Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME, nous recevons donc, ce matin, le ministre des Armées. Question et réaction au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter. Sébastien LECORNU, bonjour.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour, merci pour votre invitation.
LEA SALAME
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Bienvenue à ce micro.
SEBASTIEN LECORNU
Merci beaucoup.
NICOLAS DEMORAND
On va revenir, dans une seconde, sur l'allocution d'Emmanuel MACRON hier soir à la télévision. Mais d'abord, vous attendiez-vous à ce que cette présidence TRUMP provoque un basculement aussi rapide, aussi violent de l'ordre du monde, un ébranlement de la sécurité de l'Europe ? Ou est-ce qu'il y a eu, dans votre ministère, chez vous aussi, une forme de choc ?
SEBASTIEN LECORNU
Le choc vient du fait que tout cela n'est pas très prévisible et n'apparaît pas comme étant toujours - toujours je dis bien - rationnel. Après, si on est honnête… Après il n'y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, mais enfin, ça fait déjà de nombreuses fois, d'ailleurs si je peux me permettre, y compris votre serviteur à ce micro, que l'on dit que le monde se durcit, que les États-Unis d'Amérique ont toujours connu des phases d'isolationnisme plus ou moins important de George WASHINGTON à nos jours. J'ai souvent cité cette phrase de De GAULLE à PEYREFITTE en disant : " Jamais les Américains ne prendront de risques vitaux pour autre chose que pour eux-mêmes. " PEYREFITTE disant au général De GAULLE : " Mais enfin voyons, monsieur le Président, mon général, vous n'y pensez pas ; ils ont quand même fait le débarquement de Normandie. " De GAULLE envoyant promener PEYREFITTE en disant : " Ils y ont été contraints, c'était très tard dans la guerre et ce n'était pas pour autant un risque vital, c'est d’une brutalité forte. " Mais enfin, ça vient quand même redocumenter le fait que la question de la sécurité de l'Europe passe évidemment par les Européens.
NICOLAS DEMORAND
Mais là, est-ce que ce n’est pas d’une autre nature ?
SEBASTIEN LECORNU
Et puis, pour répondre à votre question, nous n'avons peut-être pas suffisamment voulu entendre la campagne américaine, y compris avec les démocrates, lorsqu'ils expliquent que la priorité avant tout, c'est la Chine, c'est le Pacifique Nord ; ce pivot-là il est engagé.
LEA SALAME
On va y venir aussi sur la Chine.
SEBASTIEN LECORNU
Mais bien sûr… Cette nuit, le secrétaire d'Etat à la Défense américain, mon homologue, a dit que, je cite, " les Etats-Unis se tenaient prêts à une confrontation avec la Chine. "
LEA SALAME
Et la Chine d'ailleurs a répondu hier en disant " nous aussi, on est prêts à la guerre. Ils veulent la guerre, on est prêts. "
SEBASTIEN LECORNU
Et pardon, mais on aurait presque pu ouvrir là-dessus, parce que décentrons-nous aussi de ce qui nous arrive, et Dieu sait que ce qui nous arrive est grave. Mais on voit bien que là, on a quelque chose qui était prévisible parce qu'annoncée, et même les démocrates, en d'autres mots, disaient ces choses-là, mais je crois que le désintérêt pour l'Europe et le pivot vers le Pacifique, malheureusement, je crois qu'il est ancien. Moi, ce qui m'inquiète, de là où je suis, et ça fait bientôt trois ans, c'est au fond qu'à la fin, tout ça se solde par un agenda de faiblesse occidentale, y compris du côté américain. Parce qu'en fait, ce n’est pas comme s'il n'y avait pas eu un premier mandat TRUMP. Le JCPOA, qui était le document qui permettait de négocier avec l'Iran sur la prolifération nucléaire, il a été déchiré par le Président TRUMP. L'Iran est désormais à quelques semaines du seuil de l'enrichissement. On se rappelle du sommet de Singapour, avec le dirigeant nord-coréen, pour essayer de le convaincre de se désarmer. La Corée du Nord, aujourd'hui, est une puissance nucléaire. L'Afghanistan et la décision de retirer les troupes qui est à cheval sur les présidents BIDEN et TRUMP, qui a été au fond un signal envoyé à la plupart des compétiteurs Moscou-Téhéran, que, au fond, les États-Unis étaient en ce moment où ils n'étaient plus prêts à faire beaucoup d'efforts pour la sécurité des autres.
LEA SALAME
Votre crainte, c'est qu'on perde notre temps dans les prochains mois, les prochaines années de la présidence TRUMP, et qu'il déchire beaucoup de choses, et que ça renforce ceux qui ne sont pas forcément nos alliés, les empires autour ?
SEBASTIEN LECORNU
Ce que dit le Président de la République hier est vraiment millimétré, ça a été rappelé par Pierre HASKI, c'est de dire que tout cela est imprévisible, mais ça veut donc dire qu'il faut prévoir les scénarios, les pires. Le Président TRUMP cite souvent REAGAN, quand il dit : " la paix par la force. " Quand on parle de l'Ukraine, la paix, on y souscrit pleinement, la force aussi, sauf que dans le rapport de force qui est en cours, on ne voit pas très, très bien en quoi il est particulièrement difficile avec Vladimir POUTINE. Or, pour des capitales qui ne comprennent que le rapport de force, système KGB, guerre froide encore, dans la manière dont une partie du système russe fonctionne, il est clair qu'il y a quelque chose de préoccupant. Et c'est pour ça que nous - et c'est le moment d'un réveil difficile pour la plupart des capitales européennes - c'est le moment aussi de nous prendre davantage en main. Alors ça aussi, je crois qu'on ne l'a pas découvert la semaine dernière.
LEA SALAME
C'est ce que j'allais vous dire.
SEBASTIEN LECORNU
Le risque pour nous, Français, c'est d'apparaître comme étant un peu chauvin et un peu, on vous l'avait bien dit… Donc je ne vous ai pas dit qu'on l'avait bien dit à ce micro, mais quand même, c'est-à-dire que le discours de la Sorbonne, le fait qu'il faut se réarmer, l'autonomie stratégique, y compris au lendemain du Covid, le néo-gaullisme un peu quand même, qui a toujours transpiré sous la Cinquième République, gauche-droite confondue ; on partage quand même tout ça. C'est sûr que là, pour beaucoup de capitales européennes, si vous voulez, il faut faire l'apprentissage que nous avons fait en plusieurs décennies, en seulement quelques semaines.
LEA SALAME
Sébastien LECORNU, hier, il a parlé, Emmanuel MACRON, d'une nouvelle ère. " La menace russe est à nos portes, elle nous touche avec une agressivité qui ne semble pas connaître de frontières face à ce monde de danger, rester spectateur serait une folie. " Il monte le ton, le Président de la République prend un ton dramatique, il était dramatique le ton hier, mais j'ai envie de vous dire, il disait déjà un peu ça, le 24 février, il y a trois ans, au moment de l'invasion de l'Ukraine. On l'entendait dire, Emmanuel MACRON : " C'est une nouvelle ère, le retour de la guerre sur le sol européen. On est au pied du mur, il faut nous réveiller. On doit entrer en économie de guerre. " Certains ont dit que c’étaient des mots et qu'on n'est pas vraiment entré en économie de guerre, ou que ça a pris beaucoup de temps. Qu'est-ce qui est nouveau depuis dix jours ? Et qu'est-ce que vous dites à ces Français qu'on entend partout depuis dix jours, depuis l'altercation véritablement dans le Bureau ovale ? Est-ce qu'on va vers la guerre ? Est-ce qu'on va vers la Troisième Guerre mondiale ? Cette phrase un peu tarte à la crème, mais est-ce qu'on y est ?
SEBASTIEN LECORNU
Trop tarte à la crème parce qu’en fait, on ne peut pas passer d'une forme d'insouciance dividende de la paix à une forme de fébrilité : " oh là là, c'est la Troisième Guerre mondiale ! "
LEA SALAME
On y est un peu là.
SEBASTIEN LECORNU
Il faut rester calme. Être Français aussi, je crois, dans ce moment, c'est de rester calme et confiant. Je crois que sur la menace russe, de fait, on n'a jamais varié. C'est sûr qu'on a un système politique et parfois médiatique qui n'a pas envie de le voir. Bon, moi je suis ministre des Armées ; vous n'avez pas un agent de la DGSE, vous n'avez pas un officier d'état-major actuellement en France qui considère que la Russie n'est pas une menace. Donc après, je ne sais pas en quelle langue il faut le dire, peut-être à certains en russe, mais la réalité, c'est que oui, un pays qui s'est habitué à sa survie politique par de l'agressivité extérieure et dont désormais l'économie repose en grande partie justement sur un effort de guerre et qui, désormais, engagé dans des coopérations des plus dangereuses avec Téhéran d'une part et la Corée du Nord d'autre part, sans oublier les transferts de technologies éventuels, sans oublier les programmes d'armement que même la guerre froide avait permis de réguler, typiquement l'envoi d'armes nucléaires dans l'espace, il n'y a pas grand-chose à attendre de positif de ce côté-là, ça c'est le premier point. Après, la sidération depuis dix jours, elle vient du changement du comportement américain. Et pour cause, on a connu quoi ? On a connu l'Europe puissante, l'Europe s'entre-déchirant, guerre mondiale, ensuite l'Europe en reconstruction avec la protection économique et militaire américaine, ensuite l'Europe face à la guerre froide et à l'Union soviétique, ensuite dissolution du pacte de Varsovie, on revient à une ambiance régionale. Et tout d'un coup, on a de nouveau la menace russe mais il n'y a plus la réassurance américaine. C'est donc une nouvelle étape stratégique clé dans laquelle on ne peut plus dépendre du locataire de la Maison-Blanche. Nous Français, une fois de plus, on l'avait déjà soldée, mais pour les autres capitales, ce n’est pas le cas.
LEA SALAME
Edouard PHILIPPE, à ce micro, et vous l'avez entendu il y a deux jours, a dit que la suspension de l'aide américaine à l'Ukraine est une trahison.
SEBASTIEN LECORNU
De fait, elle a un effet opérationnel, moral avant tout - ne pas sous-estimer ça - et elle va avoir un effet opérationnel, heureusement pas dans l'immédiat, il y a de l'inertie, mais elle va avoir un effet opérationnel important et notamment sur la suspension des coopérations en matière de renseignements. C'est toujours la même chose… Je ne veux pas être commentateur de ce que font les Américains, je suis ministre français…
NICOLAS DEMORAND
Ce n’est pas immédiat, vous dites ?
SEBASTIEN LECORNU
Entre le moment où vous suspendez les aides militaires, munitions, armes et ce qui se passe sur la ligne de front, vous voyez bien que vous avez une inertie logistique. Rappelez-vous d'ailleurs que le congrès américain avait pris du temps à débloquer un paquet d'aides il y a quelques mois de cela, et donc on a pu observer qu'il y avait quand même un tout petit peu d'endurance du côté ukrainien. Enfin, il ne faut pas se raconter d'histoire. Si c'est un outil de négociation et de pression sur l'Ukraine, franchement c'est très dur pour les Ukrainiens et moralement tout à fait détestable. Après peut-être que le Président TRUMP aussi veut en faire un élément de discussion avec les Russes en disant je vais remettre l'aide à l'Ukraine si je n'obtiens pas ça, c'est là où il faut désormais...
NICOLAS DEMORAND
Mais donc là, vous nous dites que…
SEBASTIEN LECORNU
Point important, c'est le moment où il faut impérativement aussi que la discussion entre les Russes et les Américains débute vraiment. Parce qu'on a le sentiment d'avoir beaucoup de pré-concessions qui sont données pour entrer en mêlée de discussion, maintenant il est temps que les vrais paramètres de négociation aient lieu entre Moscou et Washington.
NICOLAS DEMORAND
Mais donc là vous nous dites que les trains ou les camions entiers remplis de munitions américaines pour l'Ukraine continuent à arriver...
SEBASTIEN LECORNU
Non, tout ce qui part de Pologne est suspendu. Après, ce que je vous dis, c'est que les Ukrainiens ont appris malheureusement à faire cette guerre depuis trois ans et savent faire des stocks. Et puis évidemment, le Président de la République m'a demandé d'accélérer les différents paquets d'aides français parce que nous, Européens, on ne peut pas être dans le déclaratoire, il faut aussi qu'on soit dans les actes et permettre de venir, ici ou là, par segments, compenser l'aide américaine qui n'arriverait plus.
NICOLAS DEMORAND
Et qu'en est-il, Sébastien LECORNU, du renseignement américain ?
SEBASTIEN LECORNU
Il est suspendu.
LEA SALAME
Mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire quoi concrètement pour le front ukrainien.
SEBASTIEN LECORNU
Ça veut dire que le concours des agences américaines sur l'observation satellitaire, sur tout ce qui peut être fait - je ne rentre pas dans les ailes vous comprendrez bien pourquoi - mais effectivement, il est suspendu depuis hier après-midi.
LEA SALAME
Mais aujourd'hui, le renseignement européen peut-il se substituer à celui des Américains quand on est en guerre comme ça ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors c'est une excellente question. Je pense que pour nos amis britanniques qui sont quand même dans une communauté du renseignement avec les Etats-Unis c'est plus compliqué. Nous, notre renseignement est souverain. Ça a été plus long de remonter en puissance ces dernières années mais l'avantage, c'est que nous l'avons fait effectivement avec des capacités qui nous sont propres. Donc oui, on a des moyens de renseignement ; nous faisons bénéficier les Ukrainiens.
NICOLAS DEMORAND
Alors, excusez-moi pour les quelques chiffres que je vais citer ; Emmanuel MACRON a annoncé vouloir consacrer autour de 3 à 3,5% du PIB au budget des armées contre 2,1% actuellement. Les crédits alloués aux armées sont votés dans une loi de programmation militaire. L'actuelle couvre la période 2024-2030 et dispose de 413 milliards d'euros. Si la France dépensait 3,5% de son PIB, elle allouerait 70 milliards d'euros par an à la défense, supplémentaire. Cet effort, vous dites qu'il est indispensable ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui alors, il faut se méfier des chiffres parce que sinon là aussi on peut passer d'une tocade à l'autre. Moi, je préfère qu'on parle en budget annuel parce que pour nos concitoyens contribuables, c'est important d'avoir de la lisibilité. En 2017, on était à un peu plus de 30 milliards d'euros. Au moment où je vous parle, on est à 50,5 milliards d'euros. Notre plan en 2030 c'était de l'emmener autour de 68 milliards d'euros par an
LEA SALAME
Il faut accélérer là.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, il faut accélérer de toutes les évidences. Il ne faut pas accélérer en partant dans tous les sens ; ce n'est pas de la fébrilité ou de la mode. C'est moi qui vous le dis, j'ai plutôt intérêt à récupérer le plus de crédit possible pour les armées ; c'est ce que je fais depuis 3 ans, mais il faut essayer de faire quelque chose qui soit très efficace sur le terrain militaire. Mes premières estimations, les travaux que le Président de la République m'a demandés, là on est à 50,5 milliards d'euros par an, on pourrait estimer que notre armée pourrait atteindre un point de forme convenable en fonction des différentes missions qu'on attend d'elle, autour de 90 milliards d'euros par an. Mais ne vous enfermez pas dans ce chiffre parce qu'il est très complexe. Et d'ailleurs, quand on compare les pourcentages de PIB entre pays, on n'en a pas tous le même PIB. Nous, notre dissuasion nucléaire est dans notre agrégat. Souvent, les pays rajoutent les pensions. Donc nous, la France, si on devait rajouter les pensions, on rajouterait dix milliards d'euros. Il faut savoir que quand on parle des 2% de dépenses à l'OTAN, on y rajoute les pensions. Ce qu'il faut, c'est faire quelque chose de cohérent. Ce que je peux vous dire autrement, c'est que notre marine nationale, il lui manque de toutes les évidences, au moins trois frégates. On en a quinze. Si les Américains devaient, en plus, se désengager, ça nous obligerait à tenir des mers qu'aujourd'hui, eux tiennent, en termes de liberté de circulation. Que notre aviation de chasse française, globalement, manque d'une vingtaine de rafales, pour tenir différentes missions opérationnelles en même temps, ou sur une période très longue, c'est l'endurance. Que notre armée de terre a besoin de frappes dans la profondeur. On voit bien que la ligne de front, de plus en plus, est longue, est tendue, et qu'il faut être capable de frapper en premier rapport. De guerre électronique, l'Ukraine nous a appris aussi beaucoup de choses, c'est l'environnement le plus brouillé au monde. Vous savez que les fameux drones Shahed iraniens, que la Russie envoie sur l'Ukraine, au moment où je vous parle, pratiquement quatre drones sur cinq envoyés par la Russie tombent, parce que brouillés par l'Ukraine. C'est pour ça que je dis que l'Ukraine a de l'endurance, parce qu'elle a aussi développé des capacités propres. Bon, ça, si vous voulez, il est urgent d'accélérer, on ne peut pas décrocher. Et un domaine, un mot, parce que c'est très important, sur lequel il faut que les Européens se secouent, se réveillent. Et là, vraiment, il y a urgence, c'est évidemment le spatial. Toutes les grandes nations du monde sont en train de militariser l'espace, là où les Européens nous sommes en train de...
LEA SALAME
Trois frégates, des rafales, ça veut dire des commandes publiques, ça veut dire de l'argent. Sébastien LECORNU…
SEBASTIEN LECORNU
En plus de ce qui est mis, bien sûr…
LEA SALAME
En plus de ce qui est mis. Hier, Emmanuel MACRON a dit : " On va renforcer les armées, ça veut dire des investissements supplémentaires, mais sans hausse d'impôts ". Où est-ce que vous prenez l'argent ?
SEBASTIEN LECORNU
Un commentaire plus politique, quand même, aussi, là-dessus. C'est la raison même d'être de l'État, la Défense Nationale. Donc, on peut estimer que les gens payent déjà des impôts pour son armée. Je veux dire, ce n'est pas en option.
LEA SALAME
D'accord, mais l'Éducation nationale, c'est aussi la raison d'être de l'État.
SEBASTIEN LECORNU
Vous allez voir ce que je veux dire. Non, parfois, l'État se donne des missions qui ne sont pas les siennes. Je le dis, ça fait huit ans que je suis ministre, donc on pourra dire que j'étais évidemment collègue de cela, je l'assume. Enfin, quand on a fait un plan vélo à plusieurs milliards d'euros pour aider les collectivités locales, alors que ce sont les missions des mairies que de s'occuper des pistes cyclables, on peut dire que l'État s'est décentré de son rôle principal. Il n'y a pas de schéma, si vous voulez dans lequel les mairies vont acheter des missiles ou des sous-marins nucléaires. Donc, ce que je veux dire par là, c'est qu'on revient aussi à quelque chose de fondamental.
LEA SALAME
Donc, ce que vous dites, tous les plans, tout ce qui est autour, pour vous, le plan vélo, ça ne servait à rien, en gros ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, je n’ai pas dit ça.
LEA SALAME
Il faut le mettre dans les frégates ?
SEBASTIEN LECORNU
Si puis me permettre, Léa SALAME, si on veut avoir un débat hyper éclairé dans les temps qui viennent...
LEA SALAME
Je suis d'accord avec vous.
SEBASTIEN LECORNU
Je ne veux pas faire la transition écologique versus la défense.
LEA SALAME
Mais à un moment, il faut faire des équilibres et il faut faire des choix.
SEBASTIEN LECORNU
À un moment, il y a dans les compétences historiques natives du régalien de l'État, il y a la Défense nationale, comme d'ailleurs il y a la police et la justice. Et donc, par définition, au moment où on doit faire des choix, il faut donc être capable de recentrer l'État sur ses missions et ce pourquoi nous levons l'impôt par ailleurs et c’est pour ça, ne pas augmenter l’impôt me semble absolument clé, y compris pour notre attractivité…
LEA SALAME
Où on va prendre l'argent ? Où on va prendre l'argent pour trouver les dizaines de milliards de plus à mettre dans l'armement ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu’il faut mettre… Il y a forcément de l'argent public, on ne va pas s'y dérober. Il y a évidemment des mutualisations européennes, c'est l'objet du Conseil européen. Je pense qu'il y a des pistes intéressantes de mobilisation de l'épargne des Français. Mobilisation volontaire. Des programmes d'armement, c'est de l'industrie. En plus, c'est de l'industrie française, on n'achète pas à l'étranger. C'est de la création de richesses sur le territoire national.
LEA SALAME
Donc appeler les Français à mettre de l'argent pour l'armement.
SEBASTIEN LECORNU
Ce sont des équipements de défense qui parfois, peuvent avoir une durée de vie de dix, quinze, vingt ; un porte-avions, c'est quarante années. Ça veut donc dire que vous pouvez amortir. Donc là aussi, c'est une réflexion avec Éric LOMBARD, Emmanuel MACRON nous a demandé de l'introduire, c'est de se dire : pour les Françaises et les Français qui veulent placer de l'argent de manière patriotique, voire rémunérer cet argent, alors c'est patriotique, donc on imagine que les taux de rémunération seront peut-être modestes, je n’en sais rien, je ne suis pas ministre de l'Économie et des Finances, mais de se dire que cet argent-là va permettre de réarmer le pays, je trouve que c'est intéressant comme idée.
LEA SALAME
Puisqu'on parle de milliards et d'argent, Sébastien LECORNU, vous le savez, et dans votre camp, que ce soit Édouard PHILIPPE ou Gabriel ATTAL, ils sont favorables, mais le Gouvernement bloque. Emmanuel MACRON bloque les 200 milliards d'euros d'avoirs russes qui sont dans les banques européennes, beaucoup disent : " Il faut les prendre. On a besoin d'argent, il faut les prendre maintenant, on ne peut plus. C'est eux qui vont t'agresser, il faut aller chercher ". Beaucoup d'Européens y sont favorables. La droite européenne y est favorable. Aujourd'hui, au Parlement européen… Emmanuel MACRON bloque pourquoi ?
SEBASTIEN LECORNU
Ce n'est pas Emmanuel MACRON qui bloque à titre personnel.
LEA SALAME
Le Gouvernement français bloque, Éric LOMBARD, le ministre de l'Économie bloque, pourquoi ?
SEBASTIEN LECORNU
Le Bercy bloque et c'est suivi par les Affaires étrangères. Pour une raison simple, c'est qu'il apparaît à leurs yeux que la déstabilisation de la zone euro et de notre banque centrale pourrait être importante. Je sais qu'ils sont en train de le documenter, de le regarder. Je pense que parmi les personnages politiques que vous avez cités, et même dans les autres capitales européennes personne n’a intérêt, aussi, à faire des choses qui fragiliseraient notre système en ce moment, qui ne vous a pas échappé, et largement aussi agressé par ailleurs, avec des politiques commerciales, tarifaires, douanières...
LEA SALAME
Donc vous n'y êtes pas favorable ?
SEBASTIEN LECORNU
C'est tellement séduisant comme idée qu'on ne peut être que favorable. Il n'y a pas grand risque à être favorable à ça. En revanche, comme d'habitude, si c'est pour expliquer que derrière, notre système économique est complètement déstabilisé, tout d'un coup, plus personne n'y sera favorable non plus. Et les mêmes, d'ailleurs, qui poussaient cette idée, nous diront : " Ah, bon, on ne savait pas, ou ah bon, on ne veut pas jouer avec l'économie des Français ". Donc, une fois plus, je pense qu'il faut laisser ça à Éric LOMBARD qui est en train de le regarder. Moi, j'étais là quand Emmanuel MACRON lui a demandé de regarder cette affaire, mais personne ne prendra un risque avec notre système de banque centrale. Je pense que tout le monde peut l'entendre.
NICOLAS DEMORAND
Sébastien LECORNU, Emmanuel MACRON a dit hier, " La patrie a besoin de vous et de votre engagement ". Question de Marc sur l'application Radio France : " Prévoyez-vous un retour du service militaire afin d'avoir des troupes au sol ? ". Question que je prolonge avec cette nouvelle qui nous vient d'Allemagne, qui relance le débat sur le service militaire obligatoire.
SEBASTIEN LECORNU
Non mais, le service militaire tel qu'on a connu auparavant dans le passé n'aurait aucun intérêt militaire. Il avait sans doute un intérêt social, ça, c'est certain, il n'y a pas de doute même là-dessus. Aujourd'hui, il n'aurait aucun intérêt militaire. Pourquoi aussi l'Allemagne et Boris PISTORIUS, mon homologue, met ce débat sur la table ? C'est qu'ils ne sont pas une puissance nucléaire et que donc un des moyens de faire une espèce de dissuasion conventionnelle, c'est de mobiliser des millions de jeunes gens pour se dire, s'il y avait une agression on serait capable de la traiter. Nous, on a un modèle d'armée, d'emploi professionnel avec une dissuasion nucléaire. En revanche, pour répondre à la question de l'auditeur, dont j'ai oublié le prénom, pardonnez-moi.
NICOLAS DEMORAND
Marc.
SEBASTIEN LECORNU
Marc, excusez-moi pour Marc. Est-ce qu'on a besoin d'accélérer sur le durcissement de nos réserves ? La réponse est oui, on a besoin d'une réserve professionnelle, parce que vous le voyez bien, il y a seulement deux mois, vous m'auriez posé des questions sur le concours des forces armées à Mayotte pendant la crise terrible qu'on a connue. Pendant les Jeux Olympiques, le concours des forces armées et la sécurisation des JO. On a une multiplication des sollicitations des forces armées françaises sur le territoire national, comme à l'étranger, comme à l'extérieur, qui est très très importante. Et face à l'activité importante que l'on demande à l'armée française, il est certain que nous n'avons pas assez de réservistes encore aujourd'hui, même si ça augmente.
NICOLAS DEMORAND
Alors justement, il y a une pluie de questions aujourd'hui pour vous, Sébastien LECORNU. Jean-Philippe : « Bonjour. Jusqu'à quel âge peut-on se mettre à disposition de la réserve opérationnelle ? »
LEA SALAME
Il y en a plein là, on reçoit des tsunamis de gens qui ont envie d'être réservistes.
NICOLAS DEMORAND
Il est secouriste.
SEBASTIEN LECORNU
Et ça met la pression sur les armées pour bien les accueillir, bien les orienter et bien les utiliser, ce qui est un de mes combats. On a rehaussé les limites d'âge, y compris sur les visibilités médicales sur lesquelles on les a largement, pardonnez-moi, assouplis donc jusqu'à 70 ans de mémoire, j'espère ne pas vous dire de bêtises, on peut s'engager : Armée de l'air, armée de terre, Marine Nationale, mais aussi Gendarmerie Nationale, qui est une force armée sur laquelle on a besoin de beaucoup de moyens. On a besoin de gens qui ont des expertises différenciées sur toute forme de grade, avec beaucoup de souplesse pour parfois quelques jours par an, pour d'autres plusieurs mois, mais il est clair que l'augmentation des réserves est un combat clé.
LEA SALAME
Faut y aller, vous dites ?
SEBASTIEN LECORNU
Je l'ai fait moi-même, jeune, dans le passé, pour la gendarmerie, et des années extraordinaires.
NICOLAS DEMORAND
Encore une question d'auditeur, puisque les Européens - il s'appelle Pierre - veulent un parapluie nucléaire français, ne pourrait-il pas y avoir une rupture de tous les contrats d'armement avec les Américains ?
SEBASTIEN LECORNU
Ça, il faut demander à mes homologues européens, mais c'est une bonne question.
LEA SALAME
Il en a parlé Emmanuel MACRON hier.
SEBASTIEN LECORNU
Juste sur les contrats, je précise, c'est jusqu'à quel point aussi les capitales européennes vont continuer de se dire : " Bon allez, on va acheter les armes américaines et puis ça va passer ". Ou au contraire, ceux qui se disent : " Mais je ne peux plus faire confiance à un système qui est aussi imprévisible, y compris d'ailleurs pour l'utilisation de ces armes ", puisque le jour où la Maison Blanche dit : « Les avions américains ne décolleront plus », l'armée polonaise, l'armée allemande, que sais-je, seraient privées de leur aviation de chasse. La dissuasion nucléaire, je pense qu'il faut être précis et le président de la République l'a été hier au soir, elle reste française, il n'y a pas de partage. En revanche, maintenant on est en train de revivre des moments de guerre froide, c'est assez intéressant, à Ottawa, en 1974, pardon, c'est une minute historique, il a été dit que la dissuasion nucléaire française contribuait à la dissuasion globale de l'Alliance Atlantique. Je n'étais pas né. J'aime mieux vous dire que ces sujets ont déjà été traités. En revanche, ce qui est intéressant, c'est de voir que toutes ces capitales européennes, au fil des années, post-guerre froide, années 90, années 2000, se sont complètement désintéressées de ce que nous pouvions leur rapporter sur ce terrain. Et pour cause, le parapluie américain versus l'achat d'armes américaines, de toute façon nettoyait toute forme d'intérêt de débat.
LEA SALAME
Comment vous jugez les réactions de Marine Le PEN, Jordan BARDELLA, qui disent : " hors de question ", qui disent : " Vous êtes en train de devenir bâte en guerre ". C'est aussi ce qu'on entend à la France insoumise.
SEBASTIEN LECORNU
On en a débattu avec la présidente Le PEN dans l'hémicycle, lors du débat lundi dernier. Si le président de la République avait vraiment dit : " Je vais partager la dissuasion nucléaire française ", le débat aurait été légitime et d'ailleurs, moi-même, je n’aurais pas été d’accord avec ça. Mais il n’a pas dit ça et donc, en matière de dissuasion, y compris si on est patriote, il faut choisir ces mots avec précaution. Il n'a jamais dit qu'il y aurait un partage, ni des armes, ni de la position. En revanche, est-ce que les intérêts vitaux français sont enfermés dans les frontières françaises ? Depuis le général de GAULLE, on sait que non. Or, au moment où toutes les capitales européennes, et non des moindres, Berlin dit : " Mais, c'est quoi, qu'est-ce que la France peut apporter comme contribution à la sécurité collective ? " Ben pardon, on ne va quand même pas s'excuser d'être une puissance militaire et nucléaire. Donc ; il y a quelque chose aussi d'un peu curieux à voir aussi certains avoir peur, au fond, que nous soyons une véritable puissance, surtout le refrain du déclin, et autres, était peut-être plus confortable pour tout à chacun. En tout cas, là-dessus, il est évident que, après les États-Unis, l'armée la plus crédible dans l'OTAN, en tout cas dans l'espace européen, c'est la France, ça je peux vous le confirmer.
NICOLAS DEMORAND
Le stock, l'arsenal nucléaire français est-il suffisant ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, parce qu'il répond à la doctrine de la stricte suffisance, et ça, évidemment, c'est documenté très précisément, et là aussi, nous remettons beaucoup de moyens, parce que l'enjeu de la dissuasion, par définition, c'est qu'elle soit crédible sur le long terme. Donc les systèmes d'armes d'aujourd'hui ont plutôt été décidés il y a quinze ans, sont d'actualité, et là, on est en train de prendre des décisions pour les systèmes d'armes, les têtes, les missiles, les vecteurs, avions et sous-marins, pour dans dix, quinze et vingt ans.
LEA SALAME
Question courte, réponse courte sur deux autres sujets. Il y a deux lignes au Gouvernement et à l'Élysée sur la rupture des accords de 68 avec l'Algérie, vu ce qui se passe avec les tensions avec l'Algérie. Emmanuel MACRON ne veut pas rompre, il veut renégocier, mais ne veut pas rompre. François BAYROU, Bruno RETAILLEAU, Edouard PHILIPPE veulent rompre les accords avec 68. Vous êtes sur quelle ligne vous ?
SEBASTIEN LECORNU
Il n'y a qu'une seule ligne sur le fait qu'on veut que l'Algérie bouge. Après, il y a des discussions sur la manière dont il faut faire bouger.
LEA SALAME
Faut-il rompre les accords avec 68 ? Que dit le ministre des Armées ?
SEBASTIEN LECORNU
Moi, je pense qu'à ce stade, on peut essayer encore d'autres outils diplomatiques de discussion, voire même de pression, avant de s'attaquer à cet accord. Après, moi, je vais être très clair avec vous, comme je suis ministre des Armées, nous avons aussi des intérêts de sécurité, y compris en matière de lutte antiterroriste avec l'Algérie, et je veux que les canaux sécuritaires avec l'Algérie restent ouverts, parce qu'il en va directement de nos intérêts à nous Français.
LEA SALAME
La mission de l'armée israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza n'est pas terminée, a déclaré hier le chef d'état-major israélien. La trêve entre Israël et le Hamas peut-elle vaciller ?
SEBASTIEN LECORNU
Elle est fragile, y compris sur la question, évidemment, du désarmement des différents groupes terroristes. Elle est aussi fragile pour d'autres raisons avec le Liban.
NICOLAS DEMORAND
Merci Sébastien LECORNU. Je rappelle le titre de votre livre, " Vers la guerre ? " Point d'interrogation, voilà, pour le titre, la France…
LEA SALAME
Il faut enlever le point d'interrogation peut-être ?
SEBASTIEN LECORNU
J'avais mis le point d'interrogation, on était au mois d'octobre quand je vous l'ai présenté, donc ce n’est pas une ligne qui a malheureusement mal vieilli. J'aurais préféré que j'en sois autrement. C'est sur mes notes que j'ai prises depuis je suis ministre des Armées, que j'ai mises dans le livre pour que les gens puissent comprendre un tout petit peu ce à quoi nous on se prépare raisonnablement.
LEA SALAME
Vous enlevez le point d'interrogation-là ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, parce que je pense qu'on n'est plus en paix, c'est certain, mais qu’en fonction de ce que nous allons faire, si nous sommes forts, nous serons dissuadés celles et ceux qui veulent s'en prendre à nos intérêts.
LEA SALAME
Merci.
NICOLAS DEMORAND
" La France face au réarmement du monde ", ça, c'était pour le sous-titre, et c'est aux éditions Plon, merci Sébastien LECORNU d'avoir été au micro d'Inter.
source : Service d'information du Gouvernement, le 10 mars 2025