Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre déléguée, chargée du travail et de l'emploi, à Radio J le 13 janvier 2025, sur le discours de politique générale du Premier ministre, la réforme des retraites, le RSA, le travail des jeunes et des séniors, le chômage et les tensions entre la France et l'Algérie.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Astrid PANOSYAN-BOUVET, bonjour.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Demain, le discours de politique générale du Premier ministre. Est-ce que vous pensez que c'est bien parti pour qu'il y ait un pacte de non-censure avec une partie de la gauche ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
En tout cas, il faut l'espérer. Il faut espérer avoir un pacte de non-censure qui permette à un Gouvernement d'avoir à ne dépendre, ni du Rassemblement National, ni de la France Insoumise.

CHRISTOPHE BARBIER
Les discussions étaient fructueuses quand même.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Toutes les discussions, l'objet de ces discussions et je pense qu'il faut se réjouir qu'on a, aujourd'hui, un Gouvernement qui entame une série de discussions pour trouver des compromis dans une volonté commune de réussir.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, la clé, c'est le budget, mais c'est la réforme des retraites, finalement, qui est le verrou politique en ce moment. Cette réforme des retraites, vous êtes au cœur de la négociation. Est-ce qu'il y aura une suspension de cette réforme votée en 2003, avec le mot "suspension" prononcé ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, moi, je ne vais pas préempter le discours du Premier ministre. Ce que je sais et ce qu'il a déjà déclaré, c'est qu'il souhaitait vraiment remettre l'ouvrage sur le métier, sans aucun tabou, en laissant la main aux partenaires sociaux pour revoir l'ensemble du texte de la réforme de 2023, sous réserve que nous respections toujours les équilibres financiers. Je rappelle qu'une idée des retraites, ça repose aussi sur la confiance et la soutenabilité d'un régime quant à la capacité à payer les pensions dans la durée.

CHRISTOPHE BARBIER
Cette main redonnée au syndicat, c'était prévu jusqu'en septembre et puis on a ramené le délai à juillet. Est-ce que ça pourrait aller encore plus vite ? Est-ce qu'ils sont capables, les partenaires sociaux, d'aller vite ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, moi, je pense qu'il faut faire attention. On parle quand même des retraites. Ça représente près de 14 % de la richesse nationale de notre pays et donc, il y a vitesse et précipitation. Je pense qu'il y a d'abord le temps d'un diagnostic partagé sur la situation financière, ce qui est perfectible et les voies de solution. Et ensuite, il y a effectivement, la négociation à laquelle les partenaires sociaux sont rompus. Donc, moi, je pense qu'il faut vraiment plus se donner le temps pour que d'ici la fin, avant l'été, on puisse avoir les premières conclusions. De manière, s'il y a un compromis… Encore une fois, je pense que c'est important que les équilibres financiers soient là pour qu'il y ait ce compromis, on puisse intégrer les conclusions et les recommandations dans les textes financiers de l'automne.

CHRISTOPHE BARBIER
On a les moyens de financer une suspension de quelques mois de la réforme actuelle, avec ce que ça peut coûter ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Vous savez, on n'a plus les moyens de grand-chose. Il faut quand même aussi se dire les choses. On a effectivement un déficit de 6 % pour le budget 2024. On est en négociation, aujourd'hui, avec les partenaires européens. Donc, ce n'est pas comme si l'argent poussait sur les arbres. Je dis simplement qu'annuler la réforme de 2013 et la réforme de 2023, c'est trois milliards de déficits dès l'année prochaine, et quinze milliards d'euros de déficit en 2030 qui se rajoutent déjà aux quinze milliards existants. Donc, je pense qu'il faut faire attention. Je pense que dans les voies vraiment de perfectible de la réforme, aujourd'hui, des retraites de 2023, il y a la question de la pénibilité. La carrière pénible, ce n'est pas nécessairement des carrières longues. Vous avez des gens qui ont pu commencer à travailler avant vingt ans parce qu'ils sont stagiaires, parce qu'ils sont polytechniciens, eux, aujourd'hui, sont dans les carrières longues.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça va.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça va, je connais des journalistes qui sont en carrière longue…

CHRISTOPHE BARBIER
Et qui se portent très bien.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Et qui se portent très bien et qui ne se sont jamais aussi bien portés. C'est tant mieux pour eux. Le sujet, je pense, c'est les carrières pénibles qui font que ça devient irraisonnable au bout de 45-50 ans de continuer un certain nombre de métiers qui ne sont pas tenables et il faut pouvoir anticiper les reconversions et permettre à des personnes de partir plutôt en fonction de métiers et de professions. Et puis c'est la question des retraites des femmes qui restent structurellement inférieures à celles des hommes en fin de carrière.

CHRISTOPHE BARBIER
Suspendre la mesure d'âge, disent les socialistes. On a de quoi financer au moins une année de blanche, c'est le Fonds de réserve des retraites, crée par Lionel JOSPIN, il y a vingt milliards.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Suspendre, c'est quand même 500 millions d'euros, je crois, dès cette année et le Fonds de réserve des retraites, c'est un fonds qui est fait pour des raisons prudentielles, en cas de choc externe. Je pense que ce n'est pas prudent d'utiliser…

CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas une cagnotte, quoi ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà, ce n'est pas une cagnotte. J'aime bien votre terme, Monsieur BARBIER. Ce n'est pas une cagnotte. Je pense qu'il faut rester prudent sur l'utilisation de ce genre de fonds quand, encore une fois, à la préservation des équilibres qui sont déjà très fragilisés.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, parlons du travail maintenant. Vous êtes allé en déplacement en Aveyron récemment. Le RSA, désormais, est conditionné. Est-ce que ça marche ? Est-ce qu'on a déjà l'impression que ça marche ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, le RSA, vous dîtes désormais, est conditionné. Il y avait déjà d'un barème de sanctions qui existaient avant cette réforme, ce qu'on propose, par contre, et ça a été testé dans 49 départements, avant son déploiement, cette année, c'est d'accompagner beaucoup mieux le bénéficiaire du RSA. On a distingué, sur ces dix expérimentations qui a eu lieu sur ces deux dernières années, il y avait 70 000 personnes. On voit qu'il y a trois grands groupes : ceux qui ont un profil professionnel, qui ne sont pas très loin du marché de l'emploi ; ceux qui sont les plus éloignés, parce que problèmes de santé, problèmes de, j'ai envie de dire…

CHRISTOPHE BARBIER
De déconnexion.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
De déconnexion, d'accident de la vie. Et puis entre les deux, cette expérimentation a montré que dans ces fameuses quinze heures, qu'on a tendance à imaginer de toutes sortes, c'est des ateliers de CV, c'est des immersions en entreprise, c'est de la formation, c'est de l'aide aux démarches administratives, c'est lever des freins pour les femmes qui veulent pouvoir travailler, qui n'ont pas les gardes d'enfance, c'est des questions de transport dans l'Aveyron, on en a beaucoup parlé, en zone rurale. Ça permet, effectivement, de faire revenir les gens dans le monde du travail, parce que la première dignité, c'est quand même celle de l'autonomie qu'on se crée par le propre travail et par sa capacité à se projeter dans l'avenir sans avoir le sentiment que son avenir est confisqué.

CHRISTOPHE BARBIER
Laurent WAUQUIEZ propose, ce matin, de créer une allocation sociale unique plutôt que le maquis de toutes les allocations. Est-ce que c'est possible et souhaitable ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, c'est possible. C'est d'ailleurs ce qu'avait souhaité Michel BARNIER, Premier ministre, l'allocation sociale unique. On a, aujourd'hui, effectivement, un maquis, comme vous le dites, avec une quinzaine de minima sociaux, dont les trois principaux RSA, logement, et puis un autre qui n'est pas considéré comme un minima social, mais qui est la prime d'activité et qui aide les petits salaires. Je pense que c'est possible et souhaitable, parce qu'effectivement, aujourd'hui, on crée de la trappe à pauvreté et à inactivité à cause de ces minima sociaux qui ne sont pas nécessairement suffisamment bien raccrochés au monde du travail.

CHRISTOPHE BARBIER
Et ça pourrait se faire là, dans les mois qui viennent, malgré la situation de l'Assemblée ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ah non, ça prend du temps. Je vais venir sur cet exemple de minima sociaux, juste pour que les gens se rendent compte. Aujourd'hui, il y a une étude de services du ministère du Travail, justement, qui montre qu'une femme qui est au SMIC, qui élève ses enfants seule et qui est locataire, pour que son revenu du travail, son SMIC, augmente de cent euros, il faudrait que son employeur l'augmente de 770 euros, pour compenser et la baisse de la prime d'activité et la baisse de l'aide au logement. Et ça ne prend pas en compte les aides communales qui peuvent exister pour les cantines, etc. Donc, on a aujourd'hui, par ce système, avec les meilleures intentions du monde, enfermé des personnes dans l'inactivité et la pauvreté. Et ça prend du temps, parce que ce sont des régimes, ce sont des prestations qui se sont construit un petit peu, depuis une vingtaine, trentaine d'années, avec des conditionnalités différentes, des systèmes d'information différents. Donc, je pense qu'il faut qu'il y ait la volonté politique, le portage politique. Je sais que Catherine VAUTRIN est très en soutien de cette volonté de revoir un petit peu les minima sociaux pour qu'ils soient, encore une fois, au service de l'activité et de la capacité à se projeter.

CHRISTOPHE BARBIER
On avait réussi à remettre des jeunes au travail par l'apprentissage. Voilà que les aides vont baisser. Est-ce que ce n'est pas une erreur ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, les aides vont baisser, mais elles vont continuer à soutenir les entreprises de moins de 250 salariés qui regroupent 80 % des apprentis de notre pays. J'avais le choix, on avait le choix avec Catherine VAUTRIN, soit de différencier les aides en fonction de la taille des entreprises que nous avons faites, les entreprises de moins de 250, les entreprises de plus de 250, soit de différenciés en fonction du niveau de diplôme, ce que je ne souhaitais pas, parce que nous voulons aussi soutenir les étudiants en licence et en master, parce que ça participe aussi à la montée générale en compétences de notre économie.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'à l'autre bout de la carrière, le travail des seniors, ça s'améliore ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors ça s'améliore, ça s'améliore, exactement. On le voit avec l'effet à la fois de la réforme de 2023 et c'est pour ça que je reviens à votre question.

CHRISTOPHE BARBIER
Attention à l'âge, parce que l'âge, ça crée du travail des seniors.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Parce que l'âge, ça crée du travail, ça crée de la capacité de production pour notre pays, de la capacité, aussi, contributive aux régimes sociaux. Donc, dans les discussions qui aura sur les retraites, il faudra faire très très attention, et ça, c'est la ministre du Travail qui le dit, sur l'impact des seniors. Donc, on a fait quelques progrès, mais ça reste quand même très en deçà de ce qui existe dans les pays du Nord de l'Europe, qui sont des pays que, vous savez, que je connais bien. Pour tout vous dire, on compte deux fois moins de seniors au travail entre 60 et 64 ans que la Suède ou les Pays-Bas, donc, la marge de progrès est encore considérable.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que l'on doit se préparer dans notre pays à un retour brutal du chômage ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense qu'il faut faire attention. On a un durcissement considérable de la situation économique des entreprises. Les incertitudes politiques de ces six derniers mois n'aident pas. Il y a des secteurs, aujourd'hui, qui sont dans des profondes restructurations. Je pense à l'automobile, je pense à la grande distribution, je pense à la chimie. Il y a aussi un contexte international, je pense notamment aux États-Unis et à la Chine, qui n'aide pas non plus. Et donc, c'est pour ça qu'il faut que la mobilisation continue e c'est aussi l'objet de cette réforme plein emploi qui est là aujourd'hui, vraiment de mobiliser tous les acteurs de l'emploi au niveau national, qu'au niveau des territoires, je pense aux régions et aux départements, pour, à la fois mieux accompagner, bien cibler sur les formations dont les entreprises ont besoin, parce qu'on a encore 550 000 emplois non-pourvus dans notre pays, pour pouvoir vraiment réussir le défi de l'emploi dans notre pays.

CHRISTOPHE BARBIER
Et simplifier la vie des chefs d'entreprise pour investir et embaucher.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Exactement. Il y a un enjeu, alors on parle beaucoup de fiscalité, et je pense qu'il y a aussi un coût explicite sur la question de la norme et c'est effectivement des sujets dont j'ai pu discuter avec les chefs d'entreprise en Aveyron comme ailleurs. Vous voyez l'Aveyron, c'est un département où il y a 5,5 % de chômage, 4,5 % à Rodez. Donc, on est plutôt en situation de plein emploi et ce dont me parlent, effectivement, les chefs d'entreprise, du secteur agricole, de l'artisanat, comme dans l'industrie, parce qu'il y a un vrai savoir-faire mécanique en lien avec le bassin d'aéronautique de Toulouse, qui n'est pas très loin, c'est à la fois des questions de formation, mais aussi de simplification administrative, je pense au sujet de FOUSSIER, je pense à la question environnementale, où il faut pouvoir aussi être un peu plus pro-business, en soutien à tous ceux qui sont en première ligne de notre pays, que ce soit les salariés, les chefs d'entreprise et les milieux associatifs.

CHRISTOPHE BARBIER
Un mot pour finir, des tensions entre la France et l'Algérie, tensions multiformes depuis quelques mois, est-ce que vous faites partie de ceux qui veulent dénoncer l'Accord de 1968 qui facilite l'accès des Algériens ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors vous savez, quand j'étais députée, moi, j'avais rencontré Xavier DRIENCOURT, qui a été par deux fois ambassadeur de France en Algérie, sous François HOLLANDE et sous Emmanuel MACRON, et il avait, à travers ses échanges, à travers les tribunes qu'il avait écrites, je pense en particulier au Figaro, déjà montré une forme d'incohérence qui pouvait exister dans ces traités qui existaient en 1968, et qui avait sa justification quelques années après le traité, les accords d'Évian, et la situation actuelle. Et c'est vrai que ce traité propose des dérogations tout à fait exceptionnelles à l'arrivée et au maintien sur le sol français des ressortissants algériens. Je pense que le Président MACRON a tenté, notamment sur la question de la mémoire et de bonne foi, je pense, et en toute sincérité, de vouloir trouver un chemin de réconciliation. Après, on n'est pas dans une relation d'émotion, d'humiliation. Une relation diplomatique, c'est aussi fait d'intérêt. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, je le disais, il y a déjà un an, et je le redis, aujourd'hui, le compte n'est pas tout à fait. Et je pense qu'il faut peut-être, Monsieur RETAILLEAU l'a dit, Monsieur DARMANIN l'a dit, remettre à plat, aussi, ces relations régissant la question de l'immigration entre nos deux pays.

CHRISTOPHE BARBIER
Astrid PANOSYAN-BOUVET, merci et bonne journée.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 janvier 2025