Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche et du numérique, à Cnews le 20 mars 2025, sur l'interdiction du voile dans les compétitions sportives, la laïcité, la réforme des retraites, l'insécurité dans et autour des écoles, le renforcement des inspections dans les écoles privées et sur la censure du conte "la Belle et la Bête" réinterprété par Jul.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Élisabeth Borne - Mministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
  • Sonia Mabrouk - Journaliste

Média : CNews

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Élisabeth BORNE.

ÉLISABETH BORNE
Bonjour.

SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1. Ancienne Première Ministre, bien sûr, vous avez incarné la réforme des retraites, on va en parler, la réforme BORNE d'ailleurs, dont il est beaucoup question en ce moment. Vous êtes actuellement la ministre de l'Éducation Nationale. Il y a beaucoup de sujets à aborder avec vous ce matin et tout d'abord, le Gouvernement va donc soutenir, Élisabeth BORNE, la proposition de loi telle qu'elle est sortie du Sénat pour interdire le voile dans les compétitions sportives. Sur le fond, je dis bien sur le fond, François BAYROU a donc tranché en faveur de Gérald DARMANIN et de Bruno RETAILLEAU. Est-ce que ce matin, vous êtes désormais rangée derrière leurs lignes ?

ÉLISABETH BORNE
Alors, je vous remercie de me donner l'occasion de rétablir les faits. Il n'y a pas eu de débat sur la ligne lors de cette réunion parce que tous les ministres étaient favorables à l'interdiction des signes religieux dans les compétitions sportives. Comme ça a été relaté par certains de vos confrères, si François BAYROU a convoqué cette réunion, c'était pour rappeler la nécessité, l'exigence de solidarité gouvernementale et donc qu'on ne s'en prend pas à ses collègues par médias interposés.

SONIA MABROUK
Vous voulez dire que la ministre des Sports et vous-même, madame BORNE, vous étiez sur la même ligne que Gérald DARMANIN et Bruno RETAILLEAU. Je rappelle que vous avez estimé que les règlements intérieurs imposés par les fédérations sportives avaient été suffisants pour proscrire les signes religieux. Donc pas besoin de soutenir cette proposition de loi.

ÉLISABETH BORNE
Je voudrais dire très clairement que sur ces questions, je n'ai aucune leçon à recevoir de personne. Et si vous écoutez mes propos lundi dernier, je dis très clairement qu'il y a de l'entrisme dans le sport et que ça appelle à la plus grande vigilance. Puis je voudrais aussi rappeler qu'au printemps 2023, je suis la première à avoir défendu le règlement de la Fédération française de foot qui était attaquée devant le Conseil d'État, Conseil d'État qui lui a donné raison sur la possibilité d'interdire les signes religieux dans les compétitions sportives. Donc la ligne est claire : interdiction de tout signe religieux dans les compétitions sportives des fédérations. Peut-être dire que, vous voyez, quand on a ce débat sur qu'est-ce qu'on fait dans les compétitions sportives, je pense qu'on doit aussi se poser la question en amont. Quand on a des femmes ou des jeunes filles qui vous disent "mon père, mon frère, voire mon fils m'oblige à porter le voile", je pense que c'est un problème et que les ministres en charge, tout comme les parlementaires, devraient s'emparer de cette question "comment on protège ces femmes et ces jeunes filles ?".

SONIA MABROUK
On va en parler, j'entends vos propos clairs ce matin. Mais alors pourquoi Gérald DARMANIN vous a-t-il accusé, en tout cas pointé du doigt ou pointé du doigt, votre naïveté, madame BORNE, à vous et à la ministre des Sports ?

ÉLISABETH BORNE
Oui, alors je pense que les ministres qui étaient dans mon Gouvernement à l'époque doivent savoir que sur ces sujets, je n'ai aucune naïveté et que je pense qu'effectivement, il faut être extrêmement vigilant sur ces questions d'entrisme.

SONIA MABROUK
Pour la ministre que vous êtes, pour la citoyenne que vous êtes, pour la femme que vous êtes, pour la féministe affirmée que vous êtes, que représente le voile ? Est-ce que c'est un symbole de l'asservissement de la femme ou c'est un simple vêtement ?

ÉLISABETH BORNE
Alors, je sais qu'on est dans une époque où il faudrait que les choses soient noires ou blanches. Je pense que c'est plus compliqué que pour certaines femmes. C'est la traduction de convictions religieuses. Mais je le disais, quand on impose le port du voile à une femme, à une jeune fille, ça, ça me choque.

SONIA MABROUK
Moi, je me demande toujours, madame la ministre, parce que la France n'est pas une île, comment ce débat et ses réponses sont perçues, par exemple, par les Iraniennes qui nous écoutent et qui, elles, se battent pour ne pas pouvoir le porter, selon vous ?

ÉLISABETH BORNE
Oui, mais bien sûr. Moi, je pense qu'aucune femme ne doit se voir imposer le port du voile.

SONIA MABROUK
Mais pour vous, ce n'est pas forcément un signe de soumission, d'inégalité ?

ÉLISABETH BORNE
Vous savez, vous en avez certaines qui font ce choix, je pense que ce dont on doit s'occuper, c'est de s'assurer qu'aucune femme ne subit des pressions pour porter le voile.

SONIA MABROUK
Le voile est interdit, bien sûr, à l'école, Élisabeth BORNE, par la loi. L'abaya et le qamis par circulaire, de Gabriel ATTAL. Continuer cet entrisme dans le sport et à l'école, vous en conviendrez. Est-ce qu'il faut aller plus loin, comme l'a préconisé, il y a quelques temps, Bruno RETAILLEAU, affirmant que c'était son avis personnel, et étendre l'interdiction aux accompagnatrices de sortie scolaire. Il a parlé de l'école hors les murs ; vous n'étiez pas d'accord. Est-ce qu'aujourd'hui, eu égard à la situation, vous avez changé d'avis ?

ÉLISABETH BORNE
Alors d'abord, vous avez raison de rappeler que l'école publique est protégée par la loi de 2004 qui proscrit tous signes religieux ostentatoires, donc dans ces écoles, collèges, lycées publics. Mais vous savez, je pense que c'est important aussi de se rappeler de ce qu'est la laïcité dans notre pays. C'est la liberté de croire ou de ne pas croire avec un principe de neutralité de l'État, des services publics et de ses agents. Et on protège à l'école publique les enfants parce qu'on est à un moment où…

SONIA MABROUK
Qui a oublié ? Qui a oublié ce que c'était la laïcité.

ÉLISABETH BORNE
Je dis ça parce que moi, j'ai assisté à un débat assez étonnant au Sénat à propos d'une proposition de loi du sénateur LAFON où certains voulaient imposer la laïcité dans les établissements privés sous contrat. Donc je rappelle qu'ils sont à 96 % catholiques.

SONIA MABROUK
Pour enlever quoi ? Un crucifix ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense qu'à un moment donné, on finit par perdre aussi nos repères. Donc c'est un équilibre, la laïcité, entre la liberté de croire ou de ne pas croire et puis des limites qui sont posées par précisément cette exigence de neutralité, par la nécessité de protéger la liberté de conscience et de protéger les élèves contre des pressions et puis quand il y a des raisons d'ordre public. Et je pense que c'est important de garder ce cap.

SONIA MABROUK
Mais il y a plus de l'entrisme islamiste que catholique, je crois qu'on est tous d'accord.

ÉLISABETH BORNE
Oui, mais vous voyez, je pense qu'il faut garder ce cap parce que sinon…

SONIA MABROUK
Donc non pour les accompagnatrices.

ÉLISABETH BORNE
Non, moi je pense que, je vous dis, les agents du service public, les élèves dans les écoles publiques.

SONIA MABROUK
Avant de revenir à l'école, Élisabeth BORNE, une question d'actualité, autre chose sur la réforme des retraites. La réforme que vous aviez portée, c'était au tour, c'est au tour d'ailleurs de la CGT maintenant de quitter la table négociation et de claquer la porte depuis que François BAYROU a pillé le jeu et affirmé qu'il n'y aura pas de retour à l'âge légal de 62 ans. Le conclave est mort, il est enterré, on peut lui apporter une couronne de fleurs ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense que les discussions se poursuivent heureusement…

SONIA MABROUK
Entre qui et qui ?

ÉLISABETH BORNE
Entre certains syndicats et certaines organisations patronales.

SONIA MABROUK
C'est un tête-à-tête alors.

ÉLISABETH BORNE
Je pense qu'on a raison de faire confiance aux partenaires sociaux dont certains ont dit qu'ils avaient des propositions d'amélioration de la réforme. Par contre, le cadre a été fixé dès le départ. Il faut assurer l'équilibre du système de retraite. Donc ceux qui voudraient abroger la réforme qui a été portée avec Olivier DUSSOPT, qu'on a portée en 2023, je pense qu'ils ne disent pas la vérité aux Français. On ne peut pas abroger cette réforme et revenir à 62 ans, sachant que si on abroge la réforme, on abroge aussi les nombreux avantages, les 7 milliards d'euros d'avantages, la revalorisation des plus petites pensions, le fait de pouvoir partir plus tôt pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, pour ceux qui sont dans des métiers pénibles. Voilà, je pense que le cadre était clair.

SONIA MABROUK
Donc revenir à 62 ans, c'est mentir aux Français.

ÉLISABETH BORNE
Prétendre qu'on peut abroger purement et simplement cette réforme alors que la Cour des comptes nous a redit que le système n'est pas à l'équilibre et que sa pérennité nécessite qu'il soit à l'équilibre, je pense que ça n'est pas dire la vérité aux Français.

SONIA MABROUK
Vous savez, nous on écoute ce qu'avait dit le Premier ministre, il s'était engagé à ce que les négociations soient sans totem et sans tabou.

ÉLISABETH BORNE
Sous réserve d'assurer l'équilibre de la réforme.

SONIA MABROUK
Mais il n'était pas évoqué explicitement que le retour à 62 ans était impossible. Est-ce que le conclave, pour le dire clairement madame BORNE, ce n'était pas le prix en fait pour ne pas être censuré et finalement c'est un scalpe qui a été donné finalement pour ne pas être censuré à la fin au socialisme ?

ÉLISABETH BORNE
Moi j'entends un certain nombre d'organisations syndicales, par exemple la CFDT qui dit qu'elle a des propositions pour améliorer la réforme. Vous savez que 4 Français sur 10, dans le cadre de cette réforme, n'ont pas à attendre 64 ans pour partir à la retraite. Si on a des améliorations possibles pour ceux qui ont des carrières difficiles, des métiers pénibles, je pense que ce sont des choses qu'il faut regarder.

SONIA MABROUK
On poursuit notre grande interview sur CNews et Europe 1 avec vous Élisabeth BORNE. On va revenir à l'école, à l'insécurité autour et dans les établissements scolaires. Ce lundi, un élève du lycée d'Alfortville a été hospitalisé après avoir été attaqué au couteau dans l'enceinte même de l'établissement. Vous avez évidemment immédiatement condamné l'agression, réaffirmé l'urgence d'instaurer des contrôles renforcés à l'entrée des écoles. Honnêtement, face à un tel fléau, est-ce que ce n'est pas une mesure gadget ? Est-ce que le problème n'est pas plus profond ?

ÉLISABETH BORNE
Alors il y a un problème de montée de la violence dans toute la société chez des jeunes de plus en plus jeunes. Donc il faut qu'on s'attaque à ces sujets-là. Moi, je pense que c'est important qu'on puisse avoir des fouilles aléatoires avec l'appui de la police et de la justice à l'entrée de certains établissements, dans certaines circonstances, pour dissuader les élèves de venir dans les collèges, dans les lycées avec des armes blanches. Je crois qu'il faut évidemment que l'école reste un lieu où on est protégé.

SONIA MABROUK
Ça, c'était une phrase qu'on pouvait peut-être dire dans le passé. Des grands pédopsychiatres comme Maurice BERGER, mais aussi de grands magistrats comme Béatrice BRUGÈRE ; tous deux spécialistes, madame BORNE, de la violence des mineurs. Ils parlent de continuum. Autrement dit, on ne devient pas violent à l'adolescence, ça commence parfois aux primaires. Comment, selon vous, on peut inculquer le respect de la loi et de l'autorité dès le plus jeune âge ? Est-ce que vous en faites une priorité dans votre ministère ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense que c'est, comme vous le dites, on voit qu'on a de la violence chez des jeunes de plus en plus jeunes. Et je crois qu'il faut réagir, je suis convaincue qu'il faut réagir dès les premiers signaux, dès qu'on a un jeune qui a un comportement où il peut perturber la classe, où il ne respecte pas le professeur.

SONIA MABROUK
Y compris en primaire.

ÉLISABETH BORNE
Et pour ça, il faut qu'on fasse bloc. Et je suis convaincue qu'il faut qu'on agisse. Bien sûr, l'école, les parents, les mères, qui ont aussi la capacité de faire des rappels à l'ordre, la justice, la police, les départements…

SONIA MABROUK
Les parents qui sont parfois eux même le problème.

ÉLISABETH BORNE
Certains parents qui peuvent effectivement ne pas respecter les professeurs. Mais vous voyez, je pense qu'il faut vraiment qu'on fasse bloc pour apporter des réponses, redonner un cadre le plus tôt possible quand on a des jeunes qui ont perdu leur repère et qui peuvent commettre des actes violents, de la violence verbale, de la violence physique, au sein des écoles.

SONIA MABROUK
Fut un temps, vous l'avez connu et je l'ai connu, où les cours d'éducation morale et civique inculquaient quand même le respect de cette autorité. Certains disent que c'était l'école d'avant, l'école conservatrice, disent-ils. Mais quand même, il y avait un respect de l'instituteur, de l'école comme lieu de savoir. Est-ce que vous reconnaissez, madame BORNE, aujourd'hui, avec le recul, l'échec de certaines politiques éducatives qui ont abandonné les sanctions, l'estrade également ?

ÉLISABETH BORNE
Moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'aujourd'hui, comme hier, on doit effectivement inculquer – comme vous dites – aux jeunes, le respect de l'autorité. On doit aussi transmettre le goût du savoir, le goût de l'effort aussi, et je pense que c'est la responsabilité de l'école. Ça veut dire que quand l'autorité du professeur n'est pas respectée, quand des enseignements sont contestés, quand il y a de la violence dans les établissements, moi, je serai toujours aux côtés des enseignants pour les soutenir.

SONIA MABROUK
La première incartade, c'est un conseil de discipline ?

ÉLISABETH BORNE
Je l'ai dit. Moi, je pense notamment, quand on a des armes blanches dans un établissement, ça doit être automatiquement un conseil de discipline.

SONIA MABROUK
Ce qui est incroyable, c'est que ça ne l'était pas.

ÉLISABETH BORNE
Ça l'était souvent, généralement.

SONIA MABROUK
Si vous le demandez c'est que…

ÉLISABETH BORNE
Non, je le demande parce que je pense qu'il n'y a même pas à réfléchir ; quand on a une arme blanche dans un établissement, il doit y avoir un passage devant un conseil de discipline.

SONIA MABROUK
Parlons du niveau à présent, madame Élisabeth BORNE. Des groupes de niveau étaient prévus. Vous avez préféré le terme groupe de besoin. Je ne sais pas si on a encore le luxe de jouer sur les mots quand le niveau de nos élèves, malheureusement, est aussi bas dans les matières fondamentales. Pourquoi être revenu ou avoir détricoté le choc des savoirs de Gabriel ATTAL ?

ÉLISABETH BORNE
Je voudrais rappeler que quand Gabriel ATTAL a présenté son choc des savoirs, j'étais Première ministre. Donc, j'ai nécessairement validé les orientations qui sont portées. Le changement de nom s'est fait avant que j'arrive dans ce ministère. Et évidemment, je pense que cette exigence de relever le niveau des élèves est absolument essentielle. Et c'est naturellement ce que je continue à porter. Je ne peux pas accepter que la place de la France dans les classements internationaux se dégrade. Et donc, à la fois donner à chaque élève les capacités de réussir et remonter le niveau, c'est vraiment ce que je porte.

SONIA MABROUK
Vous avez fait de l'éducation sexuelle à l'école une priorité. Nous allons en parler, Élisabeth BORNE. Mais d'abord, suite aux révélations sur les violences sexuelles à Notre-Dame de Bétharram, vous avez annoncé un renforcement des contrôles et une remontée désormais systématique des faits de violence dans l'enseignement privé sous contrat. Tout devrait être effectif, je suppose, rapidement. Vous nous direz à quelle échéance. Vous allez recevoir tout à l'heure monsieur ESQUERRE, qui est le lanceur d'alerte dans cette affaire. Qu'est-ce que vous allez prévoir très rapidement ?

ÉLISABETH BORNE
Ma priorité, je le redis, c'est faire réussir chaque élève et relever le niveau. On pourra reparler de l'éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité. Mais sur la prévention des violences, moi, j'ai présenté un plan qui est "Brisons le silence, agissons ensemble" et qui repose sur trois piliers : signaler, mieux recueillir la parole des élèves et contrôler. Et je pense que c'est très important que, quel que soit le statut de l'établissement, privé ou public, on ait cette même exigence.

SONIA MABROUK
Pas de différence de statut, évidemment. Il n'y a pas un organisme de contrôle pour le privé et pas forcément pour le public.

ÉLISABETH BORNE
C'est la même exigence pour chacun, faire remonter systématiquement les faits de violence. Donc, il y a une application qui existe dans le public qui doit se déployer dans le privé pour les faits de violence. C'est aussi recueillir la parole des élèves et avec, par exemple, des questionnaires systématiques tous les trimestres pour les élèves en internat. Et puis, c'est des contrôles, plus de contrôles. Donc, les moyens que j'ai pu affecter, en complément de ce que ma prédécesseure avait d'ores et déjà décidé. Je pense que c'est important que, dans aucun établissement, qu'il soit public, qu'il soit privé, il n'y ait des violences sur les élèves.

SONIA MABROUK
Pour le contrôle, est-ce qu'il ne faudrait pas un organisme totalement indépendant ?

ÉLISABETH BORNE
Vous savez, les inspecteurs qui interviennent, appuyés par l'inspection générale. Je souhaite qu'on ait une mission d'appui permanente de l'inspection générale pour former, pour superviser les contrôles, pour intervenir dans les situations les plus difficiles.

SONIA MABROUK
Je note qu'avant la question, vous avez répété, Élisabeth BORNE, que votre priorité, c'est évidemment le savoir, l'apprentissage des matières fondamentales. Malgré tout, vous avez fait de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, une priorité. Normalement, ça devrait commencer à la rentrée pour septembre. Et je cite, "dès l'âge de trois ans, avec deux axes, apprendre qu'on peut accepter et refuser, et puis distinguer les assignations de rôle, évidemment, notamment dans les cours d'école." À trois ans, madame la ministre, qu'est-ce qu'on peut accepter ou refuser ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense que c'est important, très jeune, de dire aux enfants qu'on doit respecter leur intimité, qu'on doit respecter leur corps. Vous savez, il y a 160 000 agressions sexuelles sur des mineurs chaque année, et souvent dans le cadre familial, donc apprendre que certains comportements d'adultes ne sont pas normaux et qu'il faut pouvoir s'adresser à une personne de confiance, libérer la parole des enfants, ça me semble important.

SONIA MABROUK
Ce qui m'a choquée, c'est à trois ans, accepter ou refuser… À trois ans, on a la capacité de comprendre qu'on peut accepter ou refuser ?

ÉLISABETH BORNE
À trois ans, on doit apprendre à un enfant que certains comportements doivent être refusés et qu'il faut se confier à une personne de confiance.

SONIA MABROUK
Le ministère de l'Éducation nationale que vous représentez se fixe beaucoup de priorités : l'éducation à la sexualité, l'intelligence artificielle. Qu'en est-il plus prosaïquement, Élisabeth BORNE, de l'apprentissage à lire, à écrire, à compter et à raisonner ? Comment on continue à ouvrir, très honnêtement, autant de chantiers lorsqu'on n'est pas capable de garantir que 100 % des élèves de CM2 ont acquis les fondamentaux aujourd'hui ?

ÉLISABETH BORNE
La priorité, c'est l'acquisition des fondamentaux. Mais vous voyez, ce dont on vient de parler depuis ces dernières minutes, c'est aussi qu'on attend de l'école qu'elle apprenne à respecter l'autorité, qu'on apprenne les valeurs de la République. Et ces comportements citoyens, je pense que c'est aussi une des responsabilités de l'école.

SONIA MABROUK
Intéressant, vous employez le mot citoyen. Face à la Commission éducation et culture de l'Assemblée nationale, vous avez déclaré que votre première priorité pour l'école est de former des citoyens. Pourquoi ? C'est-à-dire, des citoyens ?

ÉLISABETH BORNE
Non mais je pense qu'on allait attenir les deux volets. Vous voyez à la fois l'acquisition des savoirs fondamentaux et puis aussi, dans un monde qui est compliqué où il peut y avoir des remises en cause, y compris de certaines vérités, former des citoyens libres, éclairés, responsables qui connaissent les règles de notre société et qui les respectent. Je pense que c'est important.

SONIA MABROUK
Plutôt que la citoyenneté, vous avez incité sur des êtres libres de s'émanciper de toute doctrine politique et quelle que soit la définition de la citoyenneté. C'est finalement l'école de Jean ZAY, de CAMUS et de Jules FERRY.

ÉLISABETH BORNE
Je pense qu'elle est plus que jamais nécessaire. Vous voyez, à l'heure des réseaux sociaux, des chaînes d'information continue, former des citoyens libres, je pense que c'est important.

SONIA MABROUK
Nous sommes restés la plupart des grands enfants, vous êtes d'accord, ÉLISABETH BORNE, adepte des contes comme La Belle et la Bête ; un conte qui a été modernisé, adapté. Vous me direz d'ailleurs pourquoi il faudrait les moderniser et les adapter, ces contes magnifiques. Mais ça a été le cas avec le dessinateur Jul que vous avez préfacé, je crois. C'est bien ça ?

ÉLISABETH BORNE
Non, je n'ai finalement pas préfacé.

SONIA MABROUK
Alors pourquoi ? C'est la question… Parce que ce conte, en tous les cas, cette version a été jugée trop adulte. On y voit la bête boire, ivre, chanter les lacs du Connemara, avoir un comportement qui n'est pas peut-être adapté à de jeunes enfants. Mais pour Jul, il estime que le problème n'est pas celui-là. Il estime qu'il a été censuré parce qu'il aurait, je mets des guillemets, "grand remplacé les princesses blondes par des méditerranéennes." Alors qu'est-ce qui vous a posé véritablement problème ?

ÉLISABETH BORNE
Vous savez, ce dont on est en train de parler, c'est un livre qui est remis chaque année à des élèves de 10 ans pour leur lecture pendant l'été, en famille, sans accompagnement pédagogique. Donc Jul a beaucoup de talent, il manie l'ironie, le second degré, mais sans accompagnement pédagogique, je pense que ça n'est pas effectivement adapté. Mais c'est un très beau livre qui pourra être utilisé dans un autre cadre.

SONIA MABROUK
Mais pas dans cette version. Qu'est-ce que vous reprochez ? Qu'est-ce qu'il a caricaturé ? Qu'est-ce qui n'allait pas ?

ÉLISABETH BORNE
Vous savez, il y a beaucoup de second degré, il y a beaucoup d'ironie. Et je le redis, il s'agit d'élèves de 10 ans pour une lecture en famille, sans décodage d'un second degré, de l'ironie. Moi, je souhaite que les élèves puissent passer des bonnes vacances avec des messages simples et sans doute dans le cadre de l'école.

SONIA MABROUK
J'entends mais je vais insister. Est-ce qu'il n'y avait pas un problème religieux également, de perception religieuse, puisqu'apparemment on y voit, je ne sais pas si c'est la bête qui mangerait du porc, alors qu'il est supposé être de confession musulmane, ou qu'il boit ? Est-ce que cela aussi aurait pu – de votre point de vue, je ne sais pas – heurter certains élèves ?

ÉLISABETH BORNE
Non, je pense que c'est, vous savez, c'est une réécriture moderne, effectivement, où on a un père de famille qui arrive d'Algérie…

SONIA MABROUK
Il est musulman.

ÉLISABETH BORNE
…qui doit commettre des fraudes.

SONIA MABROUK
Il boit. Il mange du porc.

ÉLISABETH BORNE
…qui se fait contrôler par les policiers.

SONIA MABROUK
Qui peut arriver quand même.

ÉLISABETH BORNE
Vous voyez cette réinterprétation ? Peut-être que dans un cadre avec des professeurs, on peut expliquer ce second degré, mais je vous dis, c'est un livre qui a vocation à être lu en vacances avec sa famille et sans ce décodage de ce second degré, qui est sans doute bien dans un cadre, mais pas pour le livre de vacances.

SONIA MABROUK
Donc les 800 000 exemplaires poubelles, bon, ce n'est pas grave. Voilà, l'argent a été dépensé.

ÉLISABETH BORNE
L'argent n'a pas été dépensé, les livres n'ont pas été tirés. Et c'est certainement un ouvrage intéressant, mais pas pour ce cadre pédagogique.

SONIA MABROUK
Madame la ministre, pour terminer, et si on gardait les versions originales, les vrais classiques, on n'aurait pas ces problèmes-là de modernisation, d'adaptation, d'explication, de pédagogie ?

ÉLISABETH BORNE
Les élèves pourront lire l'Odyssée. Je pense que c'est une très belle histoire qui mérite d'être connue par tous nos élèves.

SONIA MABROUK
Merci Élisabeth BORNE, c'était votre grande interview. Bonne journée à vous et à bientôt.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2025