Déclarations à la presse de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la sécurité européenne et une paix juste et durable pour l'Ukraine, à Paris le 12 février 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion des ministres du "Weimar" élargi sur la sécurité européenne et la situation en Ukraine

Texte intégral

J'accueille aujourd'hui au Quai d'Orsay mes collègues ministres des affaires étrangères venus d'Allemagne, d'Italie, de Pologne, d'Espagne, du Royaume-Uni, de l'Ukraine, et puis la haute représentante pour la politique étrangère de l'Union européenne, pour évoquer un sujet majeur pour les Françaises et les Français qui est la sécurité européenne et la paix juste et durable que nous voulons pour l'Ukraine.

Pourquoi est-ce que c'est important ? Eh bien parce que nous avons changé d'époque. C'est ce que le Président de la République a exprimé dès 2017, dans son premier discours de la Sorbonne. Avec la réorientation de la concentration stratégique des Etats-Unis vers le Pacifique, nous perdons en Européens ce qui nous a servi de parapluie ou d'assurance-vie pendant des décennies et qui nous a permis, en quelque sorte, de ne pas prendre en charge les coûts afférents à la sécurité de notre continent. Et puis plus récemment, en réalité il y a déjà trois ans, la menace s'est manifestée d'une manière nouvelle avec la guerre d'agression russe en Ukraine, qui a pris la forme d'une invasion à grande échelle, qui s'est ensuite hybridée et qui s'est installée dans tous les champs connus de la conflictualité, sur terre, sur mer, dans les airs, dans l'espace, dans le cyberespace, et qui enfin s'est internationalisée avec l'entrée en guerre de soldats venus de Corée du Nord.

Tout cela appelle de la part des Européennes et des Européens, des pays qui se retrouvent aujourd'hui au Quai d'Orsay, une très forte unité et une très forte coordination.

D'abord pour construire les conditions de notre propre sécurité. Ça a été à l'ordre du jour de la retraite qui a rassemblé les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 pays de l'Union européenne il y a quelques jours à Bruxelles, qui a permis d'engager la discussion à la fois sur les besoins capacitaires que nous avons à combler pour assurer notre propre sécurité, et puis la discussion qui en découle, c'est-à-dire les moyens nouveaux que nous devons dégager pour répondre à ces besoins capacitaires.

Et puis nous aborderons un peu plus tard dans la soirée, avec notre collègue britannique et notre collègue ukrainien, la question du soutien que nous apportons à l'Ukraine depuis trois ans - parce que le combat des Ukrainiens, c'est aussi le nôtre -, et la manière dont nous entendons peser dans les discussions qui s'ouvriront au moment où les Ukrainiens le jugeront pertinent, pour garantir en Ukraine et donc en Europe une paix juste et durable.

Et dans ce contexte, les Européens seront appelés bien évidemment à poursuivre d'une autre manière le soutien qu'ils ont accordé à l'Ukraine en apportant les conditions nécessaires à ce que cette paix soit durable. Puisque, je le rappelle, aujourd'hui, nous sommes dix ans jour pour jour après un accord de paix qui avait été trouvé en Ukraine, avec l'accord de Minsk. L'accord de Minsk qui avait prévu un cessez-le-feu, qui a été suivi par 19 autres cessez-le-feu : 20 cessez-le-feu, qui ont été violés depuis cet accord de Minsk qui avait été trouvé il y a 10 ans. Si nous voulons que cela s'arrête, il faudra que l'accord qui soit trouvé soit entouré de garanties qui dissuadent une bonne fois pour toutes la menace de se déplacer toujours plus près de nous la ligne de front, vers l'ouest. Et c'est dans ce contexte que les Européens auront toutes leurs places à prendre. Ce sera au coeur des discussions que nous aurons ce soir.


Q - Le ministre de la défense américain semble avoir déjà fixé des règles du jeu très claires aujourd'hui à Bruxelles. Qu'en pensez-vous ?

R - Ce que je pense, c'est que chacun a son rôle à jouer. Les Etats-Unis ont dit très clairement qu'ils entendaient exercer une pression supplémentaire sur Vladimir Poutine et la Russie pour l'amener à initier des discussions de paix, ou en tout cas à s'asseoir à la table des négociations. Les Européens, quant à eux, je le disais, auront toute leur place à prendre pour apporter les garanties de sécurité, sans abandonner pour autant, même si ça peut prendre un peu de temps, la perspective d'une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, qui est encore aujourd'hui la principale garantie de sécurité dont disposent les pays européens.

Q - Mais êtes-vous d'accord qu'elle n'était réaliste, cette entrée dans l'OTAN comme sortie de la guerre, et qu'il n'est pas non plus réaliste de revenir aux frontières de 2014 ?

R - Nous sommes très attachés à l'intégration euro-atlantique de l'Ukraine. C'est pourquoi la France ainsi que d'autres pays qui nous retrouvent aujourd'hui au Quai d'Orsay se mobilisent pour accompagner l'Ukraine dans son chemin vers l'adhésion à l'Union européenne. Et c'est pourquoi nous avons dit très clairement, le Président de la République l'a dit, que nous étions favorables à ce qu'une invitation puisse être adressée à l'Ukraine. Mais même si une invitation a été adressée à l'Ukraine, effectivement c'est un processus, l'adhésion à l'OTAN, qui prend du temps. Et donc dans la phase intermédiaire, il faudra néanmoins, si une paix est trouvée d'ici là, qu'elle puisse être garantie pour qu'elle soit à la fois juste et qu'elle soit durable. Et là encore, les Européens auront tout leur rôle à jouer.

Q - Mais quel rôle ?

Q - (inaudible)

R - Ce qui est en jeu avec cette guerre d'agression qui a bousculé l'ordre des choses depuis trois ans et qui nous empêche de pouvoir espérer revenir au monde dans lequel nous vivions avant le 24 février 2022, c'est la sécurité des Européens. C'est le risque d'une guerre généralisée ou d'une guerre de grande ampleur sur le territoire de l'Union européenne, alors qu'elle est déjà présente sur le continent européen. C'est pourquoi les discussions que nous allons avoir aujourd'hui doivent nous permettre de progresser dans la coordination et l'unité qui devront être celles des Européens, pour dissuader une bonne fois pour toutes la menace et éviter qu'elle ne continue à se déplacer vers l'ouest comme elle l'a fait depuis 15 ans maintenant.

Q - Les Ukrainiens doivent-ils renoncer à leurs frontières d'avant 2014 ?

R - Les Ukrainiens sont maîtres des paramètres de cette négociation de paix. C'est un peuple souverain, c'est un peuple qui doit pouvoir décider de son propre avenir. Et c'est à eux qu'il faudra, le moment venu, poser la question.

Q - Comment l'Europe va imposer sa présence autour de la table des négociations si M. Trump ne le veut pas ?

R - Il n'y aura aucune paix juste et durable en Ukraine sans la participation des Européens, que ce soit au sein de l'OTAN, à côté de l'OTAN, en complément de l'OTAN, pour que la paix soit durable, c'est-à-dire pour qu'on ne revienne pas dix ans en arrière avec un cessez-le-feu qui aura été violé vingt fois avant d'ouvrir la voie à une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Alors il faudra que les Européens puissent apporter leur concours. Et les Européens ne pourront pas apporter leur concours s'ils ne sont pas associés d'une manière ou d'une autre à la discussion. Et c'est pourquoi l'un des objectifs de cette réunion d'aujourd'hui, c'est de coordonner nos messages et les messages que nous adressons à notre niveau, celui des ministres des affaires étrangères, au niveau de nos chefs d'Etat et du gouvernement, à l'administration américaine qui a décidé de s'engager pleinement dans la négociation.

Q - Mais apparemment, M. Trump, il veut parler juste en tête-à-tête avec Poutine, donc... Où est la place de l'Europe ?

R - Vous savez, M. Trump a consacré à la France son premier déplacement international. Il était à Paris, aux côtés de Volodymyr Zelensky, sous les bons auspices du Président de la République. Et c'est le premier échange officiel, si je puis dire, qu'il a eu après son élection. Cela montre bien quelle est son inclinaison naturelle. Et ça montre bien sa compréhension qu'au fond, ce qui se joue, ce n'est pas seulement l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ce n'est pas simplement la sécurité du continent européen. C'est aussi et plus généralement l'avenir du droit international. Parce qu'abandonner l'Ukraine, forcer l'Ukraine à la capitulation, ce serait consacrer définitivement la loi du plus fort et ce serait adresser une invitation à tous les despotes et les tyrans de la planète à envahir leurs voisins en toute impunité.

Q - Monsieur le Ministre, est-ce que la France confirme sa position concernant l'envoi possible de troupes européennes en Ukraine, même sans Américains ? En tenant compte de ce que dit le secrétaire à la Défense [Pete Hegseth] aujourd'hui.

R - La position de la France s'agissant du soutien à l'effort de guerre ukrainien, vous la connaissez parfaitement, puisqu'elle a été affirmée de manière très claire par le Président de la République au mois de février 2024, c'est-à-dire il y a un an. Nous ne fixons par avance aucune ligne rouge et nous assumons une certaine ambiguïté stratégique, c'est-à-dire que nous ne disons pas par avance ce que nous sommes prêts à faire, ce que nous ne sommes pas prêts à faire.

Et ensuite pour l'avenir, une fois, si je puis dire, la cessation des hostilités advenue, nous prendrons notre part avec les Européens et c'est une discussion que nous allons poursuivre ce soir, pour garantir que cette paix soit durable. Parce que notre rôle et ma mission... C'est de faire en sorte que ce qui pourrait se produire en Ukraine, c'est-à-dire des discussions de paix, ne reporte pas le problème et ne conduise pas la menace à s'amplifier encore et à déplacer la ligne de front toujours plus proche de l'Union européenne et toujours plus proche de la France, des Françaises et des Français.

Q - (inaudible)

R - Ce que je peux vous dire, c'est que si nous avons ce soir une discussion entre Européens, avec les Britanniques et avec les Ukrainiens, ce n'est pas tout à fait un hasard, puisque ça fait suite à la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenue il y a quelques jours à Bruxelles. Et cela se tient quelques jours avant le triste anniversaire, le triste troisième anniversaire du début de la guerre d'agression russe en Ukraine, à un moment où effectivement l'administration américaine est en train de réfléchir à sa position sur le sujet. Cette réunion permettra de coordonner nos messages et de faire une démonstration à la fois d'unité, mais aussi de volontarisme, parce que les Européens savent bien que c'est leur avenir qui est en jeu et que c'est leur sécurité qui est en jeu.


Merci beaucoup à toutes et tous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2025