Déclaration de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur les crédits de la mission " Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales " et du compte d'affectation spéciale " Développement agricole et rural ", au Sénat le 17 janvier 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Annie Genevard - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Examen au Sénat des crédits de la mission " Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales "

Texte intégral

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission " Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales " et du compte d'affectation spéciale " Développement agricole et rural ".

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en préambule de mon propos, joindre ma voix aux hommages rendus à la mémoire de votre ancien collègue sénateur, mon prédécesseur, M. le ministre Didier Guillaume, qui vient de décéder brutalement.

Je l'avais encore croisé voilà peu ; rien ne laissait présager une disparition si brutale. Je veux en cet instant vous faire part de ma tristesse, adresser mes condoléances à ses proches et témoigner, ainsi que nous aurons l'occasion de le faire ultérieurement, de la qualité de son action à la tête du ministère dont j'ai aujourd'hui la charge.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs spéciaux, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà maintenant un an que, à l'issue d'une première mobilisation d'ampleur, historique par sa résonance en Europe, les agriculteurs français se voyaient promettre un lot de mesures destinées à transformer leur quotidien. La responsabilité des représentants de la Nation eût été de graver celles-ci dans le marbre définitivement. Mais, par calcul, les tenants de l'instabilité politique et de la crise permanente en ont décidé autrement, en choisissant la voie de la censure. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Ou la voie de la dissolution !

Mme Annie Genevard, ministre. Avec cette suspension du temps durant l'examen d'un budget tant attendu, car porteur de la concrétisation de tant d'espoirs, c'est le cri de colère que le monde agricole exprime depuis un an qui s'est trouvé privé d'une partie de réponse.

M. Jean-Claude Tissot. Vous êtes toujours là…

Mme Annie Genevard, ministre. Nous ne pouvons pas accepter que le contrat moral que nous avons passé avec le monde paysan soit, une fois de plus, piétiné.

C'est pourquoi, depuis ma nomination à la tête du ministère de l'agriculture il y a quatre mois, je dédie chaque minute de mon temps à traduire ces promesses en actes, en même temps que j'apporte des réponses aux crises sanitaires et météorologiques.

Pour ce faire, mon principal vecteur est le budget, que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui devant vous.

Ce budget, chacun ici connaît les conditions de sa construction : contraint temporellement, contraint politiquement, contraint financièrement.

J'insiste quelques instants sur le contexte financier, que la censure votée au mois de décembre a considérablement aggravé.

Cette situation non seulement oblige le Gouvernement à prendre des mesures d'économies supplémentaires, mais nous empêche par ailleurs de faire droit à l'ensemble des amendements déposés.

L'adoption de vos amendements, aussi pertinents soient-ils pour la planification écologique, la vaccination, la transition agroécologique, et j'en passe, représenterait bien souvent un effort financier que la situation économique actuelle ne nous permet pas d'assumer.

M. Franck Montaugé. Ce sont des choix politiques !

Mme Annie Genevard, ministre. Nous devons faire des choix,…

M. Franck Montaugé. Voilà !

Mme Annie Genevard, ministre. … mais nous devons aussi faire en sorte que le débat ait lieu sur les sujets essentiels que vous souhaitez aborder ce soir.

Cela étant, l'ambition de ce texte pour notre agriculture reste grande. Si les crédits qui lui sont alloués sont, certes, en baisse par rapport au budget 2024, qui avait été abondé dans un contexte exceptionnel – j'y reviendrai –, leur niveau demeure historique.

L'ensemble des concours publics destinés à l'agriculture atteindra en 2025 le montant de 13,3 milliards d'euros pour le seul compte de l'État, soit une hausse de près de 1 milliard d'euros – 1 milliard d'euros ! – par rapport au budget 2023.

En y ajoutant les financements de la PAC, soit 9,4 milliards d'euros, et les moyens du Casdar, ce ne sont pas moins de 25,3 milliards d'euros qui seront consacrés en 2025 au développement de l'agriculture et à notre souveraineté alimentaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à votre vote, ces crédits doivent permettre de défendre trois grandes priorités.

La première d'entre elles est de tenir parole. Les agriculteurs se sont vu promettre voilà un an déjà un lot de mesures pour que leur compétitivité et leurs revenus cessent d'être grevés par les charges.

Aussi fallait-il commencer par s'attaquer au carburant de la colère, j'ai nommé la hausse de taxe sur le gazole non routier, ou GNR, sur laquelle ce budget revient. Avec votre concours, la promesse sera tenue.

Débarrassés de cet irritant, il nous fallait ensuite procéder à de larges allégements de charges, ces charges qui minent aujourd'hui trop fortement la capacité des agriculteurs à résister à la concurrence internationale. C'est, là aussi, la promesse que tient ce budget, en rehaussant le taux de dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les terres agricoles de 20% à 30%, pour un montant de 50 millions d'euros.

Ce type de dispositif, qui, du fait de son périmètre, bénéficie d'un impact large, doit toutefois s'accompagner de mesures plus ciblées pour les filières les plus en difficulté.

Le Gouvernement propose en ce sens deux mesures essentielles.

D'une part, alors que les éleveurs ont été durement frappés par les crises sanitaires cette année, la mise en place, pour 150 millions d'euros, d'un avantage fiscal et social au profit des éleveurs bovins est destinée à lutter contre la décapitalisation du cheptel bovin.

D'autre part, la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi, dit TO-DE, permet d'alléger le coût du travail pour l'emploi de saisonniers agricoles. Cet effort de 163 millions d'euros aidera, en particulier, nos viticulteurs et nos arboriculteurs. Nous avons également veillé, en lien avec les parlementaires, à ce que la réforme des allégements généraux ne vienne pas percuter ce dispositif vital pour la compétitivité de nos filières.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce budget s'inscrit pleinement dans le respect de la parole donnée. Il apportera à nos agriculteurs le soutien dont ils sont demandeurs pour se projeter plus sereinement dans la compétition internationale.

Je sais pouvoir compter sur votre soutien pour graver ces dispositions dans le marbre. Mais, à l'évidence, nous ne saurions en rester là.

J'en viens donc à la deuxième priorité de ce budget : favoriser la résilience des filières les plus exposées.

Vous le savez, le Gouvernement mobilise toute son énergie pour répondre aux urgences dans lesquelles se trouve prise l'agriculture française.

Les moyens que l'État a déployés en ce sens sont considérables. Je peux notamment mentionner la mise à disposition gratuite de près de 14 millions de doses de vaccin contre la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3 (FCO 3), pour un montant de 37 millions d'euros, et la création d'un fonds d'urgence exceptionnel de 75 millions d'euros pour accompagner les éleveurs face à la crise sanitaire, ainsi que la mise en place d'un dispositif d'aide à la trésorerie pour aider les agriculteurs dont les exploitations ont été frappées, parfois gravement, par des aléas climatiques violents.

Pour ce qui est de répondre à ce type d'événements, qui sont appelés à se multiplier en raison du dérèglement climatique, le présent budget donne à l'État et aux agriculteurs des moyens pérennes.

Il le permet d'abord par l'adaptation de notre fiscalité, en autorisant la modulation des charges qui pèsent sur nos agriculteurs en fonction de la conjoncture. Aussi, via un effort global de 14 millions d'euros, nous permettrons l'exonération à hauteur de 30% de la réintégration de la déduction pour épargne de précaution en cas de sinistre climatique ou sanitaire. Cette mesure, en particulier, accompagnera les exploitants confrontés aux effets du dérèglement climatique.

C'est cette même raison qui nous guide dans le choix d'augmenter le budget dédié à l'assurance récolte. Ce dispositif, qui permet aux agriculteurs d'être mieux couverts face aux aléas climatiques, est abondé à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros.

Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, favoriser la résilience de nos filières, c'est se placer en position d'anticipation, et non seulement de réaction.

À cet égard, j'aimerais aborder la question des produits phytosanitaires. Chacun dans cet hémicycle, moi y compris, est convaincu de la nécessité d'en sortir à terme. Mais cette ambition doit s'accompagner d'une règle simple : on ne saurait interdire sans proposer de solution pour remédier à la situation ainsi créée. Sinon, c'est la mort de nos filières, de la diversité de nos exploitations et de notre alimentation, donc de notre souveraineté alimentaire.

Aussi, j'ai souhaité que le budget 2025 maintienne des moyens ambitieux, d'environ 100 millions d'euros, pour le fonds destiné à financer la stratégie de réduction du recours aux produits phytosanitaires, qui a vocation à financer la recherche d'alternatives chimiques et non chimiques et à accompagner les agriculteurs sur le chemin des transitions.

Voilà comment, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons, par ce budget, favoriser la résilience de nos filières.

Un tel objectif s'inscrit dans une exigence de long terme : préparer notre production alimentaire aux enjeux que représente la maîtrise de nos besoins vitaux ou, en d'autres termes, l'impératif de souveraineté. Telle est la troisième priorité de ce budget.

Vous le savez, la perte d'attractivité des métiers de l'agriculture et la perte de sens que ressentent les professions agricoles font peser un risque que je qualifierai d'existentiel sur le renouvellement des générations.

Le budget que le Gouvernement vous propose d'adopter vise à apporter à ce problème de premières réponses fortes. J'en évoquerai trois devant vous.

D'abord, la revalorisation de trois dispositifs fiscaux doit permettre de favoriser la transmission d'une exploitation à un nouvel installé.

Ensuite, le cumul de l'exonération de cotisations sociales pour les jeunes agriculteurs et du taux réduit de cotisations maladie et famille, pour 25 millions d'euros, vise à favoriser l'embauche des jeunes.

Enfin, parce que plus aucun aspirant agriculteur ne doit penser que la retraite le frappera plus durement que le travail, les pensions sont revalorisées sur la base des vingt-cinq meilleures années.

Et je veux ici vous remercier, ainsi que vos collègues députés, d'avoir œuvré depuis presque deux ans pour que cette réforme voie le jour. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 permettra, j'en suis sûre, de concrétiser vos travaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous pour soutenir tous ces dispositifs, car ils nous remontent directement du terrain et contribueront à n'en pas douter au renouvellement de nos générations d'agriculteurs.

Mais ce renouvellement n'aurait que peu de sens si l'agriculture elle-même était mise en danger. C'est la raison pour laquelle je souhaite déployer des moyens substantiels pour assurer la transition de l'agriculture française. Pour ce faire, plusieurs leviers sont à notre disposition.

J'insiste en préambule sur un point : les mesures d'économies supplémentaires que la situation exige auraient pu conduire à la fin de notre planification écologique en agriculture, à son arrêt complet ; au plan comptable, c'eût été confortable.

J'assume de faire un choix différent. Certes, celui-ci est plus difficile à endosser, puisqu'il consiste à diffuser l'effort en ciblant plutôt les dépenses de fonctionnement. Mais, face aux défis très graves que notre agriculture doit surmonter, la responsabilité commande d'opter pour une gestion en bon père – ou en bonne mère – de famille.

M. Jean-Claude Tissot. Ça veut dire quoi ?

Mme Annie Genevard, ministre. Tout le monde doit mettre la main au pot, afin que le processus se poursuive. Aussi, je ferai en sorte que les crédits affectés à la planification soient au maximum préservés.

Ce faisant, ce sont les financements du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada), qui prépare la sortie des produits phytosanitaires suffisamment en amont pour éviter que nous ne nous retrouvions dans des impasses, ceux de notre plan de souveraineté en fruits et légumes et ceux de notre plan Protéines, autrement dit ceux de notre souveraineté alimentaire, qui sont protégés.

J'insiste par ailleurs sur un point : la répartition qui vous a été proposée par mon prédécesseur dans le projet annuel de performances est une indication, mais nous n'avons pas encore procédé à la répartition proprement dite. Celle-ci se fera sur la base d'un retour d'expérience relatif aux mesures déployées en 2024, des échanges avec les professionnels et, bien sûr, de la discussion qui est menée avec les parlementaires en prévision de la CMP. En tout état de cause, certaines lignes qui affichent zéro ne resteront pas à zéro.

J'en viens plus concrètement aux mesures que ce budget prévoit. Je pense d'abord au déploiement du plan d'adaptation de pans entiers de notre agriculture.

Ainsi du plan " agriculture climat Méditerranée ", que j'ai lancé en fin d'année dernière – mon prédécesseur en avait été l'initiateur – et dont le financement sera maintenu ; il porte d'ores et déjà ses fruits. Dans ces territoires très affectés par le changement climatique, des cultures alternatives de la diversification sont à l'œuvre. Voilà qui doit permettre d'accompagner financièrement l'adaptation des filières les plus affectées par le dérèglement climatique et de favoriser la diversification dans une cinquantaine de territoires labellisés du pourtour méditerranéen.

Dans le même sens, l'accès à l'eau pour l'irrigation des exploitations et l'abreuvement des animaux est un objectif majeur – un impératif – qui doit être atteint dans le cadre d'une gestion raisonnée de la ressource. Tel est justement le rôle du fonds hydraulique. Pour un montant total de 20 millions d'euros en 2024, celui-ci a permis de financer quarante-huit projets de gestion innovante de l'eau en France. Le financement de ce fonds, dont j'ai révélé les lauréats, doit être pérennisé.

Toutefois, ces mesures d'adaptation sont insuffisantes et doivent s'accompagner d'actions de lutte contre le changement climatique. C'est tout le sens de la politique de décarbonation pour le reboisement, qui était jusque-là menée par le ministère de l'agriculture et qui sera désormais conduite par la ministre de la transition écologique.

Mme la présidente. Madame la ministre, je vous invite à conclure.

Mme Annie Genevard, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, voter ce budget est impératif. Depuis quatre mois, je mène au sein du Gouvernement un important travail pour convaincre nos agriculteurs que l'État ne les a pas abandonnés. C'est tout le sens de mon action.

Notre responsabilité est immense et je suis convaincue qu'ensemble nous l'assumerons pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains, RDPI et INDEP.)


source https://www.senat.fr, le 30 janvier 2025