Texte intégral
Q - Bonjour et bienvenue sur RTL Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour Thomas Sotto.
Q - "La Russie représente une menace existentielle pour l'Europe." Ça, c'est ce que dit Emmanuel Macron à la presse régionale ce matin. Est-ce à dire que la Russie n'est plus seulement l'ennemi de l'Ukraine, mais bien celle de toute l'Europe et donc aussi celle de la France ?
R - Evidemment, et d'ailleurs, l'agressivité de la Russie, elle ne se limite pas à la guerre d'invasion en Ukraine qui a commencé il y a trois ans. Souvenez-vous des étoiles de David, souvenez-vous des cercueils, souvenez-vous des mains rouges, regardez les câbles sous-marins qui ont été coupés en mer Baltique, regardez le colis piégé en Allemagne, regardez les élections en Roumanie qui ont dû être annulées à cause des manoeuvres russes.
Q - Mais le mot "ennemi", il est très fort. Vous le reprenez. La Russie est l'ennemi de la France aujourd'hui, de l'Europe ?
R - Mais la Russie a pris pour cible les pays européens depuis trois ans, et donc de toute évidence, avec ses déclarations et avec ses actions hostiles, la Russie a décidé de faire de nous des ennemis et nous devons ouvrir les yeux, réaliser l'ampleur de la menace et nous en prémunir.
Q - Ça veut dire quoi ? Qu'on est en train de plonger dans une logique de guerre ? "Jamais le risque d'une guerre en Europe n'a été aussi élevé depuis 1945", a dit François Bayrou. On est dans une logique de guerre ?
R - Oui, parce qu'on voit le réveil des empires. Qu'est-ce que c'est qu'un empire ? Un empire, c'est un pays qui ne connaît plus les frontières et qui dit : "je vais déplacer mon influence et ma puissance aussi loin que je le pourrai." Il se trouve que nous sommes voisins de la Russie et qu'aujourd'hui c'est l'Ukraine qui, en quelque sorte, est notre première ligne pour repousser la menace. Si nous ne faisons rien, si nous restons aveugles à la menace, la ligne de front se rapprochera de plus en plus de nos frontières et nous serons, un jour ou l'autre, entraînés vers la guerre.
Q - Ça veut dire qu'on va envoyer des troupes ? Parce que ça, on ne comprend pas très bien la position de la France là-dessus. Si on pense qu'on est en guerre, que la Russie est notre ennemi, que la Russie est en train de manger l'Ukraine et que peut-être... Vous redoutez qu'elle s'attaque à d'autres pays après ? Les Pays-Bas, la Pologne, ou pas ? C'est une inquiétude chez vous ?
R - C'est une inquiétude, évidemment, puisqu'elle le laisse entendre. Vladimir Poutine, dans ses discours, laisse entendre que la Russie n'a pas de frontières. Il veut reconstituer un empire et veut repousser sa sphère d'influence.
Q - Et on fera quoi alors si ça arrive ?
R - Alors, d'abord, nous, nous ne voulons pas la guerre, nous voulons la paix. Moi, j'ai grandi dans un pays en paix, mes parents ont grandi dans un pays en paix, et ce que nous voulons c'est offrir la même situation à nos enfants. Pour cela, il va nous falloir dissuader la menace. Comment est-ce qu'on dissuade la menace ? En étant forts. Et la première étape, c'est évidemment de permettre aux Ukrainiens de négocier ce qui serait ou ce qui sera une paix durable, c'est-à-dire une paix qui ne sera pas, comme ça a été le cas pour le passé en Ukraine il y a dix ans, violée à de multiples reprises jusqu'à être complètement jetée à la poubelle par Vladimir Poutine.
Q - Oui, il ne vous a pas échappé que ni Donald Trump ni Vladimir Poutine ne veulent discuter ou négocier avec nous. On est sur la touche-là.
R - Mais écoutez, seuls les Ukrainiens pourront décider d'arrêter de combattre. Et ils n'arrêteront de combattre que lorsqu'ils auront la certitude que la paix qui leur sera proposée ne sera pas violée, comme ça a été le cas de celle qu'on leur avait proposée il y a dix ans, à de multiples reprises et qu'on ne viendra pas une nouvelle fois les agresser. Et qui offrira ces garanties à l'Ukraine ? Qui permettra à l'Ukraine de bénéficier d'un traité de paix ? C'est évidemment les Européens. Donc, d'une manière ou d'une autre et par la force des choses, les Européens et les Ukrainiens seront à la table des négociations, parce qu'ils veulent la paix.
Q - J'en reviens à la question sur les troupes. Pourquoi et quand on enverra ou n'enverra-t-on pas de troupes en Ukraine ? Troupes françaises, troupes européennes ? Qu'est-ce qui sera le déclencheur ? On sent qu'on n'est pas loin, Donald Trump cette nuit dit : "Ah, oui, ça serait super !"
R - Personne ne veut, aujourd'hui, envoyer de troupes en Ukraine.
Q - C'est pas du tout d'actualité ?
R - La question qui est posée, c'est comment on évite les erreurs du passé ? Les erreurs du passé, c'est quoi ? C'est il y a dix ans, quasiment jour pour jour, à une semaine près, on a signé - d'ailleurs la France l'a parrainé - un accord, on appelle ça l'accord de Minsk parce qu'il a été signé en Biélorussie, qui mettait fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine. C'était un cessez-le-feu et il n'y avait pas de garantie, c'est-à-dire, il n'y avait pas de mesures dissuasives empêchant la Russie de reprendre les hostilités. C'est ce qu'elle a fait. Vingt fois, de suite, elle a violé le cessez-le-feu et puis le 24 février 2022, il y a trois ans, la semaine prochaine, elle s'est lancée dans une guerre d'agression à grande échelle contre l'Ukraine.
Q - Sauf qu'il y a quelque chose qui a changé Jean-Noël Barrot, c'est qu'à l'époque, il y avait les Russes, mais les Américains étaient de notre côté. Là, on a les Russes et les Américains qui avancent comme des bulldozers sans se soucier de qui que ce soit.
R - Moi, j'ai parlé à mon homologue américain hier, il m'a redit que ce qui était leur objectif, ce n'est pas un cessez-le-feu fragile, ça n'est pas une pause transitoire qui permettrait à la Russie de reconstituer ses forces, c'est bien une paix durable. Et une paix durable qui soit donc entournée de garanties.
Q - Est-ce que, je vous repose la question, parce que vous n'avez pas été clair, est-ce que ça passe par l'envoi de troupes françaises ou européennes ?
R - Ça n'est pas la question du moment, mais la question se posera après que les hostilités ont cessé. Si un jour il y a des troupes, qu'elles soient européennes, américaines, etc...
Q - Ou françaises.
R - ... en Ukraine, ça sera évidemment comme une garantie de paix. Ça ne sera pas pour aller combattre, ça sera pour éviter que les combats ne reprennent.
Q - Quelle sera la limite de notre soutien à l'Ukraine ? Jusqu'où on va aller si les Russes et les Américains se mettent d'accord sur le dos des Ukrainiens et sur le dos des Européens ? Jusqu'où on va les soutenir ? Jusqu'à la guerre ?
R - Ce que mes collègues, ministres des affaires étrangères, et moi-même avons dit, la semaine dernière, mercredi, lorsque nous nous sommes réunis, c'est une chose très simple : tant que les Ukrainiens combattront, tant qu'ils n'auront pas pu trouver une paix juste et durable, un accord de paix qui les protège durablement, alors nous les soutiendrons. Nous les soutiendrons pourquoi ? Pas seulement par charité ou par générosité, mais c'est parce que c'est de notre sécurité qu'il en va. Il y a dix ans, nous avons fait preuve de faiblesse. Nous avons laissé s'installer une pause transitoire qui a ensuite permis à la Russie de repousser la ligne de front plus proche de chez nous. Si nous voulons éviter que la ligne de front se déplace jusqu'en Pologne, jusque dans les pays Baltes, de plus en plus près de la France, alors nous devons être fermes et soutenir, aujourd'hui, les Ukrainiens qui sont la sentinelle de l'Europe.
Q - Et ce que j'entends dans ce que vous dites ce matin, et c'est particulièrement grave, c'est que s'il faut aller jusqu'à la guerre, la France ira jusqu'à la guerre ?
R - Ah non, je n'ai pas du tout dit ça. Nous, nous voulons la paix, nous ne voulons pas la guerre.
Q - Jean-Noël Barrot, l'heure n'est plus à la langue de bois. Les Américains, sont-ils encore nos alliés aujourd'hui ?
R - Les Américains sont nos alliés, notamment au sein de l'OTAN, l'alliance de sécurité qui nous a permis, pendant des décennies, d'avoir la paix ou en tout cas la sécurité en Europe. Mais ça change de manière radicale, puisqu'ils ont décidé - depuis longtemps maintenant, ça ne date pas de Donald Trump - de se retirer de cette alliance de sécurité qu'on appelle l'OTAN. Et donc, le moment est venu de se réveiller pour les Européens et de prendre la place que les Américains vont leur laisser.
Q - Ça veut dire de ne plus compter sur les Américains ?
R - Ça veut dire en tout cas de prendre notre part dans notre sécurité. Et ça, c'est des efforts considérables, y compris sur le plan budgétaire, auquel il faut se préparer.
Q - En matière d'ingérence, l'Amérique de Trump se comporte-t-elle comme la Russie de Poutine ? Vous citiez beaucoup de faits tout à l'heure, à propos de la phrase d'Emmanuel Macron sur la menace existentielle pour l'Europe que représente la Russie. Est-ce que l'Amérique de Trump se comporte comme celle de Poutine ? Est-ce que vous mettez un signe égal entre Trump et Poutine aujourd'hui ?
R - J'ai entendu beaucoup parler du discours du vice-président américain à Munich, sur la liberté d'expression notamment. Moi, je dis, s'agissant de la vie démocratique, chacun chez soi, merci, au revoir. Mais en revanche, là où je suis un peu plus inquiet, c'est qu'on voit bien que derrière les autorités américaines, il y a les grands patrons de la tech et des réseaux sociaux qui voudraient nous imposer leurs règles, c'est-à-dire du n'importe quoi sur Internet et un débat public complètement pollué, perturbé par des ingérences d'où qu'elles viennent. Ça, nous le refuserons toujours.
Q - Dans ce monde hostile, vous disiez, "il faudra faire des efforts budgétaires". Ça veut dire quoi ? Qu'on va ouvrir les vannes ?
R - Ça veut dire que si nous voulons, dans les années qui viennent, pouvoir à la fois prendre en charge notre défense - je le disais, les Américains se désengagent de l'Europe ; si nous voulons éviter le décrochage technologique, devoir aller supplier les Américains ou les Chinois pour utiliser leurs technologies ; si nous voulons nous préparer aux conséquences du dérèglement climatique, nous aurons des choix difficiles à faire sur la manière dont nous employons l'argent français.
Q - Ça veut dire quoi ?
R - Ça veut dire que soit nous parvenons à recréer de la richesse, et notamment en levant, en retirant la chape de plomb qui aujourd'hui empêche tous ceux qui veulent créer de la richesse, qu'ils soient chefs d'entreprise, qu'ils soient élus locaux, qu'ils soient même présidents d'associations, à le faire. Soit, sinon, nous devrons faire des sacrifices. Parce que nous n'allons pas reporter...
Q - S'endetter encore s'il le faut, ça l'est trop là ?
R - Non, nous n'allons pas reporter sur les générations à venir.
Q - Il faut un "quoi qu'il en coûte" de l'Ukraine, de la guerre et de la Russie ?
R - Non, nous ne pouvons pas reporter indéfiniment les efforts sur les générations à venir. C'est fini, le temps du confort est terminé. Nous avons beaucoup plus de choses à prendre en charge par nous-mêmes. Si nous voulons rester libres et indépendants, nous ne pouvons pas renvoyer le problème sur les générations à venir.
Q - Donc il faudra essayer de se serrer la ceinture pour financer tout ça ?
R - Je le pense et c'est des choix auxquels tous les Français devront être associés, qu'ils comprennent bien les tenants et les aboutissants et que ce qui est en jeu, c'est notre indépendance.
Q - Emmanuel Macron veut organiser une réunion en format Saint-Denis avec les chefs de parti pour parler de l'Ukraine. Est-ce que vous savez quand ce sera, cette réunion ? C'est une question de jours, c'est une question de...
R - Ça se tiendra très prochainement et je crois, par ailleurs, parce que des groupes politiques l'ont demandé, que des discussions auront lieu aussi au Parlement.
Q - Il y aura un débat à l'Assemblée ?
R - Je crois, et c'est très important...
Q - Vous le souhaitez en tout cas ?
R - Je le souhaite. C'est très important que tous les Français et leurs élus s'approprient pleinement la gravité du moment dans lequel nous nous trouvons et la difficulté de certains choix que nous aurons à faire.
Q - Ça doit venir vite, là encore, j'imagine ?
R - Ça doit venir vite.
Q - La semaine prochaine, cette semaine ?
R - C'est une période de vacances, donc il faut peut-être que chacun ait le temps de se retourner, mais en tout cas, ça doit être organisé très prochainement.
Q - Ce qui est sûr, c'est que le sujet fait bouillonner notre classe politique. "Jean-Noël Barrot, notre ministre des affaires étrangères, refuse de discuter avec le ministre des Affaires étrangères russe alors qu'il est à plat ventre devant le nouveau régime syrien d'Al-Qaïda et de Daech qui est d'une complaisance inouïe à l'égard de l'Algérie", ça, c'est Jordan Bardella qui l'a dit hier.
R - Mais Jordan Bardella, voyez-vous, est à plat ventre devant tous les tyrans et despotes de ce monde. Il se prosterne devant Elon Musk et ses amis, qui voudraient que tout soit possible sur Internet, y compris le pire de ce que l'on connaît. Donc, je n'ai pas tellement de leçons à recevoir de M. Bardella.
Q - Mais est-ce que le nouvel homme fort de la Syrie, Ahmed al-Charaa, va être reçu à l'Elysée ?
R - Cela pourrait être le cas. Vous savez, la semaine dernière, on a reçu une vingtaine de pays au sujet de l'avenir de la Syrie. On a exprimé au ministre des Affaires étrangères du gouvernement de transition syrien nos attentes, mais on a aussi accueilli la société civile syrienne, dont on a facilité le dialogue avec les nouvelles autorités. Et vous savez ce qu'elles ont dit, les sociétés civiles ? Elles ont dit : "merci la France. Parce que grâce à vous, pour la première fois depuis des décennies, nous avons la possibilité d'échanger librement avec le Gouvernement de notre pays".
Q - J'ai une dernière question sur le Proche-Orient. Le Hamas va rendre quatre corps demain avant de libérer sept nouveaux otages samedi. Est-ce que le franco-israélien Ohad Yahalomi fait partie des corps malheureusement qui seront rendus demain ? Est-ce que vous avez des informations sur ce sujet ?
R - Nous n'avons pas d'informations, mais nous sommes évidemment très inquiets.
Q - Vous avez des preuves de vie ? Vous avez des informations qui laissent penser qu'il aurait été tué ?
R - Aucune preuve de vie. Ofer Kalderon a été libéré, a retrouvé sa famille, et est entouré de tout le soutien de notre équipe sur place, qui continuera de l'accompagner dans les mois et les années qui viennent. J'espère qu'il en sera de même pour Ohad Yahalomi, mais je n'ai aucune information, et je suis donc très inquiet.
Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot d'être venu sur RTL ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2025