Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à des questions sur le conflit en Ukraine, au Sénat le 5 mars 2025.

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Circonstance : Questions d'actualité au Gouvernement, en séance publique, au Sénat

Texte intégral

Monsieur le sénateur [Emmanuel Capus],

Vous avez évoqué les déclarations provenant d'outre-Atlantique, et sur ces sujets comme sur tous les autres, notre réponse est claire : les frontières de l'Union européenne ne sont tout simplement pas négociables.

Mais sur le sujet de l'Ukraine plus spécifiquement, les épisodes de ces derniers jours ont fait apparaître de manière très éclatante - le Premier ministre l'a rappelé hier lors du débat qui était organisé sur le fondement de l'article 50-1 de notre Constitution - la dépendance inacceptable de l'Ukraine et des Européens aux approvisionnements militaires en provenance des Etats-Unis et d'ailleurs.

Nous avons vécu pendant des décennies dans l'insouciance. Nous avons progressivement accepté que dans la richesse nationale, la part de nos dépenses militaires baisse ou en tout cas soit divisée par trois, qu'elle passe de 6 à 7% dans les années 1950 à moins de 2%. Heureusement, depuis huit ans, sous l'impulsion du Président de la République, sous l'autorité du ministre des armées, vous avez adopté deux lois de programmation militaire qui vont nous permettre de revenir à un niveau qui se rapproche des 2% du PIB et de réarmer notre pays.

Mais il faut évidemment aller beaucoup plus loin, et c'est tout l'objet de ce Conseil européen extraordinaire qui se tiendra demain et qui sera l'occasion, je dirais, de réaffirmer avec beaucoup de force que nous soutiendrons la résistance ukrainienne, qui est la première ligne de défense de l'Union européenne, et de nous accorder sur des moyens extraordinaires pour réarmer les pays européens. La présidente de la Commission européenne a fait une proposition : 800 milliards d'euros mis à disposition des Etats membres pour se réarmer, qui passe à la fois par un assouplissement des critères du Pacte de stabilité et de croissance, une nouvelle facilité pour que les pays européens puissent s'endetter jusqu'à hauteur de 150 milliards d'euros, et puis une repriorisation des fonds européens non utilisés aux fins de la sécurité de notre continent.

Tout cela converge vers la priorité française, vous l'avez dit, celle de l'autonomie stratégique que nous avons réaffirmée depuis huit ans inlassablement, et à laquelle un certain nombre de nos partenaires européens, enfin, sont en train de se rallier.


Monsieur le sénateur [Pascal Savoldelli],

L'escalade, ce n'est pas celle des Européens ou des Ukrainiens. L'escalade, c'est celle de la Russie. N'ayons aucune indulgence, aucune indulgence vis-à-vis de Vladimir Poutine ! Aucune indulgence ! Assassinat d'opposants politiques, déportation des enfants ukrainiens, crime de guerre ! Asphyxie de sa propre économie et de son propre peuple, pilonnage des pays européens de désinformation. Mais M. Salvoldelli, est-ce que les Européens déportent les enfants de la Russie ? Est-ce que les Européens provoquent constamment par une rhétorique nucléaire la Russie de Vladimir Poutine, l'agresseur dans cette affaire ? C'est la Russie de Vladimir Poutine et il n'y en a pas d'autre !

Alors oui bien sûr, le Premier ministre vient de le dire, la préférence européenne est une priorité française. Alors, certains pays européens ont pris du temps avant de se rallier à cette idée-là, mais tous ont pris pleinement conscience que les dépendances que nous avons accumulées vis-à-vis des Etats-Unis, que ce soit dans le domaine de l'armement, mais dans d'autres domaines également, sont tout à fait inacceptables et compromettent notre indépendance.

Donc oui, les 800 milliards d'euros de Mme von der Leyen, nous comptons bien en faire l'opportunité historique du développement d'une base industrielle de défense européenne, de manière à ce que nous soyons forts et de ce que nous soyons indépendants, pour que dans le monde qui vient, nous puissions défendre nos intérêts et notre vision du monde qui, contrairement à celle de Vladimir Poutine, repose sur le droit international et la justice. Mais nous ne parviendrons à imposer nos intérêts et notre vision du monde qu'en étant plus forts et plus indépendants.

Quant à la sortie de l'OTAN, ce n'est pas notre politique ni notre objectif. Notre objectif, c'est de nous emparer de l'OTAN, et au moment où les Etats-Unis s'en désengagent, d'y développer nos capacités, notre stratégie et notre vision pour, en Européen, assurer notre propre sécurité.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2025