Interview de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, à France 2 le 21 février 2025, sur la politique agricole.

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Média : France 2

Texte intégral

ANNE BOURSE
Bonjour Annie GENEVARD. La loi d'orientation agricole a été donc adoptée hier soir au Sénat. Est-ce l'assurance d'une ouverture du salon de l'agriculture un peu plus calme et tranquille que l'an dernier où on se souvient tous de cette image d'Emmanuel MACRON chahuté, sifflé pendant de longues heures ?

ANNIE GENEVARD
Je le crois, je l'espère. Le monde agricole a besoin de prendre une respiration. Il aspire au calme. Et puis je l'espère aussi parce que ce salon de l'agriculture, vous le savez, c'est un grand moment pour les Français. Ils s'y pressent très nombreux. Ils sont heureux de côtoyer les agriculteurs, de voir leur production, leurs animaux. L'engouement des Français pour le Salon de l'agriculture, c'est une grande fête populaire qu'il ne faut pas gâcher.

ANNE BOURSE
Justement dans cette loi, ce texte, l'agriculture est reconnue comme intérêt général pour la nation. La réglementation y est aussi simplifiée. Cette loi ne fait-elle pas la part belle à un modèle productiviste ?

ANNIE GENEVARD
Alors je m'inscris en faux. C'est effectivement la critique que certains professent et c'est profondément injuste. Oui, les agriculteurs produisent. Il faut réhabiliter l'acte de production, d'autant que nous sommes dans un monde qui est instable et finalement, reconquérir notre souveraineté alimentaire suppose effectivement de produire. Sinon, quelle dette alimentaire va-t-on laisser à nos enfants ? Qu'est-ce qu'il y aura comme alimentation dans l'assiette de nos enfants ? Donc oui, la France, grande puissance agricole, doit reconquérir son alimentation. Il y a trop de secteurs dans lesquels nous sommes aujourd'hui en déficit de production. On peut produire… on doit produire davantage sans pour autant sacrifier à la biodiversité, au respect de l'environnement ou je ne sais quoi.

ANNE BOURSE
On vient de l'entendre avec Axel De TARLE quand on voit la concurrence sur la tomate avec un coût de main-d'oeuvre notamment 18 fois moins cher au Maroc qu'en France. Comment le producteur de tomates en France peut résister ?

ANNIE GENEVARD
Alors le Maroc est l'invité de la France pour ce salon, confirmant ainsi sa vocation internationale. Nous recevrons plus de 30 ministres et délégations étrangères. Il y a un rayonnement français de son agriculture. L'agriculture française exporte et elle importe aussi.

ANNE BOURSE
Je crois qu'on importe un légume sur deux, en France, 50% ?

ANNIE GENEVARD
Alors on importe trop. On importe trop en volaille, en fruits, en légumes, c'est certain. Et la question de la tomate est en effet un irritant.

ANNE BOURSE
Quel outil donner au producteur de la tomate en ce moment ?

ANNIE GENEVARD
C'est un irritant entre la France et le Maroc puisque l'accord qui a été conclu autrefois disait que le Maroc exporterait chez nous des tomates à un moment où nous ne pouvons plus les produire. Or, aujourd'hui, l'importation des tomates marocaines se fait toute l'année. Donc lorsque le Président de la République est allé au Maroc… J'ai rencontré mon homologue marocain, je lui ai dit que c'était un irritant. Et les filières françaises et marocaines ont recommencé à se parler pour voir les points de désaccord qui sont connus mais surtout comment on peut en sortir.

ANNE BOURSE
On a des barrières douanières là aussi ?

ANNIE GENEVARD
Alors des barrières douanières quand il y a des accords, c'est compliqué mais il faut lutter contre une concurrence qui est déloyale, rétablir des relations équilibrées. C'est pour ça d'ailleurs qu'on se pose au Mercosur parce que l'accord est très déséquilibré et se fait au désavantage de nos propres producteurs. Oui, donc il faut réhabiliter l'acte de produire, c'est la noblesse du métier d'agriculteur.

ANNE BOURSE
Vous parlez de la souveraineté alimentaire, est-ce que la souveraineté alimentaire est justement compatible avec l'environnement ?

ANNIE GENEVARD
Mais bien sûr. Opposer agriculture et environnement n'a pas de sens. D'ailleurs les agriculteurs en sont parfaitement conscients. Ils travaillent avec le vivant. L'agriculture c'est le métier du vivant donc ils ont intérêt à protéger leurs outils de production, le sol, la qualité des productions. L'agriculture française est une des plus vertueuses du monde. Elle est soucieuse de la qualité de ses productions, de la qualité de son environnement.

ANNE BOURSE
Il y avait un message à faire passer quand, par exemple, aujourd'hui on peut détruire une haie, c'est dans la loi, et payer une simple amende de 450 euros. Ce sont des choses… il fallait donner ces signes-là aujourd'hui aux agriculteurs.

ANNIE GENEVARD
La haie, c'est un lieu où se développe la biodiversité. Elle est utile et on en replante massivement. Dans le budget, cette année, il y aura 20 millions supplémentaires donnés à la replantation des haies. Les agriculteurs en sont conscients. Simplement, autrefois, quand ils détruisaient une haie pour en replanter ailleurs, ils étaient possiblement soumis à des peines pénales très lourdes de prison et des peines financières très lourdes. C'est simplement un rééchelonnement des peines. La dépénalisation qui est dans la loi d'orientation agricole, c'est pour les atteintes non intentionnelles et non irrémédiables à l'environnement.

ANNE BOURSE
C'est ce qui fait débat aussi ?

ANNIE GENEVARD
Ça fait débat… C'est la réglementation européenne. On est simplement revenu à un quantum de peine qui est conforme à la réglementation européenne. Donc ça n'est pas un droit à détruire, comme je peux l'entendre, de ceux qui sont dans une approche idéologique. Oui, les agriculteurs sont respectueux de l'environnement parce que c'est leur outil de travail.

ANNE BOURSE
Autre sujet d'inquiétude : les négociations avec la grande distribution qui doivent se terminer d'ici normalement le 1er mars. Malgré les lois EGalim, les revenus des agriculteurs restent globalement assez faibles. Vous avez parlé de dysfonctionnement dans les relations entre agriculteurs, producteurs et des grandes surfaces. Vous pensez à qui en particulier ?

ANNIE GENEVARD
Je pense qu'on est dans un moment de tensions, de négociations entre la grande distribution et le monde de la transformation, l'agroalimentaire. J'aspire à ce que chacun puisse tirer un juste revenu. C'est une question d'équilibre.

ANNE BOURSE
Ça fait des années qu'on en parle.

ANNIE GENEVARD
EGalim, comme son nom l'indique, il y a les producteurs. Il faut donc protéger la rémunération des producteurs. Il y a les transformateurs, ceux qui transforment la matière première et qui ont toute leur place dans la chaîne alimentaire française. Et puis, il y a le monde de la distribution, très important aussi. Donc, chacun doit trouver son compte dans ces relations. Or, aujourd'hui, ce que je constate, ce que j'entends, c'est que les relations sont très tendues entre l'agroalimentaire et le monde de la distribution. Et j'appelle chacun, évidemment, à non seulement un apaisement, mais aussi à ce que chaque partie de cette chaîne alimentaire puisse être justement rémunérée. Les négociations vont bientôt s'achever. Peu de contrats ont été signés. Donc, c'est un sujet de préoccupation, c'est un sujet d'inquiétude.

ANNE BOURSE
Justement, l'inquiétude se traduit parfois aussi dans les urnes. La coordination rurale a remporté 14 chambres d'agriculture. La proximité entre la coordination rurale et le Rassemblement national est connue. Est-ce que ça change les choses pour vous, en tant que ministre de l'Agriculture, dans les discussions avec vos interlocuteurs ?

ANNIE GENEVARD
D'abord, ces élections dans les chambres d'agriculture, ça a été un moment de démocratie agricole où les agriculteurs se sont prononcés. Donc, on ne peut que se réjouir que ces élections se soient correctement déroulées. Elles ont modifié certains équilibres, c'est vrai. De mon point de vue, moi, j'ai toujours reçu tout le monde. Il y a cinq formations syndicales.

ANNE BOURSE
Vous parlez avec tout le monde ?

ANNIE GENEVARD
Je parle absolument avec tout le monde, ça me semble essentiel. C'est une question de respect. Tous n'ont pas la même vision de l'agriculture ; il y a des visions conquérantes de l'agriculture, il y a des visions plus protectionnistes de l'agriculture. Mais chacun, moi, je tire toujours beaucoup d'enseignements et beaucoup d'enrichissement de ces conversations que je peux avoir avec les syndicats. Maintenant, comme j'ai toujours parlé avec eux, je vais continuer naturellement. Ils vont être reçus par le Président de la République avant l'inauguration du Salon. Et puis, j'irai les visiter sur leur stand, comme je les reçois à mon ministère régulièrement, notamment pour le grand travail de simplification que je fais avec eux.

ANNE BOURSE
Une dernière question très rapide. Vous êtes ministre de l'Agriculture, aussi secrétaire générale par intérim des Républicains. Laurent WAUQUIEZ, Bruno RETAILLEAU se disputent déjà la tête du parti. Le match est lancé. Certains parlent de guerre des chefs. C'est ce que vous craignez ?

ANNIE GENEVARD
Je pense qu'un parti comme Les Républicains ne doit pas craindre une élection, des élections pour la présidence de notre parti ou pour les primaires de l'élection présidentielle. Nous en avons connu et des très disputées avec des personnalités fortes de premier plan. Je crois qu'il n'y a rien, par principe, à redouter d'une élection menée au sein des Républicains pour la présidence de notre mouvement. Cette présidence doit faire l'objet d'une élection. C'est important. Je connais bien, évidemment, Bruno RETAILLEAU et Laurent WAUQUIEZ.

ANNE BOURSE
Vous ne croyez pas à une lutte fratricide entre les deux ? Est-ce que vous en soutenez un en particulier ?

ANNIE GENEVARD
Il ne faut pas que cette lutte soit fratricide. Parce que d'abord, ils s'abîmeraient eux-mêmes, ils se déconsidèreraient aux yeux de nos adhérents qui détestent la guerre des chefs. Donc on peut être en compétition électorale sans se faire la guerre. Et moi, comme secrétaire générale, je dois veiller dans la neutralité de ma fonction à ce que les choses se passent bien. Je m'y emploierai.

ANNE BOURSE
Merci beaucoup et bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2025