Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre, chargé de l'Europe, avec France Info le 24 février 2025, sur le conflit en Ukraine.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Alors qu'à Kiev, les alliés européens de l'Ukraine se sont réunis aujourd'hui pour lui assurer une nouvelle fois un soutien, marquer les trois ans de la guerre, sommet qui vient de se terminer. Bonsoir Benjamin Haddad.

R - Bonsoir.

Q - Ministre de l'Europe, vous avez porté la voix de la France à ce sommet : 16e train de sanctions contre la Russie, nouvelle aide européenne de 3,5 milliards d'euros. Il y a donc eu du concret, ce n'était pas juste un sommet pour la forme, pour marquer ces trois ans, un sommet symbolique.

R - Vous avez raison de le souligner, nous sommes trois ans jour pour jour après le début de la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. C'était l'occasion aujourd'hui avec les chefs d'Etat et de gouvernement, avec les membres de la Commission européenne aussi, de réaffirmer notre solidarité à l'Ukraine autour du président Zelensky. De dire que les Ukrainiens se battent non seulement pour leur liberté, pour leur sécurité, mais bien sûr pour la sécurité de tous les Européens face à la menace russe. Mais bien sûr aussi d'annoncer des mesures : nouveau train de sanctions contre la Russie, pour accroître la pression économique contre Moscou ; nouvelles annonces de livraison d'armes, de soutien économique à l'Ukraine. Le président Costa du Conseil européen a annoncé aussi un sommet extraordinaire de l'Union européenne le 6 mars, qui sera l'occasion aussi de dégager des nouvelles ressources financières, aussi bien pour soutenir l'Ukraine sur le plan militaire que pour rehausser nos ambitions européennes sur la question de la défense, avec vraiment ce message très simple, qui est que la sécurité de l'Ukraine ne peut pas se faire sans les Ukrainiens, la sécurité de l'Europe ne peut pas se faire sans les Européens, et qu'un cessez-le-feu bâclé, sans garanties de sécurité, ce n'est pas une paix durable et juste. C'est aussi le message que porte aujourd'hui le Président de la République à Washington auprès du président Trump.

Q - Ce sommet sera peut-être un tournant, disait Volodymyr Zelensky juste avant qu'il ne débute. Est-ce que c'est l'impression que vous avez, maintenant qu'il est terminé ?

R - Moi, j'ai constaté aujourd'hui à Kiev une forte unité, une forte détermination des Européens. C'est la même unité que j'ai vu à Paris autour du Président de la République la semaine dernière lorsqu'il a réuni ses homologues pour faire entendre la voix de l'Europe. Vous savez, depuis trois ans, on l'oublie parfois, l'aide de l'Europe, l'Union européenne comme les Etats membres, sur le plan économique, humanitaire, militaire, c'est plus que celle des Etats-Unis. Les Européens ont été au rendez-vous de l'histoire, mais nous rentrons dans des semaines qui, bien sûr, sont absolument décisives pour l'avenir de notre continent et pour notre sécurité. Et c'est pour ça qu'il faut qu'on ait ce débat sur la façon d'être autour de la table, la façon de peser dans ces négociations, de faire en sorte que ce cessez-le-feu, demain, ce ne soit pas juste une parenthèse que la Russie utilise pour réarmer et pour réattaquer, mais bien sûr le début d'une paix durable et de la stabilité de notre continent. C'est pour ça aussi que nous posons la question des garanties de sécurité dans lesquelles les Européens devront prendre leur rôle.

Q - Alors justement, parce que le soutien américain militairement a été très important, plus important que celui de l'Europe, mais au total, avec le soutien à l'économie ukrainienne, l'Europe joue un rôle primordial. Mais il est question aujourd'hui d'un désengagement, notamment en termes de soutien militaire, de la part de Donald Trump. Est-ce qu'il a été question, lors de ce sommet aujourd'hui, de l'envoi de troupes européennes au sol pour assurer la sécurité de l'Ukraine si une paix est négociée avec la Russie ?

R - Mais le débat aujourd'hui, c'est de mettre les Ukrainiens dans la meilleure position de négociation possible, dans le rapport de force le plus favorable possible face à la Russie, pour ouvrir ces négociations au moment où les Ukrainiens le jugeront nécessaire et légitime.

Q - Donc c'est trop tôt pour parler de ça ?

R - Oui. Après, on aura effectivement la discussion sur la façon de garantir un cessez-le-feu, d'apporter des garanties de sécurité. Pourquoi ? Parce que vous savez, les Ukrainiens, ils connaissent leur histoire. Moi je l'ai beaucoup entendu aujourd'hui dans mes échanges avec mes homologues ukrainiens. Dans les années 1990, on leur a demandé de céder leur programme nucléaire en échange de garanties de sécurité de la part de la Russie. C'est le fameux mémorandum du Budapest. Garanties de sécurité que bien sûr la Russie a ensuite violées. En 2014-2015, après le mouvement de Maïdan, l'annexion de la Crimée, on a eu les accords de Minsk que la Russie a violé aussi des dizaines de fois. Donc la condition de la stabilité de notre continent et donc de notre sécurité, c'est aussi la façon dont tout cessez-le-feu, tout accord de paix pourrait être garanti.

Q - Est-ce qu'en 2025, pour l'Ukraine, ce sera le tour de voir céder à la fois des territoires, et puis des terres rares, des minerais, que les Etats-Unis veulent s'accaparer en partie ?

R - Mais ça c'est... Vous savez, les Ukrainiens ont toujours dit que dans une négociation, ils étaient prêts à faire des concessions, mais elles doivent être basées sur des principes. Elles doivent être basées sur les principes de la Charte des Nations unies, sur la question de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. C'est aussi pour ces principes que les Ukrainiens se battent, et c'est pour cela que nous les soutenons. Mais une fois de plus, l'enjeu aujourd'hui, c'est de montrer notre unité, notre détermination avec ce peuple ukrainien qui se bat de façon héroïque depuis trois ans et de les mettre dans les meilleures conditions aujourd'hui pour pouvoir aborder cette négociation.

Q - Et de continuer à accroître la pression sur la Russie, on l'a bien compris. Benjamin Haddad, ministre de l'Europe, Emmanuel Macron avec Donald Trump dans une demi-heure maintenant à la Maison-Blanche pour leur entretien. Est-ce qu'il est encore temps de convaincre Donald Trump de ne pas lâcher l'Ukraine ou c'est trop tard, c'est déjà fait ?

R - Mais ce n'est jamais trop tard puisque cette guerre, elle continue malheureusement aujourd'hui sur le terrain. Les Ukrainiens continuent de se battre. Et les Européens et les Ukrainiens doivent se faire entendre dans cette négociation, parce qu'on ne peut pas discuter, négocier de la sécurité de l'Ukraine sans les Ukrainiens, puisque c'est eux qui se battent aujourd'hui et de la sécurité des Européens sans les Européens, puisque c'est eux, encore une fois, qui devront prendre en charge la sécurité à long terme de leur continent. Donc le Président de la République vient faire entendre cette voix des Européens auprès du président Trump, avec qui il a cette relation de respect, de dialogue, d'honnêteté depuis des années. Ils ont travaillé ensemble lors du premier mandat. Vous le savez, le président Trump est venu à Paris, même pendant la transition, en marge de la cérémonie de Notre-Dame pour rencontrer le président Zelensky. Et donc là, le Président de la République, une fois de plus, prend ses responsabilités pour faire entendre la voix des Européens. Et au-delà de ça, au-delà même de cette question de l'Ukraine, se joue bien sûr à plus long terme la question de l'autonomie stratégique de l'Europe. Parce qu'on voit bien ce qui se passe aux Etats-Unis et dans la relation transatlantique, les Américains qui progressivement se détournent du continent européen, ça avait été le cas aussi des prédécesseurs démocrates de Donald Trump, et donc nous devons en tirer les conséquences, nous, Européens, investir massivement dans notre autonomie stratégique, sur le plan militaire, sur le plan technologique. C'est bien sûr le message que porte le Président de la République, et j'entends de plus en plus de dirigeants européens, par exemple le nouveau chancelier, ou le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, élu hier, ainsi que des dirigeants de toute l'Europe, qui aujourd'hui soulignent cette nécessité pour l'Europe d'être capable de prendre en charge son destin.

Q - D'avoir des capacités de défense autonome. Un dernier mot, est-ce qu'Emmanuel Macron va demander à Donald Trump de compléter militairement un potentiel dispositif de maintien de la paix que les Etats-Unis s'engagent aux côtés des Européens ? Est-ce que c'est l'un des principaux buts de sa visite ?

R - Je ne vais pas m'engager sur ce que dira le Président de la République au président Trump, mais il ira lui porter un message très concret, très simple, qui est que ce n'est pas ni dans l'intérêt des Européens et des Ukrainiens, mais pas non plus dans l'intérêt des Américains de donner demain une victoire à Vladimir Poutine, de pousser l'Ukraine à la capitulation. Quel message est-ce que ça enverrait aujourd'hui à la Chine, à l'Iran, à d'autres adversaires stratégiques des Etats-Unis ? C'est aussi la crédibilité de la puissance américaine qui est en jeu, et donc c'est le message bien sûr que viendra porter le Président de la République à Washington.

Q - Merci Benjamin Haddad, ministre de l'Europe en direct sur France Info depuis Kiev, avec les moyens techniques de Laurent Macchietti. Kiev où un sommet des alliés de l'Ukraine vient donc de s'achever.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2025