Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à France Info le 18 février 2025, sur le conflit en Ukraine et les pourparlers entre les Russes et les Américains.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Avec nous, à distance, Benjamin Haddad, bonjour, ministre délégué en charge de l'Europe. Vous êtes à Varsovie où sont réunis justement les ministres européens en charge de l'Europe. Qu'est-ce que vous en pensez, de cet axe Moscou-Washington ? Est-ce qu'il vous inquiète ? On le disait en plateau, il ne faut pas se laisser intimider par ce qui se passe à Riyad aujourd'hui.

R - C'est effectivement le moment pour les Européens de prendre leurs responsabilités. C'est pour cela que le Président de la République a réuni ses homologues hier à Paris pour dire que la sécurité de l'Ukraine, c'est aux Ukrainiens d'en décider et c'est bien sûr aux Européens aussi de pouvoir en décider. C'est pour ça qu'on a parlé de la façon de pouvoir continuer à mettre et à augmenter la pression sur la Russie, à soutenir les Ukrainiens pour les mettre dans la meilleure position de négociation, et bien sûr à réfléchir après aux garanties de sécurité à long terme parce qu'un cessez-le-feu dégradé, bâclé, sans garanties de sécurité, ce n'est pas une paix durable. Ce n'est pas la stabilité du continent européen. Et donc, le message qu'on fait passer à nos partenaires, c'est que ça ne sert à rien de se précipiter vers un cessez-le-feu qui, au fond, ne serait qu'une parenthèse et qui permettrait à la Russie de réarmer et demain de réattaquer. Donc c'est vraiment la sécurité de l'Europe qui est en jeu. On a eu ce rendez-vous qui était fondamental hier, qui sera suivi d'autres réunions. On aura, je pense, des annonces de la Commission européenne aussi pour renforcer nos moyens de défense, mais fondamentalement, on est dans un moment de bascule, on voit un tournant. On voit les Etats-Unis qui tournent le dos à la sécurité de l'Europe. C'est le constat qu'a posé la France depuis des années. Et désormais, on doit maintenant monter en capacité et se prendre en main.

Q - Et là, le divorce avec les Etats-Unis, il est acté pour vous ? Justement, c'est terminé, il faut passer à autre chose. Qu'est-ce que ça vaut encore, l'Alliance atlantique aujourd'hui ?

R - Encore une fois, on voit, on entend ce que nous disent les dirigeants américains. On voit, au fond, une tendance de long terme, je voudrais dire. Vous savez, Barack Obama avait parlé du pivot vers l'Asie, avait fait la ligne rouge en Syrie. On avait vu déjà le premier mandat de Donald Trump. On a entendu ce discours sur la nécessité pour les Européens d'augmenter leurs budgets de défense, de prendre en charge leur sécurité, déjà depuis plus d'une décennie. Donc à un moment, il faut entendre ce que nous disent les Américains. Il faut voir aussi la situation géopolitique dans laquelle on est. Une Russie revancharde, agressive, non seulement avec la guerre en Ukraine, mais aussi avec ses ingérences dans les processus électoraux - on peut penser à la Moldavie ou encore à la Roumanie, à la guerre hybride qu'elle mène contre nos démocraties. À un moment, effectivement, si on fait face à cette solitude, nous, en Européens, il faut qu'on sorte de cette vacance de l'histoire qu'on a prise depuis déjà 70 ans. C'est vraiment le message, encore une fois, qu'on a porté hier. Et donc là, l'urgence, le premier test, c'est l'Ukraine. C'est bien sûr de donner aux Ukrainiens les moyens de se mettre dans le rapport de force le plus favorable possible pour cette négociation, de refuser un cessez-le-feu qui serait un cessez-le-feu bâclé, sans garanties de sécurité, qui n'assure pas une paix durable sur le continent européen. Comment on continue à mettre la pression sur la Russie ? Comment on continue à mettre les Ukrainiens dans le rapport de force le plus favorable ? Et puis après, comment est-ce qu'on peut garantir la sécurité à la fois de l'Ukraine et de l'Europe à plus long terme ? C'est vraiment le message là, et c'est pour ça que je suis aussi à Varsovie. Vous savez, aujourd'hui, nous avons, avec mes collègues ministres des affaires européennes, le début de la négociation du budget de l'Union européenne. Il faudra qu'on réponde à l'urgence de réarmer. Il faudra aussi qu'on réponde à la nécessité d'investir dans notre compétitivité, dans notre innovation, d'être moins dépendants sur les infrastructures critiques, sur les technologies des Américains et des autres. Il faudra qu'on ait une ambition forte. C'est le message que je porte aujourd'hui à Varsovie auprès de mes collègues.

Q - Et dans ce contexte, Benjamin Haddad, comment vous avez reçu, comment vous avez accueilli les propos de Dimitri Peskov et du Kremlin ce matin qui disaient, pour l'Ukraine, oui à l'Union européenne et non à l'OTAN ?

R - Je vous réponds de façon très simple que ce n'est pas la Russie qui décide de l'avenir de l'Ukraine. Ce n'est pas la Russie qui décide de la possibilité pour les Ukrainiens d'être candidats à l'Union européenne ou à l'OTAN. La France soutient la possibilité pour l'Ukraine d'être candidate à l'Union européenne et à l'OTAN. C'est aux Ukrainiens de déterminer leur avenir, leur souveraineté. C'est pour ça qu'ils se battent. Et c'est, je dirais, la condition même, d'ailleurs, de l'architecture de sécurité européenne. Donc la Russie n'a pas un droit de veto sur l'avenir de l'Ukraine.

Q - Et c'est aussi, effectivement, l'appel que fait Volodymyr Zelensky à une Europe de la défense. On parlait en plateau, je ne sais pas si vous avez pu nous entendre, mais justement, de comment trouver une solution pour que l'Europe, pour que les 27, qui ne seront jamais d'accord, on le sait, se mettent autour de la table. Vous êtes revenu sur cette réunion hier, où il y avait huit pays, dont sept des 27. Est-ce que c'est ça, la solution, de travailler par petits groupes pour trouver des sorties de crise ?

R - Moi je crois effectivement à ces formats assez agiles. On a beaucoup d'autres partenaires européens qui ont envie de participer, qui peuvent réfléchir à la façon dont on augmente nos moyens de défense, on trouve des nouveaux financements, des nouvelles coopérations, la participation aussi aux garanties de sécurité, après, à l'Ukraine. Mais effectivement on a des partenaires comme le Royaume-Uni par exemple, qui est un acteur majeur des questions de défense et de sécurité en Europe, et donc là qu'il faut inclure dans ces conversations. On a vu d'ailleurs le partenariat entre le Président de la République et le Premier ministre Starmer qui porte ses fruits. Donc là-dessus, soyons agiles, soyons réalistes. Le plus important, c'est d'avoir des résultats rapidement.

Q - Merci infiniment, Benjamin Haddad, d'avoir pris le temps de répondre à nos questions sur France Info, donc, depuis Varsovie où vous vous trouvez.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2025