Interview de M. Laurent Saint-Martin, ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, à RTL le 23 janvier 2025, sur les relations économiques entre l'Union européenne et les États-Unis.

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Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Et nous sommes donc en direct de Davos avec Laurent SAINT-MARTIN, ministre du Commerce extérieur. Merci d'être en direct avec nous, monsieur SAINT-MARTIN. Vous participez au Forum économique mondial, où Donald TRUMP doit d'ailleurs intervenir en visioconférence tout à l'heure. Est-ce que vous êtes bon au bras de fer, Laurent SAINT-MARTIN ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Bonjour Thomas SOTTO, d'abord. Écoutez, je crois qu'il ne faut pas le prendre comme une question de bras de fer, tout simplement parce que personne n'a intérêt à ce que nous rentrions dans une guerre commerciale.

THOMAS SOTTO
Mais c'est ce qu'il a l'air de vouloir faire, lui, non ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Nous connaissons Donald TRUMP. Vous savez, il a déjà fait un mandat, et le Président de la République, Emmanuel MACRON, a déjà travaillé avec lui pendant 4 ans. C'est un négociateur pur. Et donc il brandit un certain nombre de propos qui peuvent s'apparenter à des menaces, et notamment sur les sujets commerciaux. Mais en fait, il y a beaucoup d'autres sujets. Il y a le sujet de la défense en Europe, il y a beaucoup d'autres sujets. À ce stade, moi, je n'ai pas vu de mesure concrète signée, présentée par Donald TRUMP concernant les barrières tarifaires sur des produits européens. Et ce que je peux vous dire…

THOMAS SOTTO
Pardon, je me permets de vous interrompre…

LAURENT SAINT-MARTIN
Je vous en prie.

THOMAS SOTTO
Parce qu'il a dit que l'Europe est très, très méchante avec les Etats-Unis, on ne leur achète pas assez de produits. Ils sont bons - en parlant des Européens - pour les droits de douane. Pendant sa campagne électorale, il ne vous a pas échappé que Donald TRUMP avait évoqué le chiffre de 10% de droits de douane pour les produits issus de l'Union Européenne. Est-ce que ce serait gérable ? Est-ce que ce serait acceptable, 10% de droits de douane pour les produits européens ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais ça serait d'abord une mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis. Ça créerait un effet inflationniste. Et vous savez que le premier investisseur international en France, par exemple, ce sont les Etats-Unis. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'exportation des produits par les investisseurs américains seraient eux-mêmes pénalisés, sans parler du fait que ça augmenterait les prix une fois les prix arrivés aux Etats-Unis. Et je ne parle pas du fait qu'il y aurait des mesures de rétorsion, c'est-à-dire que l'Europe doit réagir dans ces cas-là.

THOMAS SOTTO
Ça serait quoi ? Ça serait oeil pour oeil, dent pour dent ? S'ils font plus 10, on fera plus 10 ?

LAURENT SAINT-MARTIN
L'Europe, en tout cas, ne doit pas se laisser faire. Ça, c'est très clair, et c'est la voie que porte la France. Et s'il y avait des mesures de ce type-là, il faudrait que l'Europe soit en capacité, sur un certain nombre de produits et de services, de répondre. Et d'ailleurs, on l'a déjà fait sur le premier mandat de Donald TRUMP, et il le sait. Mais encore une fois…

THOMAS SOTTO
On avait monté les taxes sur les HARLEY-DAVIDSON à l'époque, ce qui était quand même assez symbolique, mais qui n'était pas d'une efficacité forcément redoutable.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais ça dépendra de ce que font les Etats-Unis. Encore une fois, la position de l'Europe, il faut toujours partir de ce principe-là. Il ne faut pas que ce soit un sujet anxiogène, mais il faut expliquer que l'Europe doit savoir se défendre, et que l'Europe doit s'affirmer comme puissance économique. Mais l'Europe ne veut pas rentrer dans une guerre commerciale qui n'arrangerait personne et encore une fois, à commencer par les Etats-Unis eux-mêmes. Et si Donald TRUMP n'a pas présenté dans le premier décret des mesures d'augmentation de tarifs douaniers, c'est aussi parce qu'il sait, son administration aussi, que cela a d'abord des conséquences pour les Etats-Unis.

THOMAS SOTTO
Donc pour vous c'est plutôt rassurant qu'il n'ait pas mis ça dans les premiers décrets ? C'est un signe politique, un message qui vous envoie ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui je le crois, et puis surtout ça doit être un réveil pour l'Europe, c'est ça qui est important. On peut regarder Outre-Atlantique et commenter ce que fait chaque matin Donald TRUMP, mais est-ce qu'à un moment, l'Europe va d'abord se concentrer sur elle-même ? Est-ce qu'à un moment, on va profiter de cette séquence qui est l'investiture de Donald TRUMP pour se dire : " En Europe, on doit être plus unis. En Europe, on doit avoir une politique commerciale plus affirmée. En Europe, on doit davantage investir. "

THOMAS SOTTO
Oui, mais l'Europe n'a jamais été aussi polyphonique. Évidemment tout le monde dit... Emmanuel MACRON, hier, appelait une Europe forte et souveraine, mais il y a les pro-TRUMP, il y a les méfiants, il y a ceux qui ne s'entendent pas, il y a ceux qui ne sont pas d'accord. On n'a jamais été aussi loin d'une Europe unie aujourd'hui.

LAURENT SAINT-MARTIN
Eh bien, vous dites que l'Europe n'a jamais été aussi polyphonique, je dis que l'Europe doit être plus que jamais au diapason. Sinon c'est l'affaiblissement de l'Europe qui est en jeu. Et évidemment que Donald TRUMP, en bon négociateur, va utiliser cette faiblesse-là dans ce cas pour chercher des relations bilatérales avec l'ensemble des Etats membres et donc va fragiliser l'Europe. C'est l'inverse qu'il nous faut faire. Nous devons enfin, et peut-être que c'est le réveil… Vous savez l'Europe peut être formidable dans des moments extrêmement sensibles. Souvenez-vous au lendemain de la crise Covid, on a été capable d'investir et de s'endetter ensemble à hauteur de 750 milliards d'euros pour faire un grand plan de relance collectif. Moi, je crois qu'en ce début d'année 2025, c'est aussi le moment pour avoir une voix unie pour se dire " On doit produire en France, on doit produire en Europe, on doit réindustrialiser et produire sur notre continent pour être une force industrielle et commerciale et jouer ce rapport de force. " Sinon, on va regarder le train passer.

THOMAS SOTTO
Mais la réponse à Donald TRUMP, elle sera forcément européenne ou elle pourrait être française si on n'est pas satisfait des mesures prises au niveau européen ? Est-ce que ça sera forcément la même chose ou est-ce qu'on pourra faire entendre notre propre voix si vous le jugez nécessaire ?

LAURENT SAINT-MARTIN
La politique commerciale est d'abord une prérogative européenne et c'est important que ça le reste parce que c'est justement ainsi que nous sommes forts. Il faut que la voix de la France à l'intérieur de l'Europe soit bien entendue. Le Président de la République a exactement la même position depuis maintenant plusieurs années là-dessus. C'est que sans Europe forte - et je vous invite à réentendre tous ces discours qui finalement trouvent aujourd'hui tout leur sens - c'est sans Europe forte, sans Europe unie là-dessus… Encore une fois avec des niveaux d'investissement qui doivent se rapprocher des Etats-Unis. L'Europe n'a pas à rougir. Vous savez qu'il y a plus d'épargne privée en Europe qu'aux Etats-Unis. Vous savez qu'on a un marché de 450 millions d'habitants. Donc notre faiblesse, c'est évidemment ce que vous dites à juste titre, c'est que parfois nous pouvons apparaître comme divisés. Notre faiblesse c'est que nous avons une gouvernance qui peut nous fragiliser. Ça, il faut réussir à le dépasser.

THOMAS SOTTO
Laurent SAINT-MARTIN, est-ce que vous comprenez aujourd'hui, ce matin, ce que veut la présidente de la Commission européenne, Ursula VON DER LEYEN, sur ces questions de droits de douane ? Est-ce que vous le comprenez ? Est-ce que c'est clair dans votre tête ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Ursula VON DER LEYEN a la même position que le Président de la République, à savoir qu'elle est d'abord pro commerce. Elle est d'abord pour la liberté de circulation. Elle n'est pas pour la hausse des droits de douane. Ça c'est la première chose.

THOMAS SOTTO
Il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade ; tout le monde est d'accord. Mais concrètement ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Non mais c'est important pour dire que…

THOMAS SOTTO
Je vous posais une question tout à l'heure. Est-ce que ça sera oeil pour oeil, dent pour dent ? Vous n'avez pas répondu précisément.

LAURENT SAINT-MARTIN
Si ça doit l'être, ça le sera. Si ça doit l'être, ça le sera. Bien sûr, bien sûr. Sinon, ça voudrait dire quoi ? Ça serait un aveu de faiblesse terrible. Il faut que l'Europe, évidemment, soit en capacité de démontrer sa capacité de réponse ferme dans ces cas-là. En revanche, je le répète, l'Europe défend depuis très longtemps et continuera à défendre justement l'inverse. C'est-à-dire que nous puissions avoir un système mondial de commerce international qui permette davantage de prospérité mais aussi d'autonomie stratégique. Vous savez, l'Europe a un excédent commercial avec les États-Unis et c'est bien ce qui ennuie le président des États-Unis là-dessus. Et donc, il ne serait pas acceptable pour l'Europe de voir effectivement ses biens, ses produits, ses services pénalisés pour entrer sur le marché américain. Mais vous comprenez bien qu'il n'y a pas que l'Europe en jeu et dans le viseur de Donald TRUMP. C'est d'abord la Chine le sujet, mais ce sont aussi ses propres voisins le Mexique et le Canada. Et donc, nous devons aussi regarder dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, comment va se dessiner ce nouvel ordre mondial d'un point de vue commercial et s'adapter. Nous devons d'abord proposer un agenda positif aux États-Unis qui reste un pays ami, qui reste un pays allié, mais nous devons nous préparer à ce genre de mesures de rétorsion.

THOMAS SOTTO
Donc, on comprend le message de la fermeté avec un pays ami. Laurent SAINT-MARTIN, il y a quelques semaines encore, vous étiez ministre du Budget. Aujourd'hui, le ministre de l'Economie, Éric LOMBARD, annonce qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, ni pour les salariés, ni pour les retraités. Ça veut dire que même les plus aisés ne payeront pas plus. C'est ça la ligne du Gouvernement aujourd'hui ?

LAURENT SAINT-MARTIN
C'est la ligne qui a effectivement été exprimée. Vous savez, nous pouvons, dans notre pays, réduire le déficit public sans passer par l'impôt, et notamment par l'impôt de nos concitoyens. Il y aura des mesures exceptionnelles de participation, notamment des très grandes entreprises. Il y aura aussi des mesures de justice fiscale pour les plus fortunés de nos concitoyens, notamment sur le patrimoine, mais il n'y aura pas d'augmentation des impôts notamment de ceux qui travaillent.

THOMAS SOTTO
Donc, ça veut dire que c'est équivalent à ce qu'avait proposé le Gouvernement BARNIER quand vous étiez au Budget ? C'est ça ? En gros, il n'y a pas de... Parce qu'on a du mal à comprendre, on lie un peu entre les lignes. C'est à peu près la même chose. Ceux qui ont le plus de patrimoine, qui paient le plus d'impôts, paieront un peu plus, mais il n'y aura pas de nouveaux impôts, c'est ça la ligne ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, la philosophie est effectivement identique. Ce n'est pas par l'augmentation des impôts, et notamment de ceux qui travaillent ou qui ont travaillé, de la classe moyenne, que nous trouverons la solution à la réduction de notre déficit public. C'est d'abord par la baisse de la dépense publique, c'est extrêmement important, et qu'il puisse y avoir des contributions exceptionnelles de très grandes entreprises ; c'est normal, après des années où l'État a protégé notre tissu industriel, notamment pendant la crise Covid, mais l'impôt n'est pas la solution à tout. Il faut absolument se désintoxiquer de cette croyance dans notre pays. C'est ce que nous avions fait effectivement, vous avez raison, déjà lors du budget présenté par Michel BARNIER et c'est effectivement ce que le gouvernement fait aujourd'hui, avec la poursuite de ce projet de loi de finances, qui ne doit pas taper justement nos classes moyennes.

THOMAS SOTTO
Et qui tapera les plus fortunés, on est d'accord… Enfin, qui tapera, si j'en prends votre terme, mais…

LAURENT SAINT-MARTIN
C'est une mesure de justice fiscale, effectivement, pour les plus fortunés d'entre nous.

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup, Laurent SAINT-MARTIN.

LAURENT SAINT-MARTIN
Merci à vous.

THOMAS SOTTO
C'est plus facile d'être ministre du Commerce extérieur ou d'être au budget ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Oh, vous savez, je crois que dans ces temps-là, il n'y a pas grand-chose qui est plus facile. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut qu'on soit concentré, mais quand on est sur ce nouveau temps géopolitique que vous avez bien décrit, on a aussi beaucoup de travail au commerce extérieur, je vous confirme.

THOMAS SOTTO
Merci Laurent SAINT-MARTIN d'avoir été en direct avec nous ce matin.

LAURENT SAINT-MARTIN
Merci à vous.

THOMAS SOTTO
Je rappelle que vous êtes en direct de Davos, où vous participez au Forum Économique Mondial.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 janvier 2025