Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec RTL le 19 janvier 2025, sur le cessez-le-feu à Gaza, les deux otages franco-israéliens, la résolution du conflit israélo-palestinien et les relations avec les États-Unis.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL

Texte intégral

Q - Bonsoir, Benjamin Haddad. Avant de parler de Donald Trump et des Etats-Unis, tout d'abord, votre réaction évidemment au cessez-le-feu et à ces trois premières libérations ? J'imagine que c'est un soulagement ?

R - Un soulagement, un motif d'espoir. Il faut que ce cessez-le-feu soit entièrement mis en oeuvre. Je rappelle que nous avons toujours deux otages français, bien sûr...

Q - Est-ce que vous avez d'ailleurs des infos sur la date possible... ?

R - ... Ohad Yahalomi et Ofer Kalderon. Ils sont sur la liste. Le Président de la République a parlé aujourd'hui aux deux familles. La diplomatie française est extrêmement mobilisée pour leur libération, pour la libération de tous les otages, et s'est mobilisée aussi pour ce cessez-le-feu. Je veux le rappeler, parce que la voix de la France est entendue dans la région. Le Président de la République, avec le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, était au Liban, à Beyrouth, il y a quelques jours. La France a oeuvré, avec nos partenaires américains, pour aussi trouver les conditions d'un cessez-le-feu au Liban. C'est notre responsabilité dans la région, et nous continuerons à être mobilisés pour relancer le dialogue politique, trouver un cadre de sécurité durable pour la région.

Q - D'ailleurs Emmanuel Macron souhaite que l'Autorité palestinienne reprenne la main dans les territoires, notamment Gaza. Est-ce qu'elle peut vraiment le faire ? On a vu sur les images aujourd'hui que le Hamas n'est pas mort.

R - La voie de la France, ça a toujours été de trouver ce cadre politique d'une solution à deux Etats, qui respecte intégralement la sécurité et l'existence d'Israël - le Président de la République l'a redit aujourd'hui : il faut empêcher d'autres massacres comme celui qui a eu lieu le 7 octobre [2023] - et un Etat palestinien souverain. Et la France continuera à être mobilisée. Il y a une conférence bientôt qui est organisée entre la France et l'Arabie saoudite pour se mobiliser, précisément, pour la reconstruction et une direction politique vers la souveraineté et l'Etat palestinien. Il faut effectivement que l'Autorité palestinienne puisse retrouver son autorité dans ces territoires.

Q - En tout cas, vous confirmez bien que les deux franco-israéliens, Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi, sont dans la liste des 33 qui devraient être libérés dans ce premier round, disons, de l'accord de paix ? Mais on n'a pas de précision sur la date ?

R - Pas pour l'instant. Mais en tout cas, effectivement, on se mobilise pour leur libération.

Q - Donc, Donald Trump. Il sera investi demain à Washington, pour la cérémonie. Tout d'abord, tiens, parlons-en : cérémonie qui, traditionnellement, se passe en l'absence de dirigeants étrangers. Il a rompu avec ce dogme. Il a invité notamment la Première ministre italienne - d'extrême droite, disons-le -, Giorgia Meloni, le Premier ministre hongrois, Victor Orban. Est-ce que ces deux dirigeants sont aujourd'hui les premiers interlocuteurs des Américains ? Et est-ce que ce n'est pas un risque de division pour l'Europe ?

R - Je crois qu'on sera plus forts tous ensemble, si nous restons unis. Evidemment, il y aura des risques. On va voir Donald Trump et d'autres essayer de nous diviser. Mais sur les grands enjeux comme les négociations commerciales, si on veut pouvoir peser, si on veut pouvoir assumer des rapports de force et défendre nos intérêts, nous avons intérêt à rester unis. Vous savez, Donald Trump, le Président de la République le connaît bien. Une relation de travail avec lui s'est développée lors de son premier mandat. Il est d'ailleurs venu à la cérémonie de Notre-Dame. Il y a une rencontre qui a été organisée par le Président [de la République] avec le président Zelensky. Donc nous continuerons à travailler bien sûr avec les Américains, qui sont nos alliés. Mais Donald Trump va défendre ses intérêts. Il va le faire de façon très brutale, en assumant des rapports de force.

Q - Est-ce qu'il n'est pas déjà un peu en train de fissurer l'Europe, en privilégiant ces deux dirigeants qui sont des populistes nationalistes ?

R - On a eu nous-mêmes des échanges, comme je vous le disais, avec Donald Trump, et même une rencontre qui a été organisée avec le président Zelensky. Mais une fois de plus, sur ces grands sujets, que ce soit la sécurité de l'Europe, avec la défense de l'Ukraine, que ce soit sur les sujets commerciaux, où on est sous la menace de tarifs douaniers, sur tous ces enjeux, c'est en étant unis que nous serons plus forts.

Q - Un dernier mot, justement, de l'aspect politique de la chose. Pour les Français invités, en dehors de l'ambassadeur de France - ce qui est normal -, qu'est-ce que vous pensez, vous, du casting ? Eric Zemmour, Sarah Knafo, Marion Maréchal, Louis Aliot, ou encore Louis Sarkozy... Casting assez à droite, quand même ?

R - Quand je vois Eric Zemmour se précipiter pour aller faire des courbettes devant Donald Trump, c'est assez ridicule et humiliant. On a ici des souverainistes, des nationalistes, mais qui se précipitent... qui iront dire demain à nos agriculteurs, à nos viticulteurs, si précisément on a ces menaces de mesures commerciales contre nos intérêts... Nous, on défendra les intérêts de la France. L'intérêt de la France, c'est d'avoir une Europe unie, qui assume de défendre sa souveraineté, qui travaille avec les Américains pour défendre nos intérêts en commun. Mais notre seule boussole, ce sera l'intérêt de la France et des Français, pas d'aller se précipiter vers les uns et les autres.

Q - Vous l'avez dit, il y a ces menaces. D'ailleurs, il n'a pas caché ses intentions, Donald Trump. Encore vendredi : menaces de taxes douanières de l'Union Européenne si elle ne réduit pas son énorme déficit commercial avec Washington en lui achetant du pétrole et du gaz. On va s'exécuter et on va acheter le gaz et le pétrole américains ?

R - Je pense que ce serait une énorme erreur de commencer à arriver dans une négociation qui s'ouvre en faisant des concessions unilatérales et en disant : "On va acheter américain, du gaz ou des armes" pour essayer d'apaiser. Je crois qu'on sera respectés que si on est forts. Nous avons des intérêts commerciaux. L'Europe commence enfin à sortir de sa naïveté. Pendant longtemps, on était un peu les derniers dindons de la farce de la mondialisation. Et sous l'impulsion - je le dis, beaucoup - de la France, du Président de la République depuis le discours de la Sorbonne en 2017, nous nous dotons d'instruments commerciaux. Pas plus tard qu'il y a quelques mois, l'Europe a fixé des tarifs douaniers contre l'industrie du véhicule électrique chinois parce qu'il y a eu une enquête qui a démontré que la Chine subventionnait massivement son industrie de véhicules électriques au détriment de la nôtre, eh bien on a imposé des tarifs douaniers. Ça, il y a quelques années, l'Europe en était incapable. Elle attendait des processus interminables à l'OMC, tandis que les autres, que ce soient les Américains ou les Chinois, ne s'en privent pas. Donc on commence progressivement à sortir de cette naïveté, mais là, tout le message que fait porter la France, c'est de dire que le protectionnisme n'est dans l'intérêt de personne, que nous voulons des échanges commerciaux avec nos partenaires mais, précisément, pour empêcher de se retrouver sous la coupe de tarifs douaniers, il faut aussi dire qu'on sera capables de répondre et de se défendre aussi, le cas échéant.

Q - Ça veut dire qu'il faut s'affranchir des règles sur le commerce international ? C'est ce que dit Laurent Saint-Martin, votre collègue du gouvernement, ministre délégué chargé du commerce extérieur. Il dit : "L'Union européenne ne peut pas rester le dernier joueur à respecter les règles si les autres décident de les ignorer".

R - Oui, je suis d'accord avec Laurent Saint-Martin. Les règles du jeu changent. Vous avez d'autres acteurs qui ne respectent pas des règles qu'ils ont parfois eux-mêmes écrites, comme les Etats-Unis avec les accords de Bretton Woods. À un moment, pourquoi est-ce que nous, on se tirerait des balles dans le pied ?

Q - Donc, ça veut dire guerre commerciale tous azimuts ?

R - Non, encore une fois, ce n'est pas dans l'intérêt de personne. Le protectionnisme et la guerre commerciale, ce n'est pas dans notre intérêt. Mais ce que je vous dis, c'est qu'il ne faut pas être naïfs et qu'il ne faut pas tendre l'autre joue quand on vous met sous pression. Donc, à un moment, donnons-nous les moyens de défendre nos intérêts, de protéger par exemple nos industries, nos agriculteurs, nos entreprises qui pourraient être menacées.

Q - Mais concrètement, par exemple ?

R - L'Union européenne, je voudrais le rappeler, c'est quand même un marché unique de 450 millions d'individus. C'est l'une des premières économies au monde. On est capables de peser, on est capables d'assumer des rapports de force. Et donc à un moment, ce qu'il faudra, c'est la volonté politique, et ça c'est le message que portera la France.

Q - Donc réciprocité ?

R - Réciprocité, encore une fois, si ces mesures sont mises en oeuvre. Mais la meilleure façon de l'éviter, c'est précisément de dire que nous serons capables de nous défendre et de répondre.

Q - Quand Donald Trump annonce - et on dit qu'il fait ce qu'il annonce - qu'il y aura des droits de douane de +10% à +20% sur l'ensemble des produits étrangers, donc y compris ceux venant d'Europe, qu'est-ce qu'on va faire alors, concrètement ?

R - Si on en arrive là, on a, encore une fois, des mesures de rétorsion possibles au niveau européen. Je veux vous parler de ce qu'on a fait avec l'industrie du véhicule électrique chinois. Mais je voudrais quand même dire que lors du premier mandat de Donald Trump, il y a eu déjà ces menaces face à l'Union Européenne, et nous avons su négocier en montrant que l'Europe, encore une fois, est capable de peser. C'est le message que nous porterons. Et une fois de plus, pour revenir à votre question initiale, on sera beaucoup plus forts si on arrive à 27. Aucun pays européen n'aurait à gagner à une guerre commerciale ou à la division, à faire cavalier seul vers Washington.

Q - Il y a un sondage qui montre, un sondage Ipsos...

R - Et c'est d'ailleurs le message, je voudrais dire, que j'ai fait passer. J'étais à Rome cette semaine, où j'ai rencontré mon homologue italien, qui travaille dans l'équipe de Mme Meloni. J'étais le lendemain en Lituanie. Et c'est bien sûr le message que j'ai passé à mes partenaires.

Q - Message d'unité. Il y a 6 Français sur 10 qui n'ont pas confiance en l'aptitude de l'Europe à protéger son économie. Mais je voudrais juste vous interroger sur ce même sondage, qui montre que 64% des Français estiment que le retour de Trump à la Maison-Blanche aura une influence négative sur les liens entre Paris et Washington. Est-ce que vous faites partie de ceux-là ?

R - Moi, j'espère que ce sera une opportunité pour le réveil stratégique des Européens. J'espère que les Européens vont investir massivement dans leur défense commune, dans la coopération industrielle, vont se donner les moyens de relancer leur compétitivité et que ce qu'on est en train de voir dans la concurrence internationale doit servir de révélateur. Depuis 30 ans, les Etats-Unis ont généré deux fois plus de PIB par habitant que l'Europe. Quand, sur des sujets comme l'intelligence artificielle, le numérique, le quantique, la défense, quand d'autres ont investi et innové, nous avons régulé. Et bien ça doit être effectivement le réveil pour investir, pour commencer à simplifier toutes les normes qu'on s'est imposées, qu'on a imposées à nos entreprises, et pour relancer - encore une fois, puisque c'est une opportunité immense, ce marché unique européen - notre compétitivité. C'est au coeur de mon agenda et des propositions que je fais avec mes partenaires, précisément pour que l'Europe pèse plus dans ces équilibres globaux.

Q - Un dernier mot très rapidement. Il y a un débat aujourd'hui autour du réseau social X, anciennement Twitter. Faut-il en partir ? Vous, vous avez dit que vous vouliez rester, malgré les prises de position d'Elon Musk sur l'extrême droite, etc. Vous y restez parce que vous n'avez pas le choix ? Moi, la question, c'est pourquoi il n'y a pas de réseau social européen ?

R - Vous avez bien sûr raison, c'est la grosse question. Premièrement, on s'est dotés de règles pour lutter contre la haine en ligne, la désinformation, donc il faut les faire appliquer, avec le DSA, c'est le message que nous portons. Mais bien sûr, c'est ce que je vous disais tout à l'heure, c'est un révélateur du fait que nous avons raté des rendez-vous comme les réseaux sociaux, sur le numérique, l'intelligence artificielle. Quand on voit Elon Musk sur le véhicule électrique ou le spatial, la question que je me pose c'est : "Où sont les Musk européens" ? Et donc que ça serve une fois de plus d'appel au réveil, parce que des innovateurs, des entrepreneurs qui veulent prendre des risques, qui veulent créer, on en a. Donnons-nous les moyens de les faire réussir. Encore une fois, l'Europe peut le faire. C'est un vaste marché, il y a des opportunités d'investissement, et maintenant donnons-nous les moyens. C'est le message que portera la France auprès de la nouvelle Commission européenne.

Q - Merci d'être venu le dire ce soir sur RTL, ministre délégué chargé de l'Europe, Benjamin Haddad. Merci encore.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 janvier 2025