Interview de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, à LCP le 28 janvier 2025, sur les discussions concernant le budget, la politique économique, le chômage, les voitures électriques, les relations commerciales avec les États-Unis et la politique industrielle.

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Média : LCP Assemblée nationale

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Bonjour Marc FERRACCI.

MARC FERRACCI
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être notre invité, ministre chargé de l'Industrie et de l'Énergie. On est ensemble pendant vingt minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale, représentée par Fabrice VEYSSEYRE-REDON du groupe ÉBRA, les journaux régionaux de l'Est de la France. Bonjour Fabrice.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Bonjour Oriane. Bonjour Marc FERRACCI.

MARC FERRACCI
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Marc FERRACCI, François BAYROU a donc confirmé, hier, qu'il n'y aurait pas de suppression de postes d'enseignants, pas de 4 000 suppressions de postes d'enseignants, pas de sept heures de travail non-rémunérées comme l'a voté le Sénat. Le compte n'y est pas complètement, c'est ce qu'a dit Patrick KANNER, le patron des sénateurs socialistes après cette interview. Est-ce qu'il faut faire de nouvelles concessions aux socialistes ?

MARC FERRACCI
Je ne parlerai pas de concessions, je parlerai de compromis. On sait que la situation politique nous oblige à faire des compromis. Ce n'est pas d'ailleurs une mauvaise chose parce que ça nous oblige également à changer un peu notre culture politique qui est souvent une culture de l'affrontement, qui est souvent une culture du pugilat parfois. Moi, je suis assez satisfait que les négociations se poursuivent. Le Parti socialiste émet un certain nombre de souhaits, de recommandations, de revendications. Et notre responsabilité au niveau du Gouvernement, c'est celle d'Éric LOMBARD, c'est celle d'Amélie de MONTCHALIN qui mène notamment ces négociations pour le ministère de l'Économie et des Finances, c'est de trouver des voies de passage qui permettent, d'une part, d'équilibrer au maximum nos comptes publics. On sait qu'on va avoir un déficit, on vise 5,4% de déficit. On vise surtout une trajectoire de déficit qui doit nous ramener à 3% en 2029. Et évidemment, trouver les compromis qui permettent de stabiliser l'action gouvernementale, d'obtenir un budget. Je pense que ce besoin de stabilité, il est absolument fondamental. Moi, en tant que ministre de l'Industrie, je vois passer énormément de filières professionnelles, d'entreprises qui sont inquiètes, qui sont préoccupées par l'absence de budget. Ça coûte très cher, à la fois en termes budgétaires et aussi en termes d'incertitudes économiques.

ORIANE MANCINI
C'est-à-dire, quel serait le coût pour l'industrie d'une nouvelle censure ?

MARC FERRACCI
Aujourd'hui, la censure qui a eu lieu en décembre, on sait que budgétairement, sur le simple aspect budgétaire, c'est-à-dire les économies qu'on ne réalise pas, elles coûtent douze milliards d'euros. Il faut rajouter à ça le coût des investissements qui sont suspendus, le coût des recrutements qui ne sont pas faits, le coût de cette incertitude qui provoque de l'attentisme dans la vie économique. Et moi, je vous donne un exemple très concret. En tant que ministre de l'Industrie, je suis notamment chargé du soutien aux entreprises industrielles en difficulté. Pour soutenir les entreprises industrielles en difficulté, j'ai normalement accès à des crédits pour leur faire des prêts, pour leur permettre de boucler des tours de table et de continuer leur activité. Ces prêts, aujourd'hui, je ne peux pas les faire parce qu'il y a un certain nombre de reports de crédit qui ont été bloqués parce que nous n'avons pas de budget. Ça, c'est très concret et c'est des moyens d'intervention en moins qui vont probablement avoir des conséquences économiques sur un certain nombre de dossiers. Voilà le coût de la censure, donc, une deuxième censure, vous en rajoutez une louche, si je puis me permettre. Ce serait évidemment extrêmement, extrêmement délétère, et même catastrophique pour nos entreprises et pour notre économie.

ORIANE MANCINI
Oui et ce chiffre de douze milliards, il est contesté, notamment par Éric COQUEREL, le président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale. Il faut également trouver des recettes. Hier, François BAYROU, il a écarté la taxation des retraités, y compris les plus aisés. Il a raison ?

MARC FERRACCI
Le principe qui a été posé, c'est qu'il n'y a pas d'impôt supplémentaire sur les ménages. Je pense que c'est un principe que l'on peut bien comprendre. C'est un principe qui correspond, d'une part, à ce que souhaite une partie des oppositions et puis qui correspond également, il faut le dire, à ce que souhaite une partie du bloc central dont je suis issu, moi, en tant que ministre de l'Industrie, je suis issu des députés Ensemble pour la République. Le principe de ne pas augmenter les impôts, c'est un principe auquel on est attaché. Ensuite, qu'il y ait un débat à moyen terme, c'est-à-dire dans les mois qui viennent sur le financement de notre protection sociale, moi, je ne suis pas hostile. Je pense que dans la situation dans laquelle nous sommes, à la fois en France, en Europe et au niveau géopolitique, il ne faut s'interdire aucun débat et il ne faut s'interdire aucune réflexion. Mais là, dans le contexte actuel, je pense que c'est effectivement une décision qui a du sens.

ORIANE MANCINI
Édouard PHILIPPE, dimanche, il a dit qu'il fallait revoir le financement de la protection sociale et faire rentrer notre modèle social dans le XXIème siècle avant qu'il ne meure. Est-ce qu'il va falloir travailler plus ?

MARC FERRACCI
Écoutez, moi, j'ai défendu depuis des années le principe selon lequel l'allongement de la vie devait générer un allongement de la vie professionnelle. C'est un principe assez simple, c'est pour ça que j'ai défendu la réforme des retraites. Je l'ai même défendu en étant fidèle aux engagements présidentiels, à savoir une retraite et un âge légal à 65 ans. Ce n'est pas ce qui a été voté, ce n'est pas ce qui a été adopté. Donc moi, je suis, par principe, attaché à cette idée. Vous savez, l'écart de richesse entre la France et les États-Unis, il résulte, pour une très large part, du différentiel d'heures de travail entre la France et les États-Unis. On a 864 heures en moyenne par Français travaillées chaque année et on a plus de 800 heures aux États-Unis. Ça, c'est une explication très claire d'une forme de décrochage, il faut bien le dire, en termes de PIB par tête, c'est-à-dire en termes de richesse créée, qui ensuite a des effets sur notre modèle social, sur notre capacité à le financer et aussi sur notre capacité à investir. Moi, j'insiste énormément là-dessus. En tant que ministre de l'Industrie, je constate chaque jour que, pour donner à nos entreprises la capacité à lutter à armes égales dans la compétition internationale, pour leur permettre de se battre, il faut les aider à investir, il faut les aider à innover dans tous les domaines, notamment dans l'intelligence artificielle. Et pour cela, il faut créer des richesses. Qu'on le veuille ou non, il faut aussi leur donner accès à des capitaux plus importants.

ORIANE MANCINI
Pour vous, juste pas question de revenir sur les 64 ans ?

MARC FERRACCI
De mon point de vue, ce ne serait absolument pas une bonne option, évidemment.

ORIANE MANCINI
Mais si les partenaires sociaux se mettent d'accord là-dessus, est-ce que vous soutiendrez l'accord ?

MARC FERRACCI
Écoutez, moi, ce que je constate, c'est qu'il y a une méthode qui a été choisie. La méthode, c'est de faire confiance aux partenaires sociaux, au dialogue, dans un cadre financier qui est posé. Le cadre financier, c'est l'équilibre de nos systèmes de retraite. Si les partenaires sociaux trouvent à équilibrer notre système de retraite en jouant sur ce paramètre et en même temps, en agissant sur d'autres leviers, je serais ravi, mais l'équation n'est pas facile.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Oui, un mot sur le coût du travail, puisque le sujet revient sur le devant de la scène ces dernières heures. Est-ce que le travail coûte trop cher aujourd'hui en France, notamment du point de vue des industriels ?

MARC FERRACCI
Mais je pense que le travail coûte trop cher. Je pense que le travail coûte trop cher. Vous savez, on a construit notre système de financement de la protection sociale après la seconde guerre mondiale, en faisant peser le financement d'un certain nombre de droits sur le travail, c'est-à-dire avec des cotisations sociales, salariales et patronales. Peu à peu, les droits se sont étendus, et c'est une très bonne chose, nous sommes très attachés à notre modèle social, se sont étendus à une meilleure couverture maladie, à une meilleure couverture des retraites. Et en même temps, le nombre de personnes qui travaillent a plutôt eu tendance à se restreindre en proportion de la population. Il y avait le plein-emploi après la seconde guerre mondiale, on n'a plus le plein-emploi, on essaye d'y revenir.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Donc, qu'est-ce que vous préconisez aujourd'hui ?

MARC FERRACCI
Cet écart doit nous inciter à réfléchir à des baisses du coût du travail. C'est ce que nous avons fait en 2018, quand nous avons transformé le CICE, ça représentait vingt milliards d'euros en allègements de charges pérennes, ce qui nous a permis d'annuler les cotisations sociales, ou quasiment les annuler au niveau du SMIC, et ce qui nous a permis de créer beaucoup d'emplois. Donc, moi, je souhaite qu'on ait une réflexion pour poursuivre dans cette voie. Les options, elles sont diverses, mais d'une manière ou d'une autre, il faut trouver, je pense, d'autres sources de financement de notre protection sociale que le travail, parce que ça pénalise tout simplement la création d'emplois.

ORIANE MANCINI
Et lesquelles du coup ?

MARC FERRACCI
Écoutez, vous avez des économistes, je vous donne un exemple, comme Étienne WASSMER et Antoine BOSIO, dans un récent rapport sur les charges sociales, sur les cotisations sociales et les exonérations de charges sociales, qui préconisent, par exemple, d'utiliser plus la base foncière et de fiscaliser plus le fonds sur les charges sociales, sur les cotisations sociales et les exonérations de charges sociales, qui préconisent, par exemple, d'utiliser plus la base foncière et de fiscaliser plus le foncier. C'est une piste que je regarde avec intérêt, comme d'autres pistes. Des pistes, il y en a beaucoup. Dans le débat public, le président du MEDEF, Patrick MARTIN, a par exemple parlé de financer la protection sociale en s'appuyant sur la consommation. Moi, je n'ai pas de choix déterminés. Je souhaite que le débat ait lieu, parce que, comme vous le dites, le sujet du coût du travail et les restrictions que ça mène sur les recrutements et sur la capacité de nos entreprises à se développer, c'est un vrai sujet.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Excusez-moi, mais agir sur la consommation, c'est quoi ? C'est toucher à la TVA ?

MARC FERRACCI
Ce que proposait le président du MEDEF, c'était ça. Est-ce que c'est ça qu'il faut faire ? Je ne sais pas, mais il faut en débattre.

ORIANE MANCINI
Mais ça, ça serait du coup un impôt pour tout le monde, un impôt supplémentaire pour tout le monde si vous augmentez la TVA ?

MARC FERRACCI
Mais c'est pour ça que…

ORIANE MANCINI
C'est contradictoire avec la volonté du Gouvernement de ne pas toucher au pouvoir d'achat des classes moyennes ou des classes populaires.

MARC FERRACCI
C'est pour ça que ça n'est pas la seule option. Et c'est pour ça que je pense qu'il faut avoir un débat sur ce sujet. Mais le sujet du coût du travail est un vrai sujet. Et moi, je ne lâcherai pas ce débat, je ne lâcherai pas ce sujet, parce que je rencontre tous les jours sur le terrain, dans mes déplacements ou dans mon bureau, quand les gens viennent me voir, des gens qui me parlent de cette problématique et qui me donnent des éléments de comparaison avec leurs concurrents européens ou extra-européens en termes de coût du travail. Donc, à un moment ou à l'autre, il faut être clair, si on veut faire de l'industrie, de la réindustrialisation, de la lutte pour le plein-emploi priorité, il faut s'en donner les moyens et donc, il faut ouvrir le débat.

ORIANE MANCINI
Et pour le moment, le Gouvernement ne s'en donne pas suffisamment les moyens ?

MARC FERRACCI
Je pense que le Gouvernement, dans les dernières années, s'en est clairement donné les moyens. Je vous rappelle qu'on a créé près de trois millions d'emplois depuis 2017. C'est en partie lié aux mesures qui ont été prises en matière fiscale et sociale. Donc moi, je constate qu'aujourd'hui, on a des problèmes budgétaires à régler. Ils sont très lourds. Mais je souhaite que, dès lors qu'on aura retrouvé une trajectoire de finances publiques plus favorable, on rouvre cette question du coût du travail. On rouvre la question des impôts de production également. Parce que ça, c'est également quelque chose que réclament les entrepreneurs, que réclament les industriels en particulier. Continuer et reprendre la trajectoire de baisse de la CVAE, par exemple, qui avait été introduite en 2021. C'était le premier Gouvernement à le faire, alors que c'était demandé depuis des années par un certain nombre de rapports et par les industriels. Je souhaite qu'on puisse reprendre la baisse des impôts de production, dès que la situation budgétaire le permettra.

ORIANE MANCINI
Vous parlez de l'emploi. Les chiffres du chômage ont été publiés hier. Ils sont très mauvais. Ils ont bondi pour le dernier trimestre. Plus de 3,9%. C'est la plus forte remontée en une décennie, hors crise Covid. Est-ce que c'est l'échec du Gouvernement ?

MARC FERRACCI
Non, ça n'est pas l'échec du Gouvernement. Vous savez, il y a un indicateur sur le taux de chômage. C'est le chômage au sens du Bureau international du travail. Il est aujourd'hui à 7,4%. Il était à 9,5% en 2017. Donc, moi, je constate qu'effectivement, sur les chiffres de Pôle emploi, c'est-à-dire le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois, il y a une augmentation. Elle est liée à un certain nombre de facteurs. Elle est liée à une conjoncture qui est devenue un peu moins bonne, aux difficultés d'un certain nombre de filières, en particulier des filières industrielles, sur lesquelles nous agissons au niveau français et européen. C'est l'automobile, c'est la sidérurgie, c'est la chimie, mais aujourd'hui, les fondamentaux restent solides. J'en veux pour preuve le nombre de recrutements qui ne sont pas pourvus, notamment dans l'industrie. Nous avons 70 000 postes qui ne sont pas pourvus dans l'industrie. Le nombre d'investissements qui, aussi pour des raisons d'instabilité politique, sont suspendus. Je pense que si on donne à notre pays un peu de stabilité politique, si on permet d'adopter un budget, si on permet aux entreprises et aux consommateurs aussi de se projeter dans l'avenir, la machine repartira et elle peut repartir très vite. Juste sur la consommation, on a un taux d'épargne qui n'a jamais été aussi haut, à 18%. Ça, c'est le signe que les gens sont inquiets. Et pour limiter cette inquiétude et pour faire repartir la consommation, et derrière, on refera aussi partir l'emploi et les embauches, il faut donner de la stabilité.

ORIANE MANCINI
Quand les chiffres du chômage vont bien, c'est Emmanuel MACRON. Emmanuel MACRON se vantait de dire : " Le chômage, on n'en parle plus " Et là, quand ils vont mal, c'est la faute de l'instabilité politique.

MARC FERRACCI
Moi, j'ai fait de l'analyse du marché du travail et des chiffres du chômage une partie de ma vie professionnelle. Je suis professeur d'université, je me suis spécialisé là-dessus. Je suis lucide, il y a ce qui a trait à l'action politique et certaines réformes ont produit des effets, d'ailleurs. Elles ont été évaluées par des chercheurs indépendants. La baisse des charges sociales, les réformes de l'assurance-chômage, tout ça, ça a contribué à la baisse du chômage, mais ça n'explique pas toute la baisse du chômage. Il y a aussi d'autres facteurs et d'autres tendances à la baisse comme à la hausse. Donc, il faut évidemment être lucide là-dessus.

ORIANE MANCINI
Et vous dites qu'il y a des secteurs en difficulté, notamment l'automobile. Est-ce que ça veut dire que les chiffres du chômage, ils ont vocation à rester mauvais sur une certaine période ?

MARC FERRACCI
Je pense que d'abord, la situation de l'industrie, elle est contrastée. Vous avez des filières en difficulté chez les équipements automobiles qui ferment beaucoup et puis vous avez des filières qui vont très bien. Les métiers du nucléaire, j'étais la semaine dernière au Creusot, c'est 100 000 embauches dans les dix prochaines années. La décarbonation de l'industrie, ce sont des sites qui ouvrent plus nombreux que les sites qui ferment. Donc, il faut déjà avoir une approche assez lucide et ne pas considérer que toute l'industrie va mal. Ensuite, effectivement, sur ces filières, il y a des problèmes structurels qui vont mettre du temps à être réglés. Il faut agir au niveau européen et moi, j'ai proposé, ça a d'ailleurs été repris par le commissaire Stéphane SEJOURNE, par la Commission européenne, un plan d'urgence pour l'industrie automobile européenne avec des mesures de soutien à la demande, des mesures de soutien aux investissements et des mesures de protection commerciale, notamment vis-à-vis des véhicules électriques qui viennent de Chine. Ça a déjà commencé avec une augmentation des tarifs douaniers. Je pense qu'il faut continuer. Et puis, il faut aussi, au niveau français, tout faire pour soutenir nos industries, faire en sorte que les relations entre les constructeurs et les fournisseurs, et notamment les équipementiers et notamment les PME, les ETI qui sont dans nos territoires, s'améliorent. Parce que ça n'a pas toujours été le cas. On a pu avoir des constructeurs qui mettaient beaucoup de pression sur les équipementiers.

ORIANE MANCINI
Est-ce que vous êtes inquiet sur l'emploi dans l'industrie automobile française du passage à l'électrique ? Y aura-t-il des conséquences négatives ?

MARC FERRACCI
Le passage à l'électrique, ça génère une grosse transition qui oblige à tout revoir, et notamment à revoir les sites de production et les compétences. En 2035, on passera au moteur électrique. Ce que nous avons dit avec mes collègues…

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Vous en êtes sûr ? Aujourd'hui, malgré toutes les réticences, les doutes que peuvent émettre les fabricants automobiles ?

MARC FERRACCI
Non, pardonnez-moi, mais si vous discutez avec les fabricants, ils ne remettent pas en cause le cap de 2035. Ce qu'ils remettent en cause, et ce que nous aussi, nous questionnons en tant que ministre, j'ai signé une tribune avec mes collègues Agnès PANNIER-RUNACHER et Benjamin HADDAD cette semaine, c'est le chemin qui mène vers cet objectif de 2035., mais il faut bien voir que cet objectif a produit, déjà, des effets considérables. Moi, j'étais il y a quelques mois à visiter l'usine STELLANTIS à Sochaux où les lignes de production de véhicules électriques montrent que des investissements ont été réalisés. Les batteries sont produites en France, les moteurs électriques sont produits en France, ça n'existait pas il y a cinq ans. Donc, on a toute une filière qui est en train de se structurer, les investissements sont maintenant massifs, ils sont dans une certaine mesure irréversible. En revanche, faire payer à nos constructeurs des amendes pour l'année 2025 liées au fait qu'ils produiraient trop de véhicules thermiques et pas assez de véhicules électriques et surtout qu'ils en vendraient trop peu, ça, ça n'est pas juste, parce que la demande de véhicules électriques, elle est dégradée pour un certain nombre de raisons qui ne sont pas liées à l'action des constructeurs. Ils ont fait des investissements, ils ont des gammes électriques qui sont aujourd'hui performantes, mais la demande n'est pas là. C'est la raison pour laquelle, avec cette tribune, nous avons souhaité limiter la pression financière au travers des amendes.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Le prix des voitures électriques reste élevé et on annonce encore des augmentations pour l'avenir. Est-ce que là, il n'y a pas une dichotomie ?

MARC FERRACCI
Alors, les prix baissent, puisque vous avez des modèles qui étaient au-delà de 35 000 euros qui maintenant sont à 25 000 euros. Ça reste encore cher et sans doute trop cher. Vous avez également, en France, contrairement à d'autres pays, des mécanismes de soutien qui sont maintenus, même s'ils ont été limités compte tenu du contexte budgétaire, c'est le bonus écologique, c'est le leasing. L'Allemagne a supprimé son bonus écologique. Nous, nous l'avons maintenu tout en le limitant compte tenu du contexte budgétaire. Donc le cap ne change pas. Le cap, c'est d'accompagner les industriels dans l'amélioration de leur gamme, l'amélioration à la fois qualitative et en termes de prix. Ça, c'est leur travail, ce n'est pas moi, ministre de l'Industrie, qui vais faire le travail de STELLANTIS ou de RENAULT pour baisser les prix des véhicules électriques, mais ils y parviennent et ils vont y parvenir de mieux en mieux. Et puis le deuxième aspect, c'est de faire en sorte que les véhicules qui rentrent en Europe et qui, pour beaucoup, sont extrêmement subventionnés, bénéficient ou plutôt, soient taxés ou en tout cas soit pénalisés. C'est ce que la Commission a fait et c'est ce que nous avons validé au niveau européen en augmentant les tarifs donnés sur les véhicules électriques chinois. L'enquête de la Commission montrait que l'ensemble de la chaîne de valeur des véhicules chinois, de l'extraction du lithium pour les batteries jusqu'aux frets maritimes, était subventionné. Donc, quand vous avez ce genre de mécanisme économique, c'est facile d'avoir des prix bas et de faire concurrence à nos constructeurs. Donc, il faut de la justice et il faut que tous nos industriels, pas simplement dans l'automobile, se battent à armes égales et c'est ce que moi, j'essaie de faire en tant que ministre de l'Industrie.

ORIANE MANCINI
Puisque vous parlez des tarifs douaniers, Donald TRUMP souhaite soumettre l'Union européenne à des droits de douane. Vous dites vouloir engager un rapport de force. Est-ce qu'on en a les moyens ?

MARC FERRACCI
Bien sûr qu'on en a les moyens. L'Europe, c'est 450 millions de consommateurs. C'est près de 30 % des exportations américaines. À un moment, si on ne joue pas ce rapport de force, Donald TRUMP, dans sa logique, qui est la sienne, et moi, je ne vais pas commencer à donner des bons ou des mauvais points, va avancer ses pions et va lui-même imposer le rapport de force. Donc moi, ce que je dis, c'est : « Soyons forts de nos atouts ». Nos atouts, c'est un marché très important, de l'innovation, des talents qui restent en Europe et c'est un certain nombre d'entreprises qui sont des leaders mondiaux sur leur domaine et dans leur secteur. Donc, nous n'avons absolument pas à rougir. Maintenant, effectivement, il faut qu'on réagisse en européen. Parce que la stratégie de Donald TRUMP, on la connaît, ça va être de diviser les Européens. Ça va être de discuter avec l'Italie de manière bilatérale, avec la Hongrie de manière bilatérale. Ce sont les pays qui lui sont le plus proche d'un point de vue politique et idéologique. Nous, nous devons rester unis, nous devons rester fermes sur une défense collective, notamment sur le plan commercial. Moi, c'est ce que je vais défendre dans les prochains jours à Bruxelles.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Est-ce que c'est pour ça que vous dites, vous vous en cachez, que vous êtes prêts à vous inspirer de son plan américain de protectionnisme ?

MARC FERRACCI
Alors, pour le coup, c'était plutôt le plan de Joe BIDEN, l'IRA. Mais fondamentalement, nous devons sortir d'une forme de naïveté au niveau européen. Ça veut dire aider, parfois en dérogeant à certaines règles du droit de la concurrence européenne, qui limite par exemple les aides d'État, aider nos filières en transition. La filière des batteries, la filière des véhicules électriques, toutes ces filières qui ont besoin à la fois de monter en capacité, c'est-à-dire de produire plus et d'innover. Pour ça, on voit que les Chinois, on voit que les Américains produisent des aides massives. Il faut qu'on s'élève et qu'on soit en capacité d'être leader, demain, sur ces secteurs-là.

ORIANE MANCINI
Marc FERRACCI, il y a une industrie qui est dans la tournante, c'est l'industrie chimique, particulièrement en Isère, où après VENCOREX, c'est ARKEMA qui réduit la voilure. 154 postes comprimés sur les 344. Qu'est-ce que vous pouvez faire ?

MARC FERRACCI
Alors, d'abord, on agit sur les dossiers eux-mêmes. Sur VENCOREX, c'est un dossier très difficile. C'est une entreprise qui a une activité de plateforme, c'est-à-dire qui est au milieu de toute une chaîne de valeurs avec des fournisseurs en amont et avec des clients en aval. Et ce que nous faisons depuis maintenant près de dix mois avec les services du ministère de l'Économie et des Finances, moi, je n'étais pas encore ministre, mais ça a commencé avant, c'est essayer de trouver une solution industrielle. Il y a un actionnaire qui est en train de s'en aller, qui est un actionnaire thaïlandais. Cet actionnaire a accompagné socialement son départ, mais nous, notre responsabilité, c'est de trouver une solution industrielle pour éviter qu'il y ait des effets sur l'ensemble de la chaîne de valeurs, l'ensemble de la filière chimique et c'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire pour qu'un certain nombre d'activités de VENCOREX soient reprises. Et d'ailleurs, j'aurai ce soir une rencontre à Bercy avec les représentants des salariés et avec les élus sur le dossier VENCOREX pour évoquer l'état d'avancement du dossier. Fondamentalement, c'est ce que nous faisons et c'est ce que nous faisons sur chaque dossier, c'est-à-dire essayer de trouver des solutions industrielles. Parfois, c'est difficile. Parfois, nous y arrivons. J'étais il y a quelques mois à Arques, dans le Pas-de-Calais, pour annoncer que nous avions trouvé une solution économique et industrielle et un tour de table financier pour une entreprise qui comporte 4 000 salariés. 4 000 salariés, 450 à VENCOREX. Et on parle quand même plus de VENCOREX que d'Arques, 4 000 salariés pour le plus gros site verrier mondial. Donc, il y a des combats qu'on mène et on en mène beaucoup. Il y a des combats qu'on gagne. Il y a des combats qui sont plus difficiles à gagner, mais moi, je me base sur tous les dossiers. Puis il faut aussi, puisque vous avez évoqué la filière chimique, il faut aussi dire qu'il y a une action qui se mène également au plan européen, parce que, pourquoi est-ce que VENCOREX est en difficulté ? Parce qu'ils font face à une concurrence qui, là aussi, est très subventionnée, surcapacitaire, avec des prix des composants qui sont plus bas et ça, c'est quelque chose de structuré qu'il nous faut régler. De la même manière que j'ai porté, et que nous portons le principe d'un plan d'urgence pour l'automobile au niveau européen, nous portons le principe d'un plan d'urgence pour la chimie et également pour la sidérurgie.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Vous n'excluez pas l'entrée ou la montée dans le capital de l'État dans les entreprises dites stratégiques ?

MARC FERRACCI
Alors, tout dépend de ce qu'on entend par entreprises stratégiques.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Mais j'allais vous poser la question, il y a déjà des pistes ?

MARC FERRACCI
Aujourd'hui, l'État investit dans un certain nombre d'entreprises qui sont garantes de notre souveraineté. Il y a une doctrine d'investissement de l'État. S'agissant de VENCOREX, il y a un enjeu qui est de savoir s'il y a un modèle économique pour l'entreprise et si on peut alimenter la chaîne de valeur de manière différente. Ce que je constate, c'est que pendant près de dix mois, il y a un repreneur qui a été recherché pour VENCOREX et pour l'ensemble des activités de VENCOREX. Il y a eu cinq mois de conciliation, un peu plus de quatre mois de redressement judiciaire et on n'a pas trouvé de repreneur parce que les conditions du marché ne le permettent pas. Est-ce que l'État, en entrant au capital, ferait mieux ? Je vous le dis très simplement, je ne le pense pas. Ça ne signifie pas qu'on ne continue pas à chercher des solutions industrielles, mais très sincèrement, faire entrer l'État au capital de toutes les entreprises qui vont mal, ça s'appelle nationaliser les pertes. Moi, mon métier de ministre de l'Industrie, ce n'est pas nationaliser les pertes et laisser les bénéfices aux acteurs privés. Tous les gens qui demandent la nationalisation de telle ou telle entreprise, de telle entreprise qui va mal, devraient se poser cette question-là. À un moment ou à un autre, moi, je suis aussi responsable des deniers publics, des entreprises qui perdent de l'argent, elles n'ont pas forcément vocation à être nationalisées.

ORIANE MANCINI
Merci Marc FERRACCI.

MARC FERRACCI
Merci, au revoir.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'avoir été notre invité. Merci Fabrice.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Bonne journée.

ORIANE MANCINI
À la semaine prochaine, on passe au Club des Territoires.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2025