Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à deux questions sur le conflit en Ukraine, au Sénat le 19 février 2025.

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Circonstance : Questions d'actualité au Gouvernement, en séance publique, au Sénat

Texte intégral

Monsieur le Président,

Je veux me joindre aux félicitations que vous avez adressées à Nadia Sollogoub pour son travail sans relâche pour cultiver et entretenir les liens entre la France et l'Ukraine.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, Madame la sénatrice [Nadia Sollogoub],

Le Premier ministre l'a dit tout à l'heure, l'Europe est face à une menace existentielle. Alors comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a dix ans, lorsque la Russie a lancé sa première guerre, si je puis dire, contre le Donbass et contre la Crimée, sans doute avons-nous fait preuve de faiblesse en acceptant un cessez-le-feu fragile que la Russie a violé par 20 fois avant de lancer son invasion à grande échelle de l'Ukraine. Entre-temps, les Etats-Unis d'Amérique ont changé d'orientation stratégique et ont décidé de laisser l'Europe assumer seule la charge de sa sécurité et de sa défense. Et aujourd'hui, Madame la Sénatrice, c'est l'Ukraine qui est la sentinelle de l'Europe et ce sont les Ukrainiens qui tiennent la première ligne de défense de l'Europe.

Alors heureusement - heureusement ! -, la France a pris un peu d'avance et grâce aux lois de programmation militaire qui ont été adoptées et qui ont été tenues, nous aurons fait doubler dans quelques années les moyens que nous consacrons à la défense nationale. Mais au niveau européen, il y a encore certains de nos partenaires qui sont en retard, et c'est la raison pour laquelle le Président de la République a convié lundi à Paris et aujourd'hui encore certains de ces partenaires, non seulement pour appeler à un réveil européen mais aussi pour demander à exiger de la Commission européenne qu'elle relâche certaines des contraintes budgétaires qui contraignent la capacité des États membres à faire les efforts nécessaires.

Ce réveil des dirigeants des pays européens est une bonne chose, c'est vrai. Mais rien ne sera possible sans un réveil des peuples et de leurs représentants. Et c'est pourquoi je vous invite, puisque le Premier ministre a annoncé qu'un débat se tiendra dans les assemblées sur le fondement de l'article 50-1 de notre Constitution, à vous en saisir pleinement. Car ça n'est que par un réarmement moral qui embarque toute la nation que nous parviendrons à dissuader la menace en lui imposant la force plutôt que la faiblesse.


Monsieur le président Cédric Perrin,

Vous avez raison, nous avons vécu dans une forme d'insouciance. En 1955, il y a 70 ans, nous consacrions 6% de notre richesse nationale à nos dépenses militaires et nous sommes parvenus ces dernières années à faire remonter ce niveau à peu près à 2%, ce qui est évidemment insuffisant. Or la guerre est proche, ou en tout cas elle se joue proche de nous, et vous vous souvenez, Monsieur le Président, lorsque nous sommes rendus en Ukraine, que nous avons constaté les ravages de la guerre. Nous les avons vus sur les corps mutilés des soldats revenus du front. Nous l'avons vu dans les esprits des enfants déportés, arrachés à leur famille, rééduqués dans des camps russes ou biélorusses. Nous l'avons vu à Soumy, tout proche de la ligne de front, où nous avons pu échanger avec les soldats qui courageusement menaient la contre-offensive, ou en tout cas l'offensive sur la région de Koursk. Et nous sommes revenus avec la conviction d'abord que le soutien de la France à l'Ukraine avait été décisif pendant ces trois ans. Avec la conviction que la menace est proche, qu'elle est imminente et qu'elle est grave. Et puis avec la conviction, comme vous l'avez dit, qu'un indispensable sursaut est nécessaire de la part des Françaises et des Français si nous voulons faire face.

Si nous voulons faire face et si nous voulons que la France joue son rôle, "il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde" - vous avez cité le général de Gaulle, permettez-moi de le citer à mon tour. Dans ce moment historique pour le continent européen, c'est la France qui peut montrer l'exemple, qui peut montrer la voie, et qui dans ce moment de fragmentation du monde, de fracturation du monde, non pas sur des lignes géographiques entre le nord et le sud, l'est et l'ouest, mais entre les partisans de la violence d'un côté et les partisans du droit de l'autre, de montrer que face à tous ces empires qui se réveillent, nous pouvons opposer de la force et de la résistance pour ne pas laisser la Russie et ceux que vous avez cités gagner et emporter dans leur sillage tout ce que nous avons patiemment bâti depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et je le redis, ce débat que le Premier ministre a voulu sur le fondement de l'article 50-1 de notre Constitution sera l'occasion de la pleine appropriation par le peuple français, au travers de ses représentants, de ces sujets graves qui sont devant nous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2025