Texte intégral
MAYA LAUQUÉ
Jeff WITTENBERG dans les 4V, vous recevez ce matin Éric LOMBARD, ministre de l'Économie et des Finances. Messieurs, bonjour.
JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, bonjour Monsieur LOMBARD, merci d'être avec nous ce matin.
ÉRIC LOMBARD
Bonjour, Jeff WITTENBERG.
JEFF WITTENBERG
Et effectivement, je vous fais réagir à ce qui vient d'être dit et qui est un peu l'événement d'hier : Donald TRUMP qui menace de taxer le champagne à 200 % et les vins européens, donc français. François BAYROU disait hier : " On ne va pas se laisser faire. " Vous vous dites quoi ce matin ?
ÉRIC LOMBARD
Je dis comme le Premier ministre, ce n'est pas une surprise. On sait que TRUMP, c'est un négociateur et que sa façon de négocier, c'est d'abord d'augmenter les tarifs, comme il dit, les droits de douane. Et dans ces cas-là, il faut qu'on se mette sur un pied d'égalité parce que c'est une négociation. Donc, on va faire pareil. C'est une guerre idiote, comme toutes les guerres d'ailleurs. Mais si on veut pouvoir négocier avec lui, il faut qu'on se mette à armes égales. Donc, on va aussi monter les tarifs, c'est une compétence de la Commission européenne. Évidemment, on parle à la Commission tous les jours. Et puis après, il faut qu'on discute avec les Américains pour refaire baisser à la fois la tension et les tarifs. Et c'est ce à quoi nous nous employons.
JEFF WITTENBERG
Mais, qu'on vous comprenne bien, vous allez faire pareil, c'est-à-dire que vous aussi, puisque je rappelle l'objet du délit : Donald TRUMP n'est pas content que vous ayez taxé l'Europe à 50% le whisky américain. Donc lui, il lit 200%. C'est oeil pour oeil, dent pour dent. Vous allez aller encore plus loin.
ÉRIC LOMBARD
On va être dans une phase d'escalade. Ils ont taxé à 25% l'acier et l'aluminium européens. Nous avons répondu. Ils répondent à nouveau. Ça s'est passé comme ça il y a huit ans.
JEFF WITTENBERG
En 2016, lors du premier mandat de Donald TRUMP.
ÉRIC LOMBARD
Ça s'est passé pareil. D'ailleurs, on a ajusté évidemment les listes. Enfin, elles étaient prêtes quelque part. Et puis après, on va discuter pour faire rebaisser la tension. J'ai parlé avec mon, non pas mon homologue, mais le secrétaire au commerce qui s'appelle Howard LEUTNICK. On a convenu qu'on n'était d'accord sur rien, parce qu'il y a d'autres sujets dont on n'est pas...
JEFF WITTENBERG
C'est un début.
ÉRIC LOMBARD
C'est un début de négociation. Et on va être très attentifs, naturellement, à l'effet sur les filières exploitatrices.
JEFF WITTENBERG
Et ça veut dire quoi, pardon, quand vous parez de 2016, est-ce que vous avez quand même un espoir que cette escalade, alors pour l'instant c'est verbal, parce que les 200 % c'est une menace, n'ira pas jusqu'au bout et que vous allez trouver un terrain d'entente ? Parce qu'on ne semble pas du tout voir ça pour l'instant.
ÉRIC LOMBARD
C'est une nécessité pour les deux côtés, parce que les États-Unis, en faisant cela, se font mal. Donald TRUMP a reconnu que les États-Unis pourraient être cette année en récession, donc en baisse d'activité économique. Pour les États-Unis, ça, c'est tout à fait inhabituel. Et quand vous regardez la bourse de New York, elle est en train de baisser. Alors que TRUMP avait été élu sur la promesse d'une augmentation de la richesse des Américains. Donc, il faut qu'on sorte de cette situation qui est en train d'être conduite avec le Canada, avec l'Europe…
JEFF WITTENBERG
Mais c'est quand même, en attendant, une très mauvaise nouvelle ou une très mauvaise perspective pour les producteurs, pour toute la filière viticole française. Je rappelle qu'en 2024, celle-ci aux États-Unis a progressé de 5% pour atteindre presque quatre milliards d'euros. Ils sont aujourd'hui catastrophés. Est-ce que l'État, le cas échéant, est prêt à aider cette filière ?
ÉRIC LOMBARD
Nous serons également à l'écoute des conséquences économiques de cette situation. Surtout, on a envie qu'elle dure le moins longtemps possible. D'ailleurs, je retournerai aux États-Unis voir mes homologues dans les jours qui viennent et Laurent SAINT-MARTIN, qui est le ministre en charge, est évidemment très très actif.
JEFF WITTENBERG
Dans ce contexte, en tout cas, qui n'est pas optimiste pour cette partie de l'économie française, c'est dans ce contexte qu'on va avoir ce soir une information importante. C'est l'agence de notation Fitch, alors ce n'est pas elle qui détermine la politique française et l'économie française. Mais enfin, vous la regardez de près, on s'attend peut-être à une nouvelle dégradation de la note française, qui est aujourd'hui de AA- avec perspective négative, si je ne dis pas de bêtises. Est-ce que vous êtes, vous aussi, pessimiste comme le sont de nombreux experts ?
ÉRIC LOMBARD
Alors, d'abord, c'est une des meilleures notes possibles. Je rappelle que la dette française est une dette de très bonne qualité. Mais comme je le dis souvent, dans la souveraineté, il y a les sujets de défense, on va en parler, il y a aussi les sujets financiers. Si on veut protéger notre souveraineté financière, il faut que nos comptes publics soient en ordre. Et ça, c'est une de mes missions. Et donc, c'est pour ça que nous avons une politique très résolue de réduction des déficits pour que la dette française, qui est à un niveau très élevé, soit maintenue et puis ensuite se réduise. Donc, effectivement, l'agence de notation prendra sa décision.
JEFF WITTENBERG
Et vous attendez quoi, Monsieur le Ministre ? On est entre nous, là. Est-ce que vous êtes plutôt optimiste ou pas ?
ÉRIC LOMBARD
Nous faisons un effort extrêmement vigoureux. Et je pense que, j'espère que cet effort sera entendu par l'ensemble des observateurs.
JEFF WITTENBERG
Y compris les agences de notation, on verra donc ce soir. Alors, pour sauver l'économie, est-ce que l'économie de guerre, puisque c'est ce dont on parle aujourd'hui et c'est l'expression consacrée, peut aider ou sauver l'économie ? Le ministre des Armées, Sébastien LECORNU, parlait dimanche, dans une interview, d'un effort qui devrait atteindre cent milliards d'euros pour le budget de la Défense, pour le budget des Armées, à l'horizon. Il n'a pas d'ailleurs donné d'horizon. On est loin du budget actuel qui est de la moitié et qui est, je crois, de 83 milliards pour 2030, dans les prévisions. Comment on arrive à cent milliards ?
ÉRIC LOMBARD
On a déjà doublé ces dernières années à l'initiative du président de la République depuis 2017 et on va continuer à monter. Moi, je préfère parler d'économie de paix. Parce que, quelle est la situation ? Le monde, à l'évidence, devient plus dangereux. Le président de la République en a parlé. Il y a les menaces russes qui sont parfois cyber, qui en Ukraine, évidemment, sont bien pires. Il y a d'autres menaces qui demeurent. Et ce qui se passe, on a bien vu l'attitude des États-Unis, dont le parapluie est incertain.
JEFF WITTENBERG
Donc, il faut dépenser plus, économiquement.
ÉRIC LOMBARD
L'Union Européenne, c'est un âge adulte. L'Union Européenne doit se protéger. J'étais avec mes homologues européens. Nous allons entamer un effort pour que l'autonomie stratégique de l'Europe soit garantie, c'est-à-dire pour garantir la paix pour les générations qui viennent. C'est ça notre objectif.
JEFF WITTENBERG
Donc, ça coûte beaucoup d'argent, Monsieur le ministre de l'Économie. Comment on fait ?
ÉRIC LOMBARD
Ça va coûter plus d'argent, parce qu'en réalité, comme le dit le Président, les dividendes de la paix, on les a encaissés. Mais maintenant, il faut se préparer à un monde plus dur. Donc, nous allons investir plus dans les années qui viennent de façon méthodique avec l'ensemble des partenaires européens auxquels, d'ailleurs, les Britanniques vont se joindre. Voilà, on retrouve…
JEFF WITTENBERG
Comment, Monsieur le Ministre ? Comment en France, par exemple ? On entend beaucoup, depuis plusieurs jours, qu'on va mobiliser l'épargne des Français. Et beaucoup de Français qui nous écoutent ce matin se demandent si leur épargne, leur livret A, d'autres... Je veux rassurer les Français.
ÉRIC LOMBARD
Ils feront ce qu'ils voudront de leur épargne.
JEFF WITTENBERG
C'est-à-dire ? Comment ça va se passer ?
ÉRIC LOMBARD
Ça va se passer d'abord par une planification. On va travailler avec les ministres des Armées des différents pays européens à la façon dont on va s'organiser. Ça va se traduire par des commandes pour notre industrie. Et moi, j'insiste toujours pour que cet argent européen aille vers l'industrie européenne. On achète trop, alors pas nous les Français, mais les autres Européens, de matériel américain qui, en plus, nous met sous une tutelle américaine. Donc, il faut que ça bénéficie à notre industrie. Pour ça, il faut qu'on développe notre industrie. Et donc, nous avons des besoins de financement pour l'industrie.
JEFF WITTENBERG
Comment ? Encore une fois, est-ce que ça serait une incitation, une injonction, notamment aux banques, aux fonds d'investissement ?
ÉRIC LOMBARD
C'est une explication. La semaine prochaine, avec Sébastien LECORNU, le ministre des Armées, nous réunissons à Bercy les acteurs financiers et les acteurs industriels. Et nous voulons convaincre les Français qui le souhaitent et qui ont de l'épargne, d'investir dans notre économie de défense.
JEFF WITTENBERG
Convaincre ou pas.
ÉRIC LOMBARD
Ce sera leur liberté et moi, je demande aux grands réseaux bancaires, d'assurance, de conseil financier de proposer aux Français des produits permettant de financer l'effort de défense. Mais, encore une fois, ce sera la liberté des Français de faire ce qu'ils veulent de leur épargne.
JEFF WITTENBERG
Monsieur LOMBARD, dans cet effort collectif, je cite vos mots : " Il faudra sans doute travailler plus ". Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ce n'est pas le moment de parler de la réforme des retraites ? En gros, on reste à 64 ans au minimum. Est-ce que vous pouvez nous dire clairement les choses là-dessus ?
ÉRIC LOMBARD
On voit bien que la situation est très nouvelle et va nous imposer de réfléchir collectivement à notre modèle. Et pour intégrer les charges de la défense dans un budget déjà très contraint. Moi, je pense que la solution pour ça, c'est le dialogue et on va dialoguer avec la ministre des Comptes publics, Amélie DE MONTCHALIN.
JEFF WITTENBERG
Mais, qu'est-ce qu'on peut revenir à 62 ans ? Cette question, elle est un peu simple. Pardon.
ÉRIC LOMBARD
La première réponse à cela, c'est pour ça que je parle de travailler plus, déjà, si les jeunes étaient plus en emploi, ils le souhaitent. Si les seniors étaient plus en emploi, on aurait résolu une bonne partie de nos questions de déficit. Les autres solutions relèvent du dialogue avec les partenaires sociaux, avec les entreprises, avec les Français. Et dans la préparation du budget 2026, parce que, c'est surtout à partir de 2026 que cet effort supplémentaire va peser, ce dialogue va permettre de trouver des solutions partagées parce qu'à la fin…
JEFF WITTENBERG
Mais votre idée, à vous, on est là, à la négociation, mais votre idée à vous, ce n'est pas de rebaisser l'âge de la retraite ?
ÉRIC LOMBARD
C'est les partenaires sociaux qui s'en occupent. Il y a des réunions, je les rencontre régulièrement, ils travaillent, ils avancent, je leur fais confiance. C'est à eux d'apporter les idées. Moi, mon idée, c'est de les écouter et d'intégrer ce qu'ils veulent.
JEFF WITTENBERG
On vous a entendu ce matin cette écoute et puis le reste des informations que vous nous avez données ce matin. Merci beaucoup, Monsieur le Ministre de l'Économie et des Finances, Éric LOMBARD. La suite de télématin.
ÉRIC LOMBARD
Merci à vous.
MAYA LAUQUÉ
Merci beaucoup à tous les deux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 mars 2025