Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec BFM TV le 24 février 2025, sur le conflit en Ukraine.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Le ministre chargé de l'Europe est avec nous, bonjour Benjamin Haddad.

R - Bonjour,

Q - Vous êtes à Kiev, donc, pour une réunion autour de Volodymyr Zelensky, trois ans, nous sommes le 24 février, après le début de la guerre. Votre rendez-vous avec le président ukrainien, je crois que c'est dans l'heure qui vient. Vous allez lui dire quoi ?

R - Oui, nous sommes ici à Kiev trois ans, jour pour jour, après le début de l'agression de la Russie. Ça fait trois ans que les Européens et les Américains aident l'Ukraine à se défendre, à défendre sa liberté et sa souveraineté, et surtout à assurer la sécurité des Européens. Ce que nous dirons avec les chefs d'Etat et de gouvernement réunis autour de Volodymyr Zelensky tout à l'heure, c'est que ce qui se passe ici, ça engage notre sécurité. Et donc, c'est le moment de vraiment rester unis, déterminés, assurer un rapport de force avec la Russie, et qu'il ne peut pas y avoir de paix juste, durable, une stabilité de l'Europe, sans garanties de sécurité. Et donc, c'est pour ça qu'on refuse toute forme de cessez-le-feu bâclé, toute forme de capitulation. C'est aussi pour cela que le Président de la République, vous le savez, se rend, aujourd'hui à Washington pour rencontrer Donald Trump, faire entendre la voix des Européens, pour y défendre nos intérêts, et pour réfléchir à cette paix durable et l'élaboration de ces garanties de sécurité. Ce qui se joue est vraiment critique, aujourd'hui, pour les intérêts des Européens. C'est pour ça que c'était important d'être présent aujourd'hui.

Q - Benjamin Haddad, il se trouve qu'hier, Volodymyr Zelensky a, pour la première fois, évoqué son départ du pouvoir. Il se dit prêt à quitter la présidence en échange de l'adhésion de son pays à l'OTAN. C'est une pirouette face à l'hostilité de Donald Trump, ou c'est très sérieux ? Vous allez lui en parler tout à l'heure ?

R - Vous savez, Volodymyr Zelensky, il incarne la résistance héroïque de son peuple depuis trois ans. Quand certains lui avaient proposé de quitter la capitale ukrainienne, rappelez-vous qu'il y avait, il y a trois ans, des forces russes à Kiev qui essayaient de l'abattre, lui et les siens, il a fait le choix de rester. En cela, vraiment, il a été absolument admirable et il faut lui rendre hommage. Et après, effectivement, il a dit les choses très clairement, hier, quand il parlait de l'adhésion à l'OTAN. C'est que, fondamentalement, vous savez, les Ukrainiens ici se rappellent de leur histoire. Ils se rappellent des années 1990, du mémorandum de Budapest, où ils avaient abandonné le programme nucléaire contre des garanties de sécurité qui ont été violées, bafouées par la Russie. Ils se rappellent des accords de Minsk, après 2014, qui ont été violés des dizaines de fois aussi par la Russie. Et donc, la seule façon de faire en sorte qu'un cessez-le-feu, demain, ne soit pas juste une parenthèse que la Russie va utiliser pour réarmer et pour après réattaquer quelques années plus tard, c'est précisément d'avoir ces garanties de sécurité dans lesquelles les Européens joueront tout leur rôle et devront prendre leurs responsabilités. C'est l'enjeu, vraiment, des négociations qui ont lieu en ce moment ici, comme entre le Président Macron et le président Trump à Washington.

Q - Alors, justement, Benjamin Haddad, est-ce que ce n'est pas à Washington que tout se joue, finalement ?

R - Bien sûr. Mais à Washington, vous savez, c'est un moment stratégique. Le Président de la République s'y rend. Il a réuni, vous le savez, tous ses homologues européens dans plusieurs séquences la semaine dernière pour échanger nos vues, pour dire que l'Europe serait au rendez-vous. Il ne faut pas oublier que l'Europe, depuis trois ans, quand on regarde l'aide militaire, économique, humanitaire, a donné plus que les Etats-Unis. Elle a pris ses responsabilités. C'est un enjeu de long terme. Et puis vous savez, au-delà de la question du soutien à l'Ukraine, se jouera aussi fondamentalement la question pour les Européens de prendre en charge leur destin, d'investir dans leur autonomie stratégique, d'augmenter leurs dépenses de défense et leur coopération sur les questions militaires. C'est vraiment un tournant. Mais effectivement, on a ce dialogue avec le président des Etats-Unis, où on fera entendre là nos intérêts et la voix des Européens.

Q - Sauf que Benjamin Haddad, l'axe qui se dessine, en ce moment, c'est un axe Trump-Poutine, Washington-Moscou. Qu'est-ce qui vous permet de penser ce matin que la paix va pouvoir se faire aussi avec Volodymyr Zelensky et avec les Européens, alors que pour l'instant, ils sont écartés de la table, là ?

R - Vous savez, ce sont les Ukrainiens qui se battent aujourd'hui sur le terrain. Ce sont les Ukrainiens qui meurent pour leur liberté et pour notre sécurité. Donc on ne peut pas imaginer un instant une négociation sur l'avenir de l'Ukraine sans les Ukrainiens, et une négociation, d'ailleurs, sur l'avenir de l'Europe et sur la sécurité de l'Europe sans les Européens, puisque ce sont les Européens qui donnent la majorité de l'aide à l'Ukraine. Et ce sont les Européens aussi qui devront jouer leur rôle dans les garanties de sécurité. C'est pour ça qu'on fait entendre notre voix. Et puis je voudrais rappeler aussi que... Vous savez, je parle là des intérêts de l'Ukraine et des Européens, mais ce n'est absolument pas dans l'intérêt des Etats-Unis de donner une victoire à Vladimir Poutine, d'offrir une capitulation. Quel message, quel précédent est-ce que ça représenterait pour la Chine, dont on sait que c'est une priorité stratégique des Etats-Unis, d'ailleurs que ce soit les démocrates ou les républicains ? Ou encore pour l'Iran, dont les drones et les missiles sont utilisés quotidiennement contre des cibles ukrainiennes ? Pour la Corée du Nord, dont les troupes combattent ici aux côtés des Russes contre l'Ukraine, et donc, contre les intérêts de sécurité des Européens ? Il faut aussi penser au message que ça renverrait. Et je crois que c'est aussi le discours que tiendra le Président de la République à Washington, aujourd'hui.

Q - Merci, Benjamin Haddad, d'avoir répondu à nos questions. Je rappelle que dans les minutes qui viennent, vous avez rendez-vous avec Volodymyr Zelensky.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2025