LECORNU, endogène, dont parle beaucoup le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, mais aussi exogène, et donc une menace liée à une capacité de projection, liée à des groupes djihadistes au Sahel et au Proche et au Moyen-Orient. D'où vient, selon vous, le risque le plus important, aujourd'hui, par rapport à notre pays ?
SEBASTIEN LECORNU
Menace exogène, par définition, souvent plus militarisée, plus durcie, davantage planifiée. Et en fait, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'aujourd'hui, on a une mouvance djihadiste qui est en train de muter, et dont les canaux numériques, d'ailleurs, sont en train de la réorganiser. On a une plaque africaine sur le Sahel, avec différents groupes, d'ailleurs, tous ne sont pas liés à l'État islamique, et aussi des branches, évidemment, d'Al-Qaïda. Une plaque sur l'Afrique de l'Est, une plaque sur le Proche et le Moyen-Orient, et on y reviendra, parce que c'est tout l'enjeu, aussi, c'est ce qui se passe en Irak, mais aussi en Syrie, liée évidemment aux prisons et à la Badiya syrienne, et de manière beaucoup plus significative, et de manière, je le crois, beaucoup plus préoccupante, des réseaux russophones qui partent globalement de l'Iran, toute la branche du Haut Khorassan, qui va d'ailleurs jusqu'aux Philippines. Et cette branche-là russophone, on l'a vu avec l'attentat d'ailleurs même à Moscou, rappelez-vous du Crocus City Hall, l'attentat à Téhéran, il y a maintenant de cela quasiment un an, on a une branche de l'État islamique qui est en train de se réorganiser, qui est beaucoup plus déconcentrée qu'avant. Avant, il y avait quelque chose de très central avec Daesh, lorsque notamment le califat existait en Syrie et en Irak, et désormais, on voit des cellules se réorganiser d'ici en Turquie, d'ici d'ailleurs en Iran, et qui, objectivement, sont particulièrement préoccupantes. L'activité des services, DGSI, Gérard DARMANIN a été ministre de l'Intérieur à l'époque, pendant les Jeux olympiques, DGSE nous ont permis, pendant les Jeux olympiques, de mener beaucoup d'opérations, y compris d'ailleurs avec les armées françaises, j'ai communiqué encore récemment d'ailleurs, entre Noël et le Jour de l'An, nous avons mené l'armée française dans le cadre de l'opération dite Chammal, qui est l'opération que François HOLLANDE avait déclenchée en 2015, justement en 2015-2016 avec Jean-Yves Le DRIAN, à la suite des attentats, nous avons encore frappé récemment des emprises de Daesh en Syrie, dans la Badiya syrienne.
SONIA MABROUK
Quand vous dites que les cellules se réorganisent, Sébastien LECORNU, ça veut dire que cette menace exogène est de nouveau réactivée et plus importante ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, mais si vous voulez, des cellules…
SONIA MABROUK
C'est important, oui ? C'est-à-dire qu'elle est revenue sur le devant de la scène ?
SEBASTIEN LECORNU
Je crois qu'elle n'a jamais complètement disparu, point-virgule, même si la plupart des attentats que nous avons connus depuis dix ans étaient davantage liés à des menaces endogènes ou des radicalisations individuelles. Et c'est vrai qu'avec Bruno RETAILLEAU, dans le moment dans lequel nous sommes, on est en train de redoubler d'efforts et de vigilance, c'est ce qu'Emmanuel MACRON nous a demandé, parce qu'on voit bien que là, on peut avoir de nouveau une conjugaison d'un risque terroriste domestique, d'une radicalisation individuelle, mais aussi, évidemment, une menace dite projetée. Et ces cellules, comme je vous le disais, sont plus petites, plus autonome, parfois plus difficile à détecter. C'est d'ailleurs pour ça qu'en 2025, je remets beaucoup de moyens sur la DGSE. On communique peu, évidemment, sur notre service de renseignement, mais pour garder un plateau de lutte antiterroriste, de contre-terrorisme très important, très soutenu.
SONIA MABROUK
Menace projetée, bien sûr. Alors, du Sahel, du Proche et du Moyen-Orient. À ce sujet, sur la Syrie, on a vu que la diplomatie européenne, française et allemande, s'est rendue en Syrie à la rencontre de l'islamiste au pouvoir, Abou Mohamed al-Joulani, qui se fait appeler, c'est son nom, Ahmed Al-Charaa. Est-ce que, pour vous, Sébastien LECORNU, un islamiste peut être inclusif ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu'il faudra juger aux actes. Après, comme il se trouve que je suis ministre…
SONIA MABROUK
Vous avez des doutes ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors, moi, il se trouve que je suis ministre de la Sécurité extérieure des Français, donc, j'essaie de regarder très froidement nos intérêts. Qu'est-ce qu'on a comme intérêt en Syrie ? Le terrorisme, on vient de le dire, Badiya syriennes, mais également la plupart des prisons dans lesquelles vous avez un certain nombre de détenus Daesh. Ça, quel que soit le régime qui va venir en Syrie.
SONIA MABROUK
Détenus Français.
SEBASTIEN LECORNU
De toute nationalité, et donc français aussi et donc, par définition, c'est pour nous une préoccupation majeure. La deuxième des choses, elle est liée au terrorisme, c'est le Captagon. Trafic de drogue qui, en général, finance le terrorisme. Deuxième enjeu majeur. Troisième enjeu majeur pour nous, Français, la dissémination d'armes chimiques, car, comme vous le savez, le régime de Bachar Al-Assad disposait de stocks importants d'armes chimiques. Et puis le quatrième enjeu, c'est évidemment la réaction russe et iranienne qui vient d'accuser un coup terrible avec la chute du régime de Bachar Al-Assad et qui emporte un sujet que vous connaissez bien, qui est le sujet de la sécurité de la frontière entre la Syrie et le Liban. Ça, pour le ministère des Armées, c'est quatre sujets clés et qui ne sont pas que des sujets diplomatiques ou de pétition morale, mais qui sont des sujets qui touchent à la sécurité française et l'intérêt des Français.
SONIA MABROUK
Vous écrivez un bourbier sécuritaire dans un tel bourbier. Pardonnez-moi, al-Joulani, je repose ma question. Vous dites que vous attendez les actes. Il y a eu des actes passés. Daesh, il a quand même participé à des actions en Irak et en Syrie. J'imagine que pour nos armées, le voir arriver au pouvoir, ça doit…
SEBASTIEN LECORNU
Mais de toute façon, il y a un bourbier syrien. Je crois qu'on aurait une carte ici pour montrer les différentes forces en Syrie : les bases russes d'un côté, les bases américaines de l'autre, les forces démocratiques syriennes à un endroit, les incursions turques à un autre, la Badiya qui n'est pas... Oui, il y a un chaos syrien depuis maintenant de nombreuses années. Il est lié à Daesh, il est lié à Bachar Al-Assad. Comme ministre des Armées, je ne suis pas là pour faire la morale. Je crois que ça va rassurer tout le monde. Je suis là pour regarder très froidement nos intérêts de sécurité. Et donc, on jugera aux actes. Jean-Noël BARROT est allé le week-end dernier et les premiers mots qu'il a eus, d'ailleurs, pour ses interlocuteurs, c'était de parler de Daesh. On ne peut pas être plus clair.
SONIA MABROUK
Face aux ambassadeurs avant-hier, Emmanuel MACRON, évoquant justement les groupes djihadistes, mais cette fois-ci en Afrique, a affirmé que les dirigeants africains avaient oublié de nous dire merci, estimant qu'aucun d'entre eux ne gérerait, aujourd'hui, un pays souverain sans cette intervention français. Ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps a ironisé le président français. Cette déclaration, Sébastien LECORNU, a été jugés comme méprisante par différents pays africains. Le Tchad a appelé au respect des Africains. Quant au Sénégal, il a rappelé que la France a contribué à déstabiliser une partie de l'Afrique avec l'intervention en Libye. Que répondez-vous à ces dirigeants africains ?
SEBASTIEN LECORNU
Déjà, il n'y a pas eu d'opération de lutte contre le terrorisme au Sénégal, donc il ne faut pas tomber dans tous les pièges informationnels qui nous sont tendus. Qu'est-ce qu'a dit le président de la République lundi ? Que globalement, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, s'il n'y avait pas eu l'armée française, ces pays seraient tombés aux mains des islamistes. C'est vrai. Qu'est-ce qu'on constate par ailleurs ? Qu'en général, lorsque nous sommes partis, la lutte contre le terrorisme ne se poursuit pas, ce qui est d'ailleurs, du reste, un enjeu majeur pour nous parce que vous avez des pressions migratoires qui peuvent venir du Sahel et remonter par le Maghreb qui sont à redouter dans les années qui viennent.
SONIA MABROUK
Non mais ça veut dire soit qu'on est partis trop tôt, soit que les dirigeants africains ne sont pas investis dans la lutte contre le terrorisme.
SEBASTIEN LECORNU
La junte militaire de Burkina Faso, 2 500 morts civils tombés sur des attentats terroristes depuis que nous sommes partis, c'est un drame. Le sujet, ce n'est pas ce qu'on a déménagé nos bases, c'est le sujet des sécuritaires et des humanitaires. Je lis aussi beaucoup dans la presse depuis trois jours qu'on dit que nous avons été remplacés par les Russes et les Chinois. Bon, il n'en est rien déjà, les Chinois ont un agenda économique très dur en Afrique, mais absolument pas d'agenda militaire. Il y a une base à Djibouti, mais elle sert à autre chose. Et les Russes, là où ils ont tenté de nous remplacer, n'y sont pas arrivés.
SONIA MABROUK
On va parler de notre influence…
SEBASTIEN LECORNU
Je vais vous dire une chose juste sur le Tchad.
SONIA MABROUK
Qu'est-ce que vous dites, voilà, notamment aux dirigeants tchadiens, parce que ces mots, en fait, en réalité, ils vous accusent de néocolonialisme.
SEBASTIEN LECORNU
Si j'étais mon propre interviewer, pardonnez cette coquetterie, vous savez combien de fois nous avons quitté le Tchad depuis, maintenant de cela, quatre décennies ou cinq décennies ? Quatre fois. Et la vraie question, en fait, c'est si demain, après être partis, un nouveau régime, parce que les alternances politiques sont là dans ces pays, un nouveau régime nous demande d'y retourner. Qu'est-ce qu'il faudra faire ? Je n'ai pas la réponse à cette question. Et en fait, c'est ça, dont, à mon avis, les forces politiques françaises... Parce que parlons de nous, parlons de nos intérêts. Le Tchad, la base de Tchad, c'est 300 millions d'euros par an pour le contribuable français. Donc ça mérite, à mon avis, un débat aussi entre les forces politiques. C'est, au fond, quelle est notre bonne présence en Afrique ? Et ça, le Président MACRON y a répondu en disant : " On a des bases, on y est resté parfois trop longtemps, et nous nous sommes substitués à des dirigeants politiques dans la lutte contre le terrorisme, croyant bien faire en faisant le travail à leur place ". Et pardon, parce que je ne suis pas que ministre des Armées, je considère aussi que l'influence française en Afrique, elle n'est pas que militaire, si elle se résume à une base, très franchement, c'est, à mon avis, complètement une vision du XIXe siècle, culturelle, économique. Le vrai agenda, il est, à mon avis, économique. Et je vais vous dire une chose, je pense aussi que nous ferions bien de regarder l'Afrique lusophone, l'Afrique anglophone, on a vu ce que nous avons fait récemment en Ethiopie ou avec le Nigeria, qui sont des pays sur lesquels il y a une attente de France absolument énorme.
SONIA MABROUK
Monsieur LECORNU, très bien, mais regardons, déjà, l'Afrique francophone où nous avions, quand même une influence, alors, vous niez, aujourd'hui, l'implantation chinoise et russe, mais elle est réelle. D'ailleurs, en capacité…
SEBASTIEN LECORNU
À l'influence russe actuelle.
SONIA MABROUK
En capacité économique, les entreprises, la liste est impressionnante. Pour la langue, la francophonie a reculé…
SEBASTIEN LECORNU
Pour la langue, c'est très juste. Sur les sujets de sécurité, je dois vous dire de la manière la plus clinique qui soit, là où les Russes, et notamment la SMP Wagner, qui, d'ailleurs, connaît des difficultés importantes, où le ministère de la Défense russe ont voulu nous remplacer, c'est un échec. C'est un échec tactique et c'est même un échec de coopération dans la manière de travailler avec les armées africaines, mais je ne suis pas là pour donner les bons points et les mauvais points. Reparlons de nos propres intérêts. Le président HOLLANDE a eu raison d'envoyer les forces françaises au Mali lorsque Bamako était à deux doigts de tomber aux mains des djihadistes. Est-ce qu'ensuite, nous sommes restés peut-être trop longtemps dans cette opération qu'on appelait Barkhane, avec quand même pratiquement soixante morts pour la France dans cette opération ? C'est probable. Et je pense que là, on revient lucidement à un bilan. On ne peut pas faire le travail à la place des pays concernés, qui sont des pays souverains.
SONIA MABROUK
A bon entendeur. Alors, Sébastien LECORNU, on poursuit notre entretien sur CNEWS et Europe 1. Il y a l'influence, il y a aussi l'ingérence, Emmanuel MACRON a parlé de la France et des États-Unis lors de cette conférence devant les ambassadeurs et donc évidemment de Donald TRUMP, en dénonçant au sujet cette fois-ci d'Elon MUSK une internationale réactionnaire. D'abord, quel est l'objectif d'une telle internationale ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu'il y a un projet politique défendu par Elon MUSK, mais ça, à la rigueur, comme ministre des Armées, je n'ai pas d'appréciation particulière à avoir. Moi, ce qui m'intéresse beaucoup, c'est qu'il y a toujours eu une influence américaine par les GAFA, par les grandes entreprises.
SONIA MABROUK
Ce n'est pas ce dont parle le Président, c'est de l'influence directe politique.
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais j'essaie d'aller plus loin devant vous parce que c'est la première fois que je m'exprime sur ce sujet et de dire, en fait, que je pense qu'au-delà des tweets de Monsieur MUSK, on ferait mieux surtout de regarder de très près ce qui va se passer sur la stratégie spatiale. Je pense que le vrai enjeu…
SONIA MABROUK
C'est l'une des batailles et elle est stratégique.
SEBASTIEN LECORNU
Pardon de parler de nous à chaque fois et de parler des intérêts français, mais je pense que c'est ce qu'on attend de moi. De voir Space X et de voir le patron de Space X rentrer dans l'administration américaine, pour la première fois, vous allez avoir des intérêts américains privés qui vont quasiment se juxtaposer à l'administration américaine. Pour autant, je ne pense pas, d'ailleurs, qu'il y ait une confusion, une fusion des entreprises et cette administration. Comment vont réagir les Européens, notamment dans notre souveraineté, notre capacité à garder un accès à l'espace ? C'est vrai pour les lancements en courte orbite comme en haute orbite. En orbite haute, pardonnez-moi. Ça, je pense que c'est un sujet clé. Donc, il y a ce que le président de la République a dit. Je renvoie le ministre des Affaires étrangères à s'exprimer sur le sujet. Moi, je mets un autre sujet sur la table en même temps.
SONIA MABROUK
La bataille spatiale.
SEBASTIEN LECORNU
C'est le sujet spatial.
SONIA MABROUK
Mais je pose la question, toujours autour d'Elon MUSK, cette supposée ou réelle ingérence. Est-ce qu'il n'y a pas deux poids, deux mesures ? Vous parliez justement de l'action d'Elon MUSK quand il s'est agi d'un autre milliardaire. Je pense à Georges SOROS, et ça nous concerne tous, puisqu'il a financé des ONG en Europe. Personne, en tous les cas, on n'a pas entendu le Gouvernement français s'indigner de son ingérence éventuelle.
SEBASTIEN LECORNU
Je ne pense pas qu'il y ait deux poids, deux mesures. Moi, une fois de plus, je respecte la souveraineté de chaque pays. Donc, ça ne me viendrait pas à l'esprit que... Vous voyez, pendant la campagne américaine, j'ai été très prudent sur ce que j'ai dit. Tout le monde ne l'a pas fait, d'ailleurs. Moi, je fais attention à ça.
SONIA MABROUK
Donald TRUMP, qui continue, Sébastien LECORNU, de promettre la fin de la guerre en Ukraine. À ce sujet, Emmanuel MACRON a appelé l'Ukraine à des discussions, je cite, réalistes, sur son territoire, donc, au sujet du territoire ukrainien. Est-ce un appel lucide à acter de concession territoriale alors que Kiev est en difficulté sur le champ de bataille ?
SEBASTIEN LECORNU
Difficulté, c'est certain, avec une ligne de front qui évolue très lentement, à vrai dire, avec une érosion, je pense que ces dix derniers jours, on parle de 85 à 90 kilomètres carrés qui ont été grignotés sur Kursk. Les Ukrainiens ont tenté une contre-offensive depuis dimanche sur lequel ils reprennent un peu du terrain. Non, non, ce qu'il faut comprendre, dans ce qu'a dit le président de la République, c'est que, de fait, au fond, on voit bien que, dans les discussions qui pourraient exister, vous avez, au fond, plein de critères, mais vous avez deux familles de sujets qui retiennent l'attention de toutes les capitales. La première, c'est, évidemment, le sort des territoires occupés par la Russie. C'est ce qu'a dit le président de la République en précisant que c'est à la main des Ukrainiens et que c'est aux Ukrainiens de décider ces paramètres.
SONIA MABROUK
Mais ça veut dire que ce n'est plus un totem.
SEBASTIEN LECORNU
En fait, ça ne l'a jamais été. Ça dépendait de la situation tactique et militaire. Parce qu'en fait, vous voyez bien que dès lors que la ligne de front est en train de sécher, de se durcir, elle s'installe dans la durée. Donc, c'est le principe de réalité militaire. Nos démocraties médiatiques, il faut qu'on ait perdu de sa vue. Mais enfin, c'est la situation tactique sur le terrain militaire qui donne ça. Donc, la première famille de sujets, c'est, évidemment, les questions territoriales. Et le Président MACRON n'a pas dit quelque chose de très nouveau, au fond. Il l'a dit publiquement, c'est certain, mais en disant que ça reste à la main des Ukrainiens. Et il y a une deuxième série de sujets qui sont clés, qui nous concernent très directement, c'est quelles sont les garanties de sécurité que l'on peut apporter à l'Ukraine demain. Traduction plus claire, comment on fait en sorte que ça ne recommence pas ?
SONIA MABROUK
Pour l'Europe ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, parce que Géorgie, parce que Crimée, parce qu'Ukraine, on ne peut pas ne pas voir les dix dernières années. Et donc, Moldavie, point d'interrogation, Pays Baltes, point d'interrogation, eux sont dans l'OTAN, et l'Ukraine, le reste de l'Ukraine, demain.
SONIA MABROUK
Et un autre point d'interrogation, Monsieur le Ministre des Armées, l'Europe de la Défense, et à chaque fois la même question, c'est avec qui l'Allemagne… On considère l'Allemagne comme un partenaire dans cette défense, mais la réalité, est-ce que vous pouvez nous le dire ouvertement et officiellement, si je puis dire, l'Allemagne ne nous considère pas comme un partenaire dans l'Europe de la Défense ? Elle regarde toujours vers l'OTAN.
SEBASTIEN LECORNU
Alors, le Général de Gaulle disait dans ses conversations avec Alain PEYREFITTE que les Allemands étaient naïfs et qu'il n'en finissait pas de s'en remettre indéfiniment aux États-Unis, lesquels américains ne viendraient jamais complètement au secours de l'Allemagne. Donc, vous voyez, c'est en 1962 ou 1963 qu'il dit ça à son ministre de l'Information de l'époque. Donc le problème, il est ancien. Vous avez une part des Européens qui sont dans une relation transatlantique que je pourrais qualifier de naïve. Elle est ancienne, elle est liée à l'histoire. Il ne semble pas comprendre, donc, c'est capital, qu'au fond, démocrate comme républicain, d'ailleurs, on parle beaucoup du Président TRUMP, mais Madame HARRIS disait des choses peut-être de manière…
SONIA MABROUK
La même chose.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, peut-être plus diplomatiquement, en tout cas, mais globalement, qui consiste à dire qu'il y a un pivot qui est en train de se faire de l'Europe vers le Pacifique Nord. La question chinoise monopolise toutes les attentions à Washington. Donc les Européens n'ont pas d'autre choix, désormais, que de se prendre en main sur les sujets de sécurité et de défense. Et dans les différentes capitales, vous avez des réactions qui sont différentes, mais vous savez qu'il y a un débat électoral actuellement en Allemagne et on voit bien que ce sujet est un sujet de campagne électorale en Allemagne. Du reste, ça ne l'a pas été suffisamment chez nous, je le crois, en juin dernier.
SONIA MABROUK
Peut-être reviendra-t-il à l'occasion. L'armée française qui a formé des soldats ukrainiens, Monsieur le Ministre des Armées, au sein de la brigade appelée Anne de Kiev, et on a financé cette brigade, brigade de laquelle des centaines de soldats ukrainiens auraient déserté, vous le confirmez ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors, 55 désertions lorsque la brigade, la demi-brigade était en formation sur le territoire national. Les chiffres qui ont circulé, notamment de la part de journalistes ukrainiens, ne sont absolument pas confirmés. Qu'est-ce qui s'est passé ? Le principe de la formation de la brigade, c'est de faire sa cohérence. Vous prenez 2 000 hommes, vous formez l'état-major, tous les systèmes de bataillons et de compagnie, et vous donnez les armes qui vont avec et la formation qui va avec ces armes et la doctrine qui va avec, ça s'appelle mettre en cohérence tout ça. Il se trouve que pour des raisons de besoins tactiques, visiblement, l'armée ukrainienne a explosé cette brigade lorsqu'elle est retournée en Ukraine.
SONIA MARBOUK
Que nous avons financé.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, mais j'ai envie de dire, pourquoi ils l'ont fait-ils ? Enfin, c'est la guerre.
SONIA MABROUK
Pourquoi nous l'avons financé, dans ce cas-là ?
SEBASTIEN LECORNU
Parce qu'il fallait le faire. Je crois que l'aide à l'Ukraine n'est pas à débattre. On peut en débattre, mais votre question, ce n'est pas ça. C'est qu'est-ce qui s'est passé sur la brigade ukrainienne ? Et donc, ils ont reventilé, globalement, les différentes compagnies de cette brigade sur différentes lignes de front. Mais je veux dire, souvent, sur les plateaux de CNEWS, il y a des débats sur faut-il rétablir le service militaire ? Je pense qu'on a une bonne illustration, aussi, de ce qu'est une armée de conscrits, c'est-à-dire une armée avec des gens qui ne sont pas volontaires, qui ne sont pas professionnels, qui doivent être formés très rapidement et pour lequel, lorsqu'on a un combat de haute intensité face à l'armée russe, eh bien, évidemment, il y a des sujets de faiblesse. Et bien sûr que c'est important, parce que, dans le livre, quand je défends l'armée de métiers, quand je défends l'armée professionnelle, il faut que celles et ceux qui nous regardent comprennent que les combats d'aujourd'hui, dans des univers dans lesquels il y a des drones, il y a de la guerre électronique, il y a un combat en trois dimensions, tout ça a changé. On dit que c'est 14-18 l'Ukraine, c'est 14-18 avec beaucoup de technologie.
SONIA MABROUK
Parce que c'est une technologie d'envergure mondiale.
SEBASTIEN LECORNU
Et donc, c'est un enjeu. La question de la conscription en Ukraine est d'ailleurs un grand débat politique.
SONIA MABROUK
Et des moyens, monsieur le ministre. Est-ce que vous êtes en mesure de nous confirmer, ce matin, la sanctuarisation des augmentations du budget de la Défense ? Vous avez averti que si ces évolutions n'étaient pas... Enfin, vous avez averti que ces négociations, plutôt, que ces évolutions n'étaient pas négociables. Est-ce que, ce matin, vous avez eu la confirmation que tout sera bien maintenant ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais c'était déjà sanctuarisé dans la copie que Michel BARNIER avait arrêtée, et François BAYROU a décidé de repartir de la copie de Michel BARNIER. Vous voyez…
SONIA MABROUK
Même copie, même évolutions, même augmentation.
SEBASTIEN LECORNU
Mais je l'ai toujours dit, de toute façon, ce n'est pas un plafond, c'est un plancher. On va arriver à 50,5 milliards d'euros pour 2025. C'est juste suffisant.
SONIA MABROUK
Pour ?
SEBASTIEN LECORNU
Pour répondre aux besoins de sécurité. Juste une question qu'on ne comprend pas. On est arrivé à 31 milliards d'euros en 2017. On arrivera aux alentours de 69 milliards d'euro en 2030. Point d'étape à 50,5 milliards d'euros. Oui, parce que la modernisation de la dissuasion nucléaire nécessite des moyens, parce que la modernisation, sans précédent de notre armée de terre depuis la fin de la Guerre froide, nécessite des moyens. On parlait du spatial, vous avez désormais des sceaux technologiques qui nécessitent des moyens. Et comme, en plus, on souhaite protéger notre souveraineté, c'est-à-dire ne pas dépendre d'autres puissances, quelles qu'elles soient, forcément, ça mérite un investissement important. J'ajoute du reste que cet argent, c'est quand même beaucoup de milliards pour celles et ceux qui nous écoutent, a en plus un mérite, c'est qu'au-delà de nous protéger, ce qu'il mérite essentiel, les répercussions en termes d'emploi, de croissance et de balance commerciale extérieure sont énormes, parce que derrière, évidemment, ce succès en appelle d'autres et appelle aussi à des points de croissance et de l'emploi.
SONIA MABROUK
On va conclure, Sébastien LECORNU, avec une question sur votre livre, " Vers la guerre, la France face au réarmement du monde ", qui rencontre un véritable succès, preuve qu'il y a une appétence pour ces sujets. Vous livrez une analyse incisive sur la position de la France face aux crises géopolitiques. Tout à l'heure, à la question de notre influence, vous avez répondu qu'on n'avait pas perdu notre influence, mais est-ce que vous reconnaissez qu'on a un retour quand même des États puissants, ce que KISSINGER avait appelé un monde néo-westphalien ? La France fait face, aujourd'hui, à des nations comme la Turquie qui rêve de l'empire Ottoman, de l'Iran, qui rêve de l'Empire perse, etc. Que pesons-nous face à tout cela ?
SEBASTIEN LECORNU
Je sais, justement, le livre n'est jamais qu'une mise en page de mes notes depuis deux ans et demi, et de fait, j'essaie de montrer ça. Alors après, ce qui est intéressant, c'est de voir que cet ensemble-là n'est cohérent et ne s'unit que par le refus du monde occidental, en tout cas du monde, on va dire, tel qu'il a été imaginé au XXe siècle.
SONIA MABROUK
Ce n'est rien, c'est tout le Sud global.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, mais une fois qu'on a dit ça, ce qui est intéressant, c'est de regarder deux choses. Un, ces pays ont des problèmes internes énormes. Vous voyez, les quatre heures de conversation de Vladimir POUTINE avec les différents auditeurs russes, vous avez la moitié de cette conversation qui repose sur l'inflation et les questions migratoires. Et l'autre phénomène important et intéressant, c'est de voir au fond qu'une vieille théocratie désormais, comme l'Iran, n'a quand même pas que des choses à voir avec un pays comme la Russie, qui vient d'une ère post-soviétique, ou la relation entre l'Inde et la Chine, dont on sait qu'elle est complexe. Donc, à la fois, il faut bien comprendre qu'il y a une alliance de circonstances pour réfuter ceux que nous sommes, que pour autant, ce n'est pas un monde monolithique. Et pour conclure, c'est là où... C'est pour ça que je suis beaucoup plus optimiste sur la France. Il ne faut pas qu'on fasse de France bashing. Alliés mais non-alignés, on a un rôle particulier. Et vous voyez la relation particulière qu'on a avec Pékin. On n'a pas la même diplomatie que Washington, de toutes les évidences, pour aborder le défi chinois. La relation de grande proximité que nous avons avec l'Inde, et ça, quelles que soient les échéances à venir, quels que soient les gouvernements, la vie politique intérieure française, il faut qu'on conserve impérativement cette singularité française qui nous protège dans la durée, en plus de notre réarmement.
SONIA MABROUK
Merci Sébastien LECORNU, vers la guerre. Alors, point d'interrogation, on peut l'enlever puisque la guerre est aux confins de l'Europe. Merci d'avoir été notre invité.
SEBASTIEN LECORNU
Il y a un débat quand même, c'est pour ça que j'ai mis point d'interrogation.
SONIA MABROUK
Tout à fait. Bonne journée à vous.
SEBASTIEN LECORNU
A vous aussi.
Source : Service d'information du Gouvernement , le 9 janvier 2025