Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à des questions sur la situation en Syrie, à l'Assemblée nationale le 11 mars 2025.

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Circonstance : Questions au Gouvernement, en séance publique, à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Madame la députée Anne Sicard,

Nous avons toutes et tous été choqués par les images insoutenables des exactions perpétrées ces derniers jours en Syrie.

Maintenant, vous citez mes propos du 9 décembre dernier. Comment ne pas se réjouir, Madame la Députée, de la chute d'un dictateur et d'un tyran qui a tué, assassiné 400.000 Syriennes et Syriens, emprisonnés dans des geôles qui s'apparentent à des camps d'extermination ? Maintenant, je vais vous le dire : la France condamne toutes les exactions contre les civils, quelles que soient les communautés auxquelles ils appartiennent, qu'elles aient été le fait de groupes affiliés au régime de Bachar al-Assad ou à des groupes terroristes qui se sont rendus responsables des exactions contre les communautés alaouites et chrétiennes ces derniers jours. Tous devront être jugés. Tous devront être punis.

Quand nous sommes allés, Madame la Députée, en Syrie, avec ma collègue, ministre des affaires étrangères allemande, nous n'y sommes pas allés pour soutenir un pouvoir ou quelque responsable que ce soit. Nous sommes allés en Syrie pour défendre les intérêts des Français et leur sécurité. Sécurité contre le terrorisme, sécurité contre la prolifération des armes chimiques. Et nous avons obtenu des résultats : après des semaines de démarches, hier, le gouvernement intérimaire a trouvé un accord avec les Kurdes, avec la communauté kurde de Syrie, nos alliés fidèles dans la lutte contre Daech, avec lesquels nous allons continuer de combattre le fléau du terrorisme. Et puis cette semaine, c'est l'Organisation internationale d'interdiction des armes chimiques qui va pouvoir se déployer en Syrie pour détruire les stocks du régime de Bachar al-Assad. Dès le départ, nous l'avons dit, aucun chèque en blanc, nous jugerons sur les actes et toutes les mesures que nous avons prises l'ont été de manière proportionnée, de manière conditionnée et de manière réversible.


Madame la députée Anne Bergantz,

Merci de rappeler que nous abordons cette situation tragique, celle de ces derniers jours, comme celle de la Syrie plus généralement, sans aucune naïveté. Nous sommes parfaitement conscients qu'il n'y a pas d'avenir pour la Syrie sans la justice et qu'il n'y aura pas de justice sans que toute la lumière et que toute la vérité soit faite sur les événements tragiques qui ont eu lieu sur la côte ouest de la Syrie. Qu'est ce qui a poussé certains groupes liés au régime de Bachar al-Assad - peut-être des influences étrangères - à attaquer des membres des services de sécurité du gouvernement intérimaire ? Qu'est ce qui a conduit ensuite des groupes islamistes à prendre d'assaut des populations civiles innocentes alaouites, et dans une moindre mesure, chrétiennes ? Il faudra que justice soit faite, il faudra que les responsables de ces exactions soient punis. Mais le travail doit se poursuivre, parce que se joue en Syrie une grande partie de notre sécurité. C'est en Syrie, il y a une dizaine d'années, qu'ont été fomentés des attentats contre le territoire national. Et c'est la raison pour laquelle la diplomatie française est pleinement mobilisée pour maîtriser ces risques, en commençant par faciliter la médiation entre les Kurdes syriens et le gouvernement transitoire. Pourquoi ? Eh bien parce que les Kurdes de Syrie, qui ont été nos alliés fidèles dans la lutte contre Daech, étaient ces derniers mois dans une situation de fragilité, pressée par des puissances étrangères, et en situation de vulnérabilité, ce qui aurait pu conduire à fragiliser la sécurité des prisons dans lesquelles sont détenues des dizaines de milliers de combattants de Daech. Cet accord qui a été trouvé hier est une excellente nouvelle, car il permet d'envisager une intégration et une défense des droits et des intérêts des Kurdes pour l'avenir de la Syrie. J'aurai cet après-midi le général Mazloum au téléphone pour m'entretenir des suites qu'il entend donner à cet accord.


Monsieur le député [Jérôme Nury], président du groupe d'études chrétiens d'Orient,

Merci pour votre engagement à ce sujet. Et certes, si les massacres de ces derniers jours sur la côte alaouite ont principalement touché ces communautés, les communautés chrétiennes n'ont pas été épargnées par certaines de ces exactions. Et notre engagement au service des communautés, au service de toutes les communautés en Syrie, Anne Bergantz l'a rappelé tout à l'heure, nous avons accueilli très favorablement l'accord qui a été trouvé hier, après des semaines de médiation, entre le gouvernement intérimaire et les Kurdes, ce qui permet de résoudre une partie du problème qui entravait le chemin de la Syrie vers une unification et une pacification.

Mais nous avons une attention toute particulière pour les communautés chrétiennes en Syrie. Elle s'illustre par le choix que j'ai fait, lorsque je me suis rendu en tout début d'année à Damas, de rencontrer en tout premier les patriarches grecs orthodoxes et grecs catholiques pour m'entretenir avec eux, entendre leurs attentes, pour pouvoir les relayer auprès du gouvernement intérimaire. Elle s'illustre aussi par le soutien continu à l'Oeuvre d'Orient, au fonds d'orient, dont les moyens ont été préservés dans le budget de mon ministère, en dépit des efforts importants que nous avons été amenés à consentir. Parce que la défense des chrétiens d'Orient est un axe fort de notre politique étrangère partout au Moyen-Orient. Au Liban, nous avons soutenu le système éducatif chrétien pour lui permettre de traverser la crise économique. En Irak, nous participons au financement de la restauration du patrimoine historique chrétien. Et à Jérusalem, la France assume son rôle de protectrice des communautés chrétiennes. Et nous ne le faisons pas dans un esprit religieux, mais nous le faisons avec la conviction que c'est le pluralisme qui permettra à la région de trouver la stabilité, la paix et la sécurité.

Et quant à la conférence de la semaine prochaine, je vous ai parlé de notre approche vis-à-vis de la Syrie, qui est conditionnée, proportionnée et réversible, et il va de soi que nous ne pourrons soutenir aucune nouvelle levée de sanctions sans que des garanties nous soient données, que les crimes qui ont été commis soient bien traduits devant la justice et punis.


Monsieur le député Vincent Trébuchet,

Il y a dix ans, sous le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, 400.000 morts, la torture utilisée à l'échelle industrielle - je vous invite un jour à aller visiter la prison de Sednaya en Syrie, si vous avez des doutes -, fabrication d'armes chimiques retournées contre son propre peuple. C'est de la Syrie, Monsieur le Député, que sont partis certains des attentats terroristes qui ont touché le territoire national. Et c'est encore de la Syrie qu'est partie la plus grande vague migratoire de l'histoire récente, sept millions de Syriens fuyant les persécutions du régime de Bachar al-Assad.

Alors il y a trois mois, le 7 décembre dernier, lorsque le régime de Bachar al-Assad est tombé, qu'auriez-vous voulu que nous fassions ? Si je vous écoute, il eût fallu que la France mette la tête dans le sable, qu'elle détourne le regard. Mais ce n'est pas la France, ça. Et la première ligne de défense des Français et de leur sécurité, c'est la diplomatie. Et c'est la raison pour laquelle nous nous sommes rendus en Syrie, pour faire part aux autorités de transition de nos exigences en matière de sécurité, à commencer par la lutte contre le terrorisme, qui passe par le respect des droits et des intérêts des Kurdes en Syrie, et par la destruction des stocks d'armes chimiques du régime. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous voyons les fruits de ces efforts, de semaines de médiation que nous avons conduites, puisqu'un accord a été trouvé avec les Kurdes, qu'on m'informe à l'instant qu'un accord a été trouvé avec les Druzes et que s'agissant des armes chimiques, l'Organisation internationale d'interdiction de ces armes va pouvoir procéder aux destructions de ces armes, qui portent un intérêt à la sécurité internationale et à la sécurité des Français.

Ceci étant dit, nous n'avons aucune naïveté et aucune complaisance. Je l'ai dit tout à l'heure, nous ne pourrons accepter aucune nouvelle levée de sanctions si nous n'avons pas de garanties que les exactions dont ont été victimes les civils alaouites et chrétiens seront punies par la justice syrienne.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2025