Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Un an après la crise agricole, quel bilan pour nos agriculteurs ? ", demandé par le groupe Rassemblement national dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l'organisation arrêtée par la Conférence des présidents, nous entendrons d'abord les rapporteurs – qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l'Assemblée – puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
M. le président
La parole est à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Il est parfois difficile de distinguer, dans le fracas de l'actualité, les revendications bruyantes des suppliques essentielles. Les bouleversements immenses qui traversent nos sociétés compliquent un peu plus encore ce travail de hiérarchisation. Il est pourtant des crises qui, par la profondeur de leurs causes et l'ampleur de leurs conséquences, méritent une attention supérieure de la nation et de ses représentants. C'est à l'évidence le cas de la crise agricole. Pour le comprendre, il suffit de s'en remettre à l'histoire : sans maîtrise de l'agriculture, pas de civilisations humaines ; sans agriculture productive, pas de développement économique ; sans agriculture prospère, pas de stabilité politique. Quand l'agriculture tousse, toute la société en est malade.
Notre agriculture est malade, malade d'une accumulation froide de normes qui pèsent de tout leur poids sur les épaules des agriculteurs, malade d'une logique décroissante qui réussit l'exploit de vider de son sens le premier métier de l'homme, malade d'une souveraineté qui menace de s'égarer dans les limbes d'un libre-échange débridé. Devant ce constat, je sonne la mobilisation générale. La responsabilité commande que nous agissions désormais à l'unisson pour apporter le remède qui convient. La santé et la pérennité des exploitations et celles de l'agriculture française sont des enjeux vitaux qu'on ne peut laisser hypothéqués par des calculs partisans.
Le gouvernement a commencé ce travail en déployant des mesures d'ampleur face aux crises conjoncturelles qui ont percuté l'agriculture française en 2024. Je remercie les trois rapporteurs de cette séance de contrôle, Stéphane Travert, Hélène Laporte et David Taupiac, pour leur travail. Ils ont très bien décrit la situation : nos élevages et nos exploitations ont en effet été frappés de plein fouet par la diffusion de maladies vectorielles et des épisodes climatiques violents – Mme Froger l'a rappelé. Ces phénomènes ont durement affecté le moral et la trésorerie des agriculteurs. Aussi fallait-il que la réponse de l'État soit rapide et forte. Face à l'urgence sanitaire, elle a reposé sur deux jambes : une jambe vaccinale, avec la mise à disposition gratuite de près de 12 millions de doses contre la FCO 3 ; et une jambe indemnitaire, avec un fonds d'urgence exceptionnel de 75 millions d'euros, d'abord destiné à indemniser les pertes directes ovines et bovines induites par la FCO 3, que j'ai ensuite étendu aux pertes ovines liées à la FCO 8, tandis que fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) couvrait les pertes bovines.
Comme M. Lecamp, je remercie mon prédécesseur, Marc Fesneau, d'avoir commencé ce travail.
M. Pierre Cordier
Avec un train de retard, quand même !
Mme Annie Genevard, ministre
Face à l'urgence économique induite par les inondations, les sécheresses et les grêles qui ont frappé le territoire national du nord au sud, le gouvernement a déployé des mesures de soutien – des aides à la reconstruction à la suite des inondations ainsi que des aides en faveur de l'agriculture biologique – qui, dans un cadre budgétaire serré, ont représenté un effort public de près de 310 millions d'euros, témoignant de la priorité absolue donnée aux agriculteurs. En fin d'année dernière, j'ai également annoncé un important dispositif d'aide à la trésorerie destiné aux agriculteurs dont les exploitations souffrent de difficultés tant structurelles que conjoncturelles – liées notamment aux épisodes climatiques – afin qu'ils bénéficient de prêts préférentiels, bonifiés ou garantis par l'État. (Mme Marie Pochon s'exclame.) Je concentre désormais toute mon énergie à la mise en œuvre concrète de l'ensemble de ces mesures jusque dans les cours de ferme. La censure a en effet eu pour conséquence d'en décaler le calendrier – n'est-ce pas, mesdames et messieurs du Rassemblement national… (Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR. – Applaudissements sur quelques bancs.) Tels sont les différents volets de l'action que j'ai menée depuis quatre mois pour répondre aux crises conjoncturelles, action dont la concrétisation est donc attendue.
Mme Hélène Laporte
Soyez honnête, madame Genevard !
M. Alexandre Dufosset
Vous disiez le contraire la semaine dernière !
Mme Annie Genevard, ministre
Mes propos impliquaient que le budget soit adopté ! Comment pouvez-vous penser qu'il revient au même d'avoir ou de ne pas avoir un budget ? Révisez un peu vos tablettes budgétaires !
Cependant, mon travail ne saurait s'en tenir à la conjoncture : ces derniers mois, j'ai redoublé d'effort pour combattre les crises structurelles qui affectent notre agriculture : parmi elles, M. Dive a évoqué la question du revenu, qui dépend évidemment des charges, des volumes et des prix. La future loi Egalim tentera d'y répondre.
Mme Marie Pochon et Mme Hélène Laporte
Quand ?
Mme Annie Genevard, ministre
Vous le savez : avant le mois d'avril, puisque nous devrons alors prolonger l'expérimentation des mesures prévues par la précédente loi Egalim permettant une revalorisation du prix d'achat en amont.
M. Yannick Monnet
On navigue à vue !
Mme Annie Genevard, ministre
Je me bats en premier lieu contre la crise de sens qui touche le monde agricole. Pour y remédier, la solution tient en trois mots : simplifier, simplifier et encore simplifier !
M. Christophe Bex
Censure, censure, censure !
Mme Annie Genevard, ministre
La sédimentation des réformes menées ces trente dernières années a conduit à enserrer le métier d'agriculteur dans un empilement kafkaïen de normes et d'interdictions parfois contradictoires qui freinent l'initiative et la production, diminuant de ce fait les revenus. Le premier ministre en a parlé hier dans sa déclaration de politique générale.
Mme Sophia Chikirou
Qui dirige ce pays depuis sept ans ?
Mme Annie Genevard, ministre
Il est impératif de sécuriser l'accès des agriculteurs aux moyens de production essentiels, sans lesquels aucune alimentation n'est possible, à savoir la terre – qui comprend les engrais, qu'évoquait M. Sitzenstuhl –, et l'eau – y compris les moyens de son traitement lorsqu'il est nécessaire. J'en conviens avec M. Travert, cette question doit nécessairement être abordée au niveau européen.
Contraindre un agriculteur à moins produire est tout aussi absurde que de contraindre un médecin à moins soigner. Cela génère une perte de sens croissante dans les professions agricoles. Chacun se doit de mesurer cette situation avec gravité, tant elle se traduit parfois cruellement. Si un suicide est un drame, un suicide par jour est une tragédie. Or c'est la réalité d'une partie du monde paysan.
Parce que je veux être la ministre de la simplification, je poursuivrai le travail acharné contre la surtransposition. Dans un marché ouvert comme le nôtre, interdire en France une substance autorisée partout ailleurs en Europe place nos agriculteurs dans une situation de concurrence intenable…
Mme Sophia Chikirou
Ce n'est pas ça, le problème !
Mme Annie Genevard, ministre
…avec, au bout du chemin, la mort de nos productions et l'attrition de notre diversité.
Madame Laporte, je sais les problèmes immenses posés par les surtranspositions dans votre département. Vous le savez parfaitement : l'acétamipride a un statut particulier puisque son interdiction résulte d'une disposition législative.
Avant les interdictions, nous devons miser sur les solutions. C'est la raison pour laquelle, dès mon arrivée au ministère, j'ai souhaité relancer le comité des solutions créé par ma collègue Agnès Pannier-Runacher. Le budget que vous aurez la charge de voter reconduira le financement du Parsada, le plan d'action stratégique qui vise à préparer la sortie de certaines molécules.
Monsieur Potier, nous n'avons jamais envisagé de contourner les décisions de l'Anses. La loi ne le permet pas. En revanche, nous demanderons à l'agence de privilégier les filières dépourvues de solutions, de la même manière qu'est prioritaire, aux urgences, un malade dont le pronostic vital est engagé.
Madame Bellamy, simplifier suppose de réduire la pression administrative. Le chantier est immense ; nous y avons apposé la première pierre.
Avec le contrôle administratif unique, quoi que vous en disiez, monsieur Trébuchet, les agriculteurs ne seront soumis qu'à un seul contrôle par exploitation et par an, et à un contrôle administratif – le terme a son importance. Cette mesure était attendue par les agriculteurs et je l'ai mise en œuvre. De nombreuses autres mesures seront concrétisées comme promis, qu'il s'agisse des nitrates ou des calendriers réglementaires pour les travaux des champs, trop rigides.
La deuxième grande crise structurelle à affronter est la crise climatique. Vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur Taupiac : face à un phénomène mondial, il convient d'abord de prendre des mesures d'adaptation. C'est l'objet du plan « agriculture climat Méditerranée », doté de 50 millions d'euros, lancé par mon prédécesseur et dont j'assure la mise en œuvre opérationnelle. Son démarrage est réussi puisque trois mois après son lancement, vingt-cinq aires agricoles de résilience climatique ont été labellisées dans le pourtour méditerranéen. L'objectif est d'en constituer une cinquantaine. Grâce à ce plan, ces aires bénéficient, pour les filières les plus touchées par le dérèglement climatique, d'un accompagnement financier favorisant la diversification.
De même, l'accès à l'eau pour l'irrigation des cultures ou l'abreuvement des animaux constitue un impératif majeur, auquel il faut répondre dans le cadre d'une gestion raisonnée de la ressource. Tel est le rôle du fonds hydraulique, doté de 20 millions d'euros en 2024, qui a permis de financer quarante-huit projets de gestion innovante de l'eau – j'ai annoncé les lauréats l'année passée. Je souhaite que ce fonds soit reconduit en 2025.
La troisième grande crise structurelle à affronter est la perte de souveraineté alimentaire. Il s'agit d'un combat matriciel. L'heure est venue de la reconquête, car nous ne pouvons nous satisfaire qu'un poulet sur deux et qu'un fruit ou légume frais sur deux consommés en France n'y soient pas produits. La souveraineté alimentaire n'est pas un concept : il s'agit de décider où sera produite l'alimentation de nos enfants. Cela suppose de protéger nos agriculteurs des accords commerciaux déloyaux, d'une part en promouvant, comme je le fais à Bruxelles lors de chaque négociation, l'utilisation de clauses miroirs, d'autre part en nous opposant aux accords que nous jugeons déséquilibrés.
Monsieur Trébuchet, vous demandez quelle est mon action à l'échelle internationale, mais il ne vous aura pas échappé que l'accord avec les pays du Mercosur, contre lequel la France s'est prononcée très clairement, ne dépend pas seulement de nous. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Alexandre Dufosset
Prenez l'initiative !
M. Théo Bernhardt
On est sous tutelle !
Mme Annie Genevard, ministre
Je me suis déplacée à l'étranger et j'ai rencontré chacun de mes homologues européens pour les convaincre et exposer les raisons qui nous conduisent à rejeter cet accord.
Mme Marie Pochon
Les bras m'en tombent ! Cela fait vingt ans que les négociations ont commencé, vous vous réveillez trop tard !
Mme Annie Genevard, ministre
D'autres ministres mènent également ce travail et le président de la République comme le premier ministre se sont clairement exprimés à ce sujet. Nous faisons tous ce travail, il s'agit d'une position commune à l'ensemble de la représentation nationale – peu de sujets font l'objet d'une telle unanimité. C'est la France qui a lancé le mouvement contre l'accord avec le Mercosur et il faut espérer que ce mouvement prospère. Espérez-le avec nous plutôt que de nous accuser !
Plusieurs députés du groupe RN
Nous l'espérons !
Mme Annie Genevard, ministre
Face aux milliers de tonnes de viande et de sucre qui pourraient se déverser dans notre pays au mépris de nos normes de production, la France se dressera comme un mur. Je le répète, je mène un travail de conviction acharné auprès de mes homologues européens. J'ai rendu visite au ministre polonais de l'agriculture, qui a annoncé quelques jours après, avec le premier ministre polonais, le rejet de l'accord avec le Mercosur par son pays. Nous parviendrons – j'en ai la conviction – à trouver une minorité de blocage ou à empêcher une majorité d'adoption.
Par ailleurs, pour assurer notre souveraineté alimentaire, il faut s'attaquer de front au problème central du renouvellement des générations. Le vieillissement de la population agricole est un sujet de préoccupation majeur. C'est la raison pour laquelle il conviendra d'adopter au plus vite le projet de loi d'orientation agricole, que vous avez considérablement enrichi en première lecture et qui sera examiné en février au Sénat. Monsieur Sitzenstuhl, le retard pris dans l'examen de ce texte est dû premièrement à la dissolution, deuxièmement à la suspension estivale, troisièmement à l'arrivée du budget dans le calendrier parlementaire, qui laissait seulement quatre jours disponibles au Sénat pour l'examiner.
M. Charles Sitzenstuhl
Non !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous en expliquerez avec le président du Sénat, puisque vous semblez connaître mieux que lui les disponibilités de la chambre haute.
L'autonomie du Parlement a rendu impossible d'inscrire à l'ordre du jour les dix jours, voire l'unique semaine, nécessaires à l'examen du texte au Sénat. J'ai pris le premier créneau disponible et je trouve fort de café que l'on m'accuse de retarder l'inscription de ce texte à l'ordre du jour sénatorial, alors que je n'ai cessé de demander cette inscription. Vous n'ignorez pas, monsieur Sitzenstuhl, que l'examen du budget s'impose – pour ce qui est de son adoption, c'est une autre affaire, et il appartiendra aux censeurs de bien réfléchir aux conséquences de leurs actes dans quelques semaines. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Jean-Paul Lecoq
Les permanences sont déjà payées ! Vous nous enverrez vos milices de la FNSEA !
Mme Annie Genevard, ministre
Ce texte propose un véritable choc d'attractivité, avec l'ambition de former 30% d'apprenants supplémentaires d'ici à 2030 ; il permettra de créer le réseau France Services agriculture, qui simplifiera l'installation des agriculteurs et la transmission de leurs exploitations. Il est essentiel, monsieur Monnet, madame Hignet, d'installer convenablement les jeunes pour maintenir les exploitations.
Cependant, ce qu'attendent les agriculteurs par-dessus tout, c'est qu'aux crises conjoncturelles et structurelles qui les frappent durement nous n'ajoutions pas une nouvelle crise politique. Le bilan est déjà trop lourd. Cela fait maintenant plus d'un an qu'ils se sont vu promettre la pérennisation du dispositif d'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi, dit TODE, une revalorisation de leurs pensions de retraite, des dégrèvements sur la fiscalité foncière, ainsi qu'une exonération de la réintégration de la dotation pour épargne de précaution en cas de sinistre climatique, pour ne citer que quelques engagements.
Mme Marie Pochon
Et les prix planchers ?
Mme Annie Genevard, ministre
Nous ne sommes pas favorables aux prix planchers !
Mme Marie Pochon
C'était une promesse !
Mme Annie Genevard, ministre
La responsabilité aurait commandé que nous parlions de la mise en œuvre de toutes ces mesures au passé et que les agriculteurs puissent dès à présent en bénéficier, compte tenu des difficultés qu'ils connaissent. Le mouvement de protestation en cours, qui fait suite à un premier mouvement d'ampleur en janvier dernier, ne doit pas être interprété comme une deuxième sommation, mais comme la dernière. Ne laissons pas les agriculteurs payer le prix d'une nouvelle crise, qui en ferait les otages d'une bataille politicienne – cela n'engendrerait chez eux que ressentiment et colère. Ceux qui s'en rendraient complices ne pourraient plus prétendre en être les soutiens ou les représentants.
Monsieur Blairy, nous parlons de presque un demi-milliard d'allégements de charges. Sans le vote du budget, ces aides ne parviendront pas au monde agricole. L'heure est désormais à l'action ; il est de notre devoir de respecter le contrat moral que nous avons passé avec le monde paysan, en gravant ces mesures dans le marbre. C'est la seule voie possible pour substituer au vent de colère qui s'est engouffré dans le cœur des agriculteurs il y a un an un vent d'espoir et de foi retrouvée en l'avenir. Pour reprendre les mots du ministre Travert, confiance, dialogue et respect s'imposent. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR. – M. Pascal Lecamp, vice-président de la commission, applaudit également.)
M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes. Aucune réplique n'est possible.
Nous commençons par les questions du groupe Rassemblement national. La parole est à M. Robert Le Bourgeois.
M. Robert Le Bourgeois (RN)
L'élevage français est en crise. Où que l'on regarde, les éleveurs le disent et désespèrent de se faire un jour entendre. Une incessante culpabilisation à propos des conséquences environnementales de l'élevage, ainsi que la signature de traités de libre-échange – avec le Canada, la Nouvelle-Zélande et désormais le Mercosur –, ont renforcé l'hostilité envers les éleveurs, qui se trouvent soumis à une concurrence totalement déloyale. C'est leur survie qui a été placée sur la table des négociations, envoyant le message d'un terrible mépris. Les conséquences sont dramatiques : la Mutualité sociale agricole (MSA) dénombre presque deux suicides par jour et 2 400 tentatives de suicide par an ; le nombre d'éleveurs a chuté de 60 000 en dix ans, toutes filières confondues ; le cheptel français a perdu 116 000 vaches laitières en 2023. Dès lors, comment s'étonner qu'un agriculteur sur cinq envisage de cesser son activité dans l'année qui vient ?
Comme si cela ne suffisait pas, la mort de l'élevage français emporte de graves conséquences. Les abattoirs et les filières de transformation se trouvent menacés. Les prairies et les alpages poursuivent leur recul lent mais certain, au profit de surfaces embroussaillées ou cultivées, favorisant le ruissellement des eaux et rendant plus difficile la valorisation de produits non utilisables pour l'alimentation humaine et l'enrichissement des sols. Sur ce dernier point – les agriculteurs de ma circonscription me le disent –, la baisse de l'apport en fumier constitue un problème qu'on ne réglera pas avec les seuls engrais chimiques.
Finalement, la mort de l'élevage français porte un coup de poignard dans le dos à notre souveraineté alimentaire – c'est la raison pour laquelle le groupe Rassemblement national soutiendra les mesures d'urgence qui seront présentées. Madame la ministre, quand cesserez-vous de conditionner la survie des éleveurs à un marché international qui les écrase et à une Union européenne qui les méprise ? Quand leur garantirez-vous enfin un revenu décent et l'exception agriculturelle qu'ils réclament ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je suis élue d'une terre d'élevage. Je connais bien le monde de l'élevage, je le soutiens et je le défends. Il constitue l'identité de nos territoires et il est fondamental de le conserver. Je n'ignore rien des facteurs qui le fragilisent, que vous avez relevés : décapitalisation des cheptels et difficultés structurelles lorsque les crises sanitaires s'accumulent, comme c'est le cas en ce moment. Nous connaissons une avalanche invraisemblable de problèmes sanitaires : FCO 3, FCO 8, MHE, à quoi s'ajoutent l'influenza aviaire et la fièvre porcine. La situation est catastrophique. Je n'irai pas pour autant jusqu'à parler de mort de l'élevage français : la France est un très grand pays d'élevage, qui assure par exemple son autosuffisance en lait.
Nous devons redoubler de vigilance car, comme vous l'avez souligné, l'affaiblissement de l'élevage entraîne le recul des prairies, alors qu'elles constituent des puits de carbone aussi efficaces que les forêts. Je vous rejoins lorsque vous déplorez la mise en cause de l'élevage, qui est insupportable : une idéologie décroissante fait de l'élevage la source de tous les maux environnementaux et je la récuse avec la plus grande fermeté.
S'agissant de la concurrence déloyale, il est vrai que l'agriculture sert de variable d'ajustement dans tous les accords de libre-échange, en particulier l'élevage, qui se trouve exposé à l'agneau néo-zélandais, au bœuf du Ceta (Accord économique et commercial global) et à la volaille du Mercosur. L'élevage est systématiquement la cible des accords internationaux, ce qui les rend doublement inacceptables.
M. le président
La parole est à M. David Magnier.
M. David Magnier (RN)
Un an après la crise agricole, dans l'Oise, où se trouve ma circonscription, et plus largement dans l'ensemble des Hauts-de-France, une tragédie silencieuse se joue. Des familles entières et des générations d'agriculteurs voient leur travail sacrifié et leur avenir menacé. Les betteraviers, ces hommes et ces femmes qui façonnent nos paysages et nourrissent notre pays, sont aujourd'hui en détresse. La culture de la betterave sucrière, pilier économique de la région, est à l'agonie parce que nous lui avons retiré les moyens de lutter contre la jaunisse virale. Depuis l'interdiction des néonicotinoïdes, ces agriculteurs sont livrés à eux-mêmes face aux ravages des pucerons. Le gouvernement, conscient des difficultés, avait proposé une aide ponctuelle – bien insuffisante – aux producteurs affectés par la jaunisse en 2023.
Les rendements s'effondrent. Dans les Hauts-de-France, Tereos réclame une diminution de 10 à 15 % des surfaces de betteraves.
M. Julien Dive
C'est faux !
M. David Magnier
Cette tendance alarmante menace l'économie de toute la filière. Pendant ce temps, onze pays européens, dont la Belgique et l'Allemagne, ont maintenu un usage encadré des néonicotinoïdes. La France, elle, préfère importer, notamment d'Ukraine, des betteraves produites dans des conditions environnementales déplorables quand nos betteraviers, véritables sentinelles de l'environnement, respectent des standards qui sont parmi les plus stricts au monde.
Nous avons importé, en 2023, jusqu'à 700 000 tonnes de betteraves ukrainiennes : voilà l'absurdité. Nos agriculteurs, au nom de l'écologie, subissent des interdictions, pendant que le gouvernement importe ce qu'il n'autorise pas à produire ici. Où est la cohérence ?
" Un an après la crise agricole ", dites-vous. Vraiment ? L'agriculture française, en réalité, est en souffrance depuis bien plus longtemps, situation qui s'aggrave chaque année. Dans combien de temps appliquerons-nous enfin la règle " pas d'interdiction sans solution " ? Dans combien de temps mettrons-nous fin à des interdictions nationales que nous sommes les seuls à pratiquer, isolant ainsi nos agriculteurs ? Pourquoi imposer à la France des normes toujours plus strictes, hors de toute transposition européenne, créant ainsi d'insupportables distorsions de concurrence ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Benoît Biteau
La solution, c'est l'agronomie, pas les pesticides !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez raison de rappeler l'importance de la filière sucrière, autre filière d'excellence française. La France est un des leaders européens en matière de production de sucre – production elle-même mise en concurrence avec celle des pays du Mercosur.
M. Julien Dive
Et avec la production ukrainienne !
M. Benoît Biteau
Demandez à M. Aurélien Rousseau !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez évoqué les maladies qui affectent la production de betterave sucrière, notamment la jaunisse du puceron, pour laquelle, avec la filière, nous recherchons des solutions : 10 millions d'euros y ont été consacrés. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a proposé des dispositions alternatives aux produits phytosanitaires qui se sont avérées partiellement efficaces. Le bilan de cette année et de l'année précédente a été positif, sauf pour les productions de plantes porte-graines, qui ont été attaquées : ceci vient limiter la portée rassurante de mon propos.
Il est évident que le retrait de certaines substances pose de nombreux problèmes. Les cinq familles de néonicotinoïdes ont été interdites, ici, par la loi – par les parlementaires. Quatre de ces familles ont été interdites dans toute l'Europe – il ne saurait donc être question de les autoriser de nouveau. Mais une de ces familles – celle des acétamiprides – est autorisée partout en Europe et interdite en France uniquement. C'est un débat que nous aurons en temps voulu, lors de l'examen de futurs textes.
M. Pierre Cordier
Il faudrait peut-être revenir là-dessus !
Mme Annie Genevard, ministre
Pour ma part, je n'accepte en aucune façon le principe des surtranspositions. Surtransposer, c'est mettre la France en concurrence frontale avec d'autres pays européens et attacher des boulets aux pieds de nos entrepreneurs agricoles : ce n'est pas possible.
M. le président
La parole est à M. Jean-Luc Fugit.
M. Jean-Luc Fugit (EPR)
Nous pensons comme vous, madame la ministre, que, dans un contexte marqué par la succession des crises sanitaires et des aléas climatiques, et alors que la question du revenu des agriculteurs reste centrale, notre agriculture doit continuer à s'engager dans une transition lui permettant de s'adapter tout en assurant la compétitivité des exploitations et le renouvellement des générations.
Je voudrais aborder deux sujets ayant trait à la question sanitaire. Nos agriculteurs, ces entrepreneurs du vivant, doivent veiller en permanence à la santé de leurs élevages et de leurs cultures.
Face aux crises sanitaires de type MHE ou fièvre catarrhale ovine qui se sont succédé à un rythme soutenu ces derniers mois dans les filières d'élevage, l'État a su être aux côtés des éleveurs et leur permettre de surmonter les situations dramatiques provoquées par les épizooties. Mais nos éleveurs ne sont pas pour autant totalement rassurés et posent certaines questions.
Vous avez ainsi annoncé, en novembre dernier, que le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) porterait un programme d'indemnisation des pertes directes liées, pour les ovins, à la FCO 8. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes sur ce point précis ? Comment envisagez-vous l'accompagnement des élevages afin d'éviter une reprise des épidémies de type FCO au printemps prochain ? Les assises nationales du sanitaire animal, que vous lancerez dans deux semaines, auront-elles l'ambition de définir tous les volets d'une véritable politique de vaccination ?
Nous savons que vous êtes engagée auprès de nos agriculteurs des filières végétales. Sachez cependant que nos arboriculteurs se trouvent dans des situations inextricables, qui peuvent les décourager et les conduire à l'abandon de leur activité. Comment, madame la ministre, apaiser ce climat et apporter des solutions concrètes ? Comment comptez-vous aider nos producteurs à retrouver les mêmes conditions de traitement des végétaux que leurs homologues des pays voisins ? Les arboriculteurs de mon territoire, dans le Rhône, m'indiquent qu'il n'y a plus de filière de formation initiale dédiée à leur secteur d'activité : quelle réponse pouvez-vous leur apporter ?
Soutiendrez-vous enfin, lors de l'élaboration du budget, le renforcement des crédits alloués au plan de souveraineté de la filière fruits et légumes, comme notre groupe l'avait proposé par la voie d'un amendement que j'ai défendu et qui a été adopté en commission, il y a quelques semaines ? (M. Charles Sitzenstuhl applaudit.)
M. Charles Sitzenstuhl
C'est très important !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Votre intervention comporte trois questions. Sur les fièvres catarrhales ovines et leur indemnisation, tout d'abord. Pour la FCO 3, le guichet des avances a été ouvert. Le guichet du solde, quant à lui, sera ouvert dans quelques jours pour la FCO 3 et pour la totalité de l'indemnisation des animaux touchés par la FCO 8. Les premiers versements auront lieu dans quelques semaines.
Ce calendrier s'explique par le travail que nous avons mené avec les professionnels, qui ont adapté leurs demandes au fil du temps. À chaque nouvelle demande, afin de mieux répondre à leurs attentes, il a fallu réétudier les implications et procéder aux analyses de probabilité d'intervention. Nous espérons pouvoir délivrer rapidement les indemnisations, si possible avant le vote du budget ; mais vous connaissez les contraintes des mesures adoptées.
Au sujet de la reprise des épidémies, maintenant : nous sommes extrêmement vigilants. On ne peut pas rester là à attendre la prochaine épidémie : tous nos budgets ne suffiraient pas à payer les vaccins et à verser des indemnisations. Nous devons trouver ensemble une autre stratégie : meilleure anticipation, meilleure prévention, meilleure prophylaxie. C'est le sens des assises du sanitaire qui se tiendront le 30 janvier.
Sur le comité des solutions, enfin : j'ai toujours dit que c'était une bonne approche, je l'ai repris à mon compte et poursuivi. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il faut, comme au grand soir, abandonner tout ce qui a été fait auparavant – au contraire. Mais, à mon sens, ce comité n'a pas apporté toutes les réponses attendues au sujet des situations d'urgence des filières en impasse de traitement. En Europe, 540 usages sont autorisés qui ne le sont pas en France. Parmi eux, l'Anses en étudie une centaine afin de savoir si nous ne pourrions pas les utiliser. Il y a des réponses, mais nous n'y avons pas encore accès.
M. le président
La parole est à M. Christophe Marion.
M. Christophe Marion (EPR)
Depuis un an maintenant, les agriculteurs demandent de l'équité et de la justice. Ils veulent que les contraintes et les normes qui pèsent sur eux s'imposent également aux produits européens et extraeuropéens que nous importons – c'est particulièrement le cas dans le domaine des produits phytosanitaires. Le gouvernement a pris conscience de cette urgence en lançant dès le mois de mars un cycle de réunions de travail visant à répondre aux difficultés qu'ils rencontrent dans la protection de leurs cultures. Ce cycle de réunions était centré sur les produits faisant déjà l'objet d'une interdiction – complétant ainsi les actions engagées, notamment par le plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures, le Parsada –, ainsi que sur la stratégie Écophyto 2030.
Une telle démarche visait à traiter les difficultés rencontrées par les agriculteurs confrontés à la concurrence d'États membres qui, eux, avaient accès à des produits interdits en France. À l'époque, Agnès Pannier-Runacher était même allée plus loin en n'excluant pas de saisir la Commission européenne de situations de sous-transposition dans certains États membres. En juillet, le ministère de l'agriculture indiquait que 101 solutions autorisées ailleurs en Europe étaient en cours d'examen par l'Anses afin de remplacer des molécules sur le point d'être interdites.
Face aux menaces pesant aujourd'hui sur les productions d'endives, de chicorée, de noisettes, face à la volatilité du prosulfocarbe qui menace la production de sarrasin – notamment le sarrasin bio –, vous avez relancé le comité des solutions et rappelé que 146 millions d'euros étaient consacrés, cette année, au financement de vingt-sept projets de recherche. Tout cela est très bien, mais les agriculteurs peinent à voir, concrètement, les incidences de ces différentes annonces dans les cours de ferme, alors même que les substances actives, quand elles continuent d'être utilisées, deviennent de plus en plus inefficaces en raison des faibles doses autorisées. Quels sont les fruits des mesures annoncées depuis presque un an ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Votre question est fondamentale. Il ne se passe pas une journée, depuis ma prise de fonction, sans qu'une filière me sollicite, parfois dans une urgence et une détresse terribles, pour m'exposer les difficultés qu'elle rencontre en l'absence de traitement contre les insectes ravageurs ou les maladies. Les agriculteurs ont besoin premièrement de visibilité, deuxièmement d'équité, troisièmement de solutions leur permettant de se projeter dans l'avenir.
J'agis pour cela à trois niveaux. Il faut, tout d'abord, répondre aux situations d'urgence que rencontrent certaines filières pour leur permettre, lorsqu'il n'y a pas d'autre solution, de passer une campagne. Je pense à la filière de l'endive, à celle de la cerise et à celle de la noisette. Mes services conduisent, avec elles, des travaux pour adapter les itinéraires techniques et délivrer les autorisations de 120 jours, grâce à la direction générale de l'alimentation (DGAL), dont je tiens à saluer les travaux. Sur ce sujet, j'ai eu l'occasion de rassurer des producteurs.
Il faut ensuite, autant que possible, rendre disponibles pour nos producteurs les produits dont disposent nos voisins européens. Je l'ai dit : des solutions existent au niveau européen. Des pays examinent, pour le compte des autres et en responsabilité, la pertinence du maintien de certaines substances. Quand ces pays référents déterminent qu'une substance est autorisable, nous devrions l'autoriser en France : c'est la logique et le bon sens mêmes. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour que ces questions soient traitées au niveau européen, afin que nous n'encourrions pas le risque terrible des surtranspositions.
Le dernier pilier est celui permettant de proposer aux agriculteurs des solutions alternatives opérationnelles et économiquement viables.
Mme Anne-Laure Blin
Tout à fait !
Mme Annie Genevard, ministre
C'est le Parsada, un plan stratégique apprécié des filières. Son budget s'élève à 146 millions en 2024 et prévoit le financement de cinquante projets de recherche sur cinq ans, dont trente ont déjà reçu un accord de financement. Je vous confirme que le financement du Parsada sera maintenu.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex (LFI-NFP)
Cela a été dit, l'année 2024 a été rude pour nos agriculteurs et nos agricultrices : je les salue.
Je vais me concentrer sur un sujet qui a fait l'objet de quelques travaux et dont vous n'avez pas parlé : l'agrivoltaïsme. Nous nous opposons aux projets dans ce domaine car ils favorisent la prédation du capital, le déclin de nos exploitations et la misère des agriculteurs. Les enjeux financiers et écologiques de cette filière sont considérables. Faute de mieux, il faut l'accompagner et la planifier.
Une installation photovoltaïque est dite agrivoltaïque lorsqu'elle est située sur la même parcelle qu'une production agricole. Ces installations, dont le potentiel économique est énorme, concernent très peu d'agriculteurs. Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie de 2018, il était prévu que 44 gigawatts d'énergie photovoltaïque soient disponibles en France d'ici à 2028 – soit 40 000 hectares, dont 400 dans mon département, la Haute-Garonne. Les sommes en jeu sont gigantesques : certains agriculteurs se voient proposer des loyers annuels de 6 000 euros par hectare, soit en moyenne 80 000 euros pour un parc de 20 hectares.
L'autre problème réside dans la difficulté à conserver la valeur créée sur le territoire et au service des producteurs. Le modèle actuel, en Haute-Garonne, ne bénéficierait qu'à 20 agriculteurs sur 5 000, alors qu'il y a plus de 1 200 sollicitations d'opérateurs. La valeur générée, bien supérieure au loyer proposé, échappe totalement aux agriculteurs et aux territoires – parfois à hauteur de 90%.
À défaut d'interdire ce type de projet et à la lumière de ces éléments, absents des rapports sur l'agrivoltaïsme, le gouvernement envisage-t-il de déterminer une nouvelle clé de répartition des profits pour les producteurs et les collectivités ? S'assurera-t-il que la valeur créée par les installations profite au niveau local ? Enfin, accompagnera-t-il les agriculteurs et les agricultrices dans leur projet et prévoira-t-il la réversibilité des installations et leurs modalités de financement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vous rejoins : jamais l'agriculture ne doit devenir un sous-produit de l'énergie. La fonction première de la terre est de produire l'alimentation qui nourrit la population.
Cela ne signifie pas qu'on ne doit pas réfléchir aux énergies renouvelables en milieu rural et agricole. Ce n'est peut-être pas le cas chez vous mais, chez moi, la surface des toitures agricoles est immense et favorable au développement du photovoltaïque.
M. Christophe Bex
On ne parle pas des toitures, là !
Mme Annie Genevard, ministre
Oui, bien sûr, l'agrivoltaïsme est différent, puisqu'il s'agit de photovoltaïque au sol. On a beau nous dire que les animaux peuvent paître sous les panneaux, il s'agit tout de même d'une concurrence entre les fonctions agricole et énergétique.
M. Nicolas Sansu
Bien sûr !
M. Pierre Cordier
Très bien !
Mme Anne-Laure Blin
Exactement !
Mme Annie Genevard, ministre
Les énergéticiens sont très habiles pour appâter les agriculteurs, particulièrement dans les territoires où l'agriculture ne fournit pas de revenus suffisants. Le choix est terrible pour l'agriculteur, entre une activité ancestrale à laquelle il est attaché mais qui ne le rémunère pas et des installations qui lui assureront un revenu plus décent.
Il ne faut pas placer l'agriculteur devant ce choix très difficile, et nous n'avons pas à le juger. Il faut rechercher un équilibre entre agrivoltaïsme et agriculture. Je suis réaliste : interdire l'agrivoltaïsme n'est pas possible, mais il ne faut jamais abdiquer la fonction nourricière de l'agriculture au bénéfice des énergies renouvelables. Le prix à payer serait terrible.
M. Pierre Cordier
Très bien ! Bravo !
M. Christophe Bex
Il faut légiférer !
M. le président
La parole est à M. Laurent Alexandre.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP)
Il y a un an, nos agriculteurs criaient leur colère. Aujourd'hui, leur mobilisation reste juste, d'autant que beaucoup de promesses n'ont pas été tenues. Il s'agit de leur vie, mais aussi de la souveraineté alimentaire de la France et du renouvellement des générations agricoles – 80% des exploitations ont disparu en quarante ans. Pour que les campagnes restent vivantes, pour nous nourrir tout en protégeant le vivant, nous avons besoin de paysans qui vivent dignement de leur travail, puis de leurs pensions.
Je souhaite vous interroger sur le traité avec le Mercosur et sur les petites retraites agricoles.
La signature de ce traité par la présidente de la Commission européenne est une trahison des intérêts agricoles de l'Europe et de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous payons les ambiguïtés d'Emmanuel Macron, qui a soutenu les négociations en faveur de ce traité en 2019 – il le qualifiait alors de bon accord.
Mme Marie Pochon
Eh oui !
M. Laurent Alexandre
En 2023, le ministre macroniste du commerce extérieur le disait aussi : il fallait conclure cet accord.
Mme Marie Pochon
C'est vrai !
M. Laurent Alexandre
Aujourd'hui, le traité n'est pas encore ratifié. C'est pourquoi mon groupe parlementaire a proposé une résolution visant à refuser sa ratification, ainsi que toute méthode qui contournerait les parlements nationaux pour l'adopter. Cette résolution a été adoptée en commission des affaires européennes le 3 décembre et sera prochainement inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée. Ce sera l'occasion de doter la France d'une position claire et cohérente.
Mme Andrée Taurinya
Nous ne lâcherons rien !
M. Laurent Alexandre
Quelle est votre position ? Qu'allez-vous concrètement faire pour empêcher la ratification du traité avec le Mercosur ?
Quant aux retraites agricoles, elles sont deux fois plus faibles que la moyenne des pensions – et souvent inférieures à 800 euros. Les mesures prises sont insuffisantes et ne concernent que les nouveaux pensionnés. Les retraités non-salariés agricoles ayant commencé à travailler avant le 1er septembre 2023 en sont exclus, contrairement aux anciens salariés du régime général, qui en bénéficient. Ce traitement est inacceptable après une vie de dur labeur. C'est pourquoi nous proposons d'augmenter la pension majorée de référence, le minimum contributif et le plafond pour l'ensemble des non-salariés agricoles. Vous engagez-vous à laisser les députés voter ces propositions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Grâce au texte présenté à l'initiative de Julien Dive et Pascal Lecamp, le calcul de la pension s'appuiera enfin sur les vingt-cinq meilleures années de revenus, dans une logique de convergence progressive, comme une partie de la profession le souhaitait. Ces nouvelles dispositions législatives s'appliqueront aux pensions liquidées à partir de 2026, mais, bien sûr, seulement si le budget est adopté.
M. Pierre Cordier
Eh oui, il faudra le voter !
Mme Annie Genevard, ministre
Réfléchissez donc bien au moment du vote…
M. Alexandre Dufosset
Il faudra le voter !
Mme Annie Genevard, ministre
La question du revenu est fondamentale. Le revenu agricole est conditionné par le montant et le volume des charges – le budget que vous avez censuré comportait près d'un demi-milliard de réductions de charges. Il est également conditionné par les volumes produits, ce qui suppose de l'eau – sans eau, pas d'agriculture. Vous devriez donc dire à certains de vos amis de cesser de s'opposer systématiquement aux projets hydrauliques agricoles. (M. Alexandre Dufosset s'exclame.) Il est aussi conditionné par l'accès au foncier et par la possibilité de traiter les productions attaquées. Enfin, il est conditionné par les prix, régulés par les lois Egalim, qui visent à protéger la matière première agricole dans la construction des prix.
M. Laurent Alexandre
Et le Mercosur ?
Mme Annie Genevard, ministre
Comme tous les représentants de la classe politique française, du président de la République au Parlement en passant par le premier ministre, j'ai eu maintes occasions de m'exprimer contre cet accord de libre-échange. Ce n'est pas un bon accord pour l'agriculture, et c'est la raison pour laquelle nous le combattons.
M. le président
La parole est à Mme Mélanie Thomin.
Mme Mélanie Thomin (SOC)
Il est urgent d'assurer aux agriculteurs et à nos éleveurs une rémunération juste et digne tout en apportant des solutions concrètes aux défis croissants qu'ils rencontrent – transmission d'exploitation, crises sanitaire et climatique, partage du foncier. Dès le mois d'avril, vous avez annoncé vouloir parachever l'édifice Egalim – les lois du 30 octobre 2018, du 18 octobre 2021 et du 30 mars 2023. Vos services ont affirmé, en outre, que vous souhaitiez garantir le respect des principes de construction du prix en amont et sanctuariser la matière première agricole.
Pour le monde agricole, fier de produire et de proposer des produits de qualité – qui ne sont pas toujours valorisés par les transformateurs et la grande distribution –, les dispositions actuelles d'Egalim sont largement insatisfaisantes.
Dans la loi Egalim 3, une mesure est fondamentale : la prise en compte des indicateurs de prix fixés par les interprofessions. Or ces indicateurs sont insuffisamment contraignants et ne garantissent pas une véritable équité entre les différents acteurs de la chaîne. Pourtant, cette mesure permettrait de préserver le coût de la matière première agricole.
Malgré l'obligation légale d'un contrat de vente entre agriculteurs et industriels pour l'achat des produits agricoles, force est de constater que les contrats sont inexistants, déséquilibrés ou non respectés – les sanctions mériteraient d'être renforcées.
Vous l'avez très bien dit : nos producteurs sont les premières victimes des concurrences déloyales, amplifiées par les traités de libre-échange comme celui avec le Mercosur, que nous combattons ensemble.
Dans la restauration collective, de nombreux appels d'offres continuent de privilégier les viandes bovines et les volailles importées, malgré l'obligation légale d'utiliser 50% de produits durables et de qualité. Dans une dynamique interministérielle, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire doit prendre ses responsabilités et promouvoir l'utilisation de produits d'origine française dans la restauration collective, en particulier quand il s'agit de celle de l'État – je pense à l'enseignement supérieur et aux armées.
Comment envisagez-vous de réguler des déséquilibres commerciaux avérés et dénoncés ? Nos paysans se battent pour un revenu digne. Pour les socialistes, ce combat est prioritaire.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vous remercie pour cette question sur un sujet essentiel. Il a fait l'objet d'un rapport des députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard et d'un autre des sénateurs Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet. Nous attendons les conclusions de la mission d'évaluation de la loi Egalim 2, créée par la commission des affaires économiques, et dont les co-rapporteurs sont Julien Dive, Harold Huwart, Richard Ramos et Aurélie Trouvé – avant qu'elle ne devienne présidente de la commission. Nous attendons ces dernières conclusions pour affiner notre position sur Egalim.
L'expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte de 10% (SRP + 10) s'achève et il vous faudra bientôt, à nouveau, légiférer. Évidemment, la recherche de l'équilibre fonde la démarche d'Egalim : la juste rémunération de la matière première agricole est au cœur du dispositif, mais la transformation doit aussi y trouver son compte.
Vous avez raison, il faut renforcer le poids et la fiabilité des indicateurs de production. Cela permettra de sanctuariser la matière première agricole, y compris lors des discussions entre industriels et distributeurs.
Enfin, n'oublions pas l'échelon européen pour les négociations commerciales et le cadre réglementaire. La révision des textes européens sur l'organisation commune de marché, ainsi que celle de la directive sur les pratiques commerciales déloyales de 2019, ouvrent des opportunités pour transposer les principes d'Egalim – contractualisation écrite, négociation par des organisations professionnelles à l'échelle européenne. Nous devons impérativement les promouvoir et sortir le producteur de son isolement pour l'inviter à rejoindre les organisations de producteurs. Ainsi, il sera mieux armé pour faire valoir ses intérêts.
M. le président
La parole est à M. Peio Dufau.
M. Peio Dufau (SOC)
Vous connaissez la situation particulièrement préoccupante des éleveurs, notamment ceux du nord du Pays basque, confrontés à une succession inédite d'épizooties, toutes filières confondues : grippe aviaire chez les volailles, MHE ou tuberculose chez les bovins, FCO chez les ovins.
En fin d'année dernière, après que leurs troupeaux ont été décimés, les éleveurs d'ovins ont été confrontés à des perturbations dans les exportations de leurs agneaux de lait vers l'Espagne. En effet, la circulation de la FCO a mis à mal le partenariat entre la France et l'Espagne, bloquant pendant trente jours les exportations d'animaux vivants vers les abattoirs en l'Espagne, alors que seuls six prélèvements étaient positifs. Or l'Espagne est un marché majeur pour la filière ovine du Pays basque, qui a adapté son organisation afin qu'une majorité d'agneaux soit disponible pour les fêtes de fin d'année en Espagne.
Dès à présent, il faut préparer la campagne 2025. Ces crises ont un impact économique, social et environnemental. Il est donc urgent de repenser notre stratégie de prévention et de gestion des risques sanitaires.
Où en sommes-nous du renforcement de la production des vaccins pour la prochaine campagne ? Nos agriculteurs ne veulent plus revivre de rupture de stock. Le manque de coordination entre la recherche publique et la production de vaccins privés et entre l'activité vétérinaire libérale locale et les mesures nationales et départementales face aux épidémies fait échec à une lutte efficace contre les épizooties.
Que pensez-vous de ces mesures de bon sens, qu'il faudrait déployer en lien avec les éleveurs et les instances locales ? Trois mots pour résumer mon intervention : anticipation, coordination et adaptation aux réalités locales et aux modes d'élevage. Il faut agir avec discernement et efficacité.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vos questions ont principalement trait aux crises sanitaires, notamment à la FCO – FCO de sérotype 3 au nord et FCO 8 au sud, même si la distinction s'efface peu à peu. Cette crise sanitaire majeure n'est d'ailleurs pas sans lien avec la crise climatique – les insectes piqueurs, vecteurs de ces maladies, prolifèrent en raison du réchauffement climatique.
Nous devons faire preuve de détermination car les éleveurs, en particulier dans la filière ovine, sont désespérés par la situation, certains n'osant même pas ouvrir la porte de l'étable le matin, de peur d'avoir à compter les cadavres. C'est une source de détresse qui remet en cause la pérennité des filières, le pastoralisme et donc l'entretien des prairies et de nos paysages. Les conséquences de ces épidémies sont multiples : elles détruisent de la valeur dans la ruralité, elles décapitalisent des cheptels et portent atteinte à la souveraineté alimentaire. Ce sujet retient donc toute mon attention.
Au fond, ce que demandent les éleveurs, ce n'est pas d'être indemnisés, mais de ne pas avoir à être indemnisés. Je veille cependant à ce qu'ils reçoivent dans les meilleures conditions les indemnisations qu'ils attendent – nous y reviendrons.
Pour enrayer ce mouvement mortifère, il nous faut travailler autrement : c'est le sens des assises du sanitaire, auxquelles j'ai convié un large rassemblement de chercheurs, de vétérinaires, d'éleveurs et d'acteurs des filières concernées. Nous devons mettre en commun nos réflexions et esquisser une stratégie, ce qui ne nous dispensera pas d'une réflexion au niveau européen.
La MHE nous vient en effet d'Espagne, le troisième variant de la FCO des pays du Nord. Les maladies vectorielles se rient des frontières, ce qui complique les choses. On nous annonce l'apparition de nouveaux variants de la FCO – 12, 3 –, mais on ne sait pas s'ils seront mortels ou altéreront la santé des animaux. Débloquer des millions de doses de vaccin sans savoir si elles seront utilisées ne relève pas non plus d'une bonne stratégie. Nous devons travailler tous ensemble afin de donner des perspectives aux éleveurs, qui sont très marqués par ces attaques épizootiques.
M. le président
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Fabien Di Filippo (DR)
Au risque d'être redondant, j'insisterai moi aussi sur les dégâts causés par la fièvre catarrhale ovine et sur les mesures d'urgence – je ne parle pas des assises – attendues par nos éleveurs, qui, pour certains, ne savent pas s'ils pourront continuer à exploiter leur élevage au printemps prochain. Le 9 janvier 2025, on recensait 9 315 foyers de FCO 3 sur le territoire. La maladie continue de progresser, engendrant des conséquences dramatiques pour les cheptels – hausse de la mortalité, de la morbidité, des avortements et de l'infertilité.
Malheureusement, au début de cette épizootie, la réactivité des pouvoirs publics n'a pas été à la hauteur. Le gouvernement démissionnaire a attendu la mi-août pour lancer une campagne de vaccination alors que la présence de la FCO avait été détectée dès le mois de juin.
M. Pierre Cordier
C'est juste !
M. Fabien Di Filippo
La vaccination n'a été étendue à l'ensemble du territoire que le 3 octobre pour la filière ovine et le 10 novembre pour la filière bovine. Cette situation est inacceptable. L'impact économique de la FCO est extrêmement élevé pour nos éleveurs. Aux pertes directes liées à la mortalité animale s'ajoutent les avortements, la baisse de production, mais aussi les pertes indirectes liées au décalage des naissances, au coût de la vaccination, aux frais vétérinaires et d'équarrissage.
Le ministère de l'agriculture a déployé une aide d'urgence avec le fonds abondé de 75 millions d'euros que vous avez évoqué. Mais l'impact économique de la FCO, toutes filières confondues – lait, viande bovine et ovine –, se chiffre à 80 millions d'euros de pertes directes et indirectes depuis le mois d'août, rien que pour la région Grand Est : 50 millions liés à la mortalité animale, 22 millions à la baisse de productivité et plus de 10 millions aux frais vétérinaires supplémentaires. L'enveloppe débloquée est donc clairement insuffisante.
Par ailleurs, les critères d'éligibilité sont bureaucratiques et kafkaïens ; ils rendent l'accès à cette aide impossible pour de trop nombreux éleveurs, pourtant durement touchés. En Moselle, seuls 54 éleveurs ont été indemnisés, alors que 115 dossiers avaient été déposés. Dans l'ensemble de la région Grand Est, plus d'un tiers des demandeurs ont été éconduits. Si je vous interpelle à ce sujet, madame la ministre, c'est parce que nous risquons d'être confrontés à des décapitalisations massives. C'est ni plus ni moins la souveraineté alimentaire de la France de demain qui est en jeu.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
La région Grand Est est particulièrement touchée par l'épidémie de FCO 3. S'agissant du retard pris par les pouvoirs publics, en particulier par mon ministère, je rappellerai que les vaccins contre la FCO ont été commandés à un moment où nous savions que l'épidémie allait arriver en France, mais avant même l'apparition du premier cas sur le territoire. Toutefois, commander des vaccins à un laboratoire ne suffit pas : il faut que les chaînes de production soient disponibles et prêtes à produire. Les doses de vaccins contre la MHE et la FCO 8 à notre disposition sont peu nombreuses faute de souveraineté vaccinale française. Nous disposons d'un seul laboratoire – peut-être deux –, lequel veut être sûr d'écouler tous ses vaccins. Il faut en outre que les lignes de production soient disponibles.
En ce qui concerne la FCO 3, l'État n'a pas été en reste. Les vaccins ont été commandés pendant l'été par le gouvernement démissionnaire, le plus tôt possible, avant même que l'Anses donne son feu vert. Cette décision n'a certes pas suffi à enrayer la propagation de la maladie, mais nous disposons encore de stocks, alors que les vaccins ont été mis à disposition gratuitement.
S'agissant de la FCO 8, comme nous n'avions pas suffisamment de vaccins pour immuniser tous les animaux, nous avons érigé une barrière sanitaire. Dans le cas de la MHE, nous nous retrouvons avec des vaccins inutilisés. La question de la vaccination recouvre des enjeux si nombreux qu'il est crucial de l'aborder dans le cadre des assises du sanitaire.
En matière d'indemnisation, nous travaillons avec les professionnels. Ce sont eux qui ont décidé qu'il fallait concéder des avances, que tous les élevages n'ont pas demandées. Comme le dit l'adage, nous compterons les bouses à la fin de la foire : nous constaterons lors du versement du solde le niveau d'indemnisation et le nombre d'éleveurs indemnisés.
M. le président
Merci de conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
C'est à ce moment-là que nous pourrons tirer des conclusions. Votre région a des particularités qui doivent être prises en compte, et j'y veillerai, croyez-le bien.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Lepers.
M. Guillaume Lepers (DR)
Depuis des années, nos agriculteurs souffrent et nous alertent sur la situation de leurs exploitations. Depuis votre arrivée au ministère de l'agriculture, vous les avez rencontrés et entendus, et vous avez commencé à prendre une série de mesures qui vont dans le bon sens. Certaines, notamment les mesures financières, devaient s'appliquer dès le début de cette année. Ces avancées pour nos agriculteurs ont malheureusement été retardées par la censure, fruit de calculs politiciens.
Parmi les revendications des agriculteurs figure la question de la surtransposition des normes européennes. Nous formons un marché commun, régi par des règles censées être communes à tous les pays membres ; hélas, la France multiplie les normes nationales restreignant l'activité des agriculteurs. Cette surtransposition crée une concurrence déloyale dont souffrent les agriculteurs français : les 300 producteurs de noisettes du Lot-et-Garonne peuvent en témoigner.
En raison de l'interdiction en France de l'acétamipride, ils ne peuvent plus protéger leur production contre la punaise diabolique. Pourtant, le 15 mai dernier, l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) a prolongé l'autorisation de ce produit dans l'Union européenne jusqu'en 2033. Résultat de son interdiction en France : 50% de pertes dans les récoltes, une filière structurée en danger et des centaines d'emplois menacés. Comble de l'absurdité, la filière doit importer des noisettes traitées par ce même produit pour conserver ses marchés.
Madame la ministre, comment comptez-vous mettre fin à la situation de concurrence déloyale que subissent tous les agriculteurs français du fait de la surtransposition des normes ? Plus généralement, quelle stratégie envisagez-vous de suivre pour simplifier la vie administrative du monde agricole ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Nous avons en partage le souci de la filière de la noisette. J'ai reçu ses représentants et vous m'avez alertée sur sa situation à de multiples reprises, avec d'autres députés. C'est une très belle filière française, qui produit une petite part des noisettes consommées par les Français, lesquels en sont très friands – nous figurons parmi les plus gros consommateurs de noisettes d'Europe. Nous n'en produisons pas suffisamment pour assurer notre souveraineté alimentaire dans cette filière. Les producteurs connaissent des difficultés immenses en raison du balanin et de la punaise diabolique, qui mettent en péril la pérennité de la filière, voire sa survie.
Vous avez évoqué l'acétamipride, le traitement qui conviendrait à cette production. Le Parlement, qui est souverain, aura à se prononcer sur cette question lors de l'examen d'une proposition de loi déposée par les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville. Ils recommandent, dans ce texte, de revenir sur l'interdiction de l'un des cinq néonicotinoïdes qui n'ont pas été interdits en Europe, d'une part en raison de la nature du produit – question qu'il nous faudra explorer –, d'autre part en raison de son caractère presque indispensable pour un certain nombre de productions.
Dans l'attente d'une éventuelle nouvelle autorisation de cette substance, nous cherchons d'autres solutions avec la filière. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé la création d'un groupe de travail au sein du ministère, auquel j'associerai les producteurs de votre région, notamment la coopérative Unicoque, qui réunit 300 producteurs. Nous travaillerons avec eux sur la question du préjudice économique et sur les solutions alternatives dans l'attente de l'autorisation du produit dont ils espèrent le retour.
M. le président
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (EcoS)
Depuis maintenant plus d'un an, dans le contexte d'une mobilisation sociale agricole sans doute la plus importante depuis trente ans, les agriculteurs dénoncent un modèle qui ne fonctionne plus et l'impossibilité de vivre de leur métier. Les écologistes sont solidaires de leur lutte pour vivre dignement.
Depuis trente ans, ceux qui nous gouvernent ont choisi de placer le modèle agricole sur la voie de l'industrialisation, de la compétitivité à outrance et du libre-échange dérégulé. Quels ont été les bénéfices de ce choix ? La productivité a augmenté et on peut aujourd'hui consommer des produits du monde entier sans avoir jamais mis les pieds dans une ferme. Quel en a été le coût ? En dix ans, 100 000 fermes ont disparu, les prix agricoles se sont écroulés, le monde agricole souffre de la crise inflationniste et de la spéculation sur les produits alimentaires, les campagnes se vident, les rendements sont affectés par les changements climatiques, la biodiversité s'effondre et un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Vous ne pouvez pas en même temps réduire les normes, promouvoir l'alignement par le bas au nom de la sacro-sainte productivité, tout en demandant à nos agriculteurs l'excellence. Vous ne pouvez pas en même temps refuser d'encadrer les surprofits de l'agro-industrie, laisser signer les accords de libre-échange, refuser les paiements pour services environnementaux (PSE) et laisser les prix agricoles s'effondrer, tout en assurant la protection de l'excellence agricole française, celle qui préserve nos capacités à produire demain.
En 2024, au Salon de l'agriculture, le président de la République promettait des prix planchers aux agriculteurs. Une promesse, encore une, instantanément balayée par votre alliance des droites, qui s'est opposée à notre proposition de loi au profit d'une loi Egalim 4, jamais advenue, et de négociations commerciales aux contours inchangés encore cette année.
Le revenu agricole doit être le paramètre central de la fixation des prix, et non une variable d'ajustement. Que comptez-vous faire face à l'impérieuse nécessité de prix dignes pour celles et ceux qui nous nourrissent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Comment pouvez-vous déplorer les effets dont vous chérissez les causes ? La famille politique à laquelle vous appartenez ne cesse de défendre une vision décroissante de l'agriculture !
M. Benoît Biteau
C'est absolument faux !
Mme Karen Erodi
Non !
Mme Annie Genevard, ministre
Mais si, c'est absolument vrai ! Vous êtes partisans d'une inflation normative sans fin ni freins, et c'est la raison pour laquelle nos agriculteurs rencontrent de telles difficultés de production. Vous parlez d'agriculture industrielle, d'agriculture productiviste…
Mme Marie Pochon
Je n'ai pas parlé de ça !
Mme Annie Genevard, ministre
Allez en Ukraine, en Pologne ou aux États-Unis : là-bas, vous verrez une industrie agricole et une agriculture productiviste ! Notre agriculture est à taille humaine, et c'est l'une des plus vertueuses au monde, sinon la plus vertueuse. Vous ne cessez de déplorer la perte de revenus, mais c'est précisément votre vision qui en est la cause !
M. Benoît Biteau
Nous ne sommes pas au pouvoir, madame Genevard !
Mme Annie Genevard, ministre
Si vous voulez vraiment travailler à améliorer les revenus des producteurs, cessez de promouvoir cette inflation normative qui leur fait perdre le sens même de leur activité. Vous ne m'entendrez jamais dire qu'il faut supprimer toutes les normes, toutes les règles. Mais quand vous refusez l'accès à l'eau à un producteur, vous le condamnez à la mort économique, c'est la simple vérité. Pourquoi ne l'entendez-vous pas ?
Donc, s'il vous plaît, madame la députée, ne nous imputez pas les difficultés de l'agriculture dès lors que, précisément, c'est contre elles et contre votre vision que nous luttons.
Pour ce qui est des accords de libre-échange, je ne sais sur quel ton vous dire que nous refusons ceux qui portent atteinte à notre souveraineté alimentaire et qui organisent une concurrence parfaitement déloyale.
M. le président
La parole est à Mme Julie Ozenne.
Mme Julie Ozenne (EcoS)
Je tiens tout d'abord à apporter mon entier soutien à l'Office français de la biodiversité et à ses policiers – ils en ont vraiment besoin. (M. Christophe Bex applaudit.)
Davantage d'abandon, voilà le bilan pour la majorité des agriculteurs et des agricultrices un an après le début des plus grandes mobilisations que la profession ait connues depuis des décennies : 86 % d'entre eux sont inquiets pour la viabilité de leur ferme en raison des conséquences du changement climatique ; 90 % sont prêts à accélérer leur transition vers des pratiques agro-écologiques. C'est ce que révèle la grande consultation du Chic Project. À cette inquiétude, à cette demande d'accompagnement, comment a-t-on répondu ? Avec davantage de dérégulation, des reculs environnementaux en pagaille et rien pour sécuriser les revenus.
Depuis un an, votre rôle, madame la ministre, aurait dû consister à agir avec clairvoyance pour le bien-être de la majorité des agriculteurs, en particulier des plus vulnérables. Au lieu de quoi vous n'avez fait que céder à l'intimidation d'une minorité, à l'intimidation de ceux qui tirent les ficelles d'un modèle agricole à bout de souffle et qui met sur le carreau la majorité des paysans.
Allez-vous donc protéger nos agriculteurs face à la financiarisation des terres agricoles ? Allez-vous les défendre face à des projets aberrants et contre lesquels ils n'ont aucun moyen d'être compétitifs ? Je pense à la multinationale néerlandaise Agro Care qui veut construire à Isigny-le-Buat, dans le sud de la Manche, une usine de fabrication hors sol de tomates, lesquelles seront perfusées aux engrais chimiques et au gaz sur une surface équivalente à quarante-six terrains de football.
Allez-vous continuer de céder aux intimidations ou tiendrez-vous le cap d'une transition dont les agriculteurs ont tant besoin, en réorientant les financements publics dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. Benoît Biteau
Bravo, madame Ozenne !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
En ce qui concerne le prétendu recul environnemental de la France, je rappelle que notre pays s'est engagé à une moindre utilisation d'intrants phytopharmaceutiques, phytosanitaires, et je suis convaincue qu'il n'y reviendra pas. C'est une marche en avant. Reste qu'il faut se préparer au retrait des substances et à leur remplacement par des solutions alternatives – c'est le sens du Parsada, évoqué tout à l'heure. Reste qu'il faut mobiliser la recherche fondamentale – je crois beaucoup à tout ce qu'elle peut nous apporter.
Mais il faut aussi traiter l'urgence. Ainsi, diriez-vous, les yeux dans les yeux, à un producteur : " Tes productions sont endommagées parce qu'on t'a interdit un traitement, mais ce n'est pas mon problème puisque l'environnement s'en trouvera amélioré " ?
Mme Julie Ozenne
Trois suicides, madame, dans cette branche !
Mme Annie Genevard, ministre
Leur diriez-vous vraiment cela, les yeux dans les yeux ? Moi, non.
Mme Julie Ozenne
Trois suicides !
Mme Annie Genevard, ministre
C'est la réalité de certaines filières.
Mme Julie Ozenne
La réalité, ce sont les suicides, madame !
Mme Annie Genevard, ministre
Là où je vous rejoins, monsieur Biteau, c'est sur les vertus de l'agronomie : elle apporte en effet de nombreuses solutions. Néanmoins, quand un organisme est malade, on peut admettre le principe de son traitement – à condition qu'il n'obère pas la santé humaine.
M. Benoît Biteau
Pourquoi est-il malade ? Voilà la question !
Mme Annie Genevard, ministre
En ce qui concerne le soutien aux plus vulnérables, après une enveloppe de 30 millions d'euros, nous avons abondé le budget de la MSA de 20 millions, soit 50 millions d'euros au total, afin de permettre des exonérations supplémentaires de charges. Nous veillons de près aux plus fragiles : hier, j'ai réuni les représentants de la dizaine d'associations qui s'occupent des agriculteurs en grande difficulté et en grande détresse.
M. le président
Merci, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je travaille beaucoup avec eux parce que, comme vous, je suis préoccupée au plus haut point par l'important taux de suicides dans le monde agricole.
M. le président
Je vais être obligé de serrer un peu la vis en ce qui concerne le temps de parole, aussi bien pour les questions que pour les réponses, afin que nous puissions en terminer avec les deux débats d'ici à la fin de la séance.
La parole est à M. Hubert Ott.
M. Hubert Ott (Dem)
Il est désormais essentiel de reconnaître que les agriculteurs, partout en France, jouent un rôle crucial, qui va bien au-delà de la production alimentaire. Ils façonnent les paysages, interagissent avec la biodiversité – souvent de façon positive –, participent à la gestion de ressources vitales telles que l'eau et contribuent concrètement à la lutte contre le changement climatique. Pourtant, ce travail si indispensable reste méconnu car insuffisamment valorisé et, surtout, mal récompensé.
Dans ce cadre, l'agriculture de montagne mérite une attention particulière. Les territoires concernés, souvent complexes à exploiter, sont pourtant le théâtre d'une résilience exceptionnelle : les agriculteurs y assurent une gestion inventive de l'eau, maintiennent des pièges à carbone naturels et empêchent l'érosion des sols, tout en contribuant à la pérennité de paysages, qui sont à la fois un grand patrimoine et une protection contre les effets du changement climatique. Ce travail environnemental repose presque exclusivement sur leur engagement et sur des dispositifs européens comme les Maec.
Ces services rendus par les agriculteurs sont essentiels mais leur reconnaissance, j'y insiste, reste insuffisante. Comment la France entend-elle peser davantage au niveau européen pour renforcer et élargir ces dispositifs, car il est désormais plus que souhaitable de valoriser financièrement ce travail gratuit effectué au bénéfice de tous ?
Il est par ailleurs urgent de simplifier certaines contraintes, en particulier administratives, qui alourdissent leur quotidien. Envisagez-vous, en la matière, des mesures concrètes ? Il s'agit en effet de mieux soutenir les agriculteurs dans leur double mission : produire tout en façonnant l'environnement de manière vertueuse.
Enfin, l'accord Mercosur, récemment signé, va à contre-courant de ces objectifs en autorisant des importations qui ne respectent pas nos standards. Cet accord est un signal négatif envoyé à nos agriculteurs et je tiens à exprimer ma ferme opposition à ce choix. Merci, madame la ministre, pour vos réponses et pour vos actions destinées à défendre l'agriculture française.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je vais tâcher de respecter le temps qui m'est imparti, monsieur le président.
Je suis très attachée à l'agriculture de montagne – activité économique matricielle de la montagne – puisque, dans le cadre de l'acte II de la loi montagne, j'ai travaillé très spécifiquement sur le sujet. On ne vantera jamais assez les externalités positives de cette agriculture – je pense au pastoralisme.
Je suis d'accord avec vous : la nature est l'outil de travail des paysans. Ils n'ont donc aucun intérêt à l'abîmer. Ils sont les premiers intéressés à la conservation de l'eau et à la qualité des sols – ressources vitales. Je le répète : les agriculteurs sont les premiers entrepreneurs du vivant, n'en déplaise à ceux qui voudraient laisser entendre le contraire.
Je suis bien sûr favorable au développement des Maec, qui permettent de compenser les surcoûts liés aux changements de pratiques. Elles font partie du deuxième pilier de la PAC, vous le savez, qui suppose l'écoconditionnalité. Je ne peux donc qu'encourager, j'y insiste, les Maec, essentielles pour l'avenir de notre agriculture.
Vous évoquez ensuite les normes. Vous savez mon engagement quotidien pour simplifier la vie des agriculteurs : mise en place du contrôle administratif unique, adaptation de l'administration aux dates des travaux agricoles, etc. Avec les organisations syndicales agricoles, j'ai lancé les rendez-vous mensuels de la simplification : l'objectif est de venir méthodiquement à bout de tous les freins à la production dès lors qu'ils ne sont pas justifiés.
Vous êtes revenu à raison sur le Mercosur. La position de la France est constante : l'accord tel qu'il a été négocié est inacceptable, singulièrement en ce qui concerne notre agriculture.
M. le président
La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme Géraldine Bannier (Dem)
Hier, dans son discours de politique générale, le premier ministre a évoqué la crise morale des agriculteurs – vous parlez de crise de sens, madame la ministre –, accusés de nuire à la nature. Aussi entends-je vous interroger sur les mesures concrètes de simplification qui pourraient être rapidement appliquées par les exploitations. Les agriculteurs, on le sait, croulent sous les normes, au point que la situation est devenue bien difficile à vivre, même pour les jeunes générations pourtant davantage formées et aguerries aux contraintes administratives.
Un agriculteur de mon territoire – une terre d'élevage, elle aussi –, jeune retraité, m'expliquait il y a quelques jours le choc qu'il avait ressenti en se retrouvant brutalement au tribunal face à une instruction de soixante-dix pages concernant la préservation des mésanges bleues sur son exploitation. Il n'a finalement pas été pénalisé, mais l'expérience l'a profondément marqué. Il m'a également parlé de son fils, jeune agriculteur installé, qui a subi un contrôle entre huit heures et dix-neuf heures. De telles situations ne peuvent que susciter angoisse et nuits difficiles.
On sait qu'un travail a commencé, en lien avec les préfectures. Mais, concrètement, qu'a-t-on simplifié ? Une analyse des normes est-elle prévue afin de déterminer celles qui seraient contradictoires ou inadaptées à des situations particulières ? Des dérogations peuvent-elles être accordées ? Comment peut-on accompagner plus humainement les agriculteurs ? Merci pour votre éclairage, madame la ministre. La multiplication des normes a profondément transformé le travail quotidien des agriculteurs. Je ne serai pas plus longue car les agriculteurs aiment la parole brève et efficace. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Merci pour votre concision, madame Bannier.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez raison, madame Bannier, les agriculteurs veulent des actes et pas des mots. Le principe du contrôle administratif unique est que le préfet du département réunit une mission interservices administratifs (Misa) destinée à coordonner les plans de contrôle, de sorte qu'il n'y ait pas plus d'un contrôle par an et par exploitation. Nous ne nous sommes toutefois pas arrêtés là.
Les acomptes des aides PAC seront versés à tous les agriculteurs, même quand ils sont contrôlés – jusqu'à présent, il fallait en effet attendre la fin du contrôle pour que soit délivré l'acompte. Les informations Telepac relatives à l'admissibilité des parcelles seront désormais doublées d'un envoi par courriel – c'est tout bête, mais quand l'agriculteur est sur ses parcelles, il disposera ainsi d'un document papier auquel se référer.
En ce qui concerne le programme d'actions national nitrates, j'ai demandé aux préfets de région de mobiliser tout le champ des dérogations qui leur est offert et d'engager, en outre, mesure très demandée par les agriculteurs, un processus de révision des plans d'action régionaux (PAR), avec pour objectif, dans les quatre mois, de rendre ces plans plus lisibles et plus compréhensibles – les intéressés n'y comprennent rien, or comment appliquer ce qu'on ne comprend pas ? Il s'agit de rendre les PAR plus efficaces au regard de leurs objectifs environnementaux.
En ce qui concerne la gestion de l'eau, un guide pédagogique, préparé en lien avec la profession, sera par ailleurs diffusé à l'attention des agriculteurs pour faciliter leur compréhension de la réglementation qui s'applique à l'entretien des cours d'eau et des fossés, lesquels font l'objet de contrôles et de mises en cause fréquents.
Pour ce qui est des cultures, nous préparons avec le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, un projet de décret visant à demander à l'Anses, dans le respect de ses prérogatives et de son indépendance, de donner la priorité aux mesures les plus susceptibles de toucher les filières.
Monsieur le président, je vous demande une faveur, celle de dépasser mon temps de parole, car j'en suis à un point capital.
M. le président
Elle vous est accordée, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Merci beaucoup. S'agissant des relations entre l'OFB et le monde agricole, nous avons rédigé, avec le ministère de la transition écologique, une circulaire visant à ce que ses agents fassent tout pour renouer le dialogue avec les agriculteurs. La déclaration tenue ce matin à la radio par un agent de l'OFB n'améliorera sans doute pas leurs relations, mais il faudra, à un moment ou à un autre, retrouver le chemin du dialogue. Nous avons proposé que les agents de l'OFB agissent dans le cadre du contrôle administratif unique. Nous avons également suggéré l'usage d'une caméra piéton afin que la tension baisse – ainsi que nous l'avons fait avec les policiers et les pompiers.
Pour ce qui est des installations classées, une circulaire aux préfets est en préparation avec le ministère de la transition écologique, visant à raccourcir les délais et à privilégier les contrôles à vocation pédagogique pour les jeunes.
S'agissant de la déconcentration des décisions relatives aux travaux agricoles, nous voulons déléguer au niveau local la fixation des dates les concernant.
Enfin, j'ai demandé à l'administration de créer un système numérique qui permette aux agriculteurs de ne pas répéter des heures durant, d'un service à l'autre, la saisie des mêmes informations. Une seule fois doit suffire.
M. le président
La parole est à M. David Guerin.
M. David Guerin (HOR)
Il y a urgence non seulement à reprendre le projet de loi d'orientation agricole – il sera examiné au Sénat dans les prochaines semaines et c'est une bonne chose –, mais aussi à fixer des caps précis et des stratégies de production. Au-delà de ces mesures indispensables pour soulager les agriculteurs, notamment en matière de trésorerie, parce que le monde agricole traverse une crise grave et profonde, la question est de savoir quelle agriculture nous voulons pour demain.
Notre souveraineté alimentaire n'est plus assurée. Il y a encore une dizaine d'années, nous exportions des poulets de chair ; aujourd'hui, plus de la moitié des poulets consommés en France sont importés. En 1984, des quotas laitiers ont été instaurés pour limiter la production ; aujourd'hui, nous importons du lait.
Cette question recouvre non seulement les enjeux économiques, fonciers, sanitaires, de renouvellement des générations et d'attractivité du métier, mais aussi les enjeux d'aménagement de nos territoires, démographiques, du maintien de la vie dans les zones rurales et de l'entretien de nos paysages.
La profession est en danger tant la lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et affaiblit notre compétitivité. Alors que les charges sociales et les normes environnementales sont toujours plus lourdes, les crises sanitaires, climatiques et politiques se succèdent de plus en plus fréquemment. Les agriculteurs sont trop souvent à bout de forces : la prédation et les épidémies affaiblissent les éleveurs ; en 2024, les rendements des céréaliers ont été très faibles et les vendanges catastrophiques.
Nos agriculteurs ont trop souvent le sentiment d'être seuls face aux défis du quotidien, sans parler des défis de demain. Ils se sentent mal compris et ont l'impression d'être la variable d'ajustement des autres secteurs, en particulier du commerce et de la grande distribution. Leur travail n'est pas reconnu à sa juste valeur et le pays méconnaît leur rôle fondamental.
Le groupe Horizons & indépendants place l'agriculture et chaque agriculteur au cœur de la ruralité et ne veut plus baisser les bras. Nous devons avoir de l'ambition pour l'agriculture française.
M. le président
Merci de poser votre question, cher collègue.
M. David Guerin
Quelles sont les lignes directrices que vous souhaitez donner au projet de loi d'orientation agricole – un texte que vous prenez en cours de route –, notamment pour redonner de la visibilité aux agriculteurs, cette profession qui en a tant besoin ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous évoquez le projet de loi d'orientation agricole : j'ai participé au débat qui a précédé son adoption et j'ai défendu un certain nombre d'amendements. Je souhaite que son examen par le Sénat se poursuive dans les mêmes conditions. Dès le 4 février, les sénateurs pourront enrichir le texte, mais il sera impératif d'aller vite, afin qu'il soit adopté le plus tôt possible.
L'examen du texte au Sénat sera l'occasion d'en sécuriser les acquis : la fin du tout-correctionnel en matière agricole, la suppression du diagnostic des sols pour éviter les contentieux incessants des ONG militantes, la suppression des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) afin d'empêcher la financiarisation des terres agricoles, l'adaptation de la réglementation des haies, la reconnaissance des agricultrices, le rétablissement de la parité entre enseignements public et privé, surtout la création de France Services agriculture, FSA, un guichet unique à destination des repreneurs et des cédants.
S'y ajoutent un certain nombre de dispositions qui, je l'espère, inscriront l'agriculture au bon niveau stratégique, à hauteur de l'importance que nous lui accordons. Il est essentiel de placer l'agriculture à sa juste place dans la hiérarchie des activités utiles à la nation, notamment pour la reconquête de notre souveraineté alimentaire.
Vous avez cité le cas de la filière volaille, qui illustre bien notre perte de souveraineté. Rappelons qu'un poulet sur deux vendus en France est produit dans un autre pays. En outre, 80% du poulet consommé dans la restauration hors domicile n'est pas produit en France. La perte de souveraineté est majeure, mais tout le monde refuse d'avoir des poulaillers près de chez soi. Il faudra que les Français s'interrogent sur leur schizophrénie en la matière.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Bouyx.
M. Bertrand Bouyx (HOR)
Il y a un an, le monde agricole français et européen exprimait sa colère à travers une mobilisation sans précédent, en réponse à la hausse des coûts de production, à la lourdeur des démarches administratives et au très controversé traité du Mercosur. Soixante-dix engagements ont été pris afin de répondre aux attentes des agriculteurs, visant notamment à mieux reconnaître leur métier, à redonner de la valeur à notre alimentation et à simplifier leur quotidien. Tous ces engagements sont en cours de mise en œuvre.
Certes, le projet de loi d'orientation agricole reprendra bientôt son chemin législatif, mais la censure du gouvernement, en décembre dernier, a empêché les agriculteurs de bénéficier d'un grand nombre de mesures concrètes. Je pense notamment au calcul des pensions de retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenu d'activité, à l'augmentation de 20% à 30% du taux d'exonération de la taxe foncière sur les terres agricoles, ou encore au renforcement des dispositifs favorisant la transmission à un jeune agriculteur. Ces mesures étaient attendues par la profession dans un contexte particulièrement difficile. La profession souffre depuis des années et a besoin que ses revendications soient entendues.
Nous devons défendre notre agriculture, nos paysans, nos terroirs et nos paysages. Les dossiers urgents sont nombreux et la crise agricole que traverse notre pays ne peut plus souffrir d'un retard dans l'action. Après la reprise de la mobilisation, je ne doute pas que les agriculteurs bénéficieront du soutien ferme du gouvernement.
À quelles échéances et selon quel calendrier l'application concrète de ces mesures aura-t-elle lieu ? Nous devons reprendre le travail au plus vite. Quand pouvons-nous espérer voir le projet de loi d'orientation agricole adopté ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je répondrai d'abord à votre deuxième question. Je salue Mme Nicole Le Peih et M. Pascal Lecamp, qui attendent avec une impatience que je partage l'adoption du projet de loi d'orientation agricole, dont ils ont été les rapporteurs diligents.
Vous m'interrogez également au sujet du budget. Il faut qu'il soit adopté le plus vite possible. Avec le ministre de l'économie et la ministre des comptes publics, nous avons pris des dispositions pour que le budget s'applique rétroactivement dès son adoption. Le 31 décembre dernier, nous avons publié un communiqué de presse en ce sens – il était très important de faire une déclaration à ce sujet.
Concernant l'agriculture, nous espérons pouvoir délivrer rapidement les aides d'urgence – indemnisation des élevages, prêts de soutien à la trésorerie –, mais, à l'exception du dispositif sur le GNR, valable jusqu'en 2025 et qui ne sera donc pas affecté par une interruption, l'amélioration de la couverture du TODE, grâce à l'adoption d'un amendement, et le demi-milliard d'allègements sociaux et fiscaux devront attendre l'adoption du budget. C'est dramatique ! Et je ne mentionne pas les appels à projets et les crédits d'intervention… Actuellement, le ministère ne peut lancer aucun appel à projets et ne peut engager aucun crédit pour intervenir dans les filières. Nous sommes dans une situation de blocage.
Vos collègues du Rassemblement national affirment qu'il s'agit d'un mensonge et que la censure n'a rien changé. Je les invite à l'expliquer aux filières, aux producteurs, aux agriculteurs et aux éleveurs !
M. le président
La parole est à M. Jean-Pierre Bataille.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT)
Ma question rejoint celles de MM. Dufau et Di Filippo. Toutefois, en tant que conseiller régional des Hauts-de-France, je souhaite appeler votre attention sur cette région. Depuis un an, nos agriculteurs réclament une véritable écoute et des actions concrètes de la part du gouvernement. Plus que jamais, ils ont besoin d'un choc de simplification administrative, d'évolutions fiscales adaptées et de meilleures conditions de travail – vous l'avez souligné. Malheureusement, de nombreuses mesures législatives et réglementaires attendent de pouvoir être appliquées.
Dans les Hauts-de-France, la situation est rendue critique par l'apparition du sérotype 3 de la FCO. Le 9 janvier, 2 589 foyers avaient été identifiés depuis août 2024, affectant gravement les troupeaux ovins et bovins. Les mesures qui ont été prises – zones régulées, stratégies vaccinales, fonds d'indemnisation de 75 millions d'euros – atteignent leurs limites. L'indemnisation exclut les pertes de jeunes animaux, âgés de moins de 12 mois, et résultant d'avortements, alors que la mortalité des jeunes bovins a augmenté de 45 % dans l'Aisne et dans le Nord. De plus, les pertes indirectes – baisse de production laitière, frais vétérinaires, absence de revenus liés aux veaux et aux agneaux – ne sont pas prises en compte. Les éleveurs des Hauts-de-France subissent ainsi une double peine : impact direct de la maladie et dispositifs inadaptés.
Madame la ministre, envisagez-vous d'élargir l'indemnisation aux pertes de jeunes animaux et aux pertes indirectes, de renforcer la surveillance de la circulation des maladies et d'accélérer la mise à disposition de vaccins adaptés ? Il semblerait que les régions atteintes par le sérotype 3 pourraient être contaminées par le sérotype 8. Faudra-t-il une double vaccination ou bien existe-t-il un vaccin combiné ?
Enfin, pourrez-vous apporter des réponses rapides au sujet de l'éligibilité des exploitations concernées aux aides couplées animales, du règlement des acomptes des exploitations éligibles et de la campagne de vaccination 2025 ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Encore et toujours les crises sanitaires, mais vous avez raison, c'est un sujet brûlant. Sachez que notre méthode suppose de travailler en permanence avec les éleveurs et que toutes les décisions sont prises en concertation avec eux. Qu'il s'agisse des critères, des cibles ou des modalités de versement, nous travaillons en permanence avec les éleveurs. Aucune décision n'a été prise sans leur aval.
La France est le seul pays européen, à ma connaissance, qui assure le financement de la vaccination et l'indemnisation de la mortalité. La Belgique a envisagé cette dernière, mais nous sommes les seuls à l'appliquer. Sans budget, ce dispositif ne tiendra pas indéfiniment.
Non seulement il y a les pertes liées à la mortalité, en particulier dans la filière ovine, mais il y a les pertes liées à la fertilité et aux avortements dans des proportions hors-norme. Nous suivons tout cela attentivement.
Nous essayons d'avancer pas à pas, toujours en lien avec les intéressés, qui sont des sources précieuses d'information et auprès desquels nous vérifions constamment que les mesures prises sont bien celles qu'ils attendent.
M. le président
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva (LIOT)
La cercosporiose, surnommée « cancer de la banane », est un champignon ravageur qui menace sévèrement la pérennité des bananeraies en Guadeloupe et en Martinique. Véhiculées par le vent, les spores de ce champignon se propagent rapidement dans l'ensemble de nos territoires. Sans intervention efficace, cette maladie peut détruire une plantation en moins de trente jours. Pourtant, des solutions innovantes, telles que l'utilisation de drones pulvérisateurs pour l'épandage de fongicides biologiques, ont montré leur efficacité, notamment en Europe. Ces dispositifs permettent une application précise des traitements à proximité des feuilles, améliorant ainsi leur efficacité tout en réduisant la pénibilité pour les travailleurs.
Les techniques utilisées aujourd'hui ne permettent pas de lutter efficacement contre la propagation de ce champignon destructeur. Les atomiseurs à dos d'homme pèsent plus de 40 kilos. Je les ai moi-même essayés à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, à la demande des agriculteurs. Le traitement par canon de pulvérisation se révèle non seulement insuffisant pour traiter la partie supérieure des feuilles, où l'on trouve pourtant une concentration importante du cancer de la banane, mais présente aussi un risque élevé de dérives.
Cependant, en France, la réglementation en vigueur assimile les aéronefs pilotés à des engins d'aviation civile et interdit, contrairement à d'autres pays européens, leur usage dans le cadre d'activités agricoles. Cette situation crée une inégalité concurrentielle et entrave la modernisation de nos pratiques agricoles. Par ailleurs, nos producteurs disposent d'un nombre restreint de substances actives pour lutter contre la cercosporiose que ceux d'Amérique centrale et latine – tiens, ceux du Mercosur ! L'efficacité des traitements qu'ils appliquent s'en trouve donc limitée.
Que comptez-vous faire pour lever ces freins administratifs et technologiques qui condamnent nos bananeraies et pour garantir la pérennité d'une filière essentielle à l'économie et à l'emploi des territoires ultramarins, la Guadeloupe et la Martinique notamment ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
La filière de la banane est très affectée par la cercosporiose, dont le traitement serait bien plus efficace s'il était dispensé par drone plutôt que depuis le sol. Ceci pour des raisons évidentes : depuis le sol, on atteint moins facilement les sommités de la plante ; en outre, les agriculteurs sont mieux protégés d'éventuelles projections du produit phytosanitaire lorsque celui-ci est répandu en hauteur pour ruisseler jusqu'au pied de la plante.
Le député Jean-Luc Fugit a déposé une proposition de loi visant à autoriser l'épandage par drone. Nous avons commencé à l'examiner au mois de novembre, lors d'une séance qui n'a pas été prolongée après minuit, alors qu'il restait seulement six amendements à discuter. La censure du Gouvernement est intervenue juste après… Nous reprendrons au plus tôt la discussion de ce texte, car il est utile : contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'utilisation des drones permet de mieux cibler la dispersion du produit, dans l'intérêt de la santé de l'agriculteur, des sols et de l'environnement.
M. Olivier Serva
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Dans les départements ruraux comme celui du Cher, d'où je viens, la majorité de nos agriculteurs et de nos paysans sont en difficulté. Aux problèmes structurels créés par une agriculture soumise à des accords de libre-échange délétères et destructeurs comme celui avec le Mercosur ou par des conditions d'exploitation qui favorisent la concentration s'ajoutent des catastrophes climatiques qui mettent à mal la production, le revenu et le moral des agriculteurs.
Dans cette situation, il importe de reconnaître la diversité des exploitations agricoles et de réorienter la PAC pour mieux prendre en compte l'urgence climatique et répondre au double enjeu de la souveraineté alimentaire et de la sécurisation du revenu des paysans et exploitants. Dans ce cadre et pour que tous les paysans et les agriculteurs, quelle que soit leur production, soient acteurs de la transformation progressive de notre modèle agricole, le gouvernement ne doit pas seulement garantir un prix rémunérateur, il doit aussi favoriser plus de démocratie et de participation.
Bien que les prochaines élections soient désormais trop proches pour l'envisager rapidement, ne serait-il pas temps de revoir les règles de représentation au sein des chambres d'agriculture et d'aller vers la proportionnelle intégrale ? Il faut respecter le choix de tous les exploitants, ce qui n'est pas le cas lorsque la liste arrivée en tête se voit attribuer 50% des sièges à pourvoir : cette règle constitue moins un gage de stabilité qu'un outil de maintien de l'ordre établi, de plus en plus contesté par les exploitants.
C'est dans le même esprit que nous œuvrerons contre la captation de la valeur ajoutée par les géants de l'agrofourniture, du négoce, de l'agroalimentaire et de la grande distribution. C'est ainsi que nous parviendrons à transformer notre modèle agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
J'entends que vous voulez transformer le modèle agricole, mais il me semble que nous devrions d'abord chercher à le préserver, à le protéger et à le pérenniser. En effet, notre agriculture connaît aujourd'hui de multiples dangers, que vous avez d'ailleurs rappelés. Vous évoquez la réorientation de la PAC : ce sera le prochain combat à mener.
M. Nicolas Sansu
Ma question portait sur les élections aux chambres d'agriculture !
Mme Annie Genevard, ministre
Certes, mais vous n'avez pas parlé que de cela. Vous avez bien parlé de réorienter la PAC ? Permettez que je vous réponde sur ce point. La nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2025, doit permettre de protéger le revenu des agriculteurs. Le revenu étant le premier pilier de cette politique, nous devrons continuer de la faire reposer sur deux piliers. Nous devrons aussi la doter d'un budget suffisant et, enfin, la simplifier. Tous les pays européens se sont accordés sur ces orientations.
Vous avez évoqué la diversité des productions ; c'est un point très important. Fragiliser une culture – celle de la noisette a été évoquée plus tôt –, c'est réduire cette diversité. Or l'agriculture française est extraordinairement diverse et sa diversité constitue un trésor qu'il nous faut protéger.
La question des règles de représentation syndicale m'a évidemment été posée. Les cinq principales organisations syndicales – FNSEA, Jeunes Agriculteurs (JA), Coordination rurale, Confédération paysanne et Modef –, que j'ai toutes reçues et écoutées, souhaitent leur évolution, mais chacune selon des modalités différentes. J'ai décidé de ne pas réviser ces règles à quelques semaines des prochaines élections aux chambres d'agriculture : cela ne se fait pas, pas plus dans le cadre d'élections générales que d'élections professionnelles.
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR)
Je souhaite revenir sur le coup de poignard porté au monde agricole par la présidente de la Commission européenne, qui a signé, le 6 décembre dernier, l'accord entre l'UE et le Mercosur. Non seulement le contenu de cet accord est dramatique et totalement contradictoire avec la volonté affichée de renforcer la durabilité de l'agriculture européenne et notre souveraineté alimentaire, mais le coup de force d'Ursula von der Leyen témoigne du fossé grandissant entre les différents intérêts des pays membres autant que du délitement de la coopération européenne en matière agricole.
Certes, cette signature ne vaut pas ratification, mais, en coulisse, le plan semble si bien rodé que le travail de vérification juridique et de traduction a débuté avant que le projet d'accord ne soit soumis au vote du Conseil – un vote à la majorité qualifiée –, puis à celui du Parlement européen – un vote à la majorité simple.
Le 26 novembre dernier, notre assemblée s'est largement prononcée pour le rejet de cet accord. Comme une large part des agriculteurs européens, toute la profession agricole française s'y oppose. Lors de ce débat, vous avez confirmé que la France était non seulement prête à faire usage de son droit de veto au Conseil européen, mais également qu'elle refuserait tout découpage de l'accord en deux parties, l'une politique et l'autre commerciale, pour éviter une adoption sans vote des parlements nationaux.
Où en sommes-nous dans la construction du rapport de force européen avec les États prêts à constituer une minorité de blocage au Conseil ? Comment entendez-vous agir, avec le gouvernement, pour empêcher la présidente de la Commission de mépriser les agriculteurs européens et français en poursuivant, comme si de rien n'était, la mise en application de cet accord ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous évoquez l'accord entre l'UE et le Mercosur et les modalités de son éventuelle adoption. La signature de cet accord par Ursula von der Leyen à Montevideo ne marque pas la fin du processus d'adoption de ce texte, mais le début d'un parcours qui l'amènera devant le Conseil, puis devant le Parlement européen.
En définitive, deux cas de figure pourraient se présenter. Si l'accord n'était pas scindé, il ne pourrait être adopté qu'à l'unanimité. Autant dire d'emblée que cette condition ne sera pas satisfaite, car l'Autriche, la Belgique, l'Italie – du moins je l'espère –, la Pologne et d'autres pays se sont prononcés contre l'accord ou ont indiqué qu'ils s'abstiendraient. Je ne suis pas devin et je ne connais pas la stratégie d'Ursula von der Leyen,…
M. Jean-Paul Lecoq
Il sera scindé, comme le Ceta !
Mme Annie Genevard, ministre
…mais je suppose que l'accord peut être scindé en un accord commercial et un accord-cadre. Dans cette hypothèse, il s'agirait soit de constater une minorité de blocage, déterminée selon des règles précises – un tiers des pays membres, un tiers de la population communautaire –, soit d'empêcher l'adoption de l'accord à la majorité – l'abstention trouverait alors tout son intérêt.
Je ne me bats pas pour des compensations, mais bien pour que cet accord ne soit pas conclu. Certaines dispositions, relatives à des productions industrielles ou même agricoles, sont intéressantes, et vous observerez que les filières concernées restent, par solidarité, très discrètes. En revanche, d'autres dispositions sont mauvaises, notamment celles relatives aux filières sucre, volaille et éthanol. C'est pourquoi nous devons continuer d'affirmer notre opposition ferme à l'accord.
M. le président
La parole est à M. Éric Michoux, pour le groupe UDR.
M. Éric Michoux (UDR)
Ma question porte sur l'application tous azimuts du principe de précaution en matière agricole, parfois jusqu'à détruire des filières d'excellence. Je veux notamment vous parler de la volaille de Bresse, la plus belle des volailles du monde, et de son marché de Louhans.
Il y a vingt ans, la filière produisait 1 400 000 volailles, contre 800 000 seulement aujourd'hui. Depuis 2000, le nombre d'éleveurs a été divisé par deux. L'une des raisons de cette situation est l'application absurde du sacro-saint principe de précaution, devenu principe d'inaction, d'immobilisme et parfois de régression.
L'exemple de l'arrêté préfectoral pris par Didier Lallement pour fermer le marché de Louhans est éclairant. Face à l'apparition d'un foyer isolé de grippe aviaire touchant les oiseaux migrateurs au sud de Moscou, le gouvernement a décidé de mesures de protection généralisée des élevages. Bien que le risque de contamination des volailles par les oiseaux migrateurs ait été négligeable, il a considéré que le principe de précaution imposait de renforcer les mesures de surveillance et de protection. En pratique, on a donc fermé le marché de Louhans et imposé le maintien des volailles dans leurs élevages ! Le rassemblement d'oiseaux vivants dans les foires, les marchés et les expositions a été suspendu sur l'ensemble du territoire.
À cause de quelques oiseaux à Moscou, on ferme le marché de Louhans. Chaque année, c'est la même chose ! Voilà une illustration éclatante des conséquences dévastatrices de l'application du principe de précaution.
Madame la ministre, vous avez fait de la pause dans l'application des normes un cheval de bataille, ce qui mérite d'être salué. Seriez-vous prête, dans une logique transpartisane, à abolir un principe de précaution qui nuit gravement à l'initiative économique, à l'agriculture et à l'industrie, et à lui préférer un principe de responsabilité ou un principe de bon sens ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous faites le défenseur de votre territoire, de la belle volaille de Louhans et de sa foire – vous m'en avez déjà parlé –, mais soyons clairs : la résurgence de l'influenza aviaire porte en elle les germes de désordres et de dangers majeurs ! En 2021, il a fallu abattre tous les canards. Pourquoi ? Car ils véhiculent la maladie !
Pourquoi est-il question d'oiseaux migrateurs ? Vous soulignez que les oiseaux repérés en Russie sont peu nombreux, mais le problème qu'ils posent n'est pas négligeable pour autant. Sans confinement, les volailles pourraient être contaminées par les oiseaux migrateurs, ce qui provoquerait une flambée épidémique que nous ne maîtriserions pas ! En 2021, il a fallu consacrer plus de 1 milliard d'euros au sauvetage de la filière du canard en France.
Vous faites non de la tête,…
M. Éric Michoux
En effet !
Mme Annie Genevard, ministre
…mais sachez que la résurgence de l'influenza aviaire est la conséquence d'un défaut de biocontrôle. Sachez aussi que notre politique sanitaire et notre filière sont regardées par des pays où flambe l'influenza aviaire. Nous devons donc être très vigilants, car si nous n'y prenons pas garde, toute la filière pourrait en souffrir. Vous viendriez alors me supplier d'indemniser ses acteurs, par crainte qu'il n'y ait plus aucun producteur de volailles à l'avenir !
M. Éric Michoux
On a déjà perdu la moitié des producteurs !
M. le président
La parole est à M. Bartolomé Lenoir, pour le groupe UDR.
M. Bartolomé Lenoir (UDR)
Une nation qui n'est plus capable de nourrir son peuple n'est ni libre ni indépendante. Plus que jamais, notre souveraineté alimentaire est stratégique. Les agriculteurs travaillent non seulement pour leur famille, mais aussi pour la France.
Comment tolérer que les agents de l'OFB se rendent armés dans leurs exploitations ? Quel est ce pays qui traite ainsi ceux qui le servent ?
Répondre à la crise que traversent les agriculteurs est une urgence, pour eux-mêmes, mais aussi pour la France. Il faut agir dès maintenant pour qu'ils ne meurent pas – c'est bien de cela qu'il s'agit –, mais cette réponse doit être massive, afin que dans cinq, dix ou vingt ans les agriculteurs puissent encore vivre dignement de leur travail, sans avoir à demander de l'aide.
Les agriculteurs ne prennent pas plaisir à manifester : leur appel est celui d'un peuple qui ne veut pas mourir ! Il faut traiter le fond du problème, sans quoi notre État surendetté ne parviendra pas à panser ses plaies. Que ferez-vous pour que les bureaucrates des administrations françaises et européennes posent enfin leurs crayons et se concentrent sur le dépistage plus précoce de la FCO et de la MHE ? Sans cela, les agriculteurs seront encore en crise à l'automne prochain !
Que ferez-vous pour qu'Ursula von der Leyen et ceux qui dirigent l'Europe la servent plutôt qu'ils ne la trahissent ?
Sans cela, demain, les agriculteurs seront encore en crise. De par notre histoire, le lien qui existe entre les Français et leurs agriculteurs est unique au monde. L'élevage et la culture font partie de notre identité. Quand la France se résoudra-t-elle à les défendre pour que, dans vingt ans, nos enfants puissent encore s'émerveiller en apercevant dans le lointain un agriculteur labourant son champ ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous posez la question de la souveraineté. Pas plus que vous, je ne peux me satisfaire qu'en France, la moitié des fruits et légumes, et même 70% des fruits consommés, n'y soient pas produits. Notre perte de souveraineté alimentaire est dramatique car, l'alimentation étant stratégique, elle peut devenir une arme. On l'a bien vu à propos du blé dans le conflit russo-ukrainien.
Nous nous sommes habitués à vivre dans un monde en paix, à accéder à l'alimentation en tout lieu du territoire, sans nous soucier de sa provenance, mais qu'arriverait-il si, demain, nous ne devions compter que sur nous-mêmes ? Rappelez-vous ce qui est arrivé pendant la crise du covid : nous n'avions pas de vaccins ! Tout ce qui nous fait perdre de la souveraineté nous met en danger et nous fragilise. Or l'alimentation est tellement vitale qu'on doit y prêter une attention toute particulière.
Je ne peux donc que partager votre souci de la souveraineté alimentaire. Cette question est liée à celle de la concurrence déloyale, que nous créons en nous imposant des normes et en surtransposant, mais aussi en important des produits de pays extracommunautaires qui utilisent des substances que nous avons interdites sur notre sol depuis bien longtemps. Je pense par exemple au Brésil, où l'usage d'hormones de croissance et d'antibiotiques est autorisé. Lutter contre la concurrence déloyale, c'est aussi œuvrer pour notre souveraineté.
Il nous faut également redonner du sens : la crise agricole est aussi une crise du sens, sur laquelle je veux insister, alors que nous approchons de la fin de ce débat. Cette crise est très profonde. À force de taper sur nos agriculteurs, on en vient à créer chez eux un doute sur le fondement même de leur travail, ce qui est absolument dramatique. Il faut assurer les agriculteurs de notre confiance, de notre fierté et de notre soutien.
M. le président
La parole est à Mme Véronique Besse.
Mme Véronique Besse (NI)
Je souhaite revenir sur la question des contrôles sur les exploitations agricoles, qui faisait partie des revendications lors des manifestations de l'hiver dernier.
Si l'annonce d'un contrôle administratif unique va dans le bon sens, les contrôles dans les exploitations restent toujours source d'anxiété pour les agriculteurs. Il faut trouver les moyens de passer d'un système de suspicion permanente à un système de confiance. Un récent rapport du Sénat a mis en lumière les lacunes des contrôles effectués par l'Office français de la biodiversité. Il soulève notamment la question du port de l'arme par les agents de l'OFB, qui est une source de crispation. Le premier ministre a d'ailleurs évoqué ce sujet dans sa déclaration de politique générale.
Par ailleurs, certaines sanctions sont disproportionnées et entretiennent ce climat de méfiance vis-à-vis de notre agriculture. Pour ne prendre qu'un seul exemple, une taille de haie en dehors des périodes autorisées peut conduire à une peine de 150 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement !
Nos agriculteurs ne peuvent pas être traités comme des voyous. Ils ont besoin de sérénité et d'un retour au bon sens dans les décisions politiques, dans les règlements et leur application. Madame la ministre, comment comptez-vous contribuer concrètement à redonner confiance à nos agriculteurs ? Quelles évolutions dans les contrôles et les sanctions allez-vous mettre en œuvre ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Un contrôle mal effectué fait que l'agriculteur perd un peu plus confiance dans les pouvoirs publics et dans son avenir, parce qu'il se sent soupçonné et qu'il a peur. Quelqu'un me disait, lorsqu'on voit arriver un gendarme ou un policier et que l'on n'est pas un délinquant, on est rassuré ; mais quand on est agriculteur et qu'on voit arriver des agents de l'OFB, on a peur. Cela en dit long sur les conséquences d'un contrôle car méconnaître l'interdiction d'une pratique peut valoir de lourdes peines. Je ne reviens pas sur l'exemple des haies, que vous avez évoqué : une amende de 150 000 euros est au-delà du raisonnable. Cela étant dit, c'est ce que les parlementaires ont voté : l'OFB applique la loi.
Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons publié une circulaire relative à l'OFB, qui est sous la cotutuelle de nos deux ministères. Il faut protéger la biodiversité, mais il importe aussi que l'OFB renoue un dialogue normal avec les agriculteurs. Certains agents de l'OFB savent très bien s'y prendre, d'autres non. Et certains agriculteurs, parce qu'ils ont des difficultés, qu'ils sont inquiets ou qu'on leur fait toujours des reproches, peuvent réagir. Il importe de renouer le dialogue entre les deux parties : c'est ce que nous avons clairement demandé à l'OFB dans notre circulaire.
Le contrôle administratif unique inclut l'OFB. Le premier ministre a évoqué la question de l'armement dans sa déclaration de politique générale. C'est une police, elle est armée, mais on peut comprendre que ces armes crispent énormément nos agriculteurs, qui ne sont pas des délinquants.
M. le président
Je vous remercie, madame la ministre. Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 17 janvier 2025