Entretien de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec TF1 le 7 mars 2025, sur le conflit en Ukraine et les tensions commerciales avec les États-Unis.

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  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : TF1

Texte intégral

Q - Bonjour, Laurent Saint-Martin.

R - Bonjour.

Q - Alors que les 27 pays européens validaient hier soir un accord pour réarmer l'Europe, Donald Trump, le président américain, a mis en cause notre engagement dans l'OTAN, cette fois-ci. "Si les États-Unis avaient un problème et qu'on appelait la France, vous pensez qu'ils viendraient de nous aider ? Je n'en suis pas sûr", dit-il. Le chef de l'État a répondu : "Nous sommes des alliés loyaux et fidèles". Il demande le respect. Est-ce que vous considérez toujours ce matin que les États-Unis, avec des échanges comme ceux-là, sont un allié ?

R - Il faut que les États-Unis restent un allié, tout simplement parce que l'enjeu est trop grave et trop important. Et de toute façon, l'Histoire l'a démontré.

Q - Il le faut, mais est-ce qu'ils le sont ?

R - La France, les pays européens qui, aujourd'hui, sont ensemble dans le soutien total à l'Ukraine, doivent aussi compter sur les États-Unis. Et on voit bien d'ailleurs qu'il va y avoir un dialogue qui va se poursuivre entre le président ukrainien et l'administration Trump. C'est une bonne chose, parce que maintenant, la seule chose qui compte, c'est de pouvoir arriver à un processus de paix juste, durable. Vous savez, c'est la seule priorité du Président de la République, Emmanuel Macron.

Q - Mais qu'est-ce que cherche Donald Trump quand il dit ça ? Qu'est-ce qu'il cherche vraiment ? Vous comprenez son attitude ?

R - Depuis sa prise de fonction pour ce nouveau mandat, Donald Trump a beaucoup de prises de parole différentes, soit sur les sujets de défense, soit sur les sujets commerciaux - qui me concernent davantage -, avec parfois des prises de position qui sont différentes d'un jour à l'autre, vous l'avez bien observé. Je crois que dans ces moments-là, il faut garder un certain calme et surtout être concentrés sur un objectif. L'objectif, c'est qu'il n'y ait pas de capitulation ukrainienne. L'objectif, c'est que l'Ukraine, dans ses conditions, puisse bénéficier d'une paix juste et durable. Et notre objectif comme Européens, c'est non seulement d'être à la table de ces discussions, mais aussi de garantir notre propre sécurité. C'est pour cela que ce qui s'est passé hier à Bruxelles est extrêmement important. C'est pour cela que ce qui va se passer mardi avec la réunion des chefs d'état-major des armées des pays qui le peuvent est crucial.

Q - Autour du chef de l'Etat.

R - L'Europe doit renforcer sa capacité de défense, justement - ça répond à votre question - aussi pour anticiper.

Q - En cas de désengagement américain.

R - Justement pour anticiper une évolution du positionnement américain vis-à-vis de l'Europe.

Q - J'ai envie de vous dire que si on n'avait que Donald Trump comme souci, ce ne serait peut-être pas plus mal, parce qu'il y a un problème aussi avec Vladimir Poutine. Hier, quelques heures avant, des propos quand même incroyables : il fait une allusion à Napoléon. " Il existe encore des gens qui veulent retourner au temps de Napoléon, en oubliant comment ça s'est terminé ". Il le dit à propos du président français. Je rappelle qu'il fait donc allusion à la défaite de Napoléon. Là encore, réponse du Président, qui qualifie Vladimir Poutine d' "impérialiste révisionniste". Qu'est-ce qu'on cherche exactement ? Où est-ce qu'on va aller avec des échanges d'une telle intensité, d'une telle gravité ? Je le souligne pour nos téléspectateurs : des échanges avec le président américain, le président russe de cette nature-là, en quelques heures, c'est inédit.

R - Pardon, mais qualifier Vladimir Poutine d'impérialiste, c'est un fait ; révisionniste, assez facilement vérifiable.

Q - C'est le deuxième mot qui pose problème.

R - Je crois que les erreurs qu'il fait sur l'Histoire quand il a tenu ces propos sont aussi assez vérifiables. Ce qui compte, encore une fois...

Q - Mais ça traduit son état d'esprit. Il veut défaire la France comme la Russie de l'époque a défait Napoléon.

R - Non mais attendez. Qui a agressé qui ? La Russie a agressé l'Ukraine. L'Europe défend l'Ukraine et continuera à la défendre quelle que soit la nécessité pour pouvoir continuer à la soutenir militairement. Nous le ferons.

Q - "Même pas peur", d'une certaine manière ?

R - Mais ce n'est pas une question de peur ou de "pas peur", c'est une question de sécurité et de défense de l'Europe. Rendons-nous compte de ce qu'il se joue : c'est l'avenir de l'Europe dont on parle.

Q - On s'en rend bien compte quand on voit les déclarations.

R - Rendons-nous compte de la gravité de la situation. Oui, l'agresseur c'est la Russie. Oui, si nous laissons faire la Russie, si nous laissons perdre la guerre à l'Ukraine, vous croyez que les Russes vont s'arrêter à l'Ukraine ? Donc l'enjeu, il est fondamental pour l'avenir de l'Europe et donc pour l'avenir des Français.

Q - Donc parlons de notre réponse. Vous l'avez rappelé, l'objectif c'est de plus dépenser pour nos armées.

R - Oui.

Q - Le Président, la République l'a dit, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dit aussi une trentaine de milliards d'euros par an. Soyons très clairs. Ça fait plusieurs jours qu'on se demande : "Où va-t-on trouver cet argent ?"

(...)

R - Et puis, il n'y a pas que l'enjeu national, il y a aussi comment, entre États européens, on est solidaires sur l'augmentation de ces efforts de dépense. Nous avons proposé depuis longtemps un endettement commun ; que cette idée fasse son chemin. Il y a aussi l'enjeu des financements privés, et je crois que le ministre de l'Économie et le ministre des Armées vont justement réunir à Bercy beaucoup d'acteurs pour résoudre cette équation-là. Ce qui est sûr, c'est que ce ne sont pas nos barrières budgétaires et la règle des 3% qui vont sauver l'Europe sur le front ukrainien. Et donc il faut aussi qu'on sache faire preuve de souplesse. D'ailleurs la position allemande est très intéressante, nous l'avons vu hier. Mettre plus de souplesse dans nos critères budgétaires européens pour permettre d'avoir une augmentation de nos dépenses militaires paraît tout à fait nécessaire.

Q - Sortir la partie militaire. Autre menace, parce qu'elle vous concerne tout directement, les droits de douane. Il y a une bonne nouvelle : Donald Trump a annoncé suspendre les droits de douane de 25% contre le Mexique et le Canada jusqu'au 2 avril. Quelles conclusions on peut en tirer pour nous ? Est-ce que ça veut dire qu'on va y échapper et que finalement cette question de droits de douane ne va pas se poser ?

R - Vous voyez que souvent Donald Trump varie sur les questions commerciales. Donc il est quand même difficile d'avoir une position ferme et définitive quand celle-ci peut être différente encore demain matin, si vous me réinvitez. Ce qui est sûr, c'est que la guerre commerciale, c'est une mauvaise idée pour tout le monde, à commencer par l'économie américaine. Ça crée de l'inflation. Vous voyez bien que les cours de bourse des entreprises américaines fluctuent énormément depuis ces annonces tarifaires. Une guerre commerciale n'est bonne pour personne. Et vous l'avez vu, les enjeux de sécurité en Europe sont des enjeux suffisamment graves pour qu'entre alliés et amis historiques, entre l'Europe, la France, les Etats-Unis, nous ayons en plus, justement, des agressions commerciales par des droits de douane qui sont inutiles pour tous.

Q - Si d'aventure il y a ces droits de douane, il y a des secteurs comme l'automobile, le vin, le luxe, la sidérurgie qui peuvent être touchés de plein fouet. Il y aura des aides de l'État ? On peut encore se le permettre ? On aidera ces secteurs ou c'est terminé tout ça ?

R - D'abord, s'il y avait des droits de douane définitifs, l'Europe ripostera. L'Europe protégera ses industries et mettra en face aussi des droits de douane. Attention, nous ne le souhaitons pas.

Q - Mais avec des impacts pour les secteurs.

R - J'ai eu un échange en compagnie d'Eric Lombard hier avec le secrétaire au commerce américain, M. Lutnick, et nous lui avons dit clairement mais fermement nos désaccords les plus clairs sur les impacts que créeraient justement des augmentations de droits de douane pour l'Europe, mais aussi et surtout pour les États-Unis. Et c'est de cela que nous devons essayer de convaincre l'administration Trump.

Q - Merci, Laurent Saint-Martin.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2025