Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à des questions sur l'Ukraine, à l'Assemblée nationale le 18 février 2025.

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Circonstance : Questions au Gouvernement, en séance publique, à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Monsieur le député Pieyre-Alexandre Anglade,

Le Premier ministre l'a dit ce matin : jamais, sans doute depuis 1945, le risque d'une guerre en Europe, autour de nous, n'a été aussi élevé qu'aujourd'hui. Comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a dix ans, pour mettre fin à la guerre que la Russie avait lancée contre l'Ukraine, sans doute avons-nous fait preuve de faiblesse en acceptant un cessez-le-feu fragile qui a été violé par la Russie par 20 fois, et qui ne l'a pas empêché de lancer son invasion de l'Ukraine à grande échelle. Et dans le même temps, les Etats-Unis, et c'est leur droit, ont décidé de se désengager progressivement en laissant aux Européens le soin d'assurer leur propre sécurité.

Aujourd'hui, la sentinelle de l'Europe, ce sont les Ukrainiens. La première ligne de défense de l'Europe, ce sont les Ukrainiens qui la tiennent. Et ils ne s'arrêteront pas de combattre tant qu'ils n'auront pas la garantie de se voir proposer une paix juste et une paix durable. Et c'est ce que nous voulons aussi. Nous voulons la paix. Non pas une pause transitoire, non pas un cessez-le-feu fragile, nous voulons la paix. Mais face aux velléités impérialistes comme vous les avez appelées, pour obtenir cette paix durable, il nous faudra imposer de la résistance et il nous faudra imposer de la force.

C'est pourquoi, lorsque la paix aura été trouvée, et je rappelle que quoi qu'on entende, les négociations n'ont pas encore commencé, alors les Européens seront amenés à contribuer à construire cette capacité de dissuasion durable. Et d'ici là, nous allons continuer à amplifier, à accroître la pression sur Vladimir Poutine et sur la Russie avec un 16e paquet de sanctions qui sera adopté dans les prochains jours. Nous allons continuer à relever notre effort de défense pour faire doubler nos dépenses militaires à l'horizon de 2027. Mais la défense nationale ne se joue pas seulement dans les dépenses militaires, elle se joue aussi dans les esprits. Alors ne nous laissons pas intimider par les nouveaux empires. Reprenons notre force morale, reprenons les forces de l'esprit.


Monsieur le député Frédéric Petit,

D'abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre déplacement à venir à Kiev, en Ukraine, pays que vous connaissez bien. D'autres parlementaires feront également le déplacement et, au nom du Gouvernement, je les en remercie.

Parce que ces déplacements seront une marque de soutien au peuple ukrainien, qui est soumis depuis trois ans maintenant à une guerre d'agression brutale, illégale, injustifiable, dont le coût humain est tout simplement incalculable. Et je veux avec vous m'indigner sur le sort des enfants de l'Ukraine, arrachés à leurs familles, déportés, rééduqués dans des centres ou dans des camps en Russie et en Biélorussie, ce qui vaut d'ailleurs à Vladimir Poutine un mandat d'arrêt pour crimes de guerre de la Cour pénale internationale.

Ces déplacements seront également l'occasion de rappeler que le combat des Ukrainiens, c'est aussi le nôtre, et que ce qui est en jeu aujourd'hui sur la ligne de front, ce n'est pas simplement l'intégrité territoriale de l'Ukraine, c'est également la perspective de la paix ou de la guerre sur le continent européen.

Alors oui, il est temps, vous l'avez dit, que l'Europe se réveille et qu'elle prenne la mesure des menaces qui sont devant elle. Est-ce que tous nos partenaires se sont réveillés à la même vitesse que nous ? La réponse est non, je crois que tout le monde peut le comprendre. Mais est-ce qu'il reste aujourd'hui un Européen en Europe pour ne pas considérer que nous devons prendre une part beaucoup plus importante qu'auparavant de notre propre défense ? Je crois que la réponse est non. Et c'est pourquoi, dans ce moment que nous vivons, charnière pour notre continent, nous avons besoin que l'Europe fasse un grand bond en avant pour assurer sa propre sécurité et qu'elle se révèle pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une grande puissance.

Et c'était tout l'objet de la rencontre d'hier, à l'initiative du Président de la République, qui a permis d'affirmer de manière unitaire un certain nombre de principes, et en particulier un principe clair : pas de négociation sur l'avenir de l'Ukraine sans les Ukrainiens, pas de négociation sur l'avenir de l'Europe sans les Européens.


Madame la députée [Marie Récalde],

Merci d'appeler la représentation nationale à se saisir de ces questions qui sont fondamentales, qui sont essentielles pour notre avenir. Car à travers elles, ce sont les Françaises et les Français qui, soumis depuis trois ans à une propagande russe qui prend tous les détours de la désinformation et des manoeuvres informationnelles, ont un regard qui peut être biaisé ou troublé sur les conséquences dramatiques et délétères qu'aurait aujourd'hui une capitulation de l'Ukraine.

Pour répondre exactement à votre question, lorsque j'ai réuni mercredi dernier mes homologues de quelques pays européens et britanniques, nous avons conclu notre discussion et notre réunion avec un principe simple : tant que les Ukrainiens se battront et tant qu'ils n'auront pas reçu la proposition d'une paix juste et durable, et non pas un cessez-le-feu fragile, et non pas une pause transitoire, alors nous les soutiendrons. Et la réalité, c'est qu'il n'y aura pas d'accord sans les Ukrainiens, il n'y aura pas d'accord sans les Européens. Et je ne dis pas ça comme une exigence, je dis cela comme un constat. Les Ukrainiens refuseront de déposer les armes si on leur propose une nouvelle fois - une fois encore - un accord de cessez-le-feu fragile qui conduirait inévitablement à la reprise des hostilités. Et nous les soutiendrons tant que ça n'aura pas été le cas.

Pour obtenir un tel accord, pour que la paix que nous appelons de nos voeux soit durable, il faudra qu'elle soit entourée de certaines garanties. Qui apportera ces garanties ? Ce seront les Européens. Et donc par la force des choses, qu'on le veuille ou non, si une paix juste et durable doit être trouvée en Ukraine, elle sera trouvée avec le consentement et avec la participation des Européens. Et je le dis, il faut nous y préparer, parce que s'agissant de la garantie de la paix en Ukraine ou de notre propre sécurité pour les décennies à venir, nous aurons à consentir des efforts considérables. Et c'est pourquoi je parlais tout à l'heure de la force morale et des armes de l'esprit dont nous aurons besoin et dont les Français auront besoin pour faire face à ces défis colossaux.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2025