Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Il est 8h32, vous êtes bien sûr RMC et BFM TV. Bonjour Éric Lombard.
ÉRIC LOMBARD
Bonjour Apolline De MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci, merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions ce matin. Vous êtes le ministre de l'Économie et des Finances. Il y a de très nombreuses questions à vous poser : sur le budget bien sûr, la réforme des retraites, les impôts, le pouvoir d'achat, sur la croissance, sur l'emploi. Mais d'abord, je voudrais savoir, au fond, ça vous a coûté combien d'acheter la non-censure du Parti socialiste ? Est-ce que vous avez fait les comptes ?
ÉRIC LOMBARD
Alors, je vais d'abord dire que ce qui a coûté très cher, c'est la censure. Parce que la censure, elle s'est traduite par deux choses. D'abord, une baisse de la croissance, parce que les entrepreneurs qui nous écoutent le savent bien. L'incertitude génère un arrêt des investissements, des recrutements. Et ça, on pense que c'est de l'ordre de 6 milliards d'euros. Et puis des pertes de recettes.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire qu'on a perdu quasiment un demi-point de croissance rien qu'entre Noël et le jour de l'An ?
ÉRIC LOMBARD
On a perdu sans doute 0,3 point de croissance. Donc c'est très coûteux. Et puis 6 milliards d'euros de pertes de recettes, de mesures qui n'ont pas pu être prises, d'ajustements. Donc la première source de difficulté, c'est la censure, qui est un processus démocratique et inattaquable. Ce n'est pas ça que je mets en cause. Mais il a des conséquences économiques qui sont graves. Et à cet égard, le fait que le Parti socialiste n'ait pas voté la censure, au contraire, permettra de relancer l'économie plus vite. Et donc, c'est un accord qui n'est pas coûteux, mais qui va générer de l'activité, qui va générer des recettes.
APOLLINE DE MALHERBE
Enfin, vous dites qu'il n'est pas coûteux. Quand on regarde quand même un petit peu dans les faits, ces dernières 24 heures, vous avez renoncé à un certain nombre de recettes qui étaient prévues, renoncé au non-remboursement des médicaments, promis une hausse du budget des hôpitaux, renoncer à supprimer les 4 000 postes d'enseignants, ne demander finalement que 2,5 milliards aux collectivités territoriales quand ça devait être 5 milliards, renoncer aux deux jours de carence en cas d'arrêt maladie des fonctionnaires. Tout ça, c'était aussi des signaux vis-à-vis du Parti socialiste, pour qu'il ne vous censure pas. Ça a marché, de fait, ça a marché.
ÉRIC LOMBARD
Alors, il y a un certain nombre de ces mesures qui, en réalité, ne relèvent pas des négociations qui, effectivement, ont produit des effets avec le Parti socialiste, mais qui étaient déjà décidées avant. Sur les collectivités locales, le budget de Michel BARNIER prévoyait une baisse de 5 milliards d'euros de leur dotation. Au Sénat, on est arrivé à 2 milliards, on maintient ce 2 milliards, donc ça, c'était déjà acté. Sur la Sécurité sociale, le fait qu'on n'ait pas pu passer de nouvelles règles pour travailler sur une réduction des dépenses ; ça, c'était antérieur, c'est plutôt l'effet de la censure. Et c'est vrai que dans le dialogue avec le Parti socialiste, il y a eu des demandes, il y a eu des demandes notamment sur les retraites. Et ça, c'est un bouger très considérable que le Gouvernement a consenti dans le cadre de la discussion avec le Parti socialiste, mais accepté aussi par les partis qui nous soutiennent, les partis du socle commun, par les Républicains.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous en êtes heureux, Éric LOMBARD, vous, personnellement ? Je veux dire… Vous vous considérez d'ailleurs toujours comme un homme de gauche ?
ÉRIC LOMBARD
Oui, mais ce n'est pas tellement le sujet.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est un peu le sujet quand même.
ÉRIC LOMBARD
Parce que quand on est Gouvernement, on travaille pour l'ensemble des Françaises et des Français. Je suis heureux de la méthode de Gouvernement que le Premier ministre François BAYROU met en place, parce que cette méthode de Gouvernement, elle est basée sur le dialogue. Et en réalité, on parle de l'accord avec le Parti socialiste. Mais la semaine dernière, avec Amélie de MONTCHALIN, à Bercy…
APOLLINE DE MALHERBE
Le ministre du Budget.
ÉRIC LOMBARD
On a reçu 17 partis et groupes. Et on a dialogué avec tous ceux qui sont venus nous voir. Et dans le Nouvel Équilibre, on a pris des mesures qui étaient proposées par tout le monde. Et on a parlé naturellement, et encore plus, avec les partis qui nous soutiennent, avec Ensemble pour la République, avec Gabriel ATTAL, avec Horizons, avec Edouard PHILIPPE, avec LR naturellement. Laurent WAUQUIEZ est venu à Bercy.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous, vous faites partie de ceux qui disent qu'il faut d'ailleurs dialoguer avec tout le monde. Vous répondez oui de manière spontanée, immédiate, quand je vous demande si vous êtes toujours un homme de gauche. L'idée de discuter, y compris avec des représentants du RN, ça vous met mal à l'aise ? Ça vous paraît normal, difficile ? Où est votre limite ?
ÉRIC LOMBARD
La limite, c'est les partis qui ont des représentants élus au Parlement de la République. Ce sont les Français qui décident. Et nous, nous dialoguons avec les représentants des Français. Et donc, effectivement, des représentants du RN sont venus à Bercy dans ces dialogues. Nous avons passé une heure avec eux, comme avec les autres. On n'était pas d'accord, forcément, surtout. Mais ce dialogue, il était complètement légitime. Les seuls qui n'ont pas voulu venir, et je le regrette, c'est La France Insoumise. Mais s'ils veulent revenir, la porte est ouverte.
APOLLINE DE MALHERBE
La porte reste ouverte. Éric Lombard, on va regarder justement dans les détails, notamment ce qu'il reste comme marge de manoeuvre et sur la question centrale, qui est la question de la réforme de la réforme des retraites. Le fameux conclave, il commence aujourd'hui à 11h. Mais il va en réalité commencer à rentrer dans le dur une fois que cette fameuse mission flash aura été rendue publique, la mission flash à laquelle va s'atteler la Cour des comptes, pour avoir un diagnostic et un état actuel, voilà les mots du Premier ministre, un état actuel et précis du financement du système des retraites. Est-ce que vous avez imaginé la possibilité que ce diagnostic soit pire que prévu ?
ÉRIC LOMBARD
Je pense que les chiffres des retraites sont bien connus. Le Premier ministre veut faire faire un bilan par la Cour des comptes parce que c'est un organisme qui est respecté, inattaquable. Mais en réalité, le conseil d'orientation des retraites, le COR, qui est présidé par Gilbert CETTE…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous savez bien que le fait d'avoir choisi la Cour des comptes plutôt que le COR, c'est aussi presque politique. C'est considéré que le COR n'avait pas tout à fait cette neutralité.
ÉRIC LOMBARD
Je ne crois pas que ce soit ça qui soit la raison de cette décision. C'est pour avoir un acteur qui est un acteur, qui est une institution de la République, qui est autonome par rapport au débat passé. Mais le COR aura toute sa place. D'ailleurs, j'ai reçu Gilbert CETTE hier soir. Le COR aura toute sa place dans le débat parce que c'est eux qui vont regarder l'impact des mesures qui vont être prises en compte. Les partenaires sociaux que j'ai vus aussi, évidemment, c'est Catherine VAUTRIN et Astrid PANOSYAN-BOUVET qui vont piloter cela, ministre du Travail et de la Santé. Les partenaires sociaux sont bien au courant des sujets, que ce soit le patronat, que ce soit les syndicats. Et ils sont prêts à avancer. Ils sont prêts à avancer. Donc, c'est important de recaler les éléments de chiffrage. Parce que je rappelle qu'on parle de 14% de la richesse nationale. Donc, c'est évidemment très, très important. Mais le délai court fixé par le Premier ministre, en fait, correspond au délai demandé par les partenaires sociaux eux-mêmes.
APOLLINE DE MALHERBE
Trois mois.
ÉRIC LOMBARD
Parce qu'ils se sont vus beaucoup, en fait. En réalité, ils se voient tout le temps. Et donc, je pense qu'ils peuvent embrayer. Et si la mayonnaise prend, ça nous permettra probablement une belle avancée sociale et politique.
APOLLINE DE MALHERBE
Une belle avancée sociale et politique, ça irait jusqu'où ? Quel est votre souhait à vous et votre conviction, Éric LOMBARD ?
ÉRIC LOMBARD
Ma conviction, c'est que c'est la responsabilité des partenaires sociaux. Et leur choix, évidemment, en respectant l'équilibre financier, mais ils le savent très bien, sera le choix qui, de mon point de vue, s'imposera à tous.
APOLLINE DE MALHERBE
Si l'on peut renoncer aux 64 ans, vous estimerez que c'est une bonne chose ? Si on y arrive ? Si l'économie globale le permet ?
ÉRIC LOMBARD
Il me semble qu'à ce stade, les responsables politiques doivent se retirer et laisser le champ libre aux partenaires sociaux. Le Premier ministre a dit qu'il n'y a pas de tabou, il n'y a pas de totem. Le champ est libre à la réflexion. Et une fois que le dialogue social, auquel je crois profondément, aura produit ses effets ; je pense que les responsables politiques devront le prendre en compte et prendre les conclusions de ce dialogue social. Nous avons dit que nous proposerions une loi à l'Assemblée nationale, un projet de loi basé sur ces conclusions. Et naturellement, après, l'Assemblée nationale débattra. Mais encore une fois, la prééminence des organisations sociales dans ce domaine me paraît tout à fait importante.
APOLLINE DE MALHERBE
Deux questions précises aussi sur le cadre de ces négociations et de ce dialogue. Est-ce que la question des retraites de la fonction publique sera également au milieu des discussions ? C'est aussi un des enjeux. Le COR, jusqu'à présent, calculait aussi beaucoup sur les questions des retraites du secteur privé. La Cour des comptes, là, va faire un diagnostic global. On sent bien que du côté du patronat, ils n'ont pas forcément envie de rentrer dans cette question-là. Qu'est-ce que vous en dites ce matin ?
ÉRIC LOMBARD
Le mandat va être fixé par Catherine VAUTRIN, mais en réalité, les personnalités qui seront autour de la table ce matin représentent les acteurs privés. Le sujet du public relève d'autres acteurs. Donc, je pense qu'il faut séquencer les choses.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Une autre question qui vient aussi du patronat. Ici même, à ce micro, le patron du MEDEF, Patrick MARTIN, la semaine dernière, disait qu'il y a un autre moyen aussi de trouver de l'argent pour les retraites. Ce serait de renoncer à cette niche fiscale des retraités de 10%. Est-ce que vous y êtes prêt ?
ÉRIC LOMBARD
C'est un autre compte. Moi, je suis attentif à ce qu'on distingue bien tout ce qui relève de la sécurité sociale et des cotisations, et ce qui relève des impôts. La niche à laquelle Patrick MARTIN faisait allusion, c'est le fait que - mais c'est quelque chose de très ancien - les retraités ont droit à une déduction de 10% de leur revenu pour charges professionnelles. Ce qui, évidemment, dans la formulation, est un petit peu étonnant, parce que quand on est retraité, normalement, on n'a plus de charges professionnelles. Mais en même temps, c'est dans le paysage depuis longtemps. Mais ça, c'est du fiscal. Ça, c'est les recettes de l'État. Il me semble que c'est un autre exercice.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est un autre exercice... Mais je vais faire comme si je faisais une pause. Hop, j'ouvre une autre question. Éric LOMBARD, est-ce que vous seriez favorable à renoncer à cette niche fiscale ? Non pas pour financer les retraites, mais dans l'absolu.
ÉRIC LOMBARD
Il y a un sujet qui me paraît important, c'est qu'une partie des équipes des régimes de retraite sont assurées par déversement de l'État. Et dans ces cas-là, on creuse le déficit de l'État pour renflouer le déficit des retraites. Donc, ce type de transfert, pour moi, ne fait pas partie des solutions.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça ne fait pas partie des solutions que vous mettez sur la table pour trouver des solutions.
ÉRIC LOMBARD
Et si l'État, qui par ailleurs est lui-même en déficit, trouve des solutions en augmentant tel ou tel impôt… parce que là, en l'occurrence, ce serait une augmentation d'impôt. Ce n'est pas quelque chose qu'on aime beaucoup, mais on pourra réfléchir à tout cela de façon ouverte. Mais ça, c'est sur le compte État. En termes politiques, je pense qu'il faut bien distinguer, notamment devant nos auditeurs qui connaissent bien ces sujets, il y a les collectivités locales, il y a l'État, il y a la sécurité sociale. Ce sont trois sujets qui sont différents et il faut essayer de ne pas trop les mélanger.
APOLLINE DE MALHERBE
Et trois comptes en banque en quelque sorte différents.
ÉRIC LOMBARD
Exactement.
APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, vous qui êtes donc le nouveau ministre de l'Économie et des Finances, vous avez dit qu'augmenter les impôts, c'est un truc qu'on n'aime pas bien. Qu'est-ce que vous pouvez dire aux Français qui nous écoutent ce matin sur la question de l'augmentation des impôts ? Il y en aura forcément. Est-ce qu'il s'agira uniquement d'augmenter les impôts des très grandes entreprises, des entreprises qui ont gagné le plus d'argent l'an dernier ? Est-ce que ça va toucher les ménages ? Lesquels ? À partir de combien ?
ÉRIC LOMBARD
Nous n'allons pas toucher les ménages. Au contraire, grâce à la décision du Parti socialiste de ne pas nous censurer, cette décision va aller jusqu'au budget, ce que je crois, nous pourrons réindexer ce qu'on appelle le barème. Sinon, 18 millions de personnes voyaient leurs impôts augmenter.
APOLLINE DE MALHERBE
Mécaniquement, parce que le budget avait été reconduit par cette fameuse loi spéciale.
ÉRIC LOMBARD
Parce qu'on ne pouvait pas toucher au barème dans la loi spéciale. Là, grâce au budget, on va toucher au barème ; ce qui fait que le nombre de Français imposables ne va pas changer et les impôts prendront en compte l'inflation. On ne va pas augmenter les impôts de la plupart des entreprises, des PME, des artisans auxquels nous sommes très attachés.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y aura quand même une participation exceptionnelle.
ÉRIC LOMBARD
J'y reviens. Le ministère des Finances, c'est aussi le ministère des Entreprises. C'est beaucoup le ministère des Entreprises. On veut protéger les entreprises, on veut protéger le développement, on veut protéger l'emploi de cette façon et donc on ne souhaite pas augmenter les impôts des entreprises. Il y avait dans le budget de Michel BARNIER une surtaxe prévue pour deux ans pour les grandes entreprises. D'abord, nous considérons que cette surtaxe qui a été votée et que nous conservons, on ne va l'appliquer que pour un an.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous réduisez d'un an la participation exceptionnelle ?
ÉRIC LOMBARD
On va réduire d'un an. On trouvera d'autres solutions dans le budget. La participation exceptionnelle est ramenée à un an. Il y avait aussi une participation exceptionnelle sur les hauts revenus qui devaient rapporter 2 milliards d'euros. On la garde dans le budget pour le moment. On pense qu'il pourrait être plus intelligent et plus équitable d'ailleurs de la ramener à une contribution qui serait différentielle, qui ne serait pas un impôt nouveau sur les hauts patrimoines, qui serait surtout une mesure anti-optimisation, vous savez, pour ces personnes qui ont un patrimoine important, qui est logé dans des holdings. Je précise, on ne parle pas de l'outil de travail. Nous souhaitons protéger l'outil de travail.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est très important ce que vous êtes en train de dire, Éric Lombard. Ça veut dire que cette taxe qui était envisagée, il me semblait avoir compris que les Français qui déclarent seuls 250 000 euros de revenus par an ou en couple, 500 000 euros, allaient devoir verser un impôt supplémentaire.
ÉRIC LOMBARD
Oui, mais cette taxe qui était aussi différentielle avait un inconvénient, c'est qu'elle augmentait le taux des techniques de l'impôt sur les plus-values et sur les dividendes, qui pouvaient, pour certaines personnes, dépasser les 40%. Et ça, je trouve qu'en termes de compétitivité, ça nous mettait en dehors du jeu, alors que le travail que nous allons mener, il y aura une concertation avec les entrepreneurs.
APOLLINE DE MALHERBE
En fait, vous allez faire une sorte de retour quand même de l'ISF ?
ÉRIC LOMBARD
Non, ce n'est pas un retour de l'ISF parce que l'ISF touche la fortune indépendamment des autres impôts. Nous, nous allons vérifier que chaque Français fortuné paie un niveau d'impôt. Si on ajoute l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les plus-values, l'IFI, l'impôt sur la fortune immobilière, rapporte… est une contribution suffisante au budget de la nation. Mais je le précise, on va mettre cela en débat avec les organisations professionnelles.
APOLLINE DE MALHERBE
En fait, ce que j'entends dans votre voix, c'est que vous souhaiteriez trouver d'autres solutions que celle-là.
ÉRIC LOMBARD
Absolument.
APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, vous l'avez vu, le CAC 40 a versé un record de dividendes. Est-ce que ça, ça ne vous interroge pas ? Et j'en veux aussi pour preuve ce que vous écriviez lorsque - avant d'être ministre - vous aviez publié ce livre qui s'appelait « Au coeur de la finance utile. » Vous aviez eu cette phrase, vous aviez dit " Le libéralisme profite toujours aux plus puissants. " Est-ce qu'il faudrait renoncer à ce libéralisme-là ?
ÉRIC LOMBARD
Alors, le libéralisme, ce que j'appelle plutôt l'économie de marché, c'est la meilleure façon de créer des ressources. Et toutes les entreprises le savent bien. La création de richesse vient des entreprises. Après, on a deux questions. On a une question de partage de ces richesses. Et donc, c'est vrai que si on pouvait trouver des voies et moyens d'améliorer le pouvoir d'achat, notamment des personnes qui gagnent peu, ce serait une contribution utile à l'équilibre du pays. Et puis, on a aussi une autre question : quelle est la principale priorité du moment en réalité ? C'est la transformation écologique. C'est ça l'impératif, le réchauffement climatique est là ; il faut qu'on s'adapte. Et ça, ça va demander beaucoup d'investissements qui sont des investissements qui ne sont pas toujours rentables. Et ça risque de conduire - et il faut l'accepter - à une baisse de la rentabilité des entreprises, parce que pour le dire simplement...
APOLLINE DE MALHERBE
À court terme, vous voulez dire ? Une sorte d'adaptation, de temps d'adaptation ?
ÉRIC LOMBARD
À moyen terme. Le meilleur investissement qu'on puisse faire pour l'économie, c'est l'investissement climatique. Pourquoi ? Parce que le dérèglement climatique, sinon, va tuer l'économie. Mais cet investissement à court terme, il peut peser sur la rentabilité. Et donc il faut accepter deux mouvements dans les années qui viennent, mais qui doivent être le fait de ce que j'appelle un nouveau consensus économique pour qu'il y ait un meilleur partage, et au profit de la planète, et au profit des personnes.
APOLLINE DE MALHERBE
J'ai encore de très nombreuses questions sur l'emploi, sur la question de la croissance. Mais vous avez dit, à l'instant, qu'il fallait tenter de privilégier des solutions qui permettent de ne pas toucher au pouvoir d'achat des Français. Vous allez toucher au Livret A ? Et le Livret A, c'est aujourd'hui le placement préféré des Français. Le rendement va passer de 3% à 2,4%. Est-ce que ça, franchement, ce n'est pas une forme d'impôt déguisé, ou en tout cas de moindre rendu pour les Français ?
ÉRIC LOMBARD
Je me permets d'être d'accord avec vous. Ce qui est prévu depuis de nombreuses années pour le Livret A, c'est une formule. Une formule qui permet que ça échappe aux décisions politiques. Et cette formule vise à protéger le pouvoir d'achat des Français. Elle est basée notamment sur l'inflation. Le gouverneur de la BANQUE DE FRANCE m'a proposé d'appliquer la formule qui donne 2,4%. Je rappelle que l'inflation se rapproche de 1%. Donc ça protège le pouvoir d'achat. Mais je suis très attentif au patrimoine qui est modeste, nécessairement des personnes qui ont moins de patrimoine et qui ont un Livret d'épargne populaire. Et à cet égard, les gens qui ont un Livret d'épargne populaire, on n'applique pas la formule, on fait plus ; on va maintenir… enfin, on va proposer un taux de 3,5%. Donc le rendement pour ces personnes plus modestes sera beaucoup plus élevé que le Livret A. Et les banques ont accepté de faire une campagne pour que les personnes qui sont éligibles au LEP, cela leur soit proposé.
APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, vous avez commencé à imaginer la suite à partir d'une croissance qui, certes, a été baissée par rapport aux prévisions d'il y a un an, mais qui reste à 0,5% au-dessus de ce que la plupart des économistes disent. Est-ce que vous ne prenez pas le risque, Éric LOMBARD, que votre budget soit jugé insincère, voire même qu'on puisse vous faire, dans six mois, dans un an, le reproche qu'on a pu faire à votre prédécesseur, Bruno Le MAIRE, en se disant : " au fond, ils nous ont caché que ça allait être très mal " ?
ÉRIC LOMBARD
Ça ne va pas très mal. La croissance sur laquelle le budget de Michel BARNIER était construit, c'était 1,1%. La BANQUE DE FRANCE considère que cette année, on aura 0,9%. C'est ce chiffre que nous prenons. Nous allons ajuster par rapport au projet de budget.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais l'OFCE dit probablement plutôt 0,6-0,5.
ÉRIC LOMBARD
Le consensus de place, il est à 0,8. Je considère qu'en étant à 0,9, nous sommes tout à fait dans la réalité. Mais surtout, moi, je veux attirer votre attention sur quelque chose. Grâce à la décision d'hier, nous aurons un budget. Et c'est ça qui est essentiel. En réalité, qu'est-ce qui a pesé sur la croissance ? C'est l'absence de budget, c'est l'incertitude. Le fait qu'il y ait un budget, qu'il soit en plus un budget où il n'y a pas de nouveaux impôts, va rassurer les entrepreneurs, va rassurer les chefs d'entreprise, va rassurer les artisans.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous pensez qu'au fond, finalement, c'est l'inverse, c'est que la croissance pourrait même être plus grande que ce que vous prévoyez ?
ÉRIC LOMBARD
D'autant que la BANQUE CENTRALE EUROPEENNE et la BANQUE DE France… Et François VILLEROY De GALHAU qui est souvent sur les ondes a présenté la politique de la BANQUE CENTRALE EUROPEENNE, va poursuivre la baisse des taux. Donc la baisse du coût de financement de l'économie va se poursuivre. Et donc nous pensons qu'avec tout cela, on pourra probablement faire mieux. Le budget que nous préparons est un budget où il n'y a pas de hausse d'impôts. Donc tout cela va soutenir la croissance. Et notre priorité, dans le moment, c'est la croissance, ce sont les entreprises, c'est la protection de l'emploi.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais Éric LOMBARD, quand vous dites la décision qui a été prise hier, montre que nous aurons un budget. Est-ce que vous ne vendez pas la peau de l'ours un petit peu avant de l'avoir tué, si je peux me permettre ? Parce que le Parti socialiste a dit : " on ne censure pas a priori " mais il ne s'interdise pas de censurer dans un mois, comme cela avait pu être le cas d'un Michel BARNIER.
ÉRIC LOMBARD
Nous allons continuer à débattre avec tous les partenaires. On peut dire que la décision du Parti socialiste hier est basée sur des engagements que le Premier ministre a pris à l'égard d'ailleurs de tout le Parlement, des Françaises et des Français, qui calent en fait les éléments les plus importants du budget. Sur le budget, je pense - mais ça c'est au Parti socialiste d'exprimer son point de vue - que nous avons un accord.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez tout faire, disons, il n'y aura… vous ne leur donnerez pas d'ici là de raison d'y renoncer ?
ÉRIC LOMBARD
Bien sûr, l'engagement qui a pris sera tenu. Et si j'ai bien entendu le discours d'Olivier FAURE hier à la tribune de l'Assemblée nationale, et j'étais devant lui au premier rang à côté du Premier ministre. Il a évoqué la possibilité que le Parti socialiste vote la censure, peut-être s'il n'est pas d'accord avec les conclusions sur les retraites ou sur d'autres sujets. Il ne l'a pas évoqué sur ce budget-là. Donc évidemment, ça n'est pas acquis, nous serons attentifs, nous maintiendrons… La question de dialoguer avec tous les partis, ça sera la marque de fabrique de mon ministère, du ministère de l'Economie et des Finances, où je rappelle d'ailleurs que nous sommes six, quatre femmes et deux hommes, pendant toute la durée de mon mandat. Parce que le ministère des finances doit être un ministère ouvert, et donc la porte sera ouverte tout le temps, ce qui permettra de répondre aux besoins exprimés par les uns et par les autres.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous dites d'ailleurs que vous continuez à l'ouvrir, y compris à LFI. Donc vous avez vu que la réaction vis-à-vis du Parti socialiste et du fait de ne pas avoir censuré le Gouvernement était quand même d'une très grande violence, virulence en tout cas. Ça ne vous a pas surpris ?
ÉRIC LOMBARD
Oui, j'étais dans l'hémicycle. Si ; moi, je considère que la violence des propos n'est pas indispensable dans la vie démocratique, mais c'est la liberté de chacun.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci Éric LOMBARD d'être venu ce matin répondre à mes questions, et de nous donner de très nombreuses informations sur le contenu, à la fois le contour de ce dialogue autour de la réforme des retraites, mais aussi plus globalement sur la question des impôts et de la croissance. Merci à vous donc Éric LOMBARD, nouveau ministre de l'Économie et des Finances.
ÉRIC LOMBARD
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 janvier 2025