Interview de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, à RMC le 25 février 2025, sur une attaque terroriste à Mulhouse et les tensions avec l'Algérie.

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Média : RMC

Texte intégral

MATTHIEU BELLIARD
Les attaques, comme à Mulhouse samedi, ou les provocations, comme avec ces influenceurs algériens, se multiplient. La question de l'expulsion des ressortissants algériens sous obligation de quitter le territoire français, à la Une ce matin. Avec nous, le ministre auprès du ministre de l'Intérieur, François-Noël BUFFET. Bonjour.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Bonjour.

MATTHIEU BELLIARD
L'Algérie refuse de reprendre ses ressortissants. Dans le bras de fer qui nous oppose en ce moment à Alger, on est démuni ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
D'une manière générale, on a un problème avec les pays sources, avec certains pays sources d'immigration, qui sont le fait d'obtenir ce qu'on appelle les laissez-passer consulaires, dès lors qu'on a décidé de renvoyer quelqu'un dans son pays d'origine, et donc de prendre ce qu'on appelle l'obligation de quitter le territoire national. Il y a un point spécifique, qui est là depuis de nombreuses années avec l'Algérie, où nous avons beaucoup de mal à renvoyer des Algériens en situation irrégulière sur le territoire national, et, j'allais dire titulaire, et faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire. Alors, les chiffres sont assez clairs. Finalement, en 2024, on a renvoyé 2 504 Algériens en Algérie. On cumule les renvois forcés avec les renvois volontaires. Les renvois forcés, c'est exactement 1 719 sur un peu plus de 21 000 OQTF, qui ont été prises à l'égard de ressortissants algériens.

MATTHIEU BELLIARD
Alors, dans le cas de l'assaillant de Mulhouse, la chaîne judiciaire administrative française a fonctionné. Il a été interpellé pour apologie du terrorisme, placé en détention, jugé, condamné. Il a purgé sa peine de prison, il a été placé en centre de rétention administrative. L'Algérie, qui a refusé son retour par dix fois ensuite ; " inacceptable " dit François BAYROU. Pourtant, on l'accepte.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Il y a deux aspects dans cette affaire de Mulhouse. Elle caractérise le fait qu'on doit faire évoluer notre droit. Je rappelle que nous avions voté au Sénat, à l'initiative de votre serviteur, un texte le 30 janvier 2024 qui permettait une rétention plus longue, d'une part, de 210 jours pour pouvoir garder les personnes sous main de justice, une prolongation judiciaire aussi possible.

MATTHIEU BELLIARD
Contre 90 aujourd'hui.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Voilà, qui tenait compte aussi de la situation psychiatrique des différentes personnes. Ce texte a été voté quasiment à l'unanimité au Sénat. Il faut qu'il soit désormais devant l'Assemblée nationale. Si tel avait été le cas…

MATTHIEU BELLIARD
Il a été bloqué par la dissolution. Parce qu'il a été voté il y a un an.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Oui, c'est la dissolution. Ce n'est pas une volonté de ne pas le faire…

MATTHIEU BELLIARD
Est-ce que ça veut dire, François-Noël BUFFET, qu'en l'état du droit, aujourd'hui, en est impuissant ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
On est en tous les cas en difficulté. Donc il faut voter ce texte à l'Assemblée nationale pour le rendre définitif et donner des outils supplémentaires. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est de revoir nos relations avec l'Algérie. Calmement, sereinement, mais fermement. On ne peut pas continuer de fonctionner comme ça, et sous une telle pression, avec les conséquences que l'on connaît. C'est tout de même un mort, et il peut y en avoir d'autres demain, et on connaît cette chose. Donc, il faut reprendre les discussions fermement avec l'Algérie.

MATTHIEU BELLIARD
Il faut reprendre les discussions, mais si l'Algérie ne veut pas en fait ? Si elle ne décroche pas le téléphone ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Si elle ne veut pas et si elle ne décroche pas le téléphone, dans ces cas-là, nous avons toute liberté de pouvoir dénoncer, par exemple les accords de 1968, qui ont été révisés à plusieurs reprises, de modifier notre propre…

MATTHIEU BELLIARD
On ne va pas les dénoncer unilatéralement ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
On va engager déjà la procédure de dénonciation. Je rappelle qu'il y a un certain nombre de règles qui s'appliquent, et puis ensuite, durcir nos dispositifs et refixer nos politiques migratoires. On a beaucoup de moyens de discussion avec l'Algérie, et j'allais presque dire, de moyens de pression. La condition est, à mon avis, assez simple dans le principe qui consiste à dire que la France dise ce qu'elle veut, ce que nous voulons très précisément, et qu'on met tout ça sur la table et qu'on avance. On ne peut pas rester dans une situation immobile.

MATTHIEU BELLIARD
Il faut bloquer les visas avec l'Algérie ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Je pense que si à un moment…

MATTHIEU BELLIARD
C'est L'Opinion qui donne ce chiffre ce matin. Pour 85 visas accordés à des Algériens, on a un laissez-passer consulaire. Il y a un petit problème d'équilibre.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Je pense qu'il faut établir ce qu'on appelle un rapport de force. Ce rapport de force passe probablement par le fait qu'on bloque les visas. Moi, j'avais essayé, dans la loi immigration votée en janvier 2024, que l'on puisse mettre dans les textes le fait qu'on bloque les visas dès lors qu'on n'obtient pas le laissez-passer consulaire. Bon, ça n'a pas été retenu, c'est bien dommage, mais c'est une façon de faire qui me paraît absolument essentielle.

MATTHIEU BELLIARD
Certains vous diront que ça ne marche pas, parce qu'après tout, on est dans l'espace Schengen, et que rien n'empêche un Algérien d'avoir un visa pour l'Espagne puis de venir en France, pour l'Italie puis de venir en France. Est-ce que c'est le bon levier ? Et puis en plus de ça, on va pénaliser des populations qui, elles, n'ont rien fait.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Vous avez en partie raison et en partie tort. Je pense qu'en matière migratoire, comme dans beaucoup de sujets, le message envoyé est plus important que la mesure elle-même à certains égards. Donc il faut afficher une volonté, une volonté très claire, et puis au cas par cas on réglera les affaires, mais ne pas rester dans une situation, j'allais dire constante, qui ne bouge pas et pour laquelle nous sommes en difficulté. Donc affirmons les choses, prenons des mesures. Elles ne seront peut-être pas, en totalité, parfaites mais elles nous permettront d'avancer, parce que l'immobilisme pour nous est très ennuyeux.

MATTHIEU BELLIARD
Alors on parle beaucoup de l'accord de 68 ; il y a un autre accord qui date de 2007, celui-ci - si je ne dis pas de bêtises - sur les visas diplomatiques, qui bénéficiaient à la nomenklatura algérienne, à l'establishment algérien. Est-ce qu'on peut bloquer peut-être plus rapidement encore là-dessus ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
On a les outils suffisants pour pouvoir bloquer ce type de dispositif et reprendre la main, c'est ce que j'appelle établir… C'est ce que j'appelle le dernier rapport de force.

MATTHIEU BELLIARD
Pourquoi on ne le fait pas ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Il faut le faire. Le Premier ministre a lancé une réunion demain interministérielle qui vise à poser les problématiques sur la table. Ça fait partie de la bonne démarche. Ensuite il faudra évidemment que le Président de la République s'en saisisse, parce que les relations internationales c'est lui, mais il faudra que d'abord le Gouvernement fixe la règle, fixe ses objectifs, et ensuite que le Président de la République fasse le relais, il n'y a pas d'autre hypothèse.

MATTHIEU BELLIARD
Il y a plusieurs choses dans ce que vous dites, d'abord vous en appelez clairement relation internationale à l'Élysée, au chef de l'État.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Mais c'est la Constitution qui veut ça.

MATTHIEU BELLIARD
Non mais vous lui demandez d'engager le bras de fer avec monsieur TEBBOUNE, Président algérien.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Le Gouvernement, demain, va se réunir, va poser les problématiques sur la table, va définir une stratégie bien évidemment. Il faudra relayer bien sûr avec le Président de la République.

MATTHIEU BELLIARD
Il y a une autre chose dans ce que vous disiez, c'est ce comité interministériel sur l'immigration demain, qui était organisé avant l'attentat de Mulhouse. Et on semble deviner que vous n'êtes pas tous d'accord au Gouvernement sur cette question-là. Je pense à Jean-Noël BARROT qui est le ministre des Affaires étrangères. A priori, c'est son sujet aussi. « Ce qui nous intéresse, dit-il, c'est la sécurité des Français, pas le rapport de force pour le rapport de force. Quand on agit de façon unilatérale, ça ne fonctionne pas. » Il y a un point de distension au Gouvernement ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Il y a la nécessité que le Premier ministre, et il le fait, organise et coordonne l'action. Je pense qu'on peut être ferme et déterminé, mettre notre droit à profit pour défendre nos compatriotes mais aussi nous faire respecter. On peut le faire calmement et sereinement ; la seule condition, pour moi, qui me paraît essentielle, c'est la détermination. Il faut être déterminé pour le faire. L'Algérie doit être considérée comme un pays comme un autre. Nous avons certes une histoire particulière, mais on doit la considérer comme un pays comme un autre ; raisonner, j'allais presque dire, si je peux me permettre cette expression, entre adultes, mais la France doit défendre ses intérêts bien légitimes, donc il faut que le Gouvernement ait une position claire.

MATTHIEU BELLIARD
Mais là, pour l'instant, permettez-moi, il y a d'abord un objectif de convaincre au sein même du Gouvernement, si j'ai bien compris.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Je pense que demain, s'il y a des petites…

MATTHIEU BELLIARD
…de convaincre François BAYROU en tout cas.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
On peut comprendre, le Premier ministre a clairement fixé la règle, donc le Premier ministre a dit : " on doit réagir " et il a raison.

MATTHIEU BELLIARD
Une dernière question sur les laissez-passer consulaires que l'Algérie, parce que l'Algérie en publie certains. En décembre 2023, seuls 35% des retenus en centre de rétention administrative sont réellement expulsés. Est-ce que l'Algérie choisit ces OQTF ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Il est probable que beaucoup de pays d'origine, que ce soit l'Algérie ou d'autres, à certains moments, font des choix.

MATTHIEU BELLIARD
Et nous laissent les plus dangereux.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Ce n'est pas dit comme ça. On ne reconnaît pas son ressortissant, on dit qu'on ne le connaît pas, mais dans ces cas-là, on ne peut pas le renvoyer.

MATTHIEU BELLIARD
Mais sur les profils, ce sont les plus dangereux qui restent ici ?

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
En partie, oui, c'est probable, bien sûr.

MATTHIEU BELLIARD
Merci François-Noël BUFFET. Dans 24 heures, ce comité interministériel. On verra ce qu'en dit le Premier ministre, François BAYROU, merci d'être venu nous éclairer, éclairer nos auditeurs sur cette question sensible.

FRANÇOIS-NOËL BUFFET
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 février 2025