Déclaration de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes, au Sénat le 4 mars 2025.

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Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à rappeler brièvement pourquoi les élus du groupe Les Républicains ont sollicité l'organisation d'un débat sur les relations migratoires entre la France et l'Algérie.

Il ne s'agit évidemment pas de reprendre l'historique des relations entre nos deux pays : nous aurions bien du mal à nous accorder sur un récit commun, même si le Président de la République a reconnu à l'envi, allant jusqu'à provoquer l'écœurement de certains, la dette de la France envers l'Algérie. Il s'agit de parler du présent et, plus particulièrement, des relations migratoires entre l'Algérie et la France.

J'ai souvent eu l'occasion de le rappeler dans cet hémicycle, la politique migratoire se définit somme toute de manière assez simple : pour un pays doté de frontières, elle consiste à dire qui entre et qui reste, en précisant à quelles conditions.

Dans le cas présent, ces conditions sont fixées par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, document unique en son genre : aucun autre État ne dispose, avec la France, d'un accord si complet.

Le texte en question détaille les conditions d'entrée et de séjour des Algériens, ainsi que les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent travailler en France. Il est si complet qu'il déroge presque totalement au droit commun, codifié, comme vous le savez, dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

Globalement, le droit commun ne s'applique pas à l'accord de 1968. Certaines des dispositions de cet accord sont moins favorables que le droit commun, mais dans l'ensemble l'Algérie dispose d'un régime plus favorable que les autres pays.

On pourrait dire : pourquoi pas ? Après tout, l'Algérie entretient des relations anciennes avec la France. Il y a beaucoup d'Algériens en France – sur les quelque 4 millions de titres de séjour en cours de validité, plus de 600 000, au bas mot, concernent les Algériens –, auxquels s'ajoutent de nombreux Franco-Algériens.

Dès lors, pourquoi ne pas maintenir un accord plus favorable que le droit commun, d'autant que nous avons des relations assez intenses avec l'Algérie, s'agissant des échanges de populations ? Mais, si cet accord réserve un traitement de faveur aux Algériens quand ils souhaitent venir en France, nous ne bénéficions d'aucune réciprocité de la part de l'Algérie.

M. Christian Cambon. Eh non !

Mme Muriel Jourda. L'importante immigration régulière que je viens d'évoquer se double d'une immigration irrégulière presque équivalente, en direction de la France.

J'ai travaillé sur ce sujet avec mon collègue Olivier Bitz : à ce titre, nous avons notamment auditionné le ministre de l'intérieur. Celui-ci nous a expliqué que, dans les centres de rétention administrative (CRA), où sont placés des étrangers attendant d'être éloignés de France et même, désormais presque exclusivement, des individus qui troublent l'ordre public, 40% de personnes sont de nationalité algérienne.

Le système en vigueur est donc totalement déséquilibré : la France réserve à l'Algérie un statut globalement favorable, sans aucune réciprocité – j'y insiste. Les faits récents le démontrent : elle refuse même de reprendre ses propres ressortissants, contrevenant ainsi à ses propres engagements comme au droit international.

Que faire face à cette situation ? Devons-nous accepter la persistance d'un tel déséquilibre ? Je pense que non. Nous ne devons plus tolérer ce déséquilibre dans les relations entre la France et l'Algérie sur les questions migratoires.

Dès lors, que faire ? Négocier, sans doute. Je sais que les affaires étrangères sont toujours désireuses de mener des négociations, et nous avons nous-mêmes suggéré cette piste. Mais nous ne pouvons pas négocier comme les bourgeois de Calais, arrivant la mine basse pour remettre les clés de leur ville…

En vue de cette négociation, nous devons nous doter d'armes juridiques. À cet égard – c'est l'arme la plus évidente, et nous l'avons préconisée dans notre rapport, voté par la commission des lois –, on ne saurait écarter la possibilité de mettre fin à ces accords migratoires si favorables.

Aux accords de 1968 s'ajoutent d'ailleurs, depuis 2013, des accords relatifs aux passeports diplomatiques et aux passeports de service, permettant aux titulaires de ces titres d'entrer facilement en France. N'excluons pas la possibilité de mettre fin à ces divers accords favorables à l'Algérie, tant qu'elle n'aura pas, en matière d'immigration, un comportement réciproque au nôtre. Une telle attitude vis-à-vis de la France serait somme toute normale.

Mes chers collègues, voilà où nous en sommes. Si nous mettons fin à ces accords, nous ne ferons que rétablir des relations équilibrées entre deux pays qui, me semble-t-il, ne se doivent plus grand-chose l'un à l'autre, et qui sont deux nations souveraines. La France reprendra ainsi le contrôle de sa politique migratoire, qu'elle doit absolument conduire d'une main ferme. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à vous remercier de l'organisation de ce débat ; j'égrènerai mes éléments de réponse tout au long de la discussion.

Madame la sénatrice, nous avons en partage un objectif fondamental, à savoir la maîtrise de nos frontières, et donc de notre immigration. Nous devons savoir qui entre réellement sur notre territoire, et nous devons nous doter de critères démocratiques clairs, afin de faire partir ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire.

C'est le cœur de notre politique migratoire, menée par le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, y compris au niveau européen. J'y reviendrai : bon nombre de questions que vous posez doivent en effet être traitées dans le cadre européen – en tant que ministre délégué chargé de l'Europe, je tiens tout spécialement à le rappeler.

Nos relations avec l'Algérie, qui sont le fruit de nos histoires communes, sont régies par un certain nombre de textes. Parmi eux figure bien sûr l'accord de 1968, que vous avez mentionné. Il a été révisé à trois reprises et doit aujourd'hui faire l'objet d'une renégociation. C'est ce que demandent le Gouvernement et le Président de la République. En 2022, nous nous étions d'ailleurs accordés avec le gouvernement algérien sur la nécessité d'une telle renégociation.

Avant de revenir plus en détail sur ces questions, je tiens à souligner, au sujet des expulsions, un point qui échappe souvent au débat public, malgré l'enjeu qu'il représente pour la maîtrise de nos frontières et la lutte contre l'immigration illégale.

Les événements qui ont récemment défrayé la chronique nous l'ont rappelé une fois de plus – je pense aux pseudo-influenceurs tenant un discours de haine contre notre pays et que le ministre de l'intérieur a souhaité expulser, à juste titre –, l'Algérie ne respecte pas, de facto, le protocole de 1994 applicable aux laissez-passer.

M. le président. Merci de conclure, monsieur le ministre.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Au cours des deux dernières années, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés par l'Algérie a sensiblement augmenté. C'est aussi l'enjeu des renégociations à venir.

M. le président. Concluez, monsieur le ministre !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Dans ce rapport de force, nous devrons évidemment défendre nos intérêts – j'aurai l'occasion d'y revenir.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en invoquant " une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien " qu'Emmanuel Macron a demandé à Benjamin Stora de rédiger un rapport sur les " questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie ". Ces mots ne datent que de 2020 ; mais, aujourd'hui, ils semblent bien loin.

Une fois de plus, nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour parler d'immigration : à croire que le sujet est quelque peu obsessionnel sur une partie de ces travées…

Monsieur le ministre, je me réjouis de vous voir au banc du Gouvernement, plutôt que votre collègue chargé de l'intérieur, qui tourne en boucle sur l'Algérie alors que ce sujet ne relève pas de sa compétence.

L'accord franco-algérien de 1968 fixe les conditions de circulation, d'emploi et de séjour en France des ressortissants algériens. Ces derniers ne relèvent historiquement pas du droit commun, mais d'un régime dérogatoire, en raison des liens culturels et politiques noués de longue date entre nos deux pays.

Par plusieurs avenants, dont deux adoptés sous des gouvernements de gauche, le statut spécial des Algériens s'est progressivement rapproché du droit commun. Il reste plus favorable que celui-ci sur certains points – je pense notamment au regroupement familial. Mais sur d'autres volets, comme les titres de séjour étudiants, il est moins favorable.

Il est clair que l'attitude actuelle de l'Algérie vis-à-vis de la France n'est pas acceptable. Lorsque la France expulse légalement des ressortissants algériens condamnés sur son territoire, l'Algérie n'a pas à les refouler.

À cet égard, la conduite du régime algérien est scandaleuse. Il en est de même de ses déclarations au sujet de Boualem Sansal, lequel est détenu de manière injustifiée. Je le rappelle à mon tour, Boualem Sansal doit être libéré.

La France doit être ferme avec l'Algérie lorsqu'elle ne respecte pas nos accords. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères doivent dès lors engager un dialogue exigeant.

Toutefois, les élus du groupe socialiste considèrent que la population algérienne n'a pas à payer pour l'attitude de son gouvernement. Aussi, nous sommes fermement opposés à la dénonciation unilatérale de cet accord.

C'est d'ailleurs la position du Président de la République lui-même, lequel a contredit son Premier ministre et son ministre de l'intérieur. Cette cacophonie au sommet de l'État est irresponsable. Même lors des véritables cohabitations, l'intérêt supérieur de la France a toujours conduit les deux chefs de l'exécutif à parler d'une seule voix sur les questions internationales. Le mauvais spectacle auquel nous assistons actuellement au sujet de l'Algérie affaiblit la voix de la France sur la scène internationale, à un moment où notre pays doit y peser de tout son poids – le débat sur l'Ukraine vient de le montrer.

Nos relations avec l'Algérie sont actuellement tendues – c'est une évidence – et les tensions vont bien au-delà de la question migratoire. Voilà maintenant deux décennies qu'elles s'accumulent. La reconnaissance soudaine de la marocanité du Sahara occidental, sans aucun geste envers Alger, était une grave erreur de la part de la France.

En outre, la visite du président Gérard Larcher dans le Sahara occidental la semaine dernière n'était sans doute pas des plus opportunes… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Cambon. Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?

Mme Corinne Narassiguin. Elle a conduit au gel des relations entretenues par le groupe d'amitié de notre assemblée, ce qui est évidemment regrettable.

Alors même que les relations diplomatiques se tendent, notre gouvernement souffle sur les braises.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, l'accord de 1968 ne traite ni de l'immigration illégale ni de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. En revanche, c'est l'accord qui a le plus de poids symbolique. Brandir la menace de sa dénonciation unilatérale, c'est faire exactement ce que vous reprochez, à juste titre, au gouvernement algérien.

Vous utilisez la rente mémorielle de notre douloureuse histoire commune à des fins de politique intérieure.

Mme Brigitte Micouleau. Mais non !

Mme Valérie Boyer. Pas du tout !

Mme Corinne Narassiguin. Alors qu'il est indispensable de reprendre le dialogue, vous proposez, paradoxalement, de rompre un accord qui nous lie à l'Algérie depuis des décennies.

Le caractère dérogatoire au droit commun de l'accord de 1968 reste justifié par l'intensité des liens humains et historiques entre nos deux pays comme par l'imbrication de leurs intérêts économiques, sécuritaires et politiques.

Cet accord est indissociable de l'histoire singulière qui lie la France à l'Algérie ; une histoire complexe, dont nombre de nos concitoyens sont les héritiers ; une histoire marquée par cent trente-deux ans de colonisation, dont huit ans de guerre d'indépendance et six décennies de relations bilatérales sinueuses.

Les élus du groupe socialiste considèrent que l'accord de 1968 doit évoluer. Nos deux pays s'entendent d'ailleurs sur ce point. Mais un tel travail ne peut être mené que par la voie de la négociation diplomatique, au terme d'un dialogue exigeant et respectueux.

M. Didier Marie. Très bien !

Mme Corinne Narassiguin. Le Président de la République, et c'est heureux, l'a rappelé pas plus tard qu'hier.

Je précise qu'une dénonciation unilatérale de l'accord de 1968 aboutirait nécessairement à désarmer la France dans sa lutte contre l'immigration irrégulière : une telle rupture diplomatique, par nature brutale, signifierait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires, lesquels sont indispensables aux éloignements. Or, en 2024, Alger a délivré 3 000 laissez-passer consulaires, soit bien davantage que d'autres pays du Maghreb.

Pour de nombreux juristes, une dénonciation unilatérale violerait également le droit international. Le régime juridique qui serait alors applicable aux mobilités régulières entre nos deux pays inspire, de plus, un certain nombre d'interrogations.

Chers collègues du groupe Les Républicains, pour vous comme pour votre ancien président, devenu ministre de l'intérieur,…

M. Michel Savin. Excellent ministre !

Mme Corinne Narassiguin. … actuellement en campagne pour la présidence de votre parti politique, la relation franco-algérienne se limite à un problème migratoire qu'il faudrait éliminer.

Vous ne semblez pas mesurer l'impact économique d'une telle politique ; il serait désastreux pour la France. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Audrey Linkenheld. Elle a raison !

Mme Corinne Narassiguin. Vous partez d'un terrible préjugé – il s'agit d'ailleurs sans doute d'un relent colonial… (Mêmes mouvements.)

À vos yeux, l'Algérie et les Algériens ne peuvent rien faire sans la France. Or, en cas de rupture, c'est la France qui a beaucoup à perdre.

L'Algérie est un partenaire économique crucial pour la France, les échanges commerciaux entre nos deux pays atteignant 11,8 milliards d'euros en 2023.

Que comptez-vous dire aux 450 entreprises françaises installées en Algérie ? Aux 6 000 entreprises françaises qui y exportent des produits français ? Aux médecins algériens qui tiennent à bout de bras notre système hospitalier ?

La dégradation de nos relations bilatérales a déjà provoqué une chute très importante des exportations françaises de blé vers l'Algérie, et le mouvement risque de s'accentuer. Que comptez-vous dire à nos agriculteurs ?

M. Akli Mellouli. Ils ne vont rien leur dire !

Mme Corinne Narassiguin. N'oublions pas non plus notre coopération sécuritaire avec l'Algérie, qui joue un rôle majeur contre le terrorisme dans la région du Sahel.

Une fois encore, la pente dangereuse que vous suivez en courant après l'extrême droite nous conduit dans un mur. Vous prétendez protéger la France par des coups de force : en réalité, vous l'affaiblissez.

Une histoire profonde lie nos deux pays. Permettez-moi de reprendre les mots de Yazid Sabeg et Jean-Pierre Mignard : " Des milliers de familles, des millions de personnes, quatre millions peut-être de binationaux, d'enfants et de petits-enfants, de parents algériens, ou à la fois algériens et français, vivent aujourd'hui dans un enchevêtrement d'appartenances, de souvenirs, de cultures, et forment une exceptionnelle mixité humaine. Ils sont la marque indélébile d'un destin partagé. Cette jeunesse issue de l'immigration algérienne, ancrée dans la République, désireuse à la fois de concilier son appartenance à la nation française sans répudier son algérianité, est le socle de notre avenir commun. Nos querelles la troublent et c'est injustifiable. "

Nous avons bien compris que c'est une réalité française que vous ne voulez pas voir. Dénoncer unilatéralement l'accord de 1968 ne la fera pas disparaître, bien au contraire !

Pour toutes ces raisons, nous appelons de nos vœux la reprise d'un dialogue avec l'Algérie. À l'instar du ministre des affaires étrangères, nous proposons notamment de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, afin d'élaborer, le moment venu, un quatrième avenant.

Il s'agit, ce faisant, de construire un nouveau cadre de relations diplomatiques apaisées entre la France et l'Algérie, reconnaissant la complexité de notre histoire commune pour mieux la dépasser. C'est notre intérêt économique et sécuritaire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C'est le sens de notre histoire. C'est, dès lors, le moyen de réconcilier la France avec elle-même. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

Mme Audrey Linkenheld. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Narassiguin, nous avons comme vous l'ambition de renégocier l'accord de 1968, d'ailleurs déjà révisé à trois reprises.

Il s'agit une nouvelle fois d'aligner certaines de ses dispositions sur le droit commun, pour attirer davantage de talents – je pense notamment aux étudiants –, et d'y introduire de nouvelles exigences d'intégration républicaine.

Vous l'avez salué, la France, par la voix du Président de la République, s'est beaucoup investie pour la reconnaissance de la mémoire franco-algérienne et la confrontation de nos histoires dans un dialogue sincère et honnête, s'appuyant sur un certain nombre de travaux historiques, en particulier ceux de Benjamin Stora.

Mais, force est de le constater, le rapport à la France fait aussi régulièrement l'objet en Algérie d'une rente mémorielle et politique à l'encontre de notre pays. Nous n'avons pas à nous flageller sur le sujet, nous pouvons le dire honnêtement.

Je vous remercie également d'avoir rendu hommage à notre compatriote Boualem Sansal, toujours emprisonné sans fondement à ce jour. Il est un héraut de la liberté d'expression, de l'universalisme, de la lutte contre toutes les formes de tyrannie. Il est malade, sa santé nous préoccupe et la diplomatie française se mobilise en faveur de sa libération.

Enfin, il ne faut pas opposer la relation nécessaire et importante que nous avons avec l'Algérie à la relation historique, culturelle, stratégique profonde que nous avons avec nos partenaires marocains. La France a reconnu, comme de très nombreux autres pays, que le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine. Cela s'inscrit dans la profondeur du lien qui nous unit à ce pays, avec lequel nous avons une relation fondamentale.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour la réplique.

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le ministre, la voie diplomatique demeure en effet la seule voie viable. Benjamin Stora l'a dit : la rente mémorielle est utilisée des deux côtés de la Méditerranée, et c'est bien le problème.

La France doit évidemment établir des relations diplomatiques apaisées avec tous les pays du Maghreb, avec lesquels nous partageons une histoire commune, mais notre relation avec l'Algérie est beaucoup plus longue et complexe.

Ne laissez pas le ministre de l'intérieur faire des Algériens et de la relation franco-algérienne les victimes de ses obsessions migratoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus applaudit.) Il est anormal qu'un ministre de l'intérieur exerce une telle pression sur le Premier ministre afin d'empiéter avec autant de désinvolture sur ce qui relève de la compétence du Président de la République, dans le dessein d'instrumentaliser la politique étrangère dans une perspective de politique intérieure. La France doit parler d'une seule voix et s'opposer à cette politique de la terre brûlée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1830, la France se lançait dans la conquête de la régence d'Alger qui était, depuis trois siècles, un territoire de l'Empire ottoman. Les cent trente-deux années pendant lesquelles l'Algérie a été un territoire français et la guerre qui y a mis fin constituent l'histoire douloureuse que nos deux pays ont en partage.

Six ans après la fin de la guerre de décolonisation, Paris et Alger ont conclu des accords visant à faciliter l'émigration des Algériens vers la France. Il est souvent dit que la France a fait cela pour satisfaire ses besoins en main-d'œuvre. C'est juste, la France a offert aux Algériens des facilités pour venir dans notre pays, mais, il faut le rappeler, elle n'a forcé personne. Le fait que de nombreux Algériens aient choisi d'en bénéficier montre que ces accords ne leur sont pas défavorables.

Il s'agit en effet de dispositions dérogatoires au Ceseda qui octroient aux Algériens des avantages appréciables. C'est ainsi que, sur les 2,5 millions d'étrangers que notre pays comptait sur son sol en 2023, les Algériens étaient près de 900 000 ; en outre, nombre de nos concitoyens disposent de la double nationalité. Les relations entre nos deux peuples sont fortes et doivent être préservées.

Hélas, le gouvernement algérien continue de les altérer en ressassant inlassablement le passé colonial. En 2023, il a même réintroduit dans son hymne national un couplet demandant à la France de rendre des comptes.

Ces comptes, la France les a déjà rendus il y a bien longtemps et l'Algérie est aujourd'hui, depuis près de soixante-trois ans, un pays souverain et indépendant. C'est le gouvernement algérien qui est responsable devant son peuple ; la colonisation a eu son lot d'effets néfastes, mais ne peut pas tout expliquer.

Le Vietnam a, lui aussi, été colonisé par la France ; lui aussi a obtenu son indépendance de haute lutte, après avoir affronté non seulement les Français, mais aussi les Américains, au cours d'un conflit majeur. Or, au cours des vingt dernières années, le taux de croissance du PIB algérien a été, malgré l'énorme rente gazière, bien inférieur à celui du Vietnam.

La rente mémorielle, s'il fallait encore le démontrer, n'a jamais développé l'économie d'aucun pays. Tant que le gouvernement algérien instrumentalisera le passé pour dissimuler ou justifier ses propres lacunes, nos relations s'en trouveront dégradées.

La dégradation fâcheuse de nos relations avec le gouvernement algérien a été récemment exacerbée par plusieurs événements.

La France a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Bien que cela puisse déplaire à Alger, la France est, jusqu'à nouvel ordre, en tant que pays souverain, libre de ses positions diplomatiques.

Conséquence indirecte, le gouvernement algérien a arrêté en novembre dernier un écrivain franco-algérien de 75 ans, malade, dont l'œuvre littéraire a été saluée par de nombreux prix. Boualem Sansal est accusé d'avoir porté atteinte à l'unité nationale algérienne ; il est en réalité puni pour avoir tenu des propos déplaisant au gouvernement algérien. Une telle forme de censure n'honore pas du tout ce dernier et la France ne peut pas accepter que l'un de ses ressortissants soit ainsi détenu arbitrairement.

Enfin, le gouvernement algérien a entrepris de refuser illégalement le retour sur son sol de certains de ses ressortissants expulsés par la France parce qu'ils étaient en situation irrégulière. Parmi eux se trouvent quelques influenceurs douteux, dont certains appellent au meurtre, et une personne qui a commis un attentat terroriste à Mulhouse.

Ces refus illégaux, puisque contraires au droit international, ont une conséquence logique, évidente : la France doit s'interroger sur la suite des accords qui la lient à l'Algérie en matière d'immigration. Voilà deux ans déjà, Édouard Philippe attirait notre attention sur la nécessité d'un tel réexamen ; depuis lors, il a été rejoint par de nombreux responsables politiques.

L'une des premières conditions de l'application du droit international est la réciprocité. Les refus du gouvernement algérien de permettre le retour sur son sol de ses ressortissants ne peuvent perdurer. Révisés plusieurs fois, ces traités peuvent être renégociés si cela est nécessaire. Nous considérons qu'ils doivent l'être, afin de mieux répondre aux impératifs auxquels sont confrontés nos deux pays.

Nous souhaitons qu'un accord soit trouvé et que la relation entre nos deux peuples soit préservée, au mieux des intérêts de chacun. Toutefois, la France, tout comme l'Algérie, ne doit pas s'interdire de dénoncer ces accords si aucune solution satisfaisante n'est trouvée, dans le respect du droit international. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je souhaite rebondir sur le dernier point de votre propos.

Vous avez mentionné l'idée d'une solution qui serait au bénéfice de nos deux peuples. C'est bien entendu ce que nous recherchons. Nous voulons renégocier pour défendre nos intérêts et maîtriser notre immigration, mais sans aller à l'encontre des intérêts du peuple algérien ; nous souhaitons plutôt cibler ceux qui prennent les décisions.

À cet égard, je souhaite évoquer un autre accord, de portée moindre, mais qui n'est pas anecdotique, celui du 10 juillet 2007, révisé le 16 décembre 2013. Ce traité prévoit une exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service. L'accord facilite notre action diplomatique, mais il est devenu clair qu'il est plus avantageux pour les responsables algériens, compte tenu des liens personnels marqués que nombre d'entre eux ont en France ; ils l'utilisent pour faire des allers-retours.

Cet accord peut naturellement être mis sur la table dès lors que la coopération migratoire n'est pas satisfaisante. Cela a été annoncé à la fois par le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, nous avons d'ores et déjà pris de premières mesures restrictives, en durcissant les conditions de son application. De manière générale, il semble souhaitable de viser la nomenklatura algérienne, car les difficultés que nous avons concernent, je le répète, le gouvernement et non le peuple algérien.

Nous avons donc des outils, des instruments, pour défendre nos intérêts dans notre relation avec Alger.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 décembre 1968, la France et l'Algérie ont signé un accord définissant les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France. En octroyant aux Algériens un statut dérogatoire au droit commun, l'accord emporte des conséquences considérables sur notre politique migratoire : il offre à l'Algérie un cadre exceptionnel, très avantageux pour ses ressortissants, dont le contribuable français ignore toutefois totalement le coût.

La France abrite une diaspora algérienne d'au moins 2,6 millions de personnes, dont 900 000 immigrés stricto sensu. C'est le contingent le plus nombreux parmi toutes les nationalités représentées. Cette immigration a explosé. Le nombre d'Algériens présents sur le sol français a été multiplié par trois entre 1946 et 1972, ce qui pose, bien sûr, de nombreuses difficultés.

À peine 10% des Algériens expulsables ont été renvoyés de façon coercitive. La présidente Jourda l'a indiqué, 43% des 1 800 places disponibles en centre de rétention administrative (CRA) sont occupées par des ressortissants algériens. Je rappelle que l'auteur présumé de la barbarie de Mulhouse, un Algérien en situation irrégulière sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait été refusé à dix reprises par l'Algérie.

Malheureusement, je ne dispose pas d'assez de temps pour lister tous les actes de l'Algérie qui font peser une menace directe sur notre sécurité, sans même évoquer certaines révélations faites hier sur une chaîne de télévision.

Je pourrais par exemple parler de la volonté du président Tebboune d'instrumentaliser la haine de la France, de sa volonté de chasser la langue française des écoles privées en Algérie. Pis encore, je pourrais évoquer sa volonté de laisser en France des Algériens soi-disant influenceurs, mais qui nous menacent. Permettez-moi de citer quelques messages de ces derniers : " nous allons tous vous violer ", " ceux qui savent manier des armes vont vous achever ", etc. Je pourrais enfin vous parler du couplet anti-français ajouté dans l'hymne algérien. Mais laissons là ces provocations indignes…

Je souhaite surtout vous parler d'un homme. Depuis plus de cent jours maintenant, cet homme de 75 ans, un écrivain franco-algérien gravement malade, est retenu en otage par l'Algérie. Cet homme, Boualem Sansal, est notre compatriote et notre ami. Il est l'otage d'un régime qui bafoue la liberté d'expression, " un des droits les plus précieux de l'homme ", aux termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Son arrestation à l'aéroport d'Alger ne s'appuie sur aucun motif de droit ; elle procède de la force brutale d'un régime autoritaire qui ne dit pas son nom, d'un régime qui affiche son antisémitisme en demandant à Boualem Sansal de récuser son avocat au motif que celui-ci est juif, qui revendique son mépris envers les juifs, les harkis, les chrétiens et, plus largement, les Européens, notamment les Français.

Et que dire des traitements discriminants et cruels qu'il inflige aux femmes, aux Berbères, aux Kabyles, sans oublier les campagnes racistes perpétrées par les médias d'État contre les migrants, notamment africains ?

M. François Bonhomme. Tout à fait !

Mme Valérie Boyer. Dans ces conditions, pourquoi le Président de la République contredit-il le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, offrant ainsi au président Tebboune l'occasion de se jouer de nos divisions, y compris à la une de certains journaux algériens ? Pourquoi exprimer cette repentance perpétuelle, alors que nous ne récoltons en retour que mensonges historiques et humiliations, comme le Président de la République l'a appris à ses dépens et surtout aux dépens de la France, lorsqu'il a parlé de crime contre l'humanité ?

M. François Bonhomme. Eh oui…

Mme Valérie Boyer. Lorsque nous nous engageons sur ce chemin avec l'Algérie, il n'y a ni limite ni fin. Il est temps de se débarrasser des procès en culpabilisation et de la rente mémorielle.

C'est pourquoi, comme nous l'avons demandé au Sénat au travers de notre proposition de résolution déposée par Bruno Retailleau le 26 juin 2023, nous réclamons que le chef de l'État dénonce cet accord, non pas pour rompre définitivement toute diplomatie, mais pour reconstruire une relation sur de nouvelles bases – de fermeté, de respect et de réciprocité, comme des nations matures. Il y va de notre souveraineté. Il est légitime d'avoir une politique migratoire allant dans le sens de la volonté de la France et de l'intérêt des Français, c'est-à-dire efficace et respectueuse.

Mes chers collègues, il faut bien sûr lutter contre ceux qui portent la haine de la France, mais il ne faut pas oublier la main qui nourrit cette haine. Comme l'a justement indiqué Jean Sévillia, on " pourra regarder en face l'histoire de la présence française en Algérie […] le jour où l'opprobre ne sera plus jeté […] sur les Européens d'Algérie et les harkis et leurs descendants ", le jour où une volonté de paix et de respect sera partagée sur les deux rives de la Méditerranée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Boyer, je tiens tout d'abord à vous remercier de l'hommage que vous venez de rendre à notre compatriote Boualem Sansal. Je souligne d'ailleurs votre combat puisque, je m'en souviens, vous êtes la première à avoir posé une question d'actualité au Gouvernement sur ce sujet, juste après son arrestation. Nous sommes nombreux à admirer son courage et son œuvre ; je pense par exemple à des livres comme 2084 ou Le Village de l'Allemand. Il porte le combat français pour la liberté d'expression et l'universalisme.

Je veux également réagir à vos propos sur les laissez-passer consulaires accordés aux personnes sous OQTF, une question qui a pris une teinte particulière avec le drame de Mulhouse. Au cours des trois dernières années, le taux de délivrance de ces laissez-passer est passé de 6% à 41%, ratio qui reste certes très insuffisant. Tout cela est régi par le protocole de 1994.

Par ailleurs, il y a eu des cas d'Algériens porteurs de documents d'identité – notamment un influenceur que le ministre de l'intérieur a voulu, à juste titre, faire expulser –, qui ont pourtant été refusés par l'Algérie. Il s'agit là d'une violation du cadre qui régit les relations entre nos deux pays.

Mme Valérie Boyer. Bien sûr…

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre a décidé, à l'issue de la réunion du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 26 février dernier, qu'une liste d'individus serait soumise aux autorités algériennes, afin que ceux-ci soient renvoyés d'urgence en Algérie, et que, à défaut d'une réponse favorable, nous réexaminerions l'ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.

Il s'agit simplement de faire appliquer le droit et de défendre nos intérêts sur le plan migratoire.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Aujourd'hui, nous examinons l'application de l'accord de 1968, mais je pense que la représentation nationale de même que nos compatriotes devraient être éclairés sur son coût.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Absolument.

Mme Valérie Boyer. J'y insiste : quel en est le coût précis ? J'aimerais le connaître. Que verse précisément la France aux ressortissants algériens, prestation par prestation ?

Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir ces chiffres, et cela pose plusieurs problèmes : d'abord, le fait en soi de ne pas obtenir ces informations ; ensuite, le fait que, lorsque nous votons notamment le budget de la sécurité sociale, nous en avons besoin pour nous éclairer. En effet, on nous soumet de nouvelles règles applicables au cadre général, mais de nombreuses conventions internationales limitent leur portée et la possibilité de mener des contrôles.

Non seulement il convient de revoir ces accords, mais il faut en outre que les Français sachent combien ces derniers leur coûtent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l'Algérie partagent un passé douloureux, qui, plus de soixante ans après l'indépendance algérienne, continue de susciter des tensions et des incompréhensions. La colonisation française en Algérie reste un sujet de crispation entre Paris et Alger.

L'accord signé par les deux pays le 27 décembre 1968 réglemente la circulation, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. Conçu à l'origine pour faciliter l'installation de travailleurs algériens sur notre territoire, il confère aux Algériens un régime dérogatoire au droit commun. Ces derniers bénéficient notamment de facilités d'entrée et de délivrance de titres de séjour, avec des durées allant jusqu'à dix ans.

Cet accord, ciment des relations franco-algériennes, suscite aujourd'hui de sérieuses interrogations. En 1968, il répondait à un besoin économique précis et annonçait un nouveau départ commun pour la France et l'Algérie. Depuis lors, le contexte a évolué et certains événements ont engendré une véritable crise diplomatique.

En juillet 2024, l'Algérie s'est offensée du soutien exprimé par la France au plan d'autonomie marocain au Sahara occidental, territoire qui est le théâtre d'un conflit entre le Maroc et des indépendantistes soutenus par l'Algérie.

En novembre dernier, l'écrivain Boualem Sansal, critique du régime algérien, a été arrêté à Alger. Qualifié par le président Abdelmadjid Tebboune d'imposteur envoyé par la France, ce Franco-Algérien à la santé fragile est toujours incarcéré, malgré les nombreuses demandes émanant de plusieurs pays.

Enfin, le 3 février dernier, le président Tebboune a dénoncé le climat délétère entre l'Algérie et la France.

L'attitude véritablement hostile des autorités algériennes vis-à-vis de notre pays est inquiétante. Dans ce contexte, il est tout à fait légitime d'évoquer les accords de 1968. Les facilités que la France accorde depuis des décennies aux Algériens semblent être en décalage avec l'attitude de l'Algérie, dont la coopération en matière d'immigration irrégulière est très insuffisante.

Je souhaite évoquer ici le cas de l'assaillant qui a tué une personne et en a blessé d'autres le 22 février dernier à Mulhouse. Cet Algérien, arrivé illégalement sur le territoire français en 2014 et faisant l'objet d'une OQTF, est resté sur le sol français parce que l'Algérie a refusé à dix reprises de reprendre son ressortissant. (M. Akli Mellouli proteste.) Ce terroriste radicalisé et condamné plusieurs fois ne serait pas passé à l'acte sur le sol français si l'Algérie avait respecté son obligation de l'accueillir à la suite de son expulsion.

Cet exemple fait écho à une autre situation qui a fait grand bruit en janvier dernier. Il s'agit bien entendu du cas de l'influenceur algérien Doualemn, expulsé légalement par la France vers l'Algérie le 9 janvier et renvoyé d'Alger à Paris le jour même. Les autorités algériennes bafouent ouvertement leur engagement envers la France !

Nous ne pouvons pas l'accepter ; c'est pourquoi, le 26 février dernier, lors de la réunion du comité interministériel de contrôle de l'immigration, le Premier ministre, François Bayrou, a défini une ligne claire : la France ne doit pas continuer de distribuer des visas et d'accorder des facilités d'accès à son territoire aux ressortissants de pays qui ne respectent pas leurs propres obligations en matière migratoire.

M. Christian Cambon. Il a raison !

Mme Nicole Duranton. C'est pour cela qu'il a demandé aux inspections générales de la police nationale et des affaires étrangères de mener un audit interministériel sur la politique de délivrance des visas. Cette décision témoigne de la résolution et de la fermeté dont nous devons faire preuve envers les pays qui, comme l'Algérie, refusent de reprendre les ressortissants légalement expulsés du territoire français.

Pourtant, en août 2022, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune voulaient ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Ils entendaient insuffler une nouvelle dynamique partenariale entre nos deux pays, afin de faire face ensemble aux nouveaux défis globaux et aux tensions internationales.

Nous ne devons pas renoncer à toute relation avec l'Algérie. Nos deux pays doivent reprendre progressivement le dialogue pour remédier à la situation actuelle. Nous devons bien entendu maintenir une position de franchise et de fermeté. L'Algérie doit respecter ses obligations envers la France, sans quoi nous serons dans notre droit de prendre de nouvelles mesures nous permettant de respecter notre souveraineté en matière migratoire.

La conjoncture est d'autant plus dommageable qu'elle bafoue le passé que nous avons en commun. Celui-ci est complexe, marqué par des blessures encore vives, mais aussi animé par des liens humains et culturels indéniables. Acteurs d'une histoire commune, nos deux pays ont tissé des rapports étroits, notamment sur le plan mémoriel, comme en témoigne le travail mené par la commission Stora à la fin de l'année 2024.

Nos liens économiques ont également été renforcés depuis le début de la guerre en Ukraine. À titre d'exemple, les exportations algériennes d'hydrocarbures vers la France avaient augmenté de 15% en 2023, en raison de la volonté française de réduire sa dépendance au gaz russe.

Nous devons, par la reprise du dialogue diplomatique, trouver une nouvelle manière de collaborer avec l'Algérie, sans renier nos engagements ni nos principes.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Duranton. Il nous appartient de définir un cadre juste, équilibré et respectueux de la souveraineté de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les tensions actuelles entre la France et l'Algérie sont avant tout le fruit de surenchères politiques et médiatiques qui cherchent à capter l'attention à des fins électorales.

Je m'interroge alors : quel est le véritable objectif ici ? Faut-il raviver une guerre d'Algérie au travers de tensions artificielles pour des raisons politiciennes ? Nous devons être extrêmement vigilants face à de telles dérives.

À ce propos, permettez-moi de citer une déclaration célèbre de l'évêque d'Oran : " La France et l'Algérie n'hésitent pas à se blesser mutuellement. L'originalité de ces blessures est qu'elles sont de celles que ne peuvent s'infliger que de véritables amis. "

Le ministre des affaires étrangères a récemment déclaré : " Si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je vais proposer que tous les pays européens en même temps puissent restreindre leurs délivrances de visas. " Une telle déclaration, déconnectée des réalités diplomatiques, mérite d'être mise en perspective. Elle témoigne d'une vision simpliste et unilatérale, qui oublie que les relations internationales se bâtissent sur le respect et la coopération, non sur la pression ou les menaces.

L'accord franco-algérien de 1968, dont il est notamment question ici, loin d'être un privilège, est le fruit d'une histoire partagée, marquée par des luttes, des sacrifices et des réconciliations. Il a permis à des milliers de familles de contribuer à la richesse de notre nation.

Pourtant, force est de constater que cet accord, bien qu'il ait joué un rôle crucial dans le passé, n'est plus aujourd'hui qu'une coquille vide. Les procédures de visas et de résidence des ressortissants algériens sont désormais aussi complexes que celles qui s'appliquent à n'importe quelle autre nationalité. Le débat sur sa révision est donc, en réalité, un faux débat.

L'Algérie est un acteur clé dans sa région et sur le continent africain. Elle possède des ressources propres et une politique indépendante. Il est dans l'intérêt de nos deux pays de maintenir une coopération pragmatique, en particulier dans des secteurs comme celui de la santé, des médecins algériens permettant de combler les pénuries dans les déserts médicaux. De plus, l'Algérie représente un marché important pour nos exportations et reste un partenaire stratégique en Afrique du Nord et au-delà. C'est enfin la coopération en matière de sécurité et de renseignement entre nos deux nations que nous devons préserver.

Alors, derrière cette escalade, nous le savons, il y a des stratégies électorales. Certains acteurs politiques, conscients de l'imminence des échéances électorales de 2027, cherchent à maximiser leur influence au sein de leur parti et à se poser en défenseurs de l'identité nationale. Néanmoins, cette attitude, cette volonté de jouer avec les peurs, n'est pas à la hauteur de ce que nous attendons d'une politique étrangère responsable. Cette politique de confrontation n'a que trop duré. Nous devons arrêter ce jeu dangereux qui consiste à instrumentaliser la question de l'immigration pour des raisons purement électorales. (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)

À ce sujet, la position du Président de la République mérite d'être soulignée. Emmanuel Macron a, enfin, pris ses responsabilités, marquant la fin de la récréation diplomatique. Il a clairement sifflé la fin du jeu en soulignant notamment que l'« on ne peut pas se parler par voie de presse », et que les relations entre la France et l'Algérie ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques. Il a également rappelé que des millions de Français, nés de parents algériens, " vivent en paix, adhérant aux valeurs de la République ".

Enfin, je tiens à citer les propos de Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et ancien représentant permanent auprès des Nations unies ; il a indiqué avec clairvoyance : " Tôt ou tard, nous conclurons que la politique suivie vis-à-vis de l'Algérie nous mène dans une impasse. On fera appel aux diplomates pour réparer le gâchis. " Ces mots doivent résonner comme un avertissement.

Il est grand temps de sortir de cette impasse et de reprendre un dialogue constructif, loin des polémiques inutiles. Il est impératif que nous mettions de côté nos ambitions électorales et agissions dans l'intérêt de notre pays, mais aussi de la stabilité et de la coopération internationales. Nous avons la responsabilité de rétablir une diplomatie respectueuse, fondée sur le respect de nos engagements mutuels.

Je vous invite à reconsidérer toute approche punitive et à favoriser une diplomatie pragmatique et constructive. Nous avons la responsabilité de remettre l'intérêt national au cœur de nos décisions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Laouedj, vous avez mentionné la déclaration du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, au sujet de la nécessité d'avoir une politique européenne en matière de visas. Mais il est évident que nous devons nous donner, à l'échelon européen, les instruments de la maîtrise de notre immigration, dans le cadre d'une réponse collective !

C'est d'ailleurs le message porté par la France, avec la mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l'asile, lequel permettra de réaliser une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union. Nous voulons renforcer les outils externes de la politique étrangère de l'Union en matière migratoire, notamment au travers de la conditionnalité de la délivrance des visas.

En effet, c'est à l'échelon européen que l'on peut être le plus efficace. On l'a vu au cours des dernières années : les politiques de restriction de la délivrance des visas font l'objet de contournements par la voie européenne, quand des ressortissants demandent un visa à l'Espagne, à l'Italie ou à l'Allemagne. Nous devons donc définir une réponse collective, au niveau européen.

Nous devons le faire pour ce qui concerne la conditionnalité de l'aide au développement et des accords commerciaux, mais également en révisant la directive dite Retour, afin d'expulser plus efficacement, grâce au renforcement de nos moyens collectifs.

C'est bien sûr cette voie que nous défendons, mais celle-ci n'est pas incompatible avec le dialogue, la diplomatie. Il s'agit simplement d'avoir les instruments nécessaires pour défendre collectivement nos intérêts, en Européens.

C'est aussi cette volonté d'avoir une Europe souveraine, maîtrisant ses frontières, qui est au cœur de la diplomatie française portée par le ministre.

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat public s'est emparé du sujet des relations franco-algériennes dans un contexte dramatique. Le terrible attentat de Mulhouse est en effet venu illustrer l'échec de l'État à exécuter une obligation de quitter le territoire français à l'endroit d'un ressortissant que l'on savait dangereux, en raison de l'absence de coopération de l'Algérie, mais aussi, et surtout, du non-respect par ce pays du droit international.

La détention arbitraire du franco-algérien Boualem Sansal ou encore les affaires récentes concernant les soi-disant influenceurs sont autant de signes actuels et convergents qui nous sont envoyés par le pouvoir algérien.

Le Président de la République aura pourtant essayé de renouveler nos relations avec l'Algérie. Malgré tous ses efforts, sa démarche visant à les normaliser aura largement été vaine, malheureusement.

Nous connaissons tous les vicissitudes des relations entre l'Algérie et la France. Nous savons également l'importance des liens humains entre nos deux pays : 650 000 Algériens vivent en France et 30 000 Français résident en Algérie. Les plus de 3 millions de personnes qui disposent de la double nationalité vivent très majoritairement sur notre territoire. Ces liens historiques et si spécifiques entre nos deux pays rendent, à mon sens, quelque peu illusoire une réponse commune à l'échelle européenne, sans même évoquer les contraintes de calendrier.

Je souhaite partager avec vous une conviction : la renégociation de l'accord de 1968, voire sa dénonciation en cas d'échec des discussions, est désormais nécessaire, indépendamment même de la crise du moment. Quant à l'accord de 2007, encore étendu en 2013, qui tend à dispenser de visa les détenteurs de passeport diplomatique ou de service, sa suspension me semble devoir être directement envisagée et aurait le mérite de ne concerner que les cadres du régime. Rien ne vient plus justifier une faveur de cette nature dans les circonstances actuelles.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière migratoire et de droit au séjour serait tout simplement l'expression de notre volonté souveraine de réduire les flux d'entrée sur le territoire national.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière d'accès aux droits sociaux, en particulier au revenu de solidarité active (RSA), serait une mesure de bon sens dans un contexte de crise des finances publiques et traduirait notre volonté de rendre notre pays moins attractif en matière de flux migratoires. Comme nous le savons, l'importance globale de ces derniers ne nous permet plus d'accueillir ni d'intégrer les primo-entrants conformément à notre modèle républicain.

L'accord franco-algérien de 1968 a mis en place entre nos pays un régime dérogatoire au droit commun dans le domaine migratoire. Avec Muriel Jourda, j'ai rendu récemment un rapport sur les instruments migratoires internationaux. Nous avons analysé précisément l'accord international de 1968 : il est évident qu'il est globalement plus favorable à l'immigration algérienne que le droit commun, malgré les avenants de 1985, de 1994 et de 2001. Depuis 2022, nous attendons d'ailleurs la négociation d'un quatrième avenant.

Il faut garder à l'esprit que l'immigration en provenance de ce pays se distingue des autres flux par son volume. Bien loin d'être une « coquille vide », comme l'a pourtant qualifié le président Tebboune, l'accord de 1968 a entraîné la délivrance par la France de plus de 250 000 visas et de 30 000 nouveaux titres de séjour à des Algériens en 2024. Aujourd'hui, un titre primo-délivré sur dix l'est à un ressortissant de ce pays, tandis que les certificats de résidence concernant les Algériens représentent 15 % du stock global des titres valides. Nous ne pouvons donc pas prétendre réduire les flux si nous ne revenons pas sur un accord dérogatoire de cette importance.

Le Premier ministre a raison de dire que la situation est vraiment insupportable. Alors que l'immigration légale est favorisée, non seulement l'Algérie ne fournit pas le surcroît de coopération dans la lutte contre l'immigration illégale que nous pourrions légitimement attendre, mais elle ne respecte même pas ses obligations internationales.

Bien avant la reconnaissance de la détérioration de nos relations bilatérales en 2024, l'Algérie manifestait déjà sa très mauvaise volonté lorsqu'il s'agissait de reprendre ses nationaux. Ainsi, en 2023, seuls 34,9% des laissez-passer consulaires demandés par la France avaient été accordés, avant même notre reconnaissance du Sahara occidental ! En 2024, moins de 10 % des Algériens expulsables ont pu être renvoyés dans leur pays, soit près de 3 000 personnes sur 33 754 interpellations pour infraction à la législation sur les étrangers.

Je conclurai en évoquant l'organisation de notre diplomatie migratoire.

Au cours de la mission sénatoriale qui vient de s'achever, 197 instruments internationaux ont été recensés dans le domaine migratoire. De nature, de portée et d'intérêt très variables, les accords applicables représentent une belle sédimentation, voire un joli « fouillis » – nous les avons qualifiés ainsi –, et ne forment aucunement une politique cohérente, dont nous avons pourtant besoin.

Nous avons également identifié, avant même la polyphonie gouvernementale sur l'accord de 1968, une réelle différence d'approche entre le Quai d'Orsay et Beauvau. Elle dure depuis bien longtemps et dépasse donc les actuels titulaires de ces fonctions.

Aujourd'hui, nous appelons de nos vœux une meilleure structuration de notre diplomatie migratoire, notamment un fonctionnement plus régulier du comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui ne s'était pas réuni au niveau des ministres depuis 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. J'apporterai simplement une brève précision, en lien avec ma réponse précédente : l'accord franco-algérien de 1968 ne régit pas les visas de court séjour, qui sont des visas relatifs à l'espace Schengen. Il est donc nécessaire d'avoir une réponse européenne pour prévenir les contournements des restrictions de visas que nous avons mises en place au niveau national ces dernières années.

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre des accords franco-algériens en matière migratoire et, de manière plus globale, des relations entre nos deux pays.

Je le précise d'emblée : nous sommes plus que favorables à la libération de Boualem Sansal – cette question ne fait pas l'objet de débat entre nous. Aucun écrivain, aucun artiste, aucun intellectuel ne devrait être derrière les barreaux en raison des opinions qu'il défend. J'insiste : cela vaut pour chacun d'entre eux.

S'il s'agit d'affirmer qu'il n'est pas acceptable qu'un pays refuse de récupérer ses ressortissants sous OQTF, nous nous rassemblerons aussi. Le propos vaut pour l'Algérie comme pour l'ensemble des autres États.

Néanmoins, comme tout le monde le voit bien à la lumière du débat que nous avons ce soir et de celui qui se déroule – il faut bien le reconnaître – très largement dans les médias, l'enjeu est, en réalité, d'une tout autre nature. J'en veux pour preuve le contexte dans lequel s'inscrit ce débat et le fait que celui-ci est monopolisé depuis maintenant des mois par les questions migratoires.

Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'ordre du jour du Sénat : proposition de loi sur l'interdiction du mariage pour les personnes sans papier, proposition de loi pour allonger la durée de rétention en CRA, proposition de loi visant à remettre en cause le droit du sol à Mayotte, proposition de loi tendant à restreindre l'accès aux prestations sociales pour les étrangers en situation régulière… Autant de textes alors qu'a été votée il y a un peu plus d'un an la loi sur l'immigration qui s'est soldée – il faut bien le dire – par un fiasco tout à fait lamentable !

Nous sommes confrontés, en réalité, à une stratégie délibérée visant, d'une part, à saturer l'espace médiatique autour des enjeux d'immigration et, d'autre part, à faire disparaître des écrans les enjeux relatifs au travail, aux salaires et au pouvoir d'achat – des thèmes qui sont pourtant la première préoccupation des Français. Il a d'ailleurs fallu la niche parlementaire de notre groupe pour qu'enfin, pour la première fois depuis des mois, le mot " salaire " soit prononcé dans cette assemblée !

Au fond, l'immigration est un peu, pour un certain nombre de personnalités, une ardoise magique : elle permet d'effacer tous les autres sujets du débat médiatique. J'en veux aussi pour preuve le contexte de régulière montée des tensions avec l'Algérie. Chaque jour, des propos outranciers sont tenus, toujours plus excessifs. Je pense à M. Zemmour, qui affirmait ce week-end que " la colonisation en Algérie était une bénédiction ", au fils d'un ancien Président de la République, qui appelle à brûler l'ambassade d'Algérie en France, ou à cette ancienne tête de liste aux élections européennes, qui déclarait avant-hier que l'Algérie « a du sang sur les mains ».

En somme, tout cela constitue une escalade dangereuse, fondée sur une avalanche de contrevérités et qui n'est d'aucune efficacité en matière de politique publique.

Dangereuse, d'abord, parce qu'elle attise les tensions dans un monde qui n'en a franchement pas besoin et parce qu'elle menace notre cohésion nationale : cela a été dit, 12 % des Français entretiennent un lien avec l'Algérie.

Fondée sur une avalanche de contrevérités, ensuite, parce qu'elle vise à faire croire que les accords de 1968 auraient ouvert les vannes de l'immigration algérienne, alors que ceux-ci visaient précisément à la limiter.

Sans aucune efficacité, enfin, car force est de constater que ces joutes médiatiques, qui ont cours – je le redis – depuis des mois, n'ont permis d'obtenir aucune exécution d'OQTF supplémentaire. Quand on est ministre, on est jugé sur ses résultats. En l'occurrence, cette montée des tensions a-t-elle permis d'obtenir quoi que ce soit de la part du gouvernement algérien ? Absolument rien !

Certains agitent le fait que l'Algérie surferait sur une sorte de rente mémorielle, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, au travers de cette expression qui n'est pas très belle. À la lumière de ces débats médiatiques, j'ai surtout le sentiment que, à l'heure actuelle, la haine de l'Algérie et des Algériens sert de rente électorale à des responsables politiques en manque d'imagination…

Je souhaite que ce débat permette de retrouver de la raison et de l'apaisement et qu'il soit animé par l'intérêt général, car c'est l'intérêt de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin et M. Ahmed Laouedj applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, inscrire ce débat à l'ordre du jour dans un contexte marqué par des manœuvres politiciennes opportunistes n'est ni sage ni responsable.

Les polémiques de ces dernières semaines ont blessé de nombreux Français ayant un lien affectif avec l'Algérie. Ces femmes et ces hommes, véritables ponts entre nos deux pays, ont éprouvé une légitime indignation. Quant aux nombreux Algériens qui vivent et travaillent en France et contribuent à la richesse de notre pays, beaucoup se sont sentis stigmatisés, instrumentalisés et méprisés. Je pense notamment aux médecins algériens – c'est la première nationalité étrangère exerçant dans les hôpitaux français – qui font fonctionner un système de santé à bout de souffle.

Obsession de l'extrême droite et désormais du Gouvernement, l'accord de 1968 cristallise toutes les tensions. Cet accord a pourtant été révisé à trois reprises : chaque fois, Alger a répondu favorablement, permettant une collaboration constructive. Ces évolutions ont toujours eu lieu dans la discrétion, loin de toute agitation médiatique, et dans un esprit de respect mutuel.

Aujourd'hui, largement vidé de sa substance, l'accord constitue un frein aux droits des Algériens, les excluant de toutes les avancées législatives et administratives dont ont bénéficié d'autres ressortissants étrangers. Par exemple, les Algériens ne peuvent pas prétendre aux cartes " compétences et talents ", instaurées en 2006, qui facilitent l'installation des travailleurs hautement qualifiés, tels que les médecins et les ingénieurs. Autre inégalité frappante : les étudiants algériens, contrairement à d'autres nationalités, sont soumis à une obligation d'autorisation de travail, compliquant considérablement leur accès à l'emploi et freinant leur insertion professionnelle.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le discours ambiant autour de cet accord de 1968 relève plus du fantasme que de la réalité. Il y a, d'un côté, la propagande politique et, de l'autre, le droit, comme l'a d'ailleurs rappelé le tribunal administratif de Melun. Quand bien même nous devrions revenir une nouvelle fois sur cet accord, optons pour la retenue, le respect mutuel et la diplomatie !

En lieu et place, le Gouvernement a choisi l'escalade verbale, l'outrance et le tapage médiatique. Ainsi, nous voyons une frange de la classe politique française, soucieuse de ses ambitions personnelles, sacrifier l'axe Paris-Alger sur l'autel de calculs électoralistes à courte vue. Cette surenchère a libéré une parole algérophobe qui se traduit par le mensonge, la menace et un négationnisme historique indigne de notre époque.

Nous assistons depuis plusieurs semaines à une dérive inquiétante. Pensant à tort que la polémique fait une politique, voire une géopolitique, des ministres affirment que la colonisation de l'Algérie aurait eu des aspects positifs, tandis que le fils d'un ancien Président de la République appelle à incendier l'ambassade d'Algérie, sans que cela émeuve outre mesure le Gouvernement. De son côté, le Premier ministre multiplie les sommations et les ultimatums.

Faisons-nous face à une " trumpisation " de la classe politique française ? Assistons-nous à la libération d'une algérophobie latente, nourrie par des clichés coloniaux et par un ressentiment anti-algérien, toujours aussi vivace dans certains esprits ? S'agit-il de donner des gages au Rassemblement national, dont dépend la survie de ce gouvernement ? Hélas, il semble bien que ces trois explications se conjuguent, révélant une dérive préoccupante dont les conséquences pourraient être durables pour les relations franco-algériennes.

J'ai toujours été engagé en faveur d'un rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Je suis convaincu que l'axe Paris-Alger peut se construire sur l'exemple de l'axe Paris-Berlin. Toutefois, cette relation doit être refondée sur la vérité, la justice et le respect mutuel. Pour ce faire, il faut cesser cette reconnaissance mémorielle au compte-gouttes, dictée par les calculs politiciens du moment. En effet, l'histoire ne s'efface ni ne se maquille au gré des opportunités électorales. Elle doit être assumée dans sa globalité, avec courage et lucidité.

Clemenceau lui-même, pourtant homme de son temps, dénonçait déjà les massacres commis en Algérie en déclarant : " Nous avons rempli l'Algérie de ruines et de cendres, nous avons à répondre de milliers d'hommes massacrés. " Ce constat dressé il y a plus d'un siècle reste d'une actualité criante face aux tergiversations de notre pays sur son passé colonial. Il est temps que certains réalisent – enfin ! – que le seul bienfait de la colonisation fut la décolonisation. Ne vous en déplaise !

Mes chers collègues, nous nous approchons dangereusement du point de non-retour. Hier, nous nous sommes brouillés avec le Mali, la faute revenant, nous a-t-on dit, au gouvernement malien. Est ensuite venu le tour du Burkina Faso, du Niger, du Sénégal et du Tchad. Là encore, la responsabilité en incombait, selon certains, aux gouvernements de ces États africains. À présent, nous nous brouillons avec l'Algérie. Deux hypothèses s'imposent : soit nous sommes des génies incompris, détenant seuls la vérité face à un continent entier, soit nous avons un sérieux problème dans notre manière d'aborder nos relations avec les nations africaines souveraines.

Pendant que nous accumulons les brouilles et les malentendus, d'autres pays avancent. Conscients des mutations du monde, ceux-ci travaillent à bâtir des relations équilibrées, fondées sur le respect mutuel et le principe du partenariat gagnant-gagnant. Je ne vous parlerai pas du plan Mattei de l'Italie…

L'Algérie accueille près de 450 entreprises françaises sur son territoire tandis que plus de 6 000 autres profitent des exportations françaises vers ce marché. Dans ce battage politico-médiatique, avons-nous mesuré les répercussions potentielles sur ces entreprises et les milliers d'emplois qu'elles créent ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. Dans le nouvel ordre international qui se dessine, il ne suffit plus, monsieur le ministre, d'imposer, de sermonner ou de mépriser. Il faut écouter, comprendre et construire des alliances solides.

M. le président. Concluez !

M. Akli Mellouli. Si nous persistons à voir l'Afrique comme un théâtre où nous seuls dictons les règles du jeu, nous ne ferons que précipiter notre déclassement. Le monde change, les rapports de force évoluent et il serait temps d'adapter notre logiciel diplomatique avant qu'il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Mellouli, de tels sujets méritent apaisement et sérénité.

Le Président de la République est celui qui s'est le plus investi dans la reconnaissance de l'histoire et des mémoires, mobilisant des historiens comme Benjamin Stora, que nous avons évoqué précédemment. Il a voulu engager un dialogue sincère et respectueux, rappelant, pas plus tard que ces derniers jours, la nécessité de respecter nos compatriotes d'origine algérienne ou les binationaux franco-algériens qui ne doivent pas être pris en otage.

Néanmoins, le Gouvernement a aussi raison de vouloir défendre nos intérêts. Pour ce faire, nous défendons notre politique migratoire, nous nous dotons de moyens d'expulser les individus qui, faisant l'objet d'OQTF, n'ont pas vocation à rester sur notre territoire et nous faisons respecter par l'Algérie les conventions qu'elle a signées, en particulier, comme je l'ai souligné tout à l'heure, dans le cadre des accords de 1994. Il est tout à fait naturel d'avoir une discussion sur la renégociation de l'accord de 1968, déjà révisé à trois reprises.

Notre pays pourrait s'accuser de tous les maux en matière diplomatique, et entrer dans le jeu de l'autoflagellation. Toutefois, je vous rappelle que la diplomatie, ce sont aussi des rapports de force, des jeux d'intérêt et, parfois, des ingérences.

À ce titre, vous avez cité quelques théâtres africains au Sahel, en particulier le Mali et le Burkina Faso. Dans ces pays, les troupes françaises se sont engagées pour assurer la sécurité et pour lutter contre le terrorisme à la demande des gouvernements. Des juntes militaires, souvent soutenues par la Russie de Vladimir Poutine, sont désormais installées au pouvoir. Les milices Wagner ont joué leur rôle, et on a assisté à une désinformation, parfois massive, contre notre pays, contre notre présence et contre nos troupes, lesquelles méritent notre soutien et notre respect.

Alors, ne mélangeons pas tout : sachons reconnaître nos torts, mais aussi nos adversaires géopolitiques, à commencer par la Russie, qui s'en prend directement à nos intérêts.

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.

Mon cher collègue, puisque vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole, je vous accorde trente secondes.

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, c'est de la censure ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Monsieur le ministre, nous sommes d'accord : le problème est non pas que nous revendiquions et défendions nos intérêts, mais que nous acceptions que d'autres pays fassent la même chose !

Défendre nos intérêts doit passer par le dialogue : nous ne parviendrons à négocier ni par l'invective, ni par l'injure, ni par le mépris. Nous ne servirons pas notre cause, aussi bonne soit-elle, en cherchant à humilier un partenaire ! Il est normal que nous ayons des désaccords. Il faut les évoquer, mais pas selon cette méthode. Ne tombons pas dans les débats de caniveau, qui n'honorent ni la France, ni l'Algérie, ni les pays africains en général !

Ce qui nous honorerait, c'est de retrouver la raison et d'avoir des échanges diplomatiques marqués par un respect mutuel. Voilà l'objectif, qui a d'ailleurs été rappelé par le Président de la République et auquel je souscris. Vous avez raison, monsieur le ministre : nous ne sommes pas là pour nous flageller. Mais si nous ne regardons pas la réalité en face, nous ne réussirons pas à faire évoluer nos relations. Il faut changer de paradigme !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens devant vous en éprouvant un sentiment d'urgence républicaine. En effet, les événements récents entre la France et l'Algérie nous plongent dans une crise sans précédent.

Celle-ci va, à mon sens, bien au-delà de tensions de nature diplomatique : nous faisons face à une situation qui est devenue, disons-le, insoutenable. Nous sommes presque à un point de rupture dans les relations entre nos deux pays, car nous devons faire face à une série de dérives qui atteignent le cœur de notre cohésion nationale, notre sécurité et notre souveraineté, comme d'autres l'ont déjà dit.

D'un côté, un terroriste algérien sous OQTF, présenté quatorze fois aux autorités de son pays d'origine, qui a semé la mort à Mulhouse, de l'autre, la souffrance de l'intellectuel franco-algérien Boualem Sansal, qui se meurt dans les geôles du régime d'Alger tout simplement parce qu'il est un peu trop libre ou qu'il aime trop la France : ces deux tragédies récentes illustrent, en réalité, un problème bien plus large et bien plus profond. Ces drames sont, en fait, les symptômes d'un échec massif de la gestion de nos flux migratoires.

Cette crise trouve en l'Algérie l'un de ses aspects les plus visibles. En 2025, plus de 2,5 millions de personnes d'origine algérienne vivent en France, un nombre en constante augmentation. En 2024, 250 000 visas ont été accordés aux ressortissants de ce pays, dont 30 000 nouveaux titres de séjour. Ces chiffres ne font qu'accentuer une situation déjà critique, car, dans le même temps, 33 000 Algériens ont été contrôlés en situation irrégulière en France en 2023, dont seuls 3 000 ont fait l'objet d'une procédure d'éloignement. Ce décalage entre réalité des contrôles et mise en œuvre des expulsions illustre bien l'inefficacité de notre politique actuelle.

Mon propos n'est pas de stigmatiser le peuple algérien, qui, comme nous tous, aspire à la paix et à la prospérité. La source du problème, à laquelle il faut s'attaquer, est le régime algérien, régime autoritaire qui a failli à ses responsabilités en laissant prospérer une immigration incontrôlée et en ne régulant pas les flux sortant de son pays. C'est à lui qu'il faut demander des comptes !

Pour cela, comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur, il nous faut adopter une réponse graduée en commençant par des mesures individuelles. D'abord, il faut identifier les ressortissants algériens les plus dangereux pour les expulser vers leur pays d'origine dans les meilleurs délais. Ensuite, il ne faut pas s'interdire de s'interroger sur le bien-fondé des accords de 1968 et de 2007. En outre, nous ne pouvons pas non plus faire l'économie d'une réflexion sur l'automaticité de la délivrance des visas. Chaque visa délivré devrait, à mon avis, correspondre à l'expulsion effective d'un ressortissant sous OQTF. Enfin, la réflexion pourrait se porter sur la suspension des flux financiers des Algériens de France vers l'Algérie ou sur l'aide au développement.

En tout état de cause, nous devons démontrer au régime algérien que la France ne peut plus ouvrir sa porte à ceux qui veulent abuser de notre générosité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons est sensible pour la sénatrice représentant les Français établis hors de France que je suis. Je remercie mon collègue Olivier Bitz d'avoir accepté que nous partagions le temps de parole alloué à notre groupe.

Le « front diplomatique » que le ministre d'État, ministre de l'intérieur appelle de ses vœux est un oxymore, car la diplomatie consiste à négocier la paix par le dialogue. Le contre-exemple américain nous le confirme. Pourtant, nous comprenons aisément les raisons de l'ire du ministre, que beaucoup partagent sur ces travées. L'actualité nous a encore montré le peu de cas que le régime algérien fait des accords qui nous lient.

Il faut, sans aucun doute, négocier un quatrième avenant à l'accord franco-algérien, lequel favorise l'immigration familiale au détriment de l'immigration économique, scientifique ou culturelle : seulement 10% des premières demandes de titre de séjour effectuées par les ressortissants algériens le sont pour des raisons économiques. En outre, ceux-ci ne peuvent bénéficier de titres pluriannuels, comme les passeports talents. Enfin, la renégociation de l'accord a déjà été actée par les dirigeants algériens comme français en octobre 2022, ainsi que l'a rappelé hier le Président de la République.

Jean-Noël Barrot, qui a la responsabilité de la relation globale entre nos pays, a rappelé qu'il fallait avoir des objectifs clairs à l'égard des Algériens : nous voulons un dialogue exigeant afin de faire avancer nos sujets de préoccupation. Cet espace de dialogue est indispensable pour préserver la coopération dans des domaines essentiels pour nous.

D'abord, je pense au terrorisme et aux trafics, notamment de drogue.

Ensuite, je pense au renseignement, dans un contexte de tensions sécuritaires avec les pays du Sahel, avec lesquels l'Algérie partage 2 700 kilomètres de frontières.

Enfin, je pense aux migrations. Notons que, en 2024, entre les réadmissions et les laissez-passer consulaires, les éloignements vers l'Algérie ont été proportionnellement deux fois plus nombreux que ceux vers le Maroc. Or, comme pour Boualem Sansal, l'unilatéralisme clôt par définition la coopération.

L'Algérie doit rester un partenaire économique ouvert aux exportations françaises, lesquelles représentent 4,5 milliards d'euros par an, un chiffre en nette baisse. Ce pays est notre deuxième fournisseur de gaz naturel et notre quatrième fournisseur de pétrole. Les marchés que nous perdons, la Russie, la Chine ou d'autres pays européens les gagnent !

Chaque matin, Radya Rahal, présidente du conseil consulaire à Alger, m'envoie, comme à Olivier Cadic, les gros titres de la presse algérienne. Après s'être interrogés sur une désescalade ce week-end, ces médias soulignent ce matin la cacophonie des gouvernants français.

En Algérie, plus de 30 000 Français sont inscrits au consulat. Quelque 400 entreprises françaises sont installées là-bas. Régulièrement, Mme Rahal m'indique les inquiétudes de la communauté française à Alger, les répercussions de la situation actuelle sur nos relations économiques et la crainte de mesures de réciprocité contre nos ressortissants. Il est nécessaire de toujours rappeler les conséquences de nos déclarations pour nos compatriotes établis à l'étranger. Mes chers collègues, il faut certes établir un dialogue exigeant, mais aussi aller vers un nécessaire apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Ahmed Laouedj et Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne ferai pas ici le rappel des multiples révisions ou tentatives de révision dont a fait l'objet l'accord entre la France et l'Algérie. Malgré ces révisions ou tentatives de révision, qui n'ont pas toujours été suivies d'effets, l'accord bilatéral de 1968 conserve son caractère spécifique, en tant qu'il permet aux ressortissants algériens de bénéficier d'un statut dérogatoire au droit commun des étrangers.

Les autorités algériennes continuent de considérer cet accord comme un droit acquis hérité de l'histoire. Or cette situation ne semble plus acceptable aujourd'hui. Une politique migratoire plus restrictive est réclamée par nos compatriotes et semble s'imposer.

En 2024, la France a délivré 336 000 titres de séjour et enregistré près de 160 000 demandes d'asile, soit près de 500 000 entrées sur notre territoire. Dans le contexte de tensions migratoires que nous connaissons, l'accord franco-algérien, signé il y a plus de cinquante ans, apparaît désormais anachronique.

En matière d'immigration, nous devons par ailleurs harmoniser le droit français avec le droit européen en tendant vers une plus grande cohérence. Or le régime dérogatoire actuel fait obstacle à cette volonté de régulation et de fermeté. Je citerai par exemple l'accès à un certificat de résidence de dix ans après seulement trois ans de séjour, contre cinq ans pour d'autres nationalités, ou encore les conditions d'admission au titre du regroupement familial, qui sont assouplies sans vérification stricte des conditions d'intégration.

Enfin, la question la plus conflictuelle est le manque de coopération – c'est une litote ! – de l'Algérie dans la délivrance des laissez-passer consulaires, compromettant le retour dans leur pays des Algériens qui se trouvent sous le coup d'un arrêté d'expulsion ou d'une OQTF. Ce point, qui est l'objet de tensions gouvernementales chroniques entre Paris et Alger, a de nouveau fait l'actualité récemment, avec le raccompagnement avorté de l'influenceur Doualemn en janvier dernier. Plus grave encore, un ressortissant algérien a tué un homme et blessé cinq personnes dernièrement à Mulhouse ; cet homme, présent illégalement en France depuis 2014, sortait de prison où il avait effectué une peine pour apologie du terrorisme. Nous avons appris, depuis, que ce meurtrier avait été présenté dix fois sans succès aux autorités algériennes.

Aussi, face à l'intransigeance des autorités algériennes en matière de laissez-passer consulaires, la France doit-elle instaurer un rapport de force. Cela peut passer par une remise en cause de l'accord de juillet 2007 qui vise à faciliter les déplacements officiels de courte durée pour les détenteurs de passeports diplomatiques ; cela peut aussi signifier restreindre, voire bloquer, la quantité de visas délivrés, comme l'a préconisé François-Noël Buffet.

Le rapport de force peut enfin passer par la dénonciation ou la renégociation de l'accord de 1968. Une telle dénonciation unilatérale semble justifiée juridiquement ; elle est en tout cas possible en s'appuyant sur la convention de Vienne sur le droit des traités, Bruno Retailleau ayant jugé l'accord franco-algérien " exorbitant " et " obsolète ". Il s'agit de ramener les Algériens au droit commun, de limiter l'immigration et d'obliger enfin Alger à reprendre ses ressortissants sous OQTF.

Le Premier ministre, s'exprimant officiellement, a donné à l'Algérie " quatre à six semaines " pour coopérer, sous peine de réexaminer l'accord, voire de le dénoncer. Le Président de la République, de son côté, a fait preuve d'une moindre clarté : il a affirmé qu'il ne dénoncerait pas de manière unilatérale les accords de 1968, arguant qu'un tel acte risquerait d'" envenimer inutilement les relations avec l'Algérie ". Il a préféré concentrer son attention sur l'avenant de 1994, suggérant que des ajustements étaient possibles.

La dénonciation de cet accord est pourtant une condition nécessaire de la reconstruction d'une relation avec l'Algérie, sur la base, évidemment, d'une nouvelle – d'une réelle – réciprocité. Ces différences entre les positions respectives du Président de la République et du Premier ministre suscitent des interrogations sur la position officielle de la France ; elles nous affaiblissent, en tout cas, s'agissant de notre capacité à imposer un accord.

Il est temps de sortir de cinquante ans de rente mémorielle ; il est temps de sortir des atermoiements et des propos déplorant l'état de nos relations avec l'Algérie, et surtout avec son gouvernement, qui a pris tout un peuple en otage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tâcher de me montrer synthétique : beaucoup d'éléments ont été évoqués au cours du débat et je sais les risques qu'il y a à faire attendre le sénateur Karoutchi, mais aussi à le laisser parler en dernier… (Sourires.)

Du fait d'une histoire partagée qui a créé des liens complexes, mais profonds entre nos deux pays, l'Algérie est le premier pays d'immigration en France. C'est aussi, après la Chine et le Maroc, le troisième pays auquel nous accordons le plus grand nombre de visas. Il est donc bien naturel, dans un moment où les pouvoirs publics, sur la demande de nos concitoyens, s'attachent à mieux contrôler les flux migratoires, d'évoquer sans tabou la question des accords franco-algériens relatifs à la circulation des personnes. Et je voudrais remercier les sénateurs qui ont pris l'initiative d'organiser aujourd'hui ce débat.

Je crois toutefois important de distinguer deux problématiques, comme je l'ai fait tout à l'heure lors du débat.

La première est celle des reconduites dans leur pays de ressortissants algériens ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. À cet égard, l'Algérie relève pour l'essentiel du droit commun, précisé par le protocole du 28 septembre 1994 portant accord de coopération en matière de délivrance des laissez-passer consulaires, et non d'un accord dérogatoire.

Nous rencontrons, pour procéder à des éloignements, des difficultés significatives, qui ne sont malheureusement pas propres à l'Algérie. En 2024, je le mentionnais, 41% seulement des laissez-passer consulaires demandés à Alger ont été délivrés dans les délais utiles. Ce chiffre, bien qu'en augmentation, reste bien sûr insuffisant. Les conséquences de ces difficultés peuvent être dramatiques, comme nous l'avons constaté avec l'attentat de Mulhouse, commis par un ressortissant algérien déjà condamné, radicalisé, et dont nous avions demandé l'éloignement à plusieurs reprises, en vain, aux autorités algériennes.

Plus récemment, dans un contexte de tensions bilatérales renforcées, nous avons été confrontés à des difficultés spécifiques concernant des ressortissants algériens disposant de documents d'identité en règle, mais dont les autorités algériennes ont néanmoins refusé le retour, en violation, une fois de plus, du protocole que j'ai cité.

Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre François Bayrou a décidé, à l'issue de la réunion du 26 février dernier du comité interministériel de contrôle de l'immigration, qu'une liste d'individus serait soumise aux autorités algériennes afin que ceux-ci soient renvoyés d'urgence en Algérie et que, à défaut de réponse favorable, nous réexaminerions l'ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.

Une fois de plus, il n'y a dans notre diplomatie aucune naïveté : il y a de la fermeté et de la clarté pour faire entendre nos intérêts, renégocier ces accords et faire respecter nos objectifs de politique migratoire.

Voilà qui m'amène à la deuxième problématique, celle des accords bilatéraux en matière de circulation de personnes.

Le principal est bien sûr l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un accord qui suscite beaucoup de débats et d'interrogations.

Il faut faire à cet égard plusieurs rappels. En proportion de sa population, et comparée à ses voisins, l'Algérie n'a pas plus de ressortissants disposant d'un titre de séjour valide en France. Si cet accord était dénoncé pour revenir au droit commun, il ne faudrait pas s'attendre à une baisse automatique du nombre d'immigrés algériens, compte tenu de ce que l'on observe, par exemple, pour le Maroc ou la Tunisie.

En revanche, il est vrai, vous l'avez mentionné, mesdames, messieurs les sénateurs, que cet accord facilite l'immigration familiale au détriment de l'accueil de talents, d'étudiants ou de professionnels. Il est également moins exigeant que le droit commun en matière de vérification de l'intégration des immigrés. Il ne correspond donc ni aux exigences du temps présent ni à ce que sont aujourd'hui nos intérêts migratoires.

En outre, comme l'a exposé la mission d'information de votre commission des lois sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, le maintien de ce régime de faveur semble d'autant moins justifié qu'il ne s'accompagne pas d'une coopération satisfaisante dans le champ de la lutte contre l'immigration irrégulière.

La position du ministère est en conséquence de plaider pour une renégociation qui aurait, je le disais tout à l'heure, un triple objectif : rapprocher le régime s'appliquant aux Algériens du droit commun, notamment en matière d'immigration familiale ; introduire des dispositifs attractifs pour les profils les plus dynamiques ; renforcer les exigences républicaines d'intégration, qu'elles soient linguistiques ou civiques. Une telle renégociation n'aurait rien de nouveau, puisque l'accord a déjà été modifié à trois reprises, en 1985, en 1994 et en 2001.

En 1994, par exemple, nous avons rendu obligatoire la présentation d'un passeport et d'un visa pour les Algériens souhaitant se rendre en France. Vous le voyez, on a donc su faire évoluer de façon significative le cadre dont il est question.

Cela a été dit, le comité intergouvernemental franco-algérien de haut niveau avait d'ailleurs convenu, lors de sa session d'octobre 2022, de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord en vue de l'élaboration, le moment venu, d'une quatrième renégociation.

J'ai mentionné aussi tout à l'heure – c'est un point important – l'accord du 10 juillet 2007, révisé en 2013, qui prévoit l'exemption réciproque de visa de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service.

Nous avons pris, sur la base de cet accord, des mesures restrictives, en durcissant sa mise en œuvre, et notamment en réduisant ou en appliquant des critères plus contraignants à la délivrance de visas diplomatiques aux représentants de la nomenklatura algérienne.

Notre objectif n'est pas de faire peser ce différend sur la population algérienne ou sur la population franco-algérienne ; il est, bien sûr, de faire respecter nos intérêts, de faire entendre nos exigences et d'assumer le rapport de force avec les représentants de la nomenklatura.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai essayé de vous exposer de façon factuelle ce que sont nos intérêts migratoires dans nos rapports avec l'Algérie et la manière dont nous faisons valoir nos priorités.

Comme l'a dit et redit le Président de la République il y a encore quelques jours, un travail de fond exigeant doit être engagé avec « un sens du réel et une culture du résultat », avec pour seule boussole l'intérêt de la France et des Français.

Nous n'aurons, et nous n'avons, aucune difficulté à assumer des rapports de force là où c'est utile et à utiliser la large palette d'instruments dont nous disposons à cet effet, loin des polémiques ou de la rente mémorielle dont notre pays a été l'objet.

Nous ferons entendre la voix de la France et des Français.


Source https://www.senat.fr, le 11 mars 2025