Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-espagnoles et les questions de politique étrangère, à Paris le 24 janvier 2025.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de M. José Manuel Albares Bueno, ministre des affaires étrangères, de l'Union européenne et de la coopération du Royaume d'Espagne

Texte intégral

Bonjour à toutes et tous,

Cher José Manuel, Monsieur le Ministre,

Je me réjouis de te recevoir aujourd'hui à Paris. Cette visite est d'autant plus significative que nous venons de fêter les deux ans de la signature du Traité de Barcelone, qui scelle l'amitié entre l'Espagne et la France et la projette dans les décennies à venir.

Nous avons fait, lors de notre rencontre aujourd'hui, le point sur la mise en oeuvre de ce traité, qui donne une impulsion exceptionnelle à notre relation bilatérale. Notre coopération est historiquement très dense, dans tous les domaines, et les échanges entre le peuple espagnol et le peuple français sont évidemment très nombreux. Aujourd'hui, deux ans après la signature de ce traité, nous voulons aller plus loin et mettre en oeuvre de nouveaux projets au service de nos citoyens, dans nos deux pays.

L'année 2024 a été ponctuée de moments forts dans notre relation bilatérale et je m'en réjouis. Je veux d'abord remercier l'Espagne, qui a apporté le principal contingent de forces de l'ordre dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques 2024 ; qui s'est également illustré au palmarès des médailles. Nos deux pays ont montré leur très forte solidarité dans les épreuves qu'ils ont tous les deux traversées : je pense à la tempête Dana à Valence, et plus récemment au cyclone Chido à Mayotte.

L'amitié franco-espagnole se construit également au niveau européen. Et sur ce point, notre concertation aujourd'hui sur tous les sujets internationaux et européens montre une très forte convergence de vues et d'ambitions, que ce soit sur l'Ukraine, le conflit au Proche-Orient, la Syrie, la place de l'Union européenne dans le monde ou notre rôle en Méditerranée. Autant de sujets que nous aborderons lundi, lors du Conseil des affaires étrangères à Bruxelles, et qui seront l'occasion de porter nos priorités en commun. À cet égard, les liens d'amitié extraordinaires qui unissent l'Espagne à la France contribuent activement à la construction d'une Europe puissante, prospère et humaniste.

La France et l'Espagne sont plus que jamais attachées au multilatéralisme et accueilleront d'ailleurs cette année trois événements internationaux majeurs : le Sommet pour l'action en matière d'intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris les 10 et 11 février 2025 ; la troisième Conférence des Nations unies sur l'Océan, qui aura lieu à Nice, au mois de juin ; et la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra à Séville, du 30 juin au 3 juillet 2025. Nous aurons par ailleurs d'autres occasions d'échanger à tous les niveaux, à travers la mise en oeuvre de notre traité d'amitié, mais aussi, je l'espère, à travers la tenue prochaine d'un sommet bilatéral, qui pourra consacrer l'ensemble de ces réalisations qu'avec José Manuel nous portons avec beaucoup d'ambition.

(...)

Q - Monsieur le ministre Barrot, je voulais revenir sur l'Algérie. À la suite des derniers développements et autres déclarations dans la classe politique française, est-ce qu'aujourd'hui on va vers une guerre des visas ?

(...)

R - Ni la France ni l'Algérie n'ont intérêt à ce que s'installe entre nos deux pays une tension durable. Nos deux pays voisins, deux grands pays de la Méditerranée, ont vocation à poursuivre le travail engagé en 2022, lorsque le président Tebboune et le Président Macron ont établi et signé une feuille de route qui définissait les termes de notre coopération. Pour une coopération, il faut être deux. C'est pourquoi nous regrettons vivement certaines des attitudes et déclarations qui ont été celles des autorités algériennes. Le Président de la République et le Premier ministre réuniront prochainement les ministres concernés pour évaluer les suites à donner, les mesures à prendre, de manière à ce que nous puissions rétablir les choses et engager la relation entre la France et l'Algérie à la hauteur que nous avions fixée lorsque nous avons établi cette feuille de route.

(...)

Q - Sur les relations avec l'Amérique latine, sur le Mercosur, vous avez une position qui est assez différente, même divergente, concernant l'accord dont la négociation a été finie au mois de décembre. Est-ce qu'il faut attendre que cet accord s'enlise pendant des années et des années, ou est-ce qu'il y a voie pour la sortie de l'enlisement possible, qu'on sait, qui a été le cas ? Est-ce que la nouvelle situation géopolitique avec Donald Trump change quelque chose à la relation d'un pays ou de l'autre concernant cet accord ?

Et puis aussi, sur l'Amérique latine, est-ce que vous avez quelque chose à dire sur ce qu'il faut faire maintenant avec le Vénézuéla, une fois que Nicolas Maduro a pris possession de la présidence ?

R - Je crois qu'avec José Manuel, et entre la France et l'Espagne, il y a une conviction partagée, qui est une conviction très forte, celle de la nécessité pour nous d'établir les meilleures relations avec les pays de l'Amérique du Sud. C'est un impératif pour nos deux pays comme pour l'Union européenne, notamment avec le retour des guerres commerciales, pour pouvoir sécuriser nos approvisionnements et offrir à nos entreprises, nos agriculteurs, nos industries, les débouchés qu'elles peuvent y trouver. Nous avons des discussions sur les termes de l'accord qui a été trouvé par les négociateurs à ce stade, sur la relation commerciale entre l'Union européenne et le Mercosur. De ce point de vue-là, la France, aux côtés d'autres Etats membres, continue d'appeler à ce qu'un tel accord intègre les clauses de sauvegarde, des freins d'urgence, tels que ceux que nous avons mis en place lorsque certaines filières européennes ont été déstabilisées, notamment dans le cours de la guerre en Ukraine. Mais je sais que nous saurons collectivement prendre les bonnes décisions.

S'agissant du Venezuela, je me réjouis qu'avec les 27 Etats membres de l'Union européenne, nous ayons pris à la fois des décisions de sanction, que nous ayons fait des déclarations très claires et très fermes sur la situation. Je vous renvoie à ces déclarations, qui restent tout à fait d'actualité.

(...)

Q - La Hongrie continue à bloquer la prolongation des sanctions européennes contre la Russie. Quelles seraient les conséquences si les sanctions ne sont pas prolongées à la fin du mois ? Est-ce que vous avez un message en particulier pour Victor Orban ? Parce que ça a nuit à l'unité européenne.

Et juste une question très vite sur Gaza : estimez-vous qu'il faudra une force onusienne ou régionale dans la période de transition à Gaza ?

R - Sur le premier point, nous sommes, comme tous les six mois, en train de discuter de la poursuite des sanctions, qui ont permis aux Européens d'immobiliser les actifs russes ; et à partir de ces actifs russes, d'une part d'alourdir le coût de la guerre d'agression russe en Ukraine, et d'autre part, en mobilisant les intérêts générés par ces actifs russes, de financier le soutien indispensable à la résistance ukrainienne. Ces démarches, ces sanctions qui ont été entreprises, ne l'ont pas été pour la beauté du geste : elles l'ont été dans l'intérêt de la sécurité des Européens. Je pense que la Hongrie consentira, comme elle l'a fait par le passé, à reconduire ces sanctions, parce qu'il en va de la sécurité de tous les pays de l'Union européenne, y compris de la Hongrie.

Et quant à Gaza, se pose effectivement, alors que nous accueillons avec soulagement le cessez-le-feu, les premières libérations d'otages, alors que nous attendons avec espoir mais aussi avec inquiétude la libération de nos deux compatriotes, Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi, la question du jour d'après. C'est-à-dire de l'administration de Gaza, lorsque cet accord rentrera dans sa deuxième phase, qui prévoit le retrait des troupes israéliennes. Il faut être ouvert à ce que des missions d'assistance internationale puissent, le cas échéant, apporter leur concours à cette phase importante, qui doit nous ouvrir un chemin irréversible vers une solution politique, la solution à deux Etats, seule susceptible d'apporter durablement la paix et la sécurité dans la région.

(...)

R - Je suis tout à fait d'accord avec José Manuel. Il ne faut pas faire de la politique-fiction. Il faut établir des principes simples. Je partage les deux qu'il vient d'édicter : aucune discussion sur l'avenir de l'Ukraine sans les Ukrainiens ; aucune discussion sur l'avenir de la sécurité européenne sans les Européens. J'en ajouterai un troisième, qui semble avoir été fait sien par la nouvelle administration américaine : il n'y a pas d'accord de capitulation de l'Ukraine qui puisse être en même temps bénéfique pour les Etats-Unis ou pour les Européens. Comme cela vient d'être dit, notre priorité aujourd'hui est de permettre aux Ukrainiens, au moment qu'ils jugeront opportun, d'entrer dans des négociations de paix en position de force. C'est pourquoi nous allons continuer ce que nous faisons depuis bientôt trois ans, c'est-à-dire les soutenir sur le plan financier. Et je relève qu'un premier versement lié au prêt de 50 milliards de dollars agréé en G7 a été effectué le 10 janvier. Sur le plan militaire également, la France va tenir les engagements qu'elle a prise, notamment en matière de livraison de matériel et d'avions de combat. Et puis avec les sanctions, puisque nous discutons déjà d'un seizième paquet de sanctions à l'encontre de la Russie. Comme l'a dit José Manuel tout à l'heure, les sanctions sont l'instrument sans doute le plus puissant pour parvenir à une paix juste et durable pour l'Ukraine.

Quant à ce qui adviendra une fois que la paix aura été trouvée, oui, il faut que les Français, les Espagnols et les Européens s'habituent à l'idée qu'ils vont devoir prendre une part plus importante du fardeau de la prise en main de leur sécurité et de la sécurité du continent européen. Ce n'est pas une idée nouvelle ; nous nous y préparons. C'est d'ailleurs un principe qui est inscrit dans l'Agenda stratégique que le Conseil européen s'est donné au mois de juin dernier. C'est une priorité de la nouvelle Commission. Le cap est fixé, il faut maintenant passer aux actes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2025