Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " La perte de souveraineté industrielle et l'atteinte aux industries stratégiques ", demandé par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire dans le cadre de sa séance thématique.
Conformément à l'organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d'abord les rapporteurs – qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l'Assemblée – puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Certains imaginaient, il y a quelques années, que notre économie pouvait être forte sans industrie – que l'on pouvait consommer, échanger, sans produire. C'était un mythe.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre
Parler de souveraineté, il y a quelques années, n'était ni une évidence ni une priorité. Ces idées fausses se sont très vite brisées sur la réalité, les conflits géopolitiques, la pandémie et les crises. Le monde change, les consciences s'éveillent et le gouvernement agit. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Résolu, déterminé, il agit sans relâche pour réindustrialiser la France. Le ministère de l'industrie et de l'énergie, dont j'ai l'honneur d'avoir la charge, est un ministère de combat. Notre combat, avec Éric Lombard et l'ensemble du gouvernement, est de faire de la France une grande nation industrielle, fidèle à son histoire et capable d'affronter les défis technologiques de demain.
Alors que se durcissent les tensions mondiales et que s'intensifie la concurrence internationale, ce combat est plus que jamais essentiel à la prospérité de notre économie, à la cohésion des territoires, à la souveraineté du pays. Je remercie le groupe La France insoumise d'avoir pris l'initiative de ce débat, essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), sur notre souveraineté industrielle.
M. Rodrigo Arenas
C'est cadeau !
M. Marc Ferracci, ministre
La souveraineté, c'est notre capacité, en tant que nation, à choisir notre destin. Sans industrie forte, c'est ma conviction, il n'y a pas de pays fort, pas de pays indépendant, pas de pays souverain : voilà pourquoi la reconquête industrielle est notre priorité. Grâce à une politique ambitieuse et volontariste, nous avons commencé, depuis 2017, à gagner des batailles.
La bataille de l'attractivité, d'abord. Vous le savez, la France est depuis cinq ans le premier pays européen pour les investissements étrangers. Le sommet mondial pour l'intelligence artificielle a, une fois de plus, mis en lumière les formidables atouts de notre pays.
Mais nous devons aller plus loin, et l'avenir de notre compétitivité passera par de nouvelles réformes, comme la réforme du financement de la protection sociale, à laquelle MM. Alfandari et Rolland nous ont justement appelés : pour qu'elle continue à soutenir la société, sans freiner l'économie, pour qu'elle pèse moins sur le travail, en particulier industriel, et pour qu'elle soit véritablement une force au service de notre avenir.
Nous avons aussi gagné des batailles sur le front des ouvertures de sites industriels : trente-six ouvertures nettes ou extensions d'usines se sont concrétisées au premier semestre 2024, selon le baromètre industriel de l'État. Nous attendons les chiffres du deuxième semestre.
Enfin, nous avons gagné des batailles sur le front de l'emploi industriel, avec plus de 130 000 créations nettes d'emplois depuis 2017.
Nous avons une stratégie. Celle-ci repose sur trois axes : une action offensive, pour bâtir une industrie puissante et résiliente ; une action défensive, pour protéger nos filières et nos emplois de nouvelles menaces ; une action déterminée à l'échelle européenne, au service de nos intérêts stratégiques et souverains.
Sur le plan offensif, la souveraineté industrielle exige que nous investissions massivement dans la France de demain. C'est ce que nous faisons, via le plan France 2030, pour positionner notre pays à la frontière technologique. Jamais nous n'avons autant investi dans l'innovation, en particulier dans l'innovation de rupture.
Les résultats sont là.
Mme Clémence Guetté
Non !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous avons fait émerger de nouvelles filières dans les batteries, les biomédicaments ou encore l'intelligence artificielle. Nous avons renforcé nos positions dans des secteurs clés, comme l'aéronautique, une industrie d'excellence où nous avons réussi à consolider notre avantage, à développer de nouvelles technologies, à accélérer l'émergence de nouveaux acteurs. Notre pays, dans ce secteur, est le deuxième exportateur, non pas en Europe, mais dans le monde. Nous sommes les seuls, avec les États-Unis, à savoir construire des avions, civils ou militaires, de A à Z.
Cette filière fait notre fierté industrielle. Je pense à Safran, qui a fait certifier en janvier le premier moteur électrique pour avion au monde. Je pense à Aura Aero, jeune entreprise toulousaine qui conçoit et fabrique l'avion bas-carbone de demain. Je pense encore à Airbus Helicopters et à son usine de Marignane, que j'ai visitée la semaine dernière, où 8 000 salariés conçoivent, fabriquent et assemblent des hélicoptères à la pointe de l'innovation. Autant d'exemples qui montrent que la force de notre industrie est la clé de notre souveraineté.
Il n'y a pas non plus, réciproquement, d'industrie forte sans souveraineté, et en particulier sans souveraineté énergétique. C'est pourquoi notre ambition, dans la droite ligne du discours prononcé en 2022, à Belfort, par le président de la République, est de « reprendre en main notre destin énergétique et donc industriel », en produisant une énergie abondante, décarbonée et compétitive.
M. Henri Alfandari, rapporteur
Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre
Alors, sans ambiguïté, sans tergiversation, nous soutenons le nucléaire, nous renforçons le nucléaire, nous investissons dans le nucléaire. Le programme du " nouveau nucléaire français " en est la preuve. (Mme Clémence Guetté s'exclame.) Les futurs réacteurs de type EPR sont là pour servir les Français ainsi que l'industrie de notre pays et de nos enfants.
Mais le nucléaire à lui seul ne nous sortira pas de notre dépendance aux importations d'hydrocarbures, qui représentent encore les deux tiers de notre consommation énergétique. Notre souveraineté passe aussi par le développement des énergies renouvelables. Nous y investissons avec force et discernement.
M. Matthias Tavel, rapporteur
Comment ?
M. Marc Ferracci, ministre
Si je parle de discernement, c'est qu'il s'agit de faire de notre souveraineté énergétique une souveraineté industrielle, en produisant, en France, l'énergie dont notre pays a besoin.
Mme Clémence Guetté
On en est loin !
M. Marc Ferracci, ministre
Certains orateurs, je pense en particulier au rapporteur Matthias Tavel, nous ont interpellés sur la nécessité d'une planification énergétique. C'est oublier qu'Élisabeth Borne a été la première à instaurer une institution qui organise cette planification : le secrétariat général à la planification écologique, placé auprès du premier ministre.
Mme Clémence Guetté
Et pourquoi n'y a-t-il jamais eu de PPE ?
M. Marc Ferracci, ministre
Nous soutenons toutes les filières industrielles. M. Fournier a déploré qu'on ne fabrique plus de panneaux photovoltaïques en France. C'est faire peu de cas des salariés de l'entreprise Alsace Solar à Rixheim, ou de ceux de l'entreprise Reden Solar à Roquefort, qui fabriquent précisément ce type de panneaux.
Si nous devons nous appuyer sur cette approche offensive, notre deuxième axe d'action doit être défensif. Pourquoi ? Parce que garantir notre souveraineté, c'est aussi préserver nos intérêts et nos actifs stratégiques de la prédation des pays étrangers.
C'est ce que nous faisons grâce au contrôle des investissements étrangers en France. Vous y avez insisté, monsieur Maurel. Je précise donc qu'en 2023, les services de l'État ont rendu 255 décisions sur des dossiers de demandes d'autorisation, dont 44 % étaient assorties de conditions pour garantir la préservation des intérêts nationaux.
M. Matthias Tavel,, rapporteur
Lesquelles ?
M. Marc Ferracci, ministre
La souveraineté, c'est aussi, dans certains cas, prendre le contrôle d'entreprises disposant d'actifs stratégiques. C'est ce que nous avons fait en 2024 en rachetant 80 % du capital du champion mondial des câbles optiques sous-marins, Alcatel Submarine Networks (ASN).
C'est ce que nous faisons pour Atos, où l'État est en négociations exclusives en vue de l'acquisition des activités les plus sensibles pour notre autonomie stratégique. C'est également ce que nous sommes en train de faire avec Velan dans le secteur de la robinetterie et des vannes nucléaires. Alors qu'en 2023, nous avions bloqué le rachat par un groupe américain, l'entreprise devrait être rachetée par le champion français Framatome.
Enfin, la souveraineté industrielle, c'est soutenir nos entreprises lorsqu'elles sont en difficulté. En 2023-2024, les services de Bercy ont accompagné plus de 160 entreprises. L'action de l'État a permis de protéger des milliers d'emplois, partout en France.
Je pense à l'entreprise Niche Fused Alumina (NFA), à La Bâthie, en Savoie, reprise par le Groupe Alteo en septembre dernier – 119 emplois sauvés. Je pense à l'entreprise ARC, fleuron industriel dans la fabrication de verre dans le Pas-de-Calais. Je me suis rendu à Arques, en janvier dernier aux côtés de Xavier Bertrand. Ce sont 4 000 emplois qui ont été sauvés, notamment grâce à la contribution de l'État par le biais d'un prêt de 30 millions d'euros du fonds de développement économique et social. (Mme Clémence Guetté s'exclame.)
Je pense à Ascométal à Fos dans les Bouches-du-Rhône, spécialisée dans les métaux spéciaux, reprise par l'industriel italien Marcegaglia – 323 emplois sauvés.
Je pense à l'aciérie Hachette et Driout, à Saint-Dizier en Haute-Marne, l'une des plus belles fonderies d'Europe, que j'ai visitée hier matin, où 274 emplois ont été préservés.
Mme Clémence Guetté
C'est l'exception !
M. Laurent Alexandre
C'est bien la seule !
M. Marc Ferracci, ministre
Vous connaissez ma détermination et mon engagement, entiers. Chaque jour, avec mes équipes, je me bats pour arracher des solutions, partout où c'est possible ; je me bats pour les salariés et pour nos territoires, pour nos savoir-faire, pour notre souveraineté.
Je me bats aussi contre le mensonge et la récupération politique.
Mme Karen Erodi
C'est vous le menteur !
M. Marc Ferracci, ministre
À ceux qui instrumentalisent la détresse des salariés en faisant croire qu'il existe des solutions miracles, je réponds que, partout, l'État travaille avec les élus et les industriels afin de trouver des solutions crédibles et pérennes pour chaque dossier, dans chaque territoire, pour chaque emploi.
Mme Clémence Guetté
Pour vous, les salariés, ce sont des chiffres !
M. Marc Ferracci, ministre
Enfin, plus que jamais, le gouvernement se bat au niveau européen. La concurrence internationale est de plus en plus féroce et elle est parfois déloyale. Face à cette concurrence, face au dumping chinois et aux droits de douane américains, l'Europe doit réagir avec unité et fermeté.
Nous riposterons de façon immédiate et proportionnée aux mesures protectionnistes qui menacent nos intérêts industriels et le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
La semaine dernière, la Commission européenne a présenté son projet de Pacte pour une industrie propre. Je salue cette étape. Ce travail, mené sous l'égide et l'impulsion du commissaire Stéphane Séjourné, est une bonne base, et comprend des avancées – inconcevables il y a encore quelques mois, comme la préférence européenne.
L'Europe avance, mais le monde avance plus vite encore. C'est pourquoi nous devons aller beaucoup plus loin, plus vite et plus fort. Nous y œuvrerons au cours des prochains mois, en dialoguant avec nos partenaires européens.
M. Rodrigo Arenas
Dommage que ça ne marche pas !
M. Marc Ferracci, ministre
L'industrie européenne vit un moment charnière, comparable à celui qu'a vécu le système financier en 2008. Nous devons prendre des mesures puissantes le plus rapidement possible. Il faut soutenir en urgence les industries de l'acier, de l'automobile et de la chimie.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez interpellés sur ces mesures d'urgence, en particulier pour l'automobile. Demain, lors d'un déplacement auquel je participerai, le commissaire Séjourné annoncera différentes mesures pour soutenir la filière automobile, en particulier les équipementiers, qui souffrent. Dans nos territoires, les fermetures de sites sont souvent difficiles à vivre pour les salariés et leurs familles.
Dans quelques jours également, sous notre regard vigilant, la Commission annoncera des mesures en faveur du secteur de l'acier et de la sidérurgie. Vous l'avez évoqué, monsieur Gokel, et je connais votre attachement à la filière sidérurgique compte tenu de votre implantation locale.
Nous avons demandé à la Commission d'aller vite car des projets d'investissements sont suspendus, en particulier à Dunkerque, faute de protection de l'acier européen. C'est pourquoi nous plaidons pour le renforcement de la clause de sauvegarde sur l'acier, introduite en 2018, mais désormais très insuffisante. Nous espérons que la Commission fera très prochainement des annonces. Nous accompagnerons ensuite les choix opérés au niveau européen.
Nous plaidons également pour des mesures favorisant l'achat européen dans la commande publique et pour des mesures visant à accroître l'investissement et à accélérer la décarbonation.
Pour sauver nos usines et nos emplois, nous avons besoin d'un choc de confiance à la hauteur des enjeux. La France et l'Europe vivent un moment historique. Dans cette période décisive pour notre prospérité, notre cohésion et notre souveraineté, les Français nous demandent d'agir avec responsabilité – et avec force. C'est ce que nous ferons. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique. Dans la mesure où j'ai été souple pour les rapporteurs et la discussion générale, je serai obligée de couper le micro si vous dépassez votre temps de parole.
La parole est à M. Arnaud Saint-Martin.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP)
Ma question concerne la filière spatiale. Plan de restructuration engagé par les directions de Thales Alenia Space et d'Airbus Defence and Space, rumeur de consolidation liée au projet Bromo, tergiversations autour d'Iris2, l'ambiance est morose dans l'industrie. « On va tous crever », alertait l'année dernière l'ancien PDG du Centre national d'études spatiales (Cnes), aujourd'hui ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le diagnostic est établi depuis longtemps : le secteur spatial est une victime de plus du manque d'anticipation et de l'inconséquence des gouvernements successifs en matière de recherche, d'industrie et de défense.
Il n'y a plus de pilote dans l'avion. C'est d'autant plus grave que les carnets de commandes des satellitiers sont pleins, que de nombreux salariés subissent une surcharge de travail et que les retards dans les programmes vont donc s'accumuler. Le spatial est pourtant un secteur stratégique, garant de notre souveraineté et pourvoyeur de services vitaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Quelle est votre stratégie ? En 2021, le spatial est passé dans le giron de Bercy et Bruno Le Maire s'est improvisé entrepreneur en chef. Mais Emmanuel Macron n'était pas en reste : il a tenté de surfer sur la vague du New Space en imposant une formule irrésistible – le modèle SpaceX et la start-up nation sur orbite.
Fini les programmes et le temps long, l'heure était à l'accélération, à la startupisation de la commande publique, et même du Cnes. Le volet spatial de France 2030 – 1,5 milliard d'euros – est devenu la pierre angulaire de cette disruption : microlanceurs, micro-satellites, microcapsules, mais aussi micro-ambitions, dont les observateurs les plus lucides n'ont cessé de pointer les macrolimites ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Alors que SpaceX écrase tout sur son passage – c'est le premier opérateur de transport spatial et de satellite –, à l'heure où l'État cède et s'abonne à Starlink pour reconnecter Mayotte,…
M. Rodrigo Arenas
Quelle honte !
M. Arnaud Saint-Martin
…à l'heure où la montée en puissance d'Ariane 6 reste toute relative – avec un report de lancement hier encore –, alors que le secteur satellitaire est en proie à l'incertitude, quel bilan tirer du pilotage de la direction générale des entreprises (DGE) ces dernières années ? L'argent public de France 2030 a-t-il été bien dépensé ? Comment envisagez-vous le futur du Cnes ? Quels sont vos plans pour la prochaine conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne-ESA ? Allez-vous enfin changer de braquet pour que nous puissions retrouver notre souveraineté industrielle dans ce secteur ? (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l'orateur. – Les députés du groupe LFI-NFP applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous avez raison, la filière aérospatiale est confrontée à une concurrence des plus vives, venue notamment des États-Unis avec les réseaux Starlink, SpaceX ou les lanceurs renouvelables. Ce phénomène percute vigoureusement la filière, qui a annoncé des plans de restructuration.
Ainsi, comme je l'ai déjà indiqué dans cet hémicycle en réponse à une question, chez Airbus Defence and Space, la restructuration concerne 2 500 emplois, sans licenciement contraint – l'entreprise s'y est engagée.
Nous devons être offensifs pour nos filières spatiale et aérospatiale. Il faut par exemple concrétiser le projet Iris2 – une constellation de satellites visant à améliorer notre souveraineté satellitaire et celle de notre base industrielle.
Il faut y être particulièrement vigilants. À l'heure actuelle, l'Europe organise la filière industrielle spatiale sur le principe du retour géographique – la contribution de chaque État membre doit lui permettre de recevoir les bénéfices, en matière de retombées industrielles, des investissements consentis.
À Bruxelles, puis lors de la conférence sur les perspectives spatiales organisée par le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), je l'ai dit au commissaire Kubilius : le pilotage politique de notre filière spatiale ne doit plus uniquement être assumé par l'ESA, mais par l'ensemble des États membres et par la Commission. Concrètement, il ne faut plus appliquer de manière aussi systématique le principe du retour géographique, délétère pour la compétitivité de nos chaînes de valeur et pour notre filière spatiale.
Mme la présidente
Je vous prie de bien vouloir conclure.
M. Marc Ferracci, ministre
Nous allons continuer à plaider en ce sens dans les prochaines semaines.
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Alexandre.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP)
En matière de souveraineté industrielle, nous devrions nous interroger sur les points suivants : quelles industries sont-elles nécessaires en France pour répondre aux besoins humains et à l'activité économique de nos territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Comment relocaliser les productions ? Comment éviter la concurrence déloyale ?
Au lieu de cela, votre dogmatisme idéologique est responsable d'un naufrage industriel : vous distribuez des milliards d'argent public aux plus grandes entreprises sans aucune planification ; vous acceptez les délocalisations. Ainsi, en 2024, 66 000 entreprises ont fermé – soit plus de fermetures de sites que d'ouvertures –, on a dénombré 300 plans de licenciement et entre 128 000 et 200 000 emplois ont été supprimés.
Parlons de la filière automobile : nos grands constructeurs délocalisent et l'État abandonne nos fonderies, pourtant stratégiques. Je pense à la fermeture insupportable de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) dans ma circonscription. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Fonderie de Bretagne est également en grand danger.
Les délocalisations sont des désastres : désastres sociaux bien sûr, désastres en matière de souveraineté, de sécurité et de qualité des productions. Je pense aux airbags Takata, ou aux problèmes de moteur de Stellantis ? Mieux vaut produire en France des voitures sûres, plus propres, mais aussi plus petites et moins chères, afin d'éviter une France à deux vitesses dans l'accès à la mobilité.
Quand allez-vous renforcer le protectionnisme aux frontières de l'Union européenne, conditionner les aides publiques au maintien des emplois en France et à la relocalisation des productions stratégiques ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ces mesures sont urgentes.
Heureusement, notre pays a conservé un atout majeur : son tissu de petites et moyennes entreprises. Pour elles, comme pour toutes nos industries et pour les ménages, revenons d'urgence aux tarifs réglementés de vente d'électricité calculés sur le coût de production national, et non plus fixés au niveau européen.
Mme la présidente
Merci de bien vouloir conclure.
M. Laurent Alexandre
Entre 2022 et 2024, le tarif de l'électricité a augmenté de plus de 40%. Il y a, j'y insiste, urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous abordez de nombreux sujets.
La relocalisation de certaines productions et industries stratégiques est à l'œuvre, par exemple dans le secteur du médicament, pour lequel le président de la République a annoncé un plan en 2023. Ainsi, la fabrication de principes actifs stratégiques est en cours de relocalisation. Il y a quelques semaines, à l'invitation de M. Chassaigne, j'ai visité l'entreprise Euroapi du Puy-de-Dôme, qui bénéficie d'aides pour relocaliser la fabrication de principes actifs.
Vous parlez de concurrence déloyale. Je vous rejoins et j'ai eu l'occasion de le rappeler dans mon propos liminaire : les Européens doivent s'affranchir d'une sorte de naïveté. Nous devons donc adapter nos outils de protection commerciale. L'acier, que j'ai déjà évoqué, est un exemple particulièrement parlant. Nous devons réagir vite, appliquant rigoureusement des quotas et des clauses de sauvegarde à ceux qui ne respectent pas les règles du commerce international, en particulier les exportateurs chinois qui subventionnent massivement leurs industries. Nous allons le faire et avons interpellé la Commission qui dévoilera ses propositions dans quelques jours.
Vous évoquez ensuite la conditionnalité des aides. Nous en avons déjà débattu à de nombreuses reprises dans cet hémicycle. Les aides – aides à l'investissement, crédit d'impôt recherche, aides à l'embauche – sont conditionnées. Ainsi, pour bénéficier du crédit d'impôt recherche, il faut justifier de dépenses de recherche et développement ; pour bénéficier des aides à l'investissement, il faut justifier de la réalisation de l'investissement en question ; il en est de même pour les aides à l'embauche.
Enfin, la Commission européenne présentera dès demain des mesures concernant le secteur automobile – j'y ai déjà fait allusion, notamment en réponse aux interpellations des rapporteurs –, mesures auxquelles nous avons contribué.
Mme la présidente
La parole est à Mme Océane Godard.
Mme Océane Godard (SOC)
La France, cinquième producteur pharmaceutique mondial, fait face à des défis majeurs en matière de souveraineté industrielle dans le secteur de la santé. Monsieur le ministre, vous avez déclaré récemment dans la presse : " On a besoin d'un choc de confiance, pas de remèdes homéopathiques, pour rassurer les industriels, pour les convaincre d'investir, d'embaucher. " Je souscris pleinement à cette ambition en parfaite adéquation avec nos impératifs de souveraineté nationale et européenne. Des entreprises comme Inventiva, installée à Daix, dans la métropole dijonnaise, illustrent notre potentiel en matière d'innovation biopharmaceutique. Cette entreprise a récemment levé 348 millions d'euros pour développer le lanifibranor, un candidat médicament prometteur pour traiter les maladies du foie. Cette levée de fonds renforce aussi notre position sur la scène internationale.
Pourtant, alors que l'entreprise doit finir de mettre au point ce traitement avant de le mettre sur le marché, la direction d'Inventiva est en train de supprimer le collectif de chercheurs à l'origine de ces avancées – cinquante-huit salariés voient ainsi leur emploi menacé. Je refuse de me résigner à voir des compétences stratégiques essentielles pour Dijon, sa métropole, la région, la France et l'Europe, fuir à l'étranger.
Il y a quelques jours, avec la maire de Daix, nous avons rencontré la direction d'Inventiva ainsi que ses salariés. J'ai organisé une réunion avec l'entreprise, des représentants des salariés et votre cabinet, monsieur le ministre, et je tenais à vous remercier pour votre participation. Ce qui en ressort est très clair : s'agissant de l'investissement de la France dans les biotechnologies, le rôle de BPIFrance est à renforcer, pour pouvoir mieux accompagner les entreprises stratégiques et soutenir leur développement sur le long terme. Par ailleurs, le crédit d'impôt recherche est un outil essentiel, qui doit impliquer une réciprocité.
Que comptez-vous faire pour empêcher la fuite de nos talents et soutenir les entreprises innovantes du secteur des biotechnologies, comme Inventiva ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je connais votre engagement pour votre territoire et pour le secteur des biotechnologies. Lors de mon déplacement à Dijon, nous avons eu l'occasion de rencontrer les dirigeants d'Inventiva, qui nous ont expliqué leur modèle économique et leurs solutions technologiques et biomédicales. J'avais été frappé à l'époque par le fait que les conditions de financement de l'entreprise lui avaient imposé d'aller chercher son financement aux États-Unis, tout simplement parce qu'elle n'avait pu trouver, en France et en Europe, des marchés de capitaux et des financements suffisants pour lui permettre d'accéder à des fonds propres, français ou européens. Nous devons avoir un débat sur le renforcement des capacités de financement de nos entreprises.
Pour répondre à votre question, qui porte sur la stratégie du gouvernement en matière de biotechnologies, je vous dirai que 7,5 milliards d'euros ont été investis dans le cadre du plan France 2030 afin de soutenir l'innovation dans le domaine de la santé, notamment les biotechnologies et l'ensemble des entreprises, quel que soit leur stade de développement, qui doivent contribuer à notre souveraineté en créant des remèdes. Nous devons poursuivre cet effort. Il faut également sanctuariser des dispositifs comme le crédit d'impôt recherche, qui a été au cœur de nombreux débats lors de l'examen du budget. Nous poursuivrons sur cette voie, notamment en donnant de la visibilité aux investisseurs en matière fiscale, en particulier s'agissant du crédit d'impôt recherche.
En deux ans, cette stratégie a donné des résultats : l'innovation dans le domaine de la santé a fait l'objet d'annonces en 2023, et, depuis, vingt projets de développement de procédés de bioproduction ont été réalisés, parmi lesquels LFB Biomanufacturing à Alès, qui produit des anticorps monoclonaux. Les choses avancent concrètement, mais des obstacles structurels restent à lever, notamment en matière de conditions de financement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Pantel.
Mme Sophie Pantel (SOC)
L'âge moyen des aéronefs de la sécurité civile, que ce soit les bombardiers d'eau ou les hélicoptères, s'établit à près de 25 ans. La maintenance de la flotte s'avère de plus en plus délicate et coûteuse et, chaque année, l'État est obligé de louer des engins pour la compléter – en 2024, cela lui a coûté un peu plus de 30 millions d'euros. Malgré ces urgences bien connues, le renouvellement de la flotte a fait les frais des coupes budgétaires : 52 millions d'euros de crédits ont été annulés au premier semestre 2024. Sans action corrective et investissements significatifs, notre flotte sera entièrement hors d'usage dès 2030, alors que nous devons faire la transition écologique et que le nombre d'interventions et les besoins augmentent. L'enjeu manifeste que constitue le renouvellement recoupe la question de notre souveraineté industrielle. La France, et plus largement l'Europe, est aujourd'hui incapable de produire sur son sol le moindre avion de lutte contre les incendies. Le Canada est en situation de monopole grâce à Havilland, et les mégafeux qui ont affecté le continent nord-américain risquent d'inciter ce pays à se concentrer sur son continent.
J'ai trois questions : pouvez-vous nous assurer que des efforts seront faits, à court terme et au plus haut niveau de l'État, pour garantir que la sécurité civile disposera de moyens d'intervention aériens adéquats, et que le renouvellement prévu de seize bombardiers sera bien assuré par notre fournisseur étranger ? La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) devait se déplacer au Canada pour rencontrer des responsables de Havilland : qu'en est-il ?
À moyen et à long terme, l'État est-il prêt à s'engager financièrement pour soutenir des projets industriels sérieux, en France et en Europe, afin d'augmenter les capacités de production de bombardiers d'eau ? Je pense notamment à Hynaéro, qui développe le Fregate-F100. Je n'oublie pas non plus le renouvellement de trente-sept hélicoptères. Ce sera peut-être l'occasion de lancer une réflexion sur la répartition de ces aéronefs sur le territoire afin de mieux répondre aux besoins de secours de l'ensemble de la population française – c'est en tout cas mon souhait.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je regrette que vous ne m'ayez pas donné en amont quelques éléments sur le contenu de votre question qui porte sur les aéronefs servant à lutter contre les incendies. Il s'agit en effet d'une question précise, à laquelle il est difficile de répondre à brûle-pourpoint. Je confesse ne pas avoir à l'esprit tous les éléments, mais je tenterai quand même de vous répondre en vous parlant de notre filière aéronautique et de ses capacités de production ; cela permettra d'ouvrir un débat sur ses potentialités, mais aussi sur les risques auxquels elle est confrontée.
Cette filière est un fleuron de notre industrie : elle représente 230 000 emplois et 30 milliards d'euros d'exportation. Nous sommes capables de produire un avion de A à Z et nous maîtrisons l'ensemble de la chaîne de valeur – nous sommes le seul pays dans cette situation, avec les États-Unis. Cette filière est donc un pilier de notre stratégie industrielle. Elle irrigue un ensemble de chaînes de valeur, en amont et en aval, car elle recourt à beaucoup de fournisseurs et de sous-traitants.
Nous soutenons cette filière dans sa globalité, par le moyen de dispositifs transversaux – les dispositifs de soutien à l'innovation –, mais aussi spécifiques – je pense au Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), doté de 200 millions d'euros, qui permet de consolider les chaînes de valeur entre donneurs d'ordres et sous-traitants et d'investir dans les compétences.
Il y a quelques jours, j'étais à Marignane pour annoncer le déblocage d'une aide de 35 millions d'euros à destination d'Airbus Helicopters. Le site de Marignane emploie 8 000 salariés – 12 000 avec les sous-traitants.
Nous continuerons de soutenir la filière aéronautique.
S'agissant des avions et des hélicoptères de lutte contre les incendies, je vous propose de poursuivre la discussion directement avec mes équipes.
Mme la présidente
Je vous demanderai de rester attentifs au respect du temps de parole – je ne vise pas M. le ministre, qui n'a pas dépassé ses deux minutes.
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR)
Un long déclin : c'est, à notre grand dépit, le chemin qui semble tracé pour notre industrie. La vente de la branche énergie d'Alstom à General Electric en 2014 en est l'un des exemples les plus marquants. Depuis, les désillusions se succèdent.
Au moment de la crise du covid-19, les acteurs impliqués dans la vente d'Alstom nous ont promis de relocaliser la production stratégique des principes actifs pharmaceutiques, dans le cadre de la reconquête sanitaire. Cinq ans après le début de la crise, force est de constater que cette relocalisation est restée une chimère. Pire encore, la situation s'est aggravée. Nos producteurs, asphyxiés par une concurrence chinoise et indienne déloyale, voient leur part de marché s'effondrer, passant de 48% en 2014 à 30% en 2023. Cette dépendance accrue aux importations présente un risque sanitaire majeur, comme le montrent les pénuries récurrentes de médicaments essentiels affectant nos hôpitaux, nos officines et, in fine, nos concitoyens. Les autorités sanitaires peinent à sécuriser un approvisionnement stable et nous constatons, impuissants, que notre système de soin dépend toujours de puissances étrangères dont les intérêts stratégiques ne coïncident pas avec les nôtres.
Pourtant, cette tendance n'est pas une fatalité et des solutions existent. Nous pourrions par exemple instaurer un système de bonus-malus sur l'empreinte carbone des médicaments, faciliter l'accès des fabricants européens aux marchés publics ou mettre en place des crédits d'impôt pour encourager les investissements dans la production locale. Nos partenaires européens, notamment l'Allemagne, ont déjà amorcé cette transition, avec des dispositifs incitatifs ambitieux.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous cet échec de la reconquête sanitaire ? Pourquoi la France semble-t-elle incapable de traduire ses ambitions en actes ? Quelles mesures concrètes le gouvernement compte-t-il prendre pour garantir la relocalisation effective de la production des médicaments essentiels et, plus largement, restaurer notre souveraineté industrielle ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je ne partage pas votre constat : beaucoup a été fait pour favoriser la relocalisation des médicaments. Les investissements, dans le cadre du plan France 2030 – 16,5 milliards d'euros –, doivent permettre la relocalisation de certains principes actifs. Ainsi, le paracétamol sera bientôt produit par l'usine Seqens, en Isère. La production devrait commencer au cours de l'année 2025.
Dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, nous avons introduit un article, l'article 65, qui prévoit le subventionnement des médicaments produits en France, par le biais de tarifs de remboursement préférentiels. Avec les industriels du secteur, nous discutons beaucoup de cet article qui doit permettre de donner la priorité à la production française.
Nous travaillons sur un projet de bonus-malus sur l'empreinte carbone : le mois dernier, nous avons publié une méthodologie pour calculer l'empreinte carbone spécifique aux médicaments – la technique de calcul doit être adaptée à chaque production.
Enfin, pour protéger notre production de médicaments et renforcer notre souveraineté dans ce domaine, nous devons agir au niveau européen. Nous défendons auprès de la Commission européenne l'idée d'un Critical Medicines Act, un règlement qui identifierait des principes actifs indispensables, et devant donc faire l'objet d'un traitement préférentiel au regard de la protection commerciale et du régime d'aides d'État. Nous continuerons à agir en faveur de ce texte dans les prochaines semaines : l'idée est là encore de renforcer notre souveraineté en relocalisant la production.
Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Liger.
M. Thierry Liger (DR)
Depuis les années 1970, de nombreux pays ont subi un processus de désindustrialisation lent et continu – tertiarisation de l'économie, délocalisations massives, faible compétitivité des coûts salariaux. Ce phénomène a progressivement entraîné une perte de savoir-faire, de compétences techniques et une réduction massive du nombre d'emplois. La part de l'industrie dans le PIB a chuté entre 1995 et 2017, passant de 17 à 11%. En 2001, Serge Tchuruk prônait l'entreprise sans usine ; nous constatons aujourd'hui ce qu'est devenu le groupe Alcatel.
En 2020, la crise sanitaire a provoqué un électrochoc collectif : nous nous sommes rendu compte de la fragilité du tissu industriel français. Un fort niveau de dépendance et des défauts d'approvisionnement ont engendré une perte de souveraineté industrielle dans des secteurs stratégiques comme les composants électroniques, les matériaux rares ou l'industrie pharmaceutique. La réindustrialisation est donc un sujet clé si nous voulons redonner à notre pays son autonomie et sa souveraineté industrielles. C'est un axe majeur de la politique économique qui doit relever de nouveaux défis – renforcement de la compétitivité, investissement dans des secteurs et des technologies d'avenir, établissement d'un cadre favorable à l'installation de nouvelles entreprises.
Pourtant, la réduction de 25% des crédits budgétaires alloués au plan France relance pour 2025 est un signal qui pourrait avoir plusieurs conséquences notables : retard dans les projets d'innovation et frein à la croissance des PME et ETI – ETI qui nous font tant défaut aujourd'hui.
Il est bien entendu urgent d'agir sur la réduction des dépenses publiques mais l'innovation et l'entreprise sont la base de tout : sans entreprise, pas de cotisations de sécurité sociale, pas d'emplois, pas de recettes fiscales. La diminution des crédits pourrait affecter la croissance et l'emploi, et il est donc essentiel de surveiller l'évolution de ces coupes budgétaires et leurs conséquences sur les projets en cours et à venir.
Monsieur le ministre, n'est-il pas contre-productif que l'effort de redressement des finances publiques soit aussi synonyme de frein à l'innovation pour l'entreprise ? De quels leviers dispose la France pour entreprendre la réindustrialisation ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
J'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire les leviers permettant de réindustrialiser mais, de manière synthétique, je rappellerai que, dans le cadre contraint de la maîtrise des dépenses publiques, nous disposons de leviers qui ne sont pas uniquement des leviers budgétaires.
Nous devons, en premier lieu, favoriser la compétitivité de nos entreprises. Concernant le coût de l'énergie, des négociations ont lieu en ce moment entre EDF et les industriels, en particulier les industriels électro-intensifs, afin de fournir à ces derniers une énergie décarbonée au meilleur prix et sur une durée suffisamment longue. Nous accompagnons cette négociation afin qu'elle aboutisse.
Il s'agit aussi de jouer à armes égales avec nos concurrents, et j'ai déjà évoqué les mesures de protection commerciale au niveau européen ainsi que l'adaptation du mécanisme de taxation carbone aux frontières, comme le demandent certaines filières industrielles – je pense en particulier à l'acier ou à la chimie.
Nous devons ensuite agir par la simplification, ce dont nous aurons l'occasion de discuter, en supprimant les freins à l'implantation de projets industriels. À cet égard, nous défendons en particulier l'idée de limiter les effets du ZAN, le zéro artificialisation nette, sur les projets industriels, sans renoncer évidemment à l'objectif de limiter globalement l'artificialisation.
Enfin, plusieurs d'entre vous ont évoqué une baisse de la fiscalité et des charges sociales pour diminuer le coût du travail. J'espère que nous aurons dans les prochains mois ce débat sur le financement de notre protection sociale.
Au-delà de la compétitivité, nous devons également structurer les filières. Il s'agit de construire des chaînes de valeur et de s'assurer que la relation entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants ne soit pas déséquilibrée. Nous y veillons, et je rends hommage à l'action des services de l'État, à savoir la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises (Dire) et le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), qui défendent les maillons de ces chaînes de valeur, en soutenant les entreprises en difficulté.
Enfin, il s'agit de préparer l'avenir, vous l'avez évoqué. Je le dis et le répète : les crédits d'engagement au titre de France 2030 demeurent inchangés, pour un montant de 54 milliards d'euros, et même s'ils sont décalés dans le temps, cela ne remet pas en cause le soutien aux projets d'investissement.
Mme la présidente
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin (EcoS)
Monsieur le ministre : 1 500. En dix ans, plus de 1 500 entreprises françaises ont été rachetées par les États-Unis. Il y a bien sûr la branche énergie d'Alstom, bradée à General Electric. Il y a le Doliprane et les médicaments grand public de Sanofi. Il y a le pétrolier Technip. Il y a Latecoere, fleuron de l'aviation militaire. Il y a Exxelia et ses composants essentiels à l'industrie de défense. Tout cela est passé sous pavillon américain, avec le feu vert d'Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire.
L'industrie française se fait dépouiller par l'Ouest de son capital, par l'Est de son travail : les pneumatiques, le textile, l'ameublement fuient vers la Chine, l'Inde ou la Pologne et la Roumanie. Ce n'est pas l'excès de normes, de règles qui a tué nos usines ; c'est au contraire un libre-échange sans règles et sans normes, c'est une concurrence libre et complètement faussée.
Heureusement, nous avons largement préservé notre industrie de défense. Et comment l'avons-nous sauvée du naufrage ? En nous exemptant des dogmes de la Commission européenne et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en protégeant le capital de nos entreprises, et grâce à une commande publique ciblée, à une planification de l'État. Grâce à tout, sauf à la concurrence libre et non faussée, sauf à la main invisible du marché.
Les dirigeants européens veulent une industrie de défense sur notre continent : très bien, mais il nous faut une industrie tout court, de la métallurgie électronique, des télécommunications à la chimie. Nous devons donc protéger notre industrie et nos usines à la fois de la Chine et des USA. Nous devons recourir à des taxes aux frontières, à des barrières douanières et à des quotas d'importation. Nous le devons, non, comme je l'entends, par mesure de rétorsion pour mener une guerre commerciale, mais, au contraire, par souci de préservation, par désir de construction.
Alors, allez-vous vraiment changer d'époque ? Allez-vous enfin entrer dans le XXIe siècle ? Allez-vous abandonner notre libre-échangisme suicidaire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Nous poursuivons le débat sur le bon niveau de protection dont nous avons besoin. J'ai eu l'occasion de le dire, en Européens et en Européens seulement, nous devons sortir d'une forme de naïveté. Il s'agit de prendre des mesures sectorielles et nous y travaillons.
En ce qui concerne l'acier, j'ai eu l'occasion de réunir à Bercy, la semaine dernière, plusieurs ministres de l'industrie européens, et les conclusions de nos échanges nous ont menés à interpeller la Commission, non pas à propos de mesures d'urgence ponctuelles, mais pour demander un renforcement durable de nos mécanismes de protection commerciale, permettant de taxer notamment les surcapacités asiatiques de la filière.
Il s'agit, pour être moins naïfs, d'assumer nos engagements climatiques, d'assumer le principe de décarbonation, d'assumer la diminution progressive des quotas carbone, en instaurant un mécanisme de taxation carbone aux frontières qui soit efficace. Cela fait partie des propositions et des demandes que nous avons adressées à la Commission européenne. J'espère qu'elle s'en saisira et qu'elle les concrétisera dans les actes législatifs qui prendront la suite du Clean Industrial Deal, le pacte pour une industrie propre.
Vous le voyez, nous nous sommes saisis de ces sujets, en concertation avec les industriels. Je croise peu d'industriels, peu d'entreprises créant des emplois, et même peu de salariés travaillant pour l'exportation, qui demandent la fermeture des frontières, le retour à une forme d'autarcie et à un protectionnisme hyperbolique comme celui que vous semblez défendre. Il s'agit donc de trouver un équilibre fondé sur un principe assez simple : le principe de réciprocité. Pour nos industriels et nos entreprises, lutter à armes égales avec leurs concurrents, cela signifie tout simplement que les règles qui leur sont appliquées le sont également aux entreprises étrangères, en particulier à celles qui sont massivement subventionnées par des États – en particulier, les États-Unis et la Chine.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (EcoS)
En septembre 2024, l'entreprise Vencorex a été placée en redressement judiciaire, à la demande de son principal actionnaire, le groupe thaïlandais PTT GC. À ce jour, 461 emplois sont directement menacés. En cas de fermeture, ce sont aussi de nombreux emplois indirects qui seront touchés chez Suez, Solvay, Arkema, Framatome, Trédi ou encore ArianeGroup.
Car, oui, on parle bien ici de notre souveraineté : sur le carburant utilisé par la fusée Ariane, sur les éponges de zirconium utilisées pour le lainage des réacteurs nucléaires ou sur la fabrication des pastilles nécessaires au traitement de l'eau potable. Tant d'emplois détruits, c'est autant de souveraineté perdue, autant de composants, chlore, soude, Tolonate, que nous devrons, demain, importer d'ailleurs, c'est du sel que nous cesserons de forer dans la mine drômoise d'Hauterive. Sur tous ces composants, nous deviendrons dépendants d'autres puissances.
Il y a quelques années, le président de la République le déclarait : " Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, à d'autres est une folie. " Elle est plus grande encore, cette folie, au moment où les équilibres internationaux sont bousculés et où nous entrons dans un état de guerre, sans plus savoir qui sont nos alliés et si nous en avons aucun.
M. le premier ministre, que nous avions interpellé, a refusé la demande d'une nationalisation temporaire de cette industrie, demande appuyée non seulement par cent parlementaires, mais aussi par toutes les organisations syndicales et les élus locaux. Cette injure faite à leur mobilisation revient à accepter, sans rien faire, la fermeture de deux plateformes chimiques, sur les dix-huit que compte notre pays, ce qui impliquerait pour Vencorex, selon une analyse économique indépendante, de ne parvenir à l'équilibre économique qu'en 2032.
Face au dumping de produits notamment chinois, nous avons le choix : laisser partir petit à petit nos capacités de production et voir se déliter notre tissu industriel, ou bien se donner les moyens, forts de nos savoir-faire, de nos compétences et de nos outils industriels majeurs, de mettre autour de la table tous les acteurs, afin de tenir financièrement jusqu'en 2032.
Dans deux jours, aura lieu le jugement de mise en liquidation de l'entreprise Vencorex au tribunal de commerce de Lyon. Que ferez-vous pour sauver cette entreprise ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
M. André Chassaigne
C'était clair et net !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Dans ce dossier, qui nous occupe, mes équipes et moi-même, depuis des mois, j'ai eu l'occasion de rencontrer les représentants des salariés, les élus du territoire, de les inviter, pour certains, à Bercy, afin d'envisager des pistes permettant la meilleure issue possible.
Notre préoccupation a d'abord été de trouver une solution industrielle. La recherche de cette solution industrielle s'est poursuivie pendant dix mois – cinq mois de conciliation et cinq mois de redressement judiciaire – au cours desquels aucun acteur ne s'est présenté avec une offre de reprise de l'intégralité des activités de Vencorex. Telle est la réalité économique, incontestable.
À la suite de ce constat, nous avons tenu à accompagner les salariés. Nous avons discuté avec l'actionnaire PTT GC pour exiger que l'indemnité supralégale versée aux salariés soit significative. Elle l'est, puisqu'elle est bien supérieure à ce que l'on constate dans ce type de redressement judiciaire.
Il nous a également été reproché de brader notre souveraineté sur la filière avale et les entreprises comme Framatome ou ArianeGroup, qui sont constitutives de nos chaînes de défense ou de la filière nucléaire. Disons-le : c'est faux. Nous avons eu un échange constant avec Framatome ou ArianeGroup, et nous nous sommes assurés auprès de la direction générale de l'armement (DGA), des services de l'État et surtout des entreprises elles-mêmes, que ces dernières auraient à terme la capacité de se fournir en France, s'agissant des composants essentiels issus de la chaîne de valeur dont fait partie Vencorex.
Je réfute donc ce grief, en me fondant sur les échanges que nous avons avec les industriels eux-mêmes, et je considère que l'attaque consistant à dire que nous bradons notre souveraineté est simplement nulle et non avenue.
Enfin, vous parlez de nationalisation temporaire. En l'occurrence, le terme temporaire me semble de trop. Quand vous n'avez pas de modèle économique, quand vous êtes face à un marché extrêmement difficile et extrêmement compétitif, quand la situation économique et industrielle de l'entreprise est celle que nous avons constatée ces derniers mois, il faut oser le dire : il n'y a pas de nationalisation temporaire, mais une nationalisation des pertes, tandis que les entreprises privées conservent les bénéfices. Ce n'est pas mon credo de ministre de l'industrie.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabine Thillaye.
Mme Sabine Thillaye (Dem)
Nous sommes tous d'accord : nous devons nous réarmer industriellement pour défendre nos intérêts et renforcer notre place dans les secteurs stratégiques comme la défense. Cela implique de réduire la dépendance extra-européenne de nos chaînes de production, de diversifier nos sources d'approvisionnement, de relocaliser et d'assumer une préférence européenne.
Malgré de nombreux atouts, notre BITD française et ses 4 000 PME et ETI se heurtent à plusieurs défis : une concurrence internationale accrue ; une consolidation insuffisante de nos PME, qui fait que nous manquons d'ETI compétitives, capables de se projeter plus facilement à l'international ; un manque de coopération entre les entreprises françaises – des grands groupes aux PME – qui ne travaillent pas assez ensemble pour conquérir des marchés.
Parallèlement, la frilosité des banques lorsqu'il s'agit de financer des entreprises de défense freine leur développement. Nous devons faciliter l'accès des industriels de défense aux financements publics, mais aussi privés, en mobilisant l'épargne.
L'industrie de la défense souffre également d'une pénurie de main-d'œuvre, due en partie à la faible attractivité du secteur industriel.
En dépit de ces difficultés, notre BITD, qui œuvre par ailleurs à la fois pour le secteur civil et militaire, est l'une des plus développée du continent. Elle a tout son rôle à jouer pour apporter la crédibilité stratégique nécessaire à l'autonomie que l'Europe s'apprête à bâtir de toute urgence.
Ces défis nécessitent une réponse coordonnée et stratégique, française et européenne. Depuis 2022, l'Union européenne a multiplié les initiatives en faveur du renforcement de l'industrie de la défense et, ce matin-même, Ursula von der Leyen a dévoilé un plan de 800 milliards d'euros afin de renforcer la défense européenne. Dans ce cadre, quelle est la feuille de route du gouvernement français ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous l'avez dit, la présidente de la Commission européenne vient d'annoncer un plan de financement de la défense européenne très massif : ce sont 800 milliards d'euros qui devraient ainsi être entérinés, lors du sommet européen exceptionnel de jeudi prochain.
L'Europe n'est pas restée inactive, depuis 2022, la France non plus, puisque notre BITD, qui représente 200 000 emplois et 4 000 entreprises, s'est structurée, afin de répondre aux défis posés par l'agression de l'Ukraine par la Russie. Très concrètement, certaines productions ont fait l'objet d'une montée en cadence et d'une montée en charge extrêmement rapide. Ce sont, par exemple, le passage de trente à quinze mois du délai de production des canons Caesar par l'entreprise KNDS, ou la multiplication par quatre de la production de missiles Mistral chez MBDA. Cela illustre la prise en main – à bras-le-corps, oserais-je dire – de la nouvelle situation géopolitique à laquelle nous sommes confrontés.
Il faut désormais coordonner les actions européennes. Il y a des enjeux normatifs mais aussi des enjeux touchant à l'intégration verticale de l'industrie de défense, qu'il nous faut simplifier pour permettre à l'ensemble des acteurs industriels de se coordonner.
Vous avez, à juste titre, évoqué la question du financement. Certains investisseurs, qui n'hésitent pourtant pas à financer des entreprises sans grands égards pour l'environnement ou la décarbonation, refusent en effet d'investir dans les entreprises de défense.
Nous avons collectivement besoin d'interpeller ces acteurs afin d'orienter l'épargne et les fonds propres vers nos industries de défense – peut-être par une réflexion sur la taxonomie en vigueur. C'est absolument nécessaire.
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Roseren.
M. Xavier Roseren (HOR)
Alors que la Pologne, qui préside le Conseil de l'Union européenne, plaide pour un renforcement de la souveraineté militaire et industrielle de l'Europe, les choix stratégiques de nombreux États européens vont à l'encontre de cet objectif.
Varsovie a réceptionné ses premiers chasseurs bombardiers F-35A dans le cadre d'un contrat de 4,6 milliards de dollars avec les États-Unis, empruntant la même voie que la République tchèque, la Belgique ou l'Allemagne. Ils font partie de ces pays européens qui ont préféré le F-35 américain, au détriment d'une industrie de défense européenne autonome.
Plus inquiétant encore, nous avons appris, par voie de presse, que les États-Unis se réservent le droit de limiter certaines fonctionnalités de leurs avions, voire de les clouer au sol, si la mission ne leur convenait pas, mettant ainsi en cause la pleine souveraineté opérationnelle de ces États.
Pendant ce temps, la France dispose, avec le Rafale de Dassault Aviation, d'un avion de chasse performant, moins coûteux, créateur d'emplois sur notre territoire et garantissant une véritable indépendance stratégique.
Compte tenu de ces contradictions, malgré l'urgence de renforcer notre souveraineté industrielle et militaire, comment comptez-vous convaincre nos partenaires européens qu'une défense crédible passe avant tout par un réinvestissement dans notre propre industrie aéronautique et militaire ?
Y a-t-il une réelle volonté politique d'amorcer un virage stratégique pour rapatrier ces investissements en Europe et renforcer notre autonomie face aux États-Unis ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous n'avez besoin de convaincre personne, surtout pas moi, qu'il est préférable que nos partenaires européens achètent des Rafale ou plus généralement des avions ou du matériel militaire fabriqués en Europe, plutôt que des F-35A.
Les lignes bougent très vite. En matière géostratégique, on constate que les États-Unis d'Amérique n'ont pas fait le choix de la stabilité dans leurs alliances et dans leurs relations avec leurs alliés.
Chacun doit en tirer les conséquences. Ce n'est pas à moi de décider pour nos partenaires européens, mais il faut se servir du moment, notamment pour se rappeler que la France a fait ses devoirs – passez-moi l'expression – en augmentant de manière importante son budget alloué à la défense qui, depuis 2017, est passé de 32 milliards d'euros à 50 milliards, au profit de notre BITD.
Celle-ci n'a cessé de se moderniser, grâce à une montée en charge permise par des investissements et une restructuration démarrée en 2022, ainsi qu'en attestent les chiffres que j'ai fournis à Mme Thillaye. Il faut poursuivre ces efforts.
Un certain nombre d'annonces ont été faites au niveau européen sur l'investissement global, d'autres ont été faites concernant le traitement budgétaire des dépenses de défense. Ces annonces vont dans le bon sens et elles doivent être amplifiées.
Les chefs d'État définiront la feuille de route, notamment à l'occasion du prochain Conseil européen extraordinaire.
Mme la présidente
La parole est à nouveau à M. Xavier Roseren.
M. Xavier Roseren (HOR)
Le décolletage, sujet que vous connaissez bien, relève d'une industrie de haute précision, essentielle pour la production de pièces métalliques complexes utilisées dans les secteurs de l'automobile, de l'aéronautique ou de la défense.
Au cœur de l'industrie en Haute-Savoie, où 70% du décolletage français est réalisé, cette filière constitue un maillon essentiel de notre souveraineté. Pourtant, elle est très fragilisée.
Depuis 2017, nous avons remis l'industrie au cœur de notre économie, en renforçant la compétitivité de nos entreprises par des réformes importantes : baisses des charges, de l'impôt sur les sociétés et des impôts de production. Malgré ces avancées, un écart persiste avec nos homologues européens : le coût du travail reste plus élevé en France et les impôts de production, indexés sur la valeur ajoutée, frappent injustement les industries, telles que celle du décolletage.
Dans l'industrie, ces impôts représentent entre 20% à 30% de la valeur ajoutée ; dans le décolletage, où celle-ci est plus forte, ils peuvent atteindre 40 %. Nos décolleteurs paient deux fois plus d'impôts que d'autres secteurs industriels, créant une distorsion de concurrence insoutenable.
Par conséquent, leurs clients s'adressent à nos voisins européens, tels que l'Italie ou l'Espagne, car les charges y sont beaucoup plus faibles.
En parallèle, nos industries stratégiques souffrent d'un autre problème majeur : nous avons cessé de produire en France certains composants de défense, désormais fabriqués ailleurs, comme en Pologne. Nos partenaires allemands semblent vouloir se retirer du programme visant à remplacer le Rafale, laissant Dassault Aviation assumer seul l'effort financier.
Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour combler cet écart de compétitivité qui fragilise nos industries stratégiques ? Comment garantir que la France ne devienne pas dépendante de ses voisins, que ce soit dans ses capacités industrielles ou sa défense ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous appelez l'attention sur un sujet que j'ai évoqué dans mon propos liminaire et qui me semble essentiel : les charges sociales, le coût du travail, la fiscalité des impôts de production.
Depuis 2021, les impôts de production ont baissé – en particulier la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – et, depuis 2018, les charges sociales ont baissé massivement, notamment grâce à la transformation du CICE en allégement pérenne. Ces éléments ne comblent toutefois pas systématiquement les différentiels en matière de compétitivité coût et de fiscalité avec un certain nombre de pays concurrents, voire avec nos partenaires. Il faut donc aller plus loin sur ce sujet.
Nous ne pourrons pas faire l'économie, au cours des mois à venir, peut-être à l'occasion de l'examen des prochains textes budgétaires – et, selon moi, en concertation avec les partenaires sociaux –, d'une réflexion globale sur le financement de la protection sociale, lequel pèse massivement sur le travail. Ce n'est pas le cas partout et je suis régulièrement interpellé par des industriels à ce sujet.
Le débat doit être ouvert et se dérouler sans a priori, tout en ayant les conséquences économiques et sociales de chaque option à l'esprit. Nous devons mener ce débat car nous sommes arrivés au bout d'un modèle.
Je soutiens la poursuite de la baisse des impôts de production, dont bénéficieraient massivement l'industrie du décolletage et votre région, à condition de la compenser par une baisse des dépenses publiques afin d'atteindre l'équilibre.
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen (LIOT)
La souveraineté industrielle suppose la garantie et la sécurisation des approvisionnements essentiels au pays et que l'indépendance matérielle et la protection de l'emploi soient assurées. Les secteurs automobile et pharmaceutique sont particulièrement touchés, comme en attestent la cession de la production du Doliprane à un fonds d'investissement nord-américain, grâce à la vente par Sanofi de 50% d'Opella, ainsi que l'annonce récente de la fermeture du site de production en France.
Nombreuses sont les remontées de terrain faisant état du manque de médicaments ; les ruptures de stock sont toujours plus importantes ; et les pharmaciens souffrent de la pression pour trouver des médicaments parfois indispensables tels que les traitements anticancéreux, les traitements pour le diabète ou pour les maladies cardiovasculaires.
L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a enregistré une hausse de 30,9 % entre 2022 et 2023 des signalements de rupture de stock ou de tels risques.
À la suite de l'annonce, l'année dernière, d'une feuille de route gouvernementale sur le sujet, où en est-on quant à la réindustrialisation pharmaceutique ?
L'industrie automobile n'est pas en reste : directives européennes toujours plus strictes, concurrence internationale féroce, menaces de suppressions massives de postes. Le secteur tout entier s'inquiète des prochaines années.
Sous couvert de bien-pensance, le savoir-faire français et les emplois sont sacrifiés. Les objectifs européens de transition vers le tout-électrique sont résolument inatteignables et pourraient entraîner une dépendance irrévocable vis-à-vis des pays tiers qui ne seraient pas soumis à ces obligations.
Que comptez-vous faire pour que les pénalités imposées à nos entreprises ne soient pas appliquées afin de protéger notre industrie et redonner plus de perspectives aux sous-traitants du secteur automobile, tels que VT2i à Ramonchamp ou le groupe Antolin à Rupt-sur-Moselle ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
En ce qui concerne l'industrie pharmaceutique, un certain nombre de mesures ont été prises, sur lesquelles je ne reviendrai pas, si ce n'est sur les 7,5 milliards d'euros qui y seront investis dans le cadre du plan France 2030, visant à soutenir l'innovation en santé.
Cela fait suite aux initiatives pour relocaliser la production de principes actifs en France, en particulier le paracétamol que vous avez évoqué et dont le principe actif sera à nouveau produit en France cette année, notamment sur le site de Seqens en Isère. C'est la conséquence des investissements et des choix faits par le président de la République. Nous devons poursuivre dans cette voie.
Les pénuries de médicaments que vous évoquez sont un autre problème : la production sur notre sol et les pénuries ne sont pas nécessairement dépendantes. Pour résoudre les pénuries, c'est l'ensemble de la chaîne de valeur qu'il faut renforcer, des producteurs aux distributeurs, en passant par les grossistes. Nous y travaillons avec le ministre de la santé.
Demain, des annonces de soutien à la filière automobile européenne seront faites. Nous n'avons pas été inactifs sur le sujet, notamment en intégrant au plan France 2030 l'appel à projets " Diversification des sous-traitants automobiles " pour aider les sous-traitants et les équipementiers automobiles à se diversifier. Il est doté de plus de 100 millions d'euros et il a permis des actions de reconversion et de consolidation pour un certain nombre de sous-traitants.
Mais il faut aller plus loin. Nous avons introduit dans le PLF pour 2025 un mécanisme de soutien à la demande, afin de nous permettre d'aller plus vite en matière d'électrification des flottes de véhicules professionnels. Ce n'est qu'un exemple des leviers que nous devons actionner.
Nous avons formulé plusieurs propositions auprès de la Commission européenne et j'espère qu'elles seront nombreuses à figurer parmi les annonces qui seront faites demain.
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury (LIOT)
Les événements dramatiques de ces derniers jours, en particulier ces dernières heures, concernant l'agression de l'Ukraine par la Russie montrent de nouvelles preuves du rapprochement américano-russe, illustrant la perte d'influence diplomatique de l'Union européenne aux yeux des États-Unis et la volonté de ces derniers de ne plus payer pour garantir la protection de l'Europe.
Celle-ci s'est appuyée depuis tellement longtemps sur le protectorat américain que la plupart des États membres ont perdu une partie de leur souveraineté industrielle en matière de défense. Pour preuve, l'échec en 2018 d'exportation de Rafale à l'Égypte à cause de la présence d'un composant américain. Selon la Réglementation américaine de contrôle des exportations en matière de défense (Itar), toute vente comportant un composant américain doit faire l'objet d'une autorisation préalable par le Directorate of Defense Trade Controls (DDTC).
Comme l'indiquait un rapport de la Cour des comptes en juillet 2023, l'Europe et la France doivent s'émanciper de la dépendance induite par l'usage de ces composants et investir davantage dans des projets qui échappent à l'Itar, comme ce fut le cas pour le développement du missile d'interception, de combat et d'autodéfense air-air (Mica) nouvelle génération, qui devrait être opérationnel cette année.
Alors que les récents événements démontrent l'urgence d'aller plus vite, je souhaite connaître les mesures que vous comptez mettre en place pour renforcer la souveraineté industrielle de la France en matière de défense.
Quels outils envisagez-vous pour développer plus vite et plus fort une Europe de la défense ? Pensez-vous qu'une collaboration entre pays qui, au-delà de la concurrence, s'appuie sur les complémentarités en matière d'innovation et de production, soit envisageable ? Si oui, de quelle manière envisagez-vous d'encourager une telle coopération en Europe ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je ne reviens pas sur ce qui fera l'objet d'annonces ces prochains jours en matière de souveraineté pour l'industrie de défense. Le Conseil européen extraordinaire produira sûrement des avancées sur le sujet.
De nombreuses décisions ont déjà été annoncées, notamment par la présidente Ursula von der Leyen, qui souhaite investir jusqu'à 800 milliards d'euros dans notre industrie de défense.
Je vous rejoins sur le fait que le financement ne suffit pas en lui-même à intégrer les chaînes de valeur, à s'émanciper des chaînes technologiques, en particulier de l'Itar, par laquelle nous dépendons des États-Unis sitôt que des composants y ont été produits.
Nous avons besoin d'agir sur plusieurs fronts, en investissant, en se coordonnant, mais aussi en ayant le réflexe de l'autonomie stratégique.
Bien que je souhaite que notre BITD se développe le plus possible, je ne suis pas ici pour donner des instructions à nos partenaires européens au sujet de leurs politiques d'achat – je n'en serai pas capable. Je dois toutefois constater que la donne géostratégique change et qu'elle change très vite, sous nos yeux. Les États-Unis d'Amérique ne sont plus l'allié stable sur lequel nous nous reposions ces dernières années, ces dernières décennies et nous devons en tirer toutes les conséquences.
Le ministre des armées Sébastien Lecornu et moi-même avons un travail de conviction à mener auprès de nos partenaires européens, afin qu'ils s'engagent dans une logique d'autonomie stratégique, qui doit amener nos industries de défense à construire et fabriquer plus en Europe.
Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR)
Monsieur le ministre, vous partagez sans aucun doute notre inquiétude sur le devenir d'ArcelorMittal ou sur les difficultés de produire de l'acier en France et en Europe. La commission des affaires économiques a auditionné les dirigeants d'ArcelorMittal, qui insistent sur les importations, notamment d'acier chinois, mais assurent que l'acier produit par leur groupe en Inde n'est pas importé en France ; ils occultent aussi la réalité de l'abandon de sites français ou de la dégradation de certaines productions. Ils nieront que derrière ces situations se trouvent les intérêts court-termistes du capital, selon lesquels il importe plus de faire rentrer de l'argent que de tenir compte de la souveraineté à long terme de notre pays et de la production d'acier.
Nous sommes très inquiets, comme vous devez l'être, de la baisse de la production nationale, qui se traduit par la fermeture de hauts fourneaux, mais aussi de l'abandon de la transition vers des technologies de production d'acier vert, tout cela entraînant la suppression de milliers d'emplois, la disparition de savoir-faire acquis depuis des décennies et l'impossibilité de répondre aux besoins stratégiques de secteurs industriels essentiels comme l'automobile, l'aéronautique ou la construction.
Pour ces raisons, les députés communistes proposent la nationalisation des sites de production français d'ArcelorMittal. Elle serait évidemment partielle et s'accompagnerait d'un partage des technologies, des brevets et des droits de propriété intellectuelle avec les autres entités de cette multinationale.
Que pensez-vous de cette proposition ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je sais votre attachement à notre base industrielle, qu'il s'agisse de l'industrie lourde ou, plus largement, de l'industrie. Vous nous proposez d'instruire un projet de nationalisation, fût-elle partielle, d'Arcelor.
Aujourd'hui, cette entreprise est capitalisée à hauteur de 23 milliards d'euros. Je comprends que la nationalisation que vous proposez ne serait que partielle, mais j'appelle quand même votre attention sur l'ampleur de l'effort qu'elle exigerait. De ce point de vue, ce n'est pas la bonne solution.
J'ai déjeuné jeudi dernier avec le président d'ArcelorMittal Europe, à l'occasion du sommet sur l'acier et sur le futur de la sidérurgie européenne que j'ai organisé à Bercy et auquel il a participé. Il nous a confirmé ce que nous savions déjà et que vous avez évoqué : la filière sidérurgique a besoin de plus de protection contre l'acier chinois, dont la production est surcapacitaire et massivement subventionnée, mais aussi en grande partie carbonée – elle requiert de l'électricité produite dans des centrales à charbon.
Que demande la filière et qu'ai-je défendu il y a encore quelques jours, dans la presse et auprès de la Commission européenne ? D'abord, un durcissement de la clause de sauvegarde, c'est-à-dire des quotas d'importation, d'acier chinois en particulier. Nous demandons que ce durcissement soit effectif dans les prochaines semaines et pas d'ici 2026. Ensuite, un renforcement et une adaptation du mécanisme de taxation du carbone aux frontières. Il est encore trop facile de le contourner aujourd'hui : une usine chinoise qui produit un acier décarboné pourrait être choisie par la Chine pour exporter vers l'Europe, ce qui n'empêcherait pas d'autres usines chinoises d'émettre de grandes quantités de CO2. Nous proposons d'appliquer à la Chine des valeurs moyennes d'émissions de CO2, pour l'inciter à décarboner l'intégralité de son industrie et pour permettre à nos industriels de se battre à armes égales avec les industriels chinois.
Ce que nous proposons, c'est en réalité ce que demandent les industriels de la filière. Nous en avons beaucoup discuté avec eux, ainsi qu'avec des représentants institutionnels et avec les autres ministres de l'industrie. En l'espèce, la nationalisation n'est pas la bonne solution et nous disposons de leviers pour agir en Européens et protéger notre industrie sidérurgique.
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard (GDR)
La guerre économique totale promise par l'administration Trump contre ses partenaires commerciaux, notamment l'Union européenne, dont les productions sont menacées d'une taxe de 25%, démontre, après le précédent de la crise du covid-19, l'extrême fragilité de la mondialisation heureuse vendue à nos concitoyens.
La déréglementation des échanges, dans le cadre du marché unique européen, puis les traités de libéralisation conclus par l'Union européenne, ont conduit à la délocalisation massive des industries européennes et françaises vers les pays à bas coûts salariaux et environnementaux, ainsi qu'à la prise de contrôle de nombreuses industries et technologies stratégiques par des groupes étrangers, notamment américains.
Je souscris aux constats que dressait plus tôt notre collègue François Ruffin : quarante ans de naïveté ont rapporté des centaines de milliards aux actionnaires ; quarante ans de naïveté ont coûté des millions d'emplois aux Français !
Je tiens à illustrer mon propos de l'actualité de ma circonscription, en Seine-Maritime : le groupe américain Lubrizol applique un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) dont vous avez certainement connaissance à ses sites de Rouen et d'Oudalle.
Cette firme, détenue par Warren Buffett, a ainsi annoncé la suppression de 169 emplois en France, dont 145 sont rattachés au site de Rouen, qui emploie 367 salariés. Le groupe, spécialisé dans la production d'additifs pour les huiles moteur de véhicules civils et militaires, s'est engagé dans un mouvement de délocalisation de ses productions hors d'Europe, malgré des bénéfices confortables.
Face aux politiques économiques agressives, voire prédatrices, que mènent certaines grandes puissances, ma question est la suivante : quelles actions fortes le gouvernement entend-il mener pour préserver et développer, dans ce contexte, notre tissu industriel, et pour répondre aux intérêts vitaux de la nation.
M. André Chassaigne
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous abordez la question des droits de douane, sujet commercial, et les investissements, dont le manque peut conduire à la prise de décisions non souhaitées, notamment celle d'appliquer des plans sociaux.
S'agissant des investissements, soyons clairs : que nous le voulions ou non, si nous souhaitons continuer à créer des emplois en France, nous ne devons pas décourager les investissements étrangers. J'appelle votre attention sur le fait que la détention d'entreprises par des capitaux français ne prémunit en rien contre des fermetures de sites ou contre des plans sociaux.
Le sujet n'est donc pas la nationalité, mais la création d'un cadre favorable. Il s'agit d'exiger des contreparties de la part des entreprises recevant de l'argent public, c'est-à-dire d'appliquer le principe de conditionnalité des aides.
S'interroger sur l'opportunité de faire venir des investissements étrangers en France, tout particulièrement américains, ce n'est pas se poser la bonne question. Il faut plutôt s'interroger sur la manière de rendre le pays plus attractif et les entreprises plus compétitives, pour ainsi trouver les moyens de créer des emplois durables.
En ce qui concerne les droits de douane, la situation est préoccupante. Nous faisons face au risque d'une escalade, chaque progrès de la taxation appelant une riposte, qui serait elle-même suivie d'une nouvelle augmentation. Cette guerre commerciale, personne ne la souhaite et surtout pas le gouvernement français, évidemment : elle serait destructrice d'emploi et destructrice pour les entreprises industrielles, surtout celles qui exportent.
La position que nous maintenons – avec le gouvernement français, avec le ministre Éric Lombard en particulier –, vise d'abord à agir en Européens, c'est-à-dire de manière unie et ferme au niveau européen, dans l'hypothèse où l'administration américaine mettrait en place de nouveaux tarifs douaniers. Elle viserait ensuite, mais seulement après la riposte, à trouver par la négociation des voies de préservation de l'emploi.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérault Verny.
M. Gérault Verny (UDR)
Je vous propose de grouper en une seule les deux questions que je devais poser.
Depuis plusieurs années, nous assistons à l'agonie de notre industrie, étranglée par une fiscalité punitive, un coût de l'énergie décorrélé de son coût de production réel et un cadre normatif toujours plus contraignant.
Vous expliquez que la France doit redevenir une grande puissance industrielle, mais mieux que les mots, il y a les actes. Or le budget pour 2025 trahit une ambition contraire. Prenons, pour nous en convaincre, les impôts de production : ceux-ci s'élèvent encore à 130 milliards d'euros par an et sont quatre fois supérieurs à ceux appliqués par l'Allemagne et six fois plus importants que ceux appliqués en Suisse. Résultat ? La France est l'un des rares pays où l'on taxe les entreprises avant même qu'elles ne fassent du profit ! Conséquence directe : en vingt ans, la part de l'industrie dans le PIB est passée de 16 à 10%, alors qu'elle s'est maintenue à 25 % en Allemagne et atteint 20 % en Suisse.
Quels sont les impôts qui étranglent spécifiquement notre industrie ? Les taxes foncières représentent 21 milliards d'euros, la cotisation foncière des entreprises (CFE) 7 milliards, la CVAE, qui aurait dû être supprimée mais ne l'est toujours pas, 5 milliards, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) 4,8 milliards et les prélèvements sur les équipements des entreprises de réseau 2 milliards – refacturés aux industriels. Enfin, le forfait social sur l'épargne salariale et la retraite d'entreprise, qui pénalise les entreprises industrielles investissant dans leurs salariés, représente 1,8 milliard d'euros.
Autrement dit, les impôts de production supprimés partout ailleurs continuent d'asphyxier nos industries.
À présent, que dire de l'énergie ? Une aberration totale ! La France produit une électricité d'origine nucléaire compétitive à moins de 50 euros le mégawattheure mais nos industriels la paient parfois plus de 150 euros le mégawattheure – un prix ramené à 80 euros en Allemagne et 50 euros en Suisse. Pourquoi ? Parce que nous sommes prisonniers d'un marché européen absurde qui nous oblige à indexer nos prix sur le gaz, alors que nous sommes autonomes grâce au nucléaire, l'énergie disponible la plus verte. Pourquoi refusez-vous de sortir de ce système destructeur pour les entreprises ?
Venons-en à la réglementation. Les normes administratives qu'incarnent les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) asphyxient les projets industriels. Construire une usine en France prend jusqu'à cinq ans, contre six mois en Suisse : combien d'usines annulées, combien d'emplois sacrifiés ?
Enfin, le coût du travail est insoutenable : 42% de charges en France, contre 25% en Allemagne et 15 % en Suisse. Un salaire brut de 3 500 euros coûte 5 000 euros en France, mais 4 025 euros seulement en Suisse. Résultat, nos industries partent ailleurs.
Voici ma question, simple et directe : monsieur le ministre, vous avez manqué de corriger ces aberrations dans le budget pour 2025, mais que comptez-vous faire dans le budget pour 2026 ? Envisagez-vous de baisser les impôts de production pour relancer l'industrie ? De garantir un prix de l'électricité stable et compétitif en sortant du marché européen ? De simplifier les normes et d'accélérer l'implantation de nouvelles usines ? De réduire le coût du travail pour que nos entreprises puissent embaucher et produire en France, au lieu de délocaliser ? Bref : comptez-vous agir maintenant ou faudra-t-il encore voir nos industries partir et nos emplois disparaître ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous appelez notre attention sur le sujet très important des impôts de production et vous devriez en parler à Marine Le Pen : en 2021, le gouvernement a fait le choix de baisser les impôts de production et de diminuer de 4 milliards d'euros la CVAE – or je ne crois pas que Marine Le Pen ait voté pour cette baisse. Les leçons du groupe Rassemblement national, qui était encore le Front national à l'époque, je les reçois donc avec une certaine circonspection.
J'ai insisté sur la nécessité d'améliorer la compétitivité de nos entreprises, en abaissant le coût de l'énergie et, dans la perspective du système qui prendra la suite de l'Arenh, le 1er janvier 2026, avec EDF nous accompagnons précisément les industriels électro-intensifs, qui consomment le plus d'électricité, et les industriels électrosensibles, afin qu'ils bénéficient d'une électricité à bon prix à l'horizon de dix ou quinze ans. Nous leur permettrons ainsi de lutter à armes égales avec leurs concurrents chinois, américains ou canadiens.
Cette négociation a lieu en ce moment ; nous serons attentifs à son issue, comme nous serons attentifs à ce que les industriels bénéficient d'une électricité décarbonée à bon prix, soyez-en certain.
Vous avez appelé notre attention sur la question du coût du travail et j'en suis très heureux, moi qui n'ai cessé de rappeler que le financement de la protection sociale et l'ampleur des cotisations sociales qui pèsent sur le travail sont des sujets dont nous devons discuter sans tabou. Nous pourrons en débattre dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, notamment dans la perspective des textes budgétaires pour 2026. Je suis certain que vous participerez avec beaucoup d'ardeur à cette discussion.
Notez à ce propos que nous avons besoin soit de baisser le coût du travail en basculant le financement de la protection sociale vers une assiette autre que les cotisations sociales, soit de diminuer les dépenses publiques. Or le groupe Rassemblement national a voté contre les réformes successives de l'assurance chômage, qui auraient permis de réaliser des économies.
Vos propos ne sont pas cohérents avec vos votes : voilà le problème dont vous devriez vous soucier.
Mme la présidente
Monsieur le ministre, M. Verny est, il est vrai, assis aujourd'hui sur les bancs du groupe Rassemblement national, mais il appartient au groupe UDR.
M. Gérault Verny
Donc tout ce que vous m'avez répondu est faux !
M. Marc Ferracci, ministre
Désolé, monsieur Verny ! Mais avouez que vous ne me facilitez pas la tâche ! (Sourires.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Florence Goulet.
Mme Florence Goulet (RN)
Un million d'emplois industriels perdus ; la part de l'industrie dans le PIB divisée par deux ; des fleurons stratégiques bradés à des entreprises étrangères ; des normes et des taxes toujours plus étouffantes ; des délocalisations qui se poursuivent ; une souveraineté industrielle en berne : voilà le bilan de onze ans de politiques économiques macronistes. En 2021, M. Bruno Le Maire affirmait encore que la France était en train de retrouver le niveau d'industrialisation des Trente Glorieuses. Pourtant, même si vous niez la réalité, en Meuse, les noms de Stenpa et Bonduelle font entendre un son de cloche bien différent.
Le Rassemblement national alerte depuis longtemps l'opinion sur l'abandon de secteurs stratégiques : nos gouvernants ont détricoté nos capacités de production alors que nos concurrents internationaux protègent les leurs, se réarment économiquement, investissent et innovent. Au lieu d'investir dans la recherche et la production pour affermir notre souveraineté, le gouvernement va jusqu'à subventionner indirectement les industries étrangères, à l'image du photovoltaïque chinois qui détient près de 90% du marché en France. Des pépites comme Technip, Alcatel ou la branche énergie d'Alstom ont été vendues et nous avons même failli perdre notre industrie nucléaire sous les coups de boutoir des défenseurs des énergies prétendument vertes et renouvelables. Notre pays se retrouve donc plongé dans une dépendance sans précédent, condamné à importer et à se plier, dès la moindre crise, aux volontés d'autres puissances.
Avec ce triste bilan et vu le contexte, comment pouvez-vous convaincre les entrepreneurs français de votre capacité et de votre volonté de réindustrialiser le pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Cette fois, je m'adresse vraiment au groupe Rassemblement national – veuillez m'excuser pour la confusion, monsieur Verny, même si vous ne m'avez pas facilité la tâche avec votre proximité, au moins spatiale, avec vos collègues.
Madame Goulet, je suis surpris de vous entendre évoquer l'abandon de la recherche, alors que les gouvernements successifs ont maintenu le crédit d'impôt recherche à plus de 7 milliards d'euros et lancé le plan France 2030 à hauteur de 54 milliards d'euros pour soutenir une série de filières stratégiques comme le nucléaire, le quantique, l'intelligence artificielle ou l'hydrogène, qui doivent nous permettre de faire progresser notre base industrielle en jouant la carte de l'innovation. Les faits ne vous donnent donc pas raison.
Pour ce qui est du nucléaire, la philosophie du gouvernement, inscrite dans le discours du président de la République prononcé en 2022 à Belfort, est claire : nous devons construire un mix énergétique en combinant nucléaire et énergies renouvelables. Nous allons bientôt lancer la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR, qui permettront d'asseoir, dans les prochaines années, notre autonomie énergétique et stratégique. Avec le ministre Éric Lombard, nous sommes très attachés à cette ligne directrice du gouvernement et en discutons, de façon quasiment hebdomadaire, avec EDF et ses équipes.
La souveraineté industrielle et la souveraineté énergétique sont les deux faces d'une même pièce. Nous allons procurer à nos industriels une électricité à bon prix et faire en sorte que la souveraineté énergétique irrigue nos filières industrielles en créant des emplois dans nos territoires, tant dans le secteur nucléaire que dans celui des énergies renouvelables.
Mme la présidente
La parole est à M. Anthony Boulogne.
M. Anthony Boulogne (RN)
Un pays n'est souverain que s'il maîtrise les outils de sa propre défense. Protéger nos industries stratégiques, c'est garantir notre sécurité et notre indépendance. C'est pourquoi je vous alerte aujourd'hui sur le projet d'acquisition de la PME française LMB Aerospace par la société américaine Loar Group. Depuis soixante-dix ans, LMB Aerospace produit – à 100% en France – des ventilateurs et des systèmes de refroidissement de haute performance qui équipent nos armées. LMB connaît une croissance annuelle de 15%, portée par de nouveaux contrats en Europe. Ses clients incluent Airbus, Boeing, Dassault, Thales, et ses équipements sont utilisés sur le Rafale, le char Leclerc, le Charles de Gaulle et nos sous-marins lanceurs d'engins. C'est un maillon essentiel de notre industrie de défense.
Son passage sous pavillon américain représenterait un risque stratégique majeur. Bien que l'offre de rachat prévoie de conserver le site industriel en France, rien ne garantit le maintien des emplois sur notre sol, et l'expérience n'incite pas à l'optimisme. Pire encore, la France serait spectatrice, impuissante face au pillage technologique de ses entreprises stratégiques. Le Rassemblement national refuse de voir la souveraineté industrielle française bradée, comme elle l'a été dans l'affaire Alstom, la trahison originelle du macronisme, puis avec d'autres fleurons comme Technip pour l'énergie ou Opella pour le Doliprane. Comme le titraient le mois dernier Les Échos, le bilan est accablant : en dix ans, les États-Unis se sont offert plus de 130 milliards de dollars de fleurons français, mettant la main sur plus de 1 500 entreprises françaises. Jusqu'à quand la France va-t-elle se laisser dépouiller sans réagir ?
Monsieur le ministre, ma question est simple : le gouvernement va-t-il protéger notre souveraineté nationale en mettant son veto ou va-t-il livrer LMB Aerospace, comme tant d'autres, à des intérêts étrangers ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vu la nature de l'entreprise, le sujet est sensible et l'affaire est suivie attentivement par le gouvernement. LMB Aerospace est éligible à la procédure de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Cette procédure n'est cependant pas déclenchée tant que le processus de cession n'a pas commencé. L'entreprise américaine qui est candidate pour l'achat est entrée dans la négociation exclusive, mais celle-ci est en cours. Les règles de droit qui encadrent juridiquement l'usage de la procédure IEF ne s'appliquent donc pas encore, mais s'appliqueront dès qu'une offre de rachat sera sur la table. Un contrôle approfondi sera alors réalisé.
Je rappelle que le contrôle des IEF permet d'imposer des conditions très exigeantes, et nous l'avons beaucoup utilisé : ces dernières années, on a enregistré 255 demandes d'autorisations au titre de la procédure IEF ; 44% des dossiers font l'objet d'une imposition de conditions pour le rachat. Soyez assuré que nous serons très attentifs à l'application stricte et rigoureuse de cette règle. Toutes les solutions seront sur la table, y compris le rejet si les activités de LMB Aerospace apparaissent trop sensibles. Des sanctions financières voire pénales sont tout à fait envisageables, et le ministre des armées suit le dossier, en lien avec les services de Bercy.
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois (EPR)
Les crises récentes nous ont rappelé combien l'accès à l'énergie est essentiel pour notre souveraineté et notre développement économique. Je tiens, à ce propos, à vous alerter sur le coût élevé de l'électricité en France : 109 euros le mégawattheure sur le marché spot français, contre 68 euros en Amérique du Nord. Ce coût pèse lourdement sur notre tissu industriel et grève notre compétitivité.
Alors que la France dispose d'un parc nucléaire – que nous avons remis en marche – assurant une production décarbonée, fiable, abondante et peu chère, avec un coût de revient d'environ 50 euros le mégawattheure, nos centrales ne fonctionnent pas à plein rendement et gardent du potentiel. En outre, la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique avec un mégawattheure à 42 euros est prévue pour 2025.
Comment comptez-vous accompagner les négociations pour que les industriels français puissent bénéficier de cet atout national qu'est notre électricité nucléaire ? En effet, il n'y aura pas de réindustrialisation, ni de souveraineté durable, sans une politique stratégique offrant à nos filières industrielles une énergie abondante à un prix compétitif.
Par ailleurs, les contraintes et les normes administratives, juridiques et environnementales constituent un véritable parcours du combattant, souvent long de plusieurs années, et nos entrepreneurs ont besoin de bien du courage pour ne pas abandonner leurs projets. Dans le Jura, Smoby – 600 emplois, premier fabricant de jouets en France – mène un projet d'agrandissement de son site d'Arinthod. Ce projet promet de créer de nombreux emplois et, nous l'espérons, de relocaliser la production que la société mère de Smoby, Simba Dickie Group – un important groupe allemand qui continue d'investir massivement chez nous, et c'est heureux –, a délocalisée en Chine. Ce plan se heurte pourtant au plan local d'urbanisme intercommunal, qui ne peut intégrer cette extension sur 3 hectares, située pourtant dans une zone sans intérêt particulier, en raison des règles de l'objectif ZAN – zéro artificialisation nette.
M. Fabien Di Filippo
Vous l'aviez pourtant voté !
Mme Danielle Brulebois
Vous avez envisagé d'exclure les projets industriels – et pas uniquement les plus grands d'entre eux – de ces contraintes ; où en est l'élaboration de cette mesure ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
J'ai déjà longuement répondu à la question relative aux prix de l'électricité. Cet objectif est prioritaire. Une négociation entre EDF et des industriels, que les services de l'État accompagnent du point de vue méthodologique, est en cours, et nous espérons sa conclusion dans les prochaines semaines. Les contrats à terme devront donner à la fois de la visibilité et des prix suffisamment compétitifs.
La simplification est également un enjeu crucial. Vous avez pointé les difficultés que connaissent les projets de taille insuffisante pour être éligibles à des dispositions leur permettant de bénéficier des enveloppes nationales d'artificialisation. Les contraintes liées au ZAN entravent leur développement. C'est notamment le cas d'une trentaine de sites livrés clés en main dans le cadre du programme Territoires d'industrie – un exemple concret, qui doit nous pousser à agir. C'est pourquoi nous sommes en train d'instruire une disposition qui avait été annoncée par Michel Barnier et qui consiste à exclure les projets industriels du ZAN. Il ne s'agit aucunement de remettre en question le principe de la limitation de l'artificialisation : l'industrie représente seulement 4% des surfaces éligibles et il est possible de faire croître son empreinte dans le respect des objectifs écologiques. Nous discutons avec le ministre François Rebsamen du véhicule législatif où nous pourrions inscrire cette disposition.
Mme la présidente
La parole est à Mme Olga Givernet.
Mme Olga Givernet (EPR)
Les métaux critiques jouent un rôle essentiel dans l'industrie française et sont indispensables à notre souveraineté nationale. Le lithium, le titane ou encore le cobalt sont au cœur de nombreuses technologies de pointe, notamment dans les secteurs de l'énergie, de la défense, de l'électronique et de l'information. Sécuriser notre approvisionnement en métaux critiques est crucial pour maintenir notre compétitivité économique et garantir notre indépendance stratégique. La France a mis en place des initiatives ambitieuses à travers des partenariats internationaux et des investissements dans l'exploration et l'exploitation minière.
La focalisation des négociations entre les États-Unis et l'Ukraine sur les minerais souligne l'importance stratégique de ces ressources qui ont le potentiel de redéfinir les équilibres géopolitiques et économiques mondiaux. La France doit impérativement renforcer sa position. D'ailleurs, le gouvernement américain a choisi de définir des stocks stratégiques. Son homologue japonais suit la même voie avec son bras armé, Jogmec – Corporation nationale du Japon pour le pétrole, le gaz et les métaux.
En France, pour l'instant, les stocks sont placés sous la responsabilité des industriels. L'article 49 de la loi de programmation militaire permet à l'État de déterminer les niveaux de stocks : ils doivent être constitués selon les besoins du ministère des armées ; les entreprises sont ensuite dans l'obligation de répondre à ce besoin d'approvisionnement. Mais cela augmente leurs coûts et leur fait porter le risque industriel.
Dans ce contexte, comment la France compte-t-elle consolider son stock stratégique de métaux critiques ? Quelles actions concrètes sont-elles envisagées pour assurer notre souveraineté industrielle face à la concurrence internationale ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Vous appelez notre attention sur l'accès aux minerais critiques et stratégiques, crucial pour notre souveraineté. Ces dernières semaines, j'ai relancé une démarche indispensable pour conforter notre souveraineté en la matière : lors de ma visite au bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Orléans, j'ai annoncé un nouvel inventaire de l'ensemble des ressources minières de la France. Celles-ci ne permettront évidemment pas de répondre à tous les besoins, en particulier à tous ceux de nos entreprises industrielles de défense. Elles constituent néanmoins un des piliers de notre stratégie.
Cette dernière repose sur un principe de sécurisation : il s'agit, comme vous l'avez évoqué, de consolider les stocks afin qu'ils s'adaptent à la nouvelle donne géopolitique. Nous avons ainsi accompagné plusieurs entreprises, comme Airbus, dans leur démarche de " dérisquage " – c'est le terme utilisé – vis-à-vis du titane russe. Il s'agit de diversifier les fournisseurs de ce métal critique. En vue de sécuriser notre approvisionnement et, donc, de diversifier ses sources, disposer de ressources sur notre territoire constitue un atout important.
Exporter permet en outre de nouer des relations avec les pays les plus fiables possibles à long terme du point de vue géostratégique, afin de pouvoir importer de manière durable.
Cette stratégie repose donc sur un troisième pilier : l'exploitation de nos propres ressources – très importantes pour la transition énergétique – comme le tungstène ou le lithium. Ces ressources feront l'objet de recherches dans les trois prochaines années au titre de la nouvelle vague de l'inventaire minier. Nous pensons pouvoir commencer l'exploitation dans les cinq à dix ans qui viennent, s'il s'avère que les ressources sont là. Telles sont les grandes lignes de notre stratégie de souveraineté en matière de métaux.
Mme la présidente
La parole est à M. Lionel Vuibert.
M. Lionel Vuibert (NI)
L'industrie française subit une pression insoutenable. Non seulement elle fait face à une concurrence internationale acharnée, mais elle part avec un handicap majeur : un environnement fiscal et réglementaire qui l'empêche de rivaliser à armes égales.
J'ai travaillé dans un territoire profondément industriel, où l'on sait ce que produire veut dire, les Ardennes, une terre de forges, de fonderies, de mécanique de précision. J'ai collaboré des années avec des chefs d'entreprise, des ouvriers, des ingénieurs, tous engagés dans un même combat : innover et exporter pour maintenir l'activité. Tous dressent le même constat : les règles du jeu sont faussées.
Dans cette économie mondialisée, nos voisins allègent les contraintes afin d'attirer les investissements et de gagner en compétitivité. Pendant ce temps, nous avons continué d'alourdir le fardeau pesant sur nos entreprises, leur imposant des coûts et des réglementations que leurs concurrents étrangers n'ont pas à supporter dans les mêmes proportions.
À cette pression, s'ajoute désormais l'instabilité politique. Comment investir sereinement quand la fiscalité, les priorités industrielles et les réglementations fluctuent au gré des décisions politiques ? Peut-on demander aux industriels d'engager des milliards d'euros d'investissements si, demain, un revirement remet tout en cause ? L'industrie a besoin de temps, de visibilité, de prévisibilité pour relever les défis de demain : décarbonation, transition vers une industrie verte et innovation. Cela passe par la préservation d'un environnement économique stable et compétitif, par le maintien de mécanismes de soutien adaptés tels que le CIR, par l'offre à faible coût d'une énergie décarbonée et par l'accès au crédit.
Ma question est simple : quand donnerons-nous à notre industrie les moyens de lutter à armes égales ? Allègerons-nous de façon significative les charges qui pénalisent l'emploi et freinent notre croissance ? Il est temps de mener une véritable politique de l'offre, de l'amplifier pour qu'elle soutienne notre industrie et lui permette de redevenir le moteur principal de notre économie.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je sais votre attachement à votre territoire et à sa base industrielle. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de suivre certains dossiers concernant les Ardennes, en particulier la reprise par Forgex de l'entreprise Walor : une centaine d'emplois a été sauvée et nous continuons à nous battre sur ce point.
Vous m'interrogez plus largement sur les enjeux de simplification, mais aussi de stabilité fiscale et sociale. Vous avez parfaitement raison et nous en avons beaucoup discuté ce soir. Pour ce qui est des premiers, il nous faut désormais être radicaux, notamment en nous inspirant de lois qui ont permis de concrétiser des projets, comme les Jeux olympiques, grâce à l'assouplissement du cadre fixé par de nombreux codes, comme celui de l'urbanisme, dont le volume et la densité excessifs génèrent de la complexité.
Il convient de nous inspirer d'expériences comme celles des Jeux ou de la réfection de Notre-Dame, en intégrant au droit commun le maximum de dispositions des lois d'exception suscitées par ces événements. Nous devons également promouvoir les dérogations en laissant la main aux services déconcentrés de l'État, en particulier aux préfets. Il convient de sécuriser leurs décisions de déroger à l'application de telle ou telle règle – comme le ZAN que nous évoquions à l'instant avec Danielle Brulebois – lors de l'implantation d'un projet industriel. Un tel principe de dérogation aurait de nombreuses applications pour lesquelles nous devons désormais faire confiance à nos administrations opérant au plus près du terrain.
Sur la stabilité fiscale, je ne peux que souscrire à vos propos. Nous savons dans quel contexte a été élaboré le budget pour 2025, qui demande des efforts aux entreprises. Je puis témoigner de l'engagement d'Éric Lombard et du mien pour faire en sorte que ces efforts – au titre de la surtaxe à l'impôt sur les sociétés par exemple – restent temporaires, ponctuels, et qu'ils ne soient pas demandés de nouveau aux entreprises dans les prochains textes budgétaires. Nous souhaitons en effet retrouver le chemin de la stabilité et c'est ce que nous ferons.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 11 mars 2025