Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " La remise en cause du pacte vert européen : l'urgence de clarifier la position française. "
Ce débat a été demandé par le groupe Socialistes et apparentés. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses.
Puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Je suis très heureux d'intervenir ce soir avec Agnès Pannier-Runacher pour clarifier nos intentions pour la transition écologique en Europe, s'agissant notamment du pacte vert pour l'Europe.
La France a été l'un des principaux soutiens du pacte vert, et le restera. Le pacte vert propose depuis cinq ans une vision cohérente de la transition, mobilisant les entreprises et liant décarbonation, économie circulaire, protection de la nature et de la biodiversité. Soixante-dix textes ont été publiés et la France a joué un rôle moteur, notamment à travers l'adoption du paquet Fit for 55, sous la présidence française de l'Union européenne.
Le pacte vert est plus que jamais d'actualité : notre intention, je l'ai répété lors des questions au gouvernement cet après-midi, est d'avoir une Europe " zéro net " en 2050. Nous le devons aux générations futures, qui sinon risquent d'en payer les conséquences.
La température moyenne a dépassé de 1,2 degré en 2019 et de 1,5 degré en 2024 –? l'année la plus chaude jamais enregistrée – la température moyenne de l'ère préindustrielle. Nous avons tous à l'esprit des drames humains, les incendies de Los Angeles, les inondations de Valence et le cyclone Chido, qui a dévasté Mayotte. Météo France a publié la semaine dernière un rapport qui confirme que les phénomènes extrêmes iront croissant, avec des conséquences toujours plus lourdes sur l'ensemble de l'économie. Les dernières estimations du réseau des banques centrales sur le climat montrent qu'un réchauffement mondial atteignant 3 degrés en 2100 diminuera dès 2050 le PIB mondial de quinze points par rapport à un monde sans changement climatique. Ce qui confirme la phrase d'un de nos grands économistes : " Le meilleur investissement que nous puissions faire, c'est l'investissement dans la transformation écologique. "
Il ne s'agit donc pas de remettre en cause le pacte vert pour l'Europe, mais de le mettre en œuvre de façon intelligente pour en faire non seulement notre principal outil écologique, mais un atout de compétitivité et de souveraineté. Dans le contexte international tourmenté que nous connaissons, doublé de tensions commerciales et de la concurrence déloyale d'autres juridictions, c'est même un impératif.
Permettez-moi de relever deux points avant de conclure.
Le premier, c'est l'exigence d'une mise en œuvre pragmatique. La simplification, c'est aussi un facteur évident de compétitivité et une condition de bonne appropriation de la mesure par les entreprises –? on le voit dans les débats actuels. C'est pourquoi la simplification a été intégrée dans le pacte vert dès sa conception. Nous allons conserver notre cap parce que la stabilité est une vertu en économie –? les derniers indicateurs sont d'ailleurs un peu plus positifs. Les acteurs que je rencontre tous les jours sont engagés sincèrement dans cette transition. Nous allons être pragmatiques parce que nous apprenons en marchant : les entreprises ne nous demandent pas de renoncer, mais réclament de l'intelligence dans l'application des dispositifs du pacte vert, conformément à sa philosophie même.
En ce sens, la Commission européenne, avec notre soutien, a proposé un pacte pour l'industrie propre –? le Clean Industrial Deal, en moins bon français –, qui complète le pacte vert dans le cadre de la Boussole de la compétitivité, dans la logique du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le MACF. À ce propos, je rappelle que 70% des entreprises qui auraient dû déclarer leurs importations étaient des PME… Nous soutenons la position de la Commission de fixer dorénavant à 50 tonnes le seuil d'import minimum pour cette obligation déclarative. Avec cette simplification très importante, 92% des importateurs ne seront plus soumis à l'obligation de déclaration, étant entendu que les 8% restants représentent 98% des émissions. On conserve donc bien le même objectif, tout en simplifiant la vie des PME.
C'est dans le même esprit que nous avons maintenu avec fermeté, face à d'autres États membres, le cap de 2035 pour l'automobile décarbonée en adaptant à court terme le règlement Cafe –? relatif à la consommation moyenne des voitures neuves. Il s'agissait de ne pas pénaliser injustement les constructeurs engagés dans l'électrification.
J'en viens à mon second point : la sortie des énergies fossiles demeure absolument impérative. La transition écologique devient une force pour l'Europe parce qu'elle réduit ses dépendances aux énergies fossiles. C'est donc un enjeu de durabilité, au sens écologique et économique du terme –? il s'agit de maintenir sa compétitivité et sa souveraineté. Les importations de produits fossiles ont coûté à la France 75 milliards d'euros en 2023 et proviennent à plus de 90% de pays extra-européens. Le pacte vert représente pour nous l'occasion de nous défaire de ces dépendances, d'autant que notre souveraineté énergétique impose de produire davantage sur notre territoire l'énergie que nous consommons et que l'énergie décarbonée qui remplacera les énergies fossiles doit être compétitive et souveraine, issue à la fois du nucléaire et du renouvelable.
À cette fin, la neutralité technologique doit se généraliser en matière énergétique et le soutien au nucléaire doit se renforcer au niveau européen.
Je vous parle ce soir à la fois comme ministre de l'économie et des finances et comme citoyen, engagé de longue date dans ces combats. La défense du pacte vert va continuer à nous mobiliser. Nous souhaitons le faire en avançant, sans trahir son ambition initiale, parce que c'est un pacte avec nos entreprises, mais de façon encore plus importante, avec les générations futures.
M. le président
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Je n'ai pas un mot à retirer de l'intervention d'Éric Lombard. Je compte sur lui pour porter cette vision en matière d'investissement dans les discussions à venir… qui pourraient concerner mon budget. (Sourires.)
Merci pour l'organisation de ce débat sur un sujet essentiel : la position de la France sur le pacte vert européen. Ce débat intervient à un moment charnière, alors que certains voudraient remettre en cause la trajectoire ambitieuse que la France a soutenue et que nous avons collectivement définie.
Ce pacte n'est pas un simple exercice théorique : il représente la contribution concrète de l'Union européenne à la mise en œuvre de l'accord de Paris. Il a contribué à la réduction, en sept ans, des émissions de 20% en France –? soit les deux tiers de la trajectoire – par rapport à l'année de référence, 1990. Il matérialise un engagement clair : faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone d'ici 2050 –? la neutralité carbone intégrant la compensation carbone, dont les puits carbone –, en atteignant en 2030 un objectif intermédiaire de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.
Le pacte vert pour l'Europe se décline au travers d'une stratégie d'ensemble cohérente, qui couvre tous les secteurs. C'est l'un des succès de la présidence française de l'Union européenne de 2022, et l'un des atouts de notre continent pour mener une guerre économique qui se jouera autour de la transition écologique.
Arrêtons-nous un instant sur ce point. La transition écologique, c'est un enjeu de souveraineté, un enjeu d'indépendance, comme l'a dit Éric Lombard. Notre pays est dépendant à 99% s'agissant des énergies fossiles, et à 99,7% pour ce qui est des métaux critiques ! Cela nous invite à produire des énergies décarbonées et à recycler les métaux critiques sur notre territoire. Nous pouvons y parvenir. Encore faut-il qu'il y ait des incitations pour les entreprises et des règles du jeu cohérentes.
Au fond, c'est l'objectif du pacte vert. Bien sûr, il n'est pas parfait et on peut en discuter, mais il fallait poser au préalable ce cadre. Je défends cinq priorités pour que le pacte vert soit plus efficace.
La première priorité, c'est de donner de la visibilité sur l'après 2030. Il faut calculer notre empreinte carbone en tenant compte des importations, et ne pas nous limiter à la réduction des émissions de carbone secteur par secteur. Sans objectif commun partagé, aucun plan n'est possible. Les entreprises nous demandent d'avoir de la vision à long terme. Par ailleurs, c'est une obligation que nous nous sommes engagés à respecter en vue de la COP30, qui se tiendra en fin d'année au Brésil. Il est important d'entraîner à notre suite les autres pays du monde.
J'entends çà et là que ce ne serait pas juste que l'Europe soit la seule à faire des efforts. Je tiens à dire ici qu'il ne faut surtout pas sous-estimer les autres pays de la planète. Ainsi, la Chine, souvent pointée du doigt, devrait atteindre cette année son pic d'émissions ; elle est bien en avance par rapport à son plan sur le déploiement des énergies renouvelables parce qu'elle a compris que, derrière la transition écologique, une guerre économique est possible, et qu'elle a fait le choix d'investir systématiquement dans toutes les filières industrielles.
Au-delà de la réduction des émissions, nous plaidons pour l'introduction d'un objectif de réduction de l'empreinte carbone. Prenons un exemple : l'ouverture d'une usine en France, un fait essentiel pour notre réindustrialisation avec, à la clef, de la création de valeurs et d'emplois sur le territoire, ne peut pas être considérée comme un recul environnemental. Il faut savoir que cette usine sera probablement réalisée dans des conditions et avec des produits beaucoup plus exigeants d'un point de vue environnemental, dans le cadre d'une législation sociale beaucoup plus protectrice.
Deuxième priorité : la neutralité technologique. J'ai eu l'occasion d'exprimer ma préoccupation s'agissant d'un nouvel objectif d'énergies renouvelables pour 2040, tel qu'envisagé dans la lettre de mission révisée du commissaire Dan Jørgensen. Ce type d'objectif risque de nuire aux quinze États membres, dont la France, qui produisent ou comptent produire de l'énergie nucléaire. En France, 95% de l'électricité est déjà décarbonée et, pour ce qui est des renouvelables, nous allons au même rythme –? nous sommes même très légèrement en avance – que l'Allemagne : nous atteignons presque 23%.
Imposer un tel objectif revient à pénaliser ceux qui ont fait le choix du nucléaire, une énergie pourtant favorable au climat. Il est donc essentiel de reconnaître collectivement que le nucléaire constitue un bien commun européen –? sans oublier que c'est aussi parce qu'il s'agit d'une énergie pilotable. J'espère que l'Alliance européenne du nucléaire, que j'ai lancée en février 2023 et pour laquelle mon collègue Marc Ferracci est très mobilisé, nous y aidera.
Troisième objectif : accompagner le pacte vert d'une politique volontariste en matière industrielle et de recherche et développement. Je ne reviens pas sur le pacte pour l'industrie propre, qui a été évoqué. Je souhaite également que l'on soutienne des secteurs clés comme l'automobile ou l'acier. Je rappelle le travail qui a été fait sur la réglementation Cafe et sur la voiture électrique : il était important que les producteurs européens, engagés dans la transition verte, ne se retrouvent pas à subventionner leurs concurrents, alors même que le marché traverse une passe un peu difficile. Ils ne peuvent pas subir la double peine et je me réjouis que la Commission nous ait entendus.
Quatrième priorité : renforcer nos exigences vis-à-vis d'États tiers souvent moins-disants. Nous devons renforcer la lutte contre la concurrence déloyale que subissent nos entreprises. Il ne s'agit pas là de faire du protectionnisme, soyons clairs, mais simplement de faire payer le coût carbone aux entreprises des pays davantage émetteurs de CO2 et d'être vigilants sur les produits chimiques incorporés, qui peuvent affecter la santé de nos concitoyens. Quant au MACF, dont je soutiens le principe, il doit permettre d'introduire un prix du carbone pour les importations venues de pays qui n'en appliquent pas. Un tel mécanisme est tout à fait logique.
Enfin, cinquième et dernière priorité : simplifier, mais sans détricoter. J'ai souvent dit que l'écologie ne devait pas être regardée comme de la bureaucratie. Les deux n'ont rien à voir. Bien simplifier est une manière de mieux atteindre nos objectifs. Cela passe notamment par une instruction plus rapide des dossiers. Si, entre le moment où une entreprise dépose son projet de production d'hydrogène et celui où elle reçoit la notification du soutien européen, il s'écoule deux ans et demi, c'est que l'instruction du projet important d'intérêt européen commun (IPCEI) a été trop lente. Accélérer est une manière de simplifier.
Simplifier, c'est aussi traiter différemment les entreprises selon que leur chiffre d'affaires est de 50 millions d'euros, d'un milliard ou de 90 milliards. Elles n'ont rien à voir les unes avec les autres. En 2020, j'ai exposé la stratégie de la nation pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il faut reconnaître les spécificités de ces entreprises, créer un statut européen pour les jeunes entreprises innovantes, faciliter les aides d'État pour la transition énergétique, réduire les indicateurs superflus et privilégier l'action. J'imagine que notre discussion nous permettra de multiplier les exemples.
Le pacte vert offre l'occasion de construire une Europe souveraine, compétitive et décarbonée, mais, pour que nous y parvenions, il doit être réalisé, rééquilibré et juste. Vous pouvez compter sur moi pour défendre cette vision.
M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier (SOC)
Nous sommes très honorés de recevoir les ministres de l'économie et de l'environnement. Votre présence pour répondre à nos questions est une marque de respect, que je salue.
Comme j'aimerais croire l'histoire que vous nous avez racontée, celle d'une France qui, depuis quelques années, s'engage vaillamment, convainc et entraîne l'Europe, une histoire qui fait de nous une nation pionnière dans une Europe pionnière ! Ce n'est pas vraiment la réalité.
Je remonte le fil de l'histoire. Il y a vingt-cinq ans, Kofi Annan lance le Pacte mondial des nations unies : les entreprises se mettent en mouvement –? un guide Entreprises-Communautés affectées a été présenté ce matin –, l'idée progresse dans les esprits. Il y a huit ans, la France devient pionnière en adoptant la première loi sur le devoir de vigilance, qui en fixe les principes. Il y a un an, avec l'adoption des directives CSRD et CS3D, le devoir de vigilance passe à l'échelle européenne. Mais, depuis neuf mois et la nouvelle donne politique, tout s'évapore, tout se détricote.
C'est de cela que nous voulons parler ce soir. Derrière ces textes, il y a des millions de personnes en situation d'esclavage, des millions d'enfants au travail, des victimes des drames industriels ou agricoles –? partout dans le monde. Alors que ce nouveau mouvement économique, autour de la comptabilité extra-financière et du devoir de vigilance, se diffusait sur la planète, à Taïwan à propos des semi-conducteurs, en Amérique centrale avec la filière du cacao ou dans la région des Grands Lacs à propos des « minerais de sang », il est en train de s'effondrer, sous l'impulsion de forces que nous avons du mal à identifier mais sur l'origine desquelles vous nous éclairerez.
C'est un moment de folie, car il y a des valeurs qui n'ont pas de prix. Les grands intervenants que nous avons reçus aujourd'hui, Antoine Lyon-Caen, des chercheurs, des philosophes, mais également des députés européens et des représentants des plus grandes ONG françaises parlent d'un processus européen de " décivilisation ".
Entre le conte de fées, celui de la décarbonation joyeuse, et la décivilisation, il y a peut-être un chemin intermédiaire de vérité à trouver. C'est le but de cette soirée. Où en sommes-nous ? Quelle est la position de la France dans les négociations européennes qui visent, avec la directive omnibus, à détruire le principe du devoir de vigilance et à réduire presque à néant la perspective d'une comptabilité extra-financière ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre
Beaucoup de choses se détricotent et notre monde connaît une crise d'une extrême gravité –? c'est une évidence. Une guerre se déroule sur le continent européen, à 2 000 kilomètres de notre territoire. Nombre de pays s'éloignent des principes démocratiques qui fondent notre République. Les États-Unis sont passés sous une présidence, certes issue des urnes, qui tend à abandonner des principes sur lesquels le pays était un peu en retard mais progressait malgré tout –? désormais, ils militent pour les forages pétroliers, les énergies carbonées et prônent un développement qui ne respecte ni les diversités ni l'inclusion.
Dans ce monde, nous avons deux préoccupations. La première est de conserver la singularité européenne d'une trajectoire de transformation écologique, de pousser l'idée d'une communication extra-financière et d'un devoir de vigilance –? pour permettre aux valeurs que nous chérissons d'imprégner l'ensemble de la chaîne de production.
Parallèlement, nous devons tenir compte de la compétition encore plus difficile à laquelle les entreprises se livrent. En dialogue avec elles, nous avons procédé à quelques aménagements. Ces aménagements ne remettent pas en cause le fond. La CSRD s'applique en France, pour la phase 1, même si nous voulons réduire le nombre d'indicateurs ; pour la phase 2, nous souhaitons obtenir une simplification et un délai –? c'est le but de la directive omnibus.
Nous souhaitons par ailleurs que la CS3D soit simplifiée. Grâce à une loi que vous connaissez mieux que personne, monsieur Potier, le devoir de vigilance s'applique déjà dans notre pays. Il doit s'appliquer à toute l'Europe, moyennant les simplifications souhaitées par la majorité de nos partenaires. Les principes de responsabilité civile des entreprises et de devoir de vigilance sont maintenus. Malgré le basculement que connaît le monde, il me semble que les textes proposés par la France et soutenus par l'Union européenne défendent ces valeurs, importantes pour vous, et que nous partageons. J'espère que nous pourrons le démontrer dans nos prochaines réponses.
M. le président
La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy Pahun (Dem)
Je remercie M. Potier d'avoir permis ce moment d'échange privilégié avec les ministres de la transition écologique et de l'économie. Ce n'est pas rien !
Madame la ministre, vous avez dit qu'il fallait rendre visible la transformation écologique. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a élaboré, pour les trente ans qui viennent, un plan simple qui vise à changer l'état d'esprit et le comportement de 2% des Français, chaque année. Pourrait-il nous servir de feuille de route ?
Je remercie les ministres d'avoir rappelé la position du président de la République –? je le dis d'autant plus facilement qu'il n'y a que des socialistes ici –,…
M. Benoît Biteau
Pas que…
M. Jimmy Pahun
…qui a toujours défendu l'idée d'une Europe solide, d'une Europe solidaire, d'une Europe qui va de l'avant. Ce drame qu'est la guerre en Ukraine n'est-il pas l'occasion de retravailler avec une Europe qui a envie de nous suivre, de vous suivre ? Nous avons reçu en début de séance des experts de grande qualité, encore plus utopistes que Dominique Potier –? c'est dire. Ils sont convaincus qu'à terme, les pays lointains feront leurs les normes que nous avons adoptées. Même si je pense que ce sera difficile, je le souhaite de tout cœur. Sinon, comment échapper à des cochonneries comme Shein ?
Ma dernière réflexion s'adresse à mes collègues socialistes présents autour de la table. Depuis les élections européennes du mois de juin, il y a entre vous et nous, à propos de l'Europe, l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette –? deux feuilles peut-être entre les écologistes et nous. Pourquoi n'arrivons-nous pas à nous faire entendre plus fortement face aux pays qui adoptent des politiques illibérales, comme la Hongrie, et désormais les États-Unis ? On croit rêver en observant ce qui se trame outre-atlantique. Ce pays ne risque-t-il pas d'imploser, du fait du comportement de son leader ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je veux revenir sur la question posée par M. Potier. Ma réponse fera le lien avec l'intervention de M. Pahun. Parler d'effondrement est très exactement le discours qu'attendent les ennemis du climat. Il ne faut pas être tétanisé par l'action et mesurer qu'on a fait, en sept ans, beaucoup plus qu'au cours des vingt années précédentes, à cause de l'accélération de l'histoire et grâce au pacte vert.
Je vais donner quelques chiffres, certifiés par des tiers de confiance. La France a baissé ses émissions de gaz à effet de serre de 20% en sept ans. Le taux d'oxydes d'azote (NOx) dans l'air a chuté de moitié dans les deux principales zones à faibles émissions (ZFE). On peut regarder la moitié du verre qu'on veut mais, pour ma part, j'insiste sur les solutions qui ont été mises en place et qui ont un effet positif. Dans le bruit ambiant, ne pas le reconnaître…
M. Dominique Potier
Ce n'est pas mon cas !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…conduit à une paralysie. Or, sur le terrain, beaucoup de maires et de présidents d'agglomération me demandent pourquoi nous envisageons de changer certaines lois, alors qu'ils les ont mises en œuvre et ont passé le cap le plus difficile. Ils me demandent plutôt de ne rien changer, maintenant que le plus dur est fait.
J'en viens au plan du SGPE. Il s'incarne dans plusieurs textes : la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui doit faire l'objet de dernières consultations ; la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), pour laquelle la consultation s'achève ; le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), que j'ai présenté au début du mois ; la stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), qui est en phase de finalisation. Ainsi, le plan du SGPE, qui résulte de la consolidation du travail interministériel mené depuis près de trois ans, continue à s'appliquer, conformément à ses bases de départ.
S'agissant des États-Unis, laissons les Américains s'occuper de leur pays ; je pense que nous n'avons pas à nous en mêler.
En revanche, vous avez raison de souligner qu'il existe au sein du Parlement européen une grande proximité entre les positions du PSE, des Verts et de Renew au sujet du pacte vert. Il y aurait un réel intérêt à peser dans la balance dans ce moment de rééquilibrage politique. Pour ce qui me concerne, je pense qu'il est nécessaire de répondre à la demande de compétitivité de la part des entreprises. Cette question me semble parfaitement conciliable avec l'écologie, nous devons y travailler.
M. le président
Je laisse un peu de souplesse mais j'invite chacun et chacune à respecter son temps de parole parce que les demandes d'intervention sont nombreuses et qu'il serait bon que nous puissions aborder tous les sujets.
La parole est à M. Laurent Panifous.
M. Laurent Panifous (LIOT)
Tout d'abord, je tiens à remercier Dominique Potier et le groupe socialiste d'avoir placé la question du pacte vert au cœur des débats de l'Assemblée nationale ce soir. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir les catastrophes que peuvent subir nos territoires d'outre-mer. Je pense ce soir à eux et, plus généralement, à toutes celles et à tous ceux qui, à travers le monde, souffrent, à commencer par les plus modestes.
Je ferai une observation et poserai une question.
L'observation, d'abord. Quel décalage entre les réalités économiques et commerciales, les déclarations individuelles et les prétendues ambitions collectives, entre la nécessité de fixer des normes pour nous protéger et notre absence totale de protection contre ce qui se fait en dehors de l'Europe ! L'agriculture en est peut-être le meilleur exemple –? récent, de surcroît. On oppose ceux qui prônent l'ultralibéralisme et qui souhaitent laisser faire le marché, sans aucune protection, et ceux qui voudraient trop protéger, ce qui revient à empêcher de travailler. Il existe pourtant une autre solution, un autre chemin, qui serait de faire en sorte que le travail respecte l'environnement et les personnes, tout en protégeant nos agriculteurs –? parce qu'il faut les protéger. Pour les protéger, il faut des normes, et ces normes ne peuvent s'appliquer à la seule France. La question de l'écologie ne peut se régler, à mon sens, qu'à l'échelle européenne.
J'en viens à la question. Quelle est l'ambition réelle, non pas du gouvernement français actuel –? cela ne relève pas simplement de la responsabilité d'un gouvernement et le Parlement peut aussi jouer son rôle –, mais de vos homologues européens ? Ressentez-vous à l'échelon européen l'ambition sincère de fixer au bon niveau l'exigence de protection, de sorte que nous puissions disposer de normes qui prennent en considération l'urgence de la transition écologique ? En effet, je le répète, je pense que la solution ne peut venir que de l'échelon européen.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
La Suède a défendu lors de la COP28 l'ambition de transitioning away from fossil fuels, c'est-à-dire de s'éloigner des combustibles fossiles. Elle était à la manœuvre avec nous et mon homologue suédoise chargée de la biodiversité s'est très fortement engagée dans ce sens. Pourtant, le gouvernement suédois actuel est un gouvernement bien à droite –? si ce n'est plus.
En Allemagne, le futur chancelier, Friedrich Merz, a clairement indiqué qu'il maintiendrait l'objectif de neutralité carbone de l'Allemagne pour 2045, c'est-à-dire avec cinq années d'avance par rapport à l'objectif européen. Il a également dit qu'il ne souhaitait pas stopper la transformation de l'Allemagne et a annoncé un plan d'investissement massif afin de l'accompagner.
L'Espagne est, elle aussi, extrêmement engagée –? et je pourrais poursuivre l'énumération.
Contrairement à ce qu'on peut entendre, la nécessité de lutter contre le dérèglement climatique n'est plus remise en cause. En revanche, trois questions restent en suspens.
La première est de savoir comment garantir aux plus modestes qu'ils ne paieront pas l'addition –? faire en sorte que la transition soit juste. La vérité commande de dire qu'un travail important est réalisé en ce sens, avec le Fonds social pour le climat, le signal-prix carbone, le soutien aux personnes qui ne peuvent pas changer de mode de chauffage ou de transport. La deuxième est de préserver la compétitivité des entreprises face à une concurrence déloyale. La troisième est de remédier à la très grande complexité de notre réglementation, qui, il faut le reconnaître, pose aux entreprises des problèmes d'application concrète. Sur ces trois points, les attentes des gouvernements européens sont particulièrement fortes.
M. le président
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon (GDR)
Dans la liste des catastrophes récentes dues au changement climatique, je me permets d'ajouter le cyclone Garance, qui a durement frappé La Réunion le 28 février et a fait cinq morts. Après Chido, la France de l'océan Indien a été touchée pour la deuxième fois en moins de trois mois. Le ministre d'État le faisait remarquer : peut-être l'ampleur de cette catastrophe a-t-elle été sous-estimée à l'échelon national.
Venons-en au pacte vert, qui a été adopté au lendemain des élections européennes de 2019 et qui doit permettre à l'Europe d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Il est attaqué aujourd'hui sur tous les fronts.
Avant même les élections européennes, ce pacte, qui prévoit la remise en état de 20% des terres et des mers de l'Union européenne d'ici à 2030, a fait l'objet d'une véritable offensive au Parlement européen. De son côté, la Commission a retiré le texte visant à réduire de 50% l'usage des pesticides.
Depuis le scrutin de juin, on assiste à une nouvelle offensive en règle contre les ambitions communautaires en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de l'environnement.
Plus grave encore, la Commission européenne a rendu publique il y a quelques semaines un projet de directive, omnibus, qui orchestre un affaiblissement historique des normes environnementales et sociales en Europe. Capitulant devant les lobbys, la Commission européenne semble décidée à faire machine arrière et à « détricoter » –? un terme qui a été beaucoup employé ce soir – le pacte vert, pour entrer dans une logique de guerre économique qui s'apparente à une fuite en avant.
Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que la France était un soutien du pacte vert et qu'elle le resterait. Madame la ministre, vous semblez être sur la même ligne. Quelle est donc votre position par rapport à ce projet de directive ?
La France, alors même qu'elle a toujours prétendu jouer un rôle moteur en faveur d'une mondialisation juste et régulée, semble malheureusement vouloir prendre une part active à la volonté actuelle de dérégulation, quitte à porter un coup fatal aux instruments tels que ceux relatifs au devoir de vigilance des entreprises. Madame la ministre, monsieur le ministre, êtes-vous disposés à réviser vos orientations ? Quelles garanties pouvez-vous nous donner ?
S'agissant des États-Unis, non, la situation actuelle ne concerne pas que les Américains, madame la ministre. Quand ils se désengagent de l'accord de Paris, quand les subventions aux ONG sont coupées dès lors que les projets contiennent les mots " genre ", " climat ", " stéréotype ", etc., on ne peut pas regarder les choses d'un œil distrait en disant : " Laissons-les faire, c'est leur affaire "
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre
Pour ce qui est du dernier point, la tradition veut qu'on ne s'exprime pas sur la politique intérieure d'un État, en particulier devant le Parlement. J'éviterai donc de dire ce que je pense sur le sujet –? néanmoins, comme on dit outre-Atlantique, le langage du corps peut se comprendre aussi bien que les mots qu'on prononce… (Sourires.)
S'agissant du projet de directive omnibus, je voudrais rappeler notre ambition. Elle est d'avoir en 2050 une économie décarbonée, inclusive, démocratique, ouverte. Cette ambition reste au cœur de notre projet.
Que s'est-il passé ? À la suite des chocs que nous avons subis récemment, la concurrence est devenue de plus en plus rude et il y a eu effectivement une pression renforcée de la part des entreprises. Je signale que la directive CSRD, déjà appliquée en France pour ce qui est de la phase 1, n'a pas été transposée par dix-sept États membres. Je le regrette –? nous le regrettons –, et cela place nos entreprises dans une situation de distorsion de concurrence. De ce fait, quand la demande des entreprises s'est traduite à l'échelon du Conseil affaires économiques et financières, auquel je participe depuis trois mois, l'avis majoritaire a été de se donner du temps. D'où le projet de directive omnibus.
Néanmoins, je le répète, nous n'abandonnons pas notre ambition. La directive omnibus simplifie la phase 1 et reporte un peu la phase 2 de la directive CSRD, mais tout en en conservant les principes. Nous allons adapter le droit français au moyen du projet de loi Ddadue, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne.
Quant à la directive CS3D, des règles s'appliquent déjà et nous avons obtenu qu'elles s'appliquent aussi à l'ensemble de l'Union européenne. La responsabilité civile des dirigeants, qui est un élément essentiel, a fait l'objet de débats ; l'attitude de la France a permis que cette exigence soit maintenue. La taxonomie verte demeure, de même que le MACF et toute une palette de mesures qui participent de la même ambition.
Pour conclure, il est vrai que nous avons dû nous adapter aux divergences dans la mise en œuvre des textes au sein des différents États membres et à une concurrence internationale renforcée, mais l'ambition reste la même et nous y sommes très attachés.
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Ferrer.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP)
Nous avons ce soir un débat sur la directive omnibus et je remercie les collègues socialistes de l'avoir organisé. Cette directive va fortement affecter le cadre réglementaire prévu par le pacte vert, qui mettait à la disposition des États membres un certain nombre d'outils visant à lutter contre les atteintes à la nature et aux personnes.
Je souhaite centrer mon propos sur la directive CS3D, qui porte sur le devoir de vigilance et qui instaure notamment un régime de responsabilité civile en cas de manquement, offrant aux victimes des abus des entreprises la possibilité d'obtenir réparation.
Le 23 janvier, vous avez déclaré, monsieur le ministre, vouloir, au nom de la France, suspendre cette disposition. Toutefois, lors du Conseil affaires économiques et financières du 12 mars, vous avez, à l'inverse, défendu le maintien de la clause de responsabilité civile.
Ma question est claire : la France défendra-t-elle, oui ou non, la directive CS3D au niveau européen, notamment le maintien de la responsabilité civile des entreprises en cas de non-respect de leur devoir de vigilance ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre
Merci de me permettre de clarifier ce point.
Nous avons plaidé pour le maintien de cette directive, question qui a fait l'objet de dialogues vigoureux au sein du Conseil des ministres. Heureusement, la position de la France a prévalu et la directive est maintenue. Dans le projet de directive omnibus, qui est, en l'état, une proposition de la Commission, la responsabilité civile ne figure plus. Or –? il y a autour de la table d'excellents spécialistes du sujet, qui ne me contrediront pas –, si l'on supprime la responsabilité civile des dirigeants, l'impact de la directive en sera très affaibli. Il nous paraît essentiel qu'au devoir que nous souhaitons assigner aux entreprises soit associée une responsabilité civile qui permette aux parties prenantes d'en exercer le contrôle et de tirer les conséquences d'un éventuel non-respect des textes.
Le projet de directive de la Commission va poursuivre son chemin, dans le dialogue avec les États membres et le Parlement européen. Je vous certifie que, dans le cadre de ce dialogue, nous pousseront pour que la responsabilité civile soit rétablie dans le texte final.
Dans le droit français, la responsabilité civile existe. Il est donc d'autant plus l'important que nous ayons gain de cause. Dans le cas contraire, non seulement nous serions l'un des seuls États membres de l'Union à défendre ce texte dans toutes ses dimensions, mais nous subirions une distorsion de concurrence.
Tout cela va évoluer dans les semaines et mois à venir ; vous pouvez compter sur notre engagement en faveur de la réintégration de ces dispositions.
M. le président
La parole est à Mme Pascale Got.
Mme Pascale Got (SOC)
Comme vous avez déjà exposé votre position sur le pacte vert, j'aimerais connaître votre avis sur l'exportation de CO2 par la France vers des pays riverains, afin d'y procéder au stockage offshore. N'est-ce pas renvoyer chez les autres, notamment d'autres pays européens, nos déchets ? Le fait que la France n'ait développé aucun projet de stockage de ce genre, malgré son domaine maritime, ne contredit-il pas ce que vous avez indiqué en introduction ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre
Une remarque générale d'abord : le meilleur CO2 est celui qui n'est pas émis. Notre projet, c'est de recourir à des énergies décarbonées et de privilégier des processus industriels qui n'émettent pas de carbone.
Concernant les émissions, que nous voulons aussi résiduelles que possible, il est vrai que différents opérateurs expérimentent plusieurs techniques de stockage. Une grande entreprise française spécialisée dans l'exploitation du gaz développe la technique que vous avez évoquée : elle consiste à liquéfier le carbone pour le réinjecter dans les couches profondes d'anciens champs pétroliers, de façon à atteindre des cavités depuis lesquelles ce CO2 ne risque pas de se diffuser dans l'atmosphère. Au large de la Norvège, il existe des sols de ce type, où l'on peut réinjecter du CO2 dans d'anciennes poches vidées de leur pétrole. La France n'ayant jamais été une grande puissance pétrolière, nous ne disposons pas d'anciens champs pétroliers. Ces circonstances seules expliquent que nous menions cette expérimentation en Norvège, dans le respect de la réglementation.
Toutefois, nous ne souhaitons pas que cela devienne l'option prédominante. Continuer à polluer et traiter ensuite la pollution ne me paraît pas la bonne solution en matière d'écologie. En revanche, dans une phase de transition où les émissions de carbone sont encore excessives, il s'agit sans doute d'une technique intéressante, à condition de disposer de sols ad hoc et de respecter les règles en vigueur.
M. le président
La parole est à M. Benoît Biteau.
M. Benoît Biteau (EcoS)
J'ai eu la chance, l'honneur, le privilège même, de vivre la naissance du pacte vert dans une autre assemblée ; je l'ai vu se bâtir et, en fin de mandat, j'ai observé les prémices de son détricotage.
Un important volet du pacte concerne l'agriculture, mon sujet de prédilection. C'est l'une des raisons qui ont fait de moi l'un de ses fervents soutiens, car le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité menacent notre souveraineté alimentaire, le revenu des agriculteurs et, plus généralement, notre faculté de produire en Europe. Par conséquent, nous devons tout faire pour préserver ce pacte vert –? j'ai bien perçu le volontarisme des deux ministres sur ce point –, notamment ses dispositions relatives à la souveraineté alimentaire. Parmi les agriculteurs comme dans les autres secteurs, les premières victimes seront en effet les plus faibles.
Alors qu'une future PAC fait l'objet de nouvelles discussions, les échos qui me parviennent ne laissent en rien penser que cette politique agricole sera en adéquation avec les grandes orientations définies dans le pacte vert. Quant à la France, je suis désolé de constater que la loi de programmation agricole n'est pas à la hauteur des enjeux de réchauffement climatique et d'effondrement de la biodiversité.
M. Jimmy Pahun
Elle a été détricotée.
M. Benoît Biteau
Heureusement !
D'ici peu, nous examinerons une proposition de loi, défendue par le sénateur Laurent Duplomb, qui nous éloigne encore des objectifs fixés en la matière. Je vous alerte : si vous voulez tenir les engagements que vous avez rappelés dans vos propos liminaires, il faut nous aider –? j'ai l'humilité de vous le dire – à faire en sorte que cette PAC prenne la bonne tournure, que la proposition de loi Duplomb n'aboutisse jamais et que nous soyons au rendez-vous de l'histoire sur ces grands enjeux. Faute de quoi, nous ne montrerons pas l'exemple. Or, comme le disait Gandhi d'une formule que j'aime beaucoup : " Montrer l'exemple n'est pas la meilleure manière de convaincre, c'est la seule. " Eh bien, montrons l'exemple en France et en Europe !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je partage votre diagnostic : la première menace pour le revenu des agriculteurs aujourd'hui, c'est le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Pour s'en convaincre, il suffit de se décentrer et d'en observer l'impact sur les revenus des agriculteurs hors d'Europe : l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a publié des études tendant à montrer que les rendements baissent structurellement dans certaines aires géographiques du fait du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité.
En France, le coût des interventions d'urgence dans le budget de l'État depuis les années 2010 a été multiplié par un facteur situé entre 20 et 50 : de quelques dizaines de millions d'euros, nous sommes arrivés au-delà du milliard, atteignant même 2 milliards. L'ampleur des aléas a complètement changé de proportion, comme en attestent les épisodes de sécheresse, de gel tardif, de grêles, etc. Parfois très localisés, ces événements peuvent faire disparaître les fruits du travail d'une année.
Sur la PAC, à ce stade, la question est celle du budget, puisque la discussion porte sur le cadre de financement pluriannuel. La France défend une conception très ambitieuse de cette politique, d'autres pays mettent en question l'opportunité d'y consacrer un budget propre, discussion typique d'un début de négociation.
Notre vision pour l'agriculture est bien illustrée par le plan Agriculture climat Méditerranée. Travaillant avec les agriculteurs, nous demandons : partant d'un scénario de dérèglement climatique entraînant telle et telle conséquence sur votre territoire –? raréfaction des ressources en eau, élévation des températures et accroissement de la pression, au sens propre et imagé du terme –, quelles productions alimentaires faut-il privilégier pour tenir compte des nouvelles conditions pédoclimatiques tout en répondant aux enjeux de souveraineté alimentaire ? Sachant qu'il ne s'agira probablement pas des mêmes cultures que celles qui sont pratiquées aujourd'hui, comment parvenir à une équation intrants-revenus qui fonctionne ?
M. Benoît Biteau
Et la proposition de loi de M. Duplomb ?
M. le président
La parole est à M. Jean-Victor Castor.
M. Jean-Victor Castor (GDR)
Je vous propose de considérer la question sous un autre angle : amazonien, guyanais. La Guyane étant un territoire très pauvre, je suis un homme du Sud. Depuis le sommet de Rio, on a fait beaucoup de promesses aux pays du Sud : en Occident, nous continuons à consommer et à développer notre industrie ; au Sud, vous protégez la planète.
Un territoire comme la Guyane ou un État brésilien comme l'Amapá sont exactement dans cette situation. Or le plateau des Guyanes recèle des ressources en énergies fossiles, que beaucoup –? au Guyana, au Suriname, dans le Nordeste du Brésil – veulent exploiter ; l'exploitation a d'ailleurs commencé à un rythme vertigineux. Cependant, la loi Hulot, décidée à Paris de manière totalement unilatérale, interdit aux Guyanais l'exploitation du pétrole. L'impact social se fait déjà sentir : nos jeunes commencent à émigrer vers les pays où cette exploitation a lieu. Au même moment, la forêt guyanaise est détruite par des activités illégales –? vous le savez, madame Pannier-Runacher – et rien n'est fait. Sept de nos vingt-deux communes sont enclavées, sans routes ni voies ferrées. À cela s'ajoute une démographie hors normes. La situation est la même dans l'Amapá, au Brésil.
La COP 30, à laquelle vous vous rendrez bientôt, se réunira à Belém. Le président Lula a annoncé qu'il permettrait quant à lui l'exploitation du pétrole dans le Nordeste du Brésil, parce qu'il n'accepte pas que les 30 millions de Brésiliens qui y vivent continuent d'assister en spectateurs à ce qui passe de l'autre côté de la frontière.
Sans entrer dans la question de la directive omnibus, je veux parler des objectifs : on ne peut les décider en Europe, en Occident, sans entendre les pays du Sud. Un territoire comme la Guyane est confronté à des politiques contradictoires, voire des hypocrites, parfaitement incompréhensibles pour ses habitants : alors que l'exploitation du pétrole nous est interdite, une multinationale française, TotalEnergies, signe des accords d'exploitation avec le Guyana, et la France propose d'y installer une base militaire pour sécuriser cette exploitation ! Je vous le dis au nom des Guyanais : une telle situation n'est ni tenable ni acceptable ! Les élus de ce territoire s'opposent tous à cette doctrine, à ces choix qui sont édictés sans eux et contre eux.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Votre question nous fait toucher du doigt les ambivalences que nous pouvons tous avoir vis-à-vis de la mise en œuvre du pacte vert. Je me contenterai de rappeler ce que le Giec –? les scientifiques qui analysent toutes les études scientifiques…
M. Jean-Victor Castor
On le sait !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…sur les données climatiques –? : toute exploitation supplémentaire d'énergie fossile pose un grave problème en termes de trajectoire de dérèglement climatique.
M. Jean-Victor Castor
C'est faux !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je répète ce que dit le Giec –? il se trouve que j'ai un peu étudié le sujet. C'est un premier point.
Le deuxième, c'est que les investissements dont vous parlez n'aboutiront probablement pas. Je vous renvoie sur ce point aux publications de l'Agence internationale de l'énergie, dont les travaux, d'envergure planétaire, prennent en compte le Sud global, que vous avez évoqué. Dans ces travaux, il est notamment question d'actifs échoués, c'est-à-dire d'investissements réalisés en vue d'une exploitation qui doit finalement s'arrêter, car elle contrevient aux engagements nationaux et internationaux, comme l'accord de Paris –? n'en déplaise à ceux qui essaient d'en sortir, c'est une règle internationale qui s'applique à tous les pays.
Troisièmement, s'agissant plus spécifiquement de la Guyane, je suis la ministre qui a voulu la révision du code minier afin de faciliter les activités minières, notamment dans ce territoire, pour les raisons que vous avez indiquées.
M. Jean-Victor Castor
Ce n'est pas le cas !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Il se trouve que cette révision, cette simplification sont de mon fait. Que le code minier soit mis en œuvre aujourd'hui est une autre histoire. Nous y travaillons, mais cela supposait une remise à plat préalable. J'ai également lancé l'investigation du sous-sol guyanais, que poursuivent les agents du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Je crois d'autant plus en une activité minière dont les retombées profiteraient directement aux Guyanais qu'il ne s'agirait pas d'un actif échoué. L'extraction d'or et d'autres éléments contribuerait au contraire à la transition.
Concernant TotalEnergies, je le dis clairement : cette entreprise a obtenu des licences d'exploration, mais elle n'a pas trouvé de pétrole là où elle a cherché. Arrêtons de fantasmer !
M. Jean-Victor Castor
C'est faux, madame.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous interrogerez Total, comme nous les avons interrogés à plusieurs reprises sur ce sujet. Quant à moi, étant pleinement engagée, je suis prête à en rediscuter avec vous le temps qu'il faudra.
M. Jean-Victor Castor
Ils n'ont jamais publié les résultats.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Ils pourront vous les donner. Si Total n'avait pas sa liberté d'action dans ce pays, cela se saurait !
M. le président
La parole est à M. Christophe Proença.
M. Christophe Proença (SOC)
J'aimerais aborder un axe, peut-être annexe mais à mon sens essentiel, dont nous n'avons pas parlé : la formation et la recherche sur le changement climatique. J'ai presque 60 ans et au début de ma carrière, dans une autre vie, j'étais enseignant ; la France était alors en pointe sur de nombreux sujets, comme en témoignent le TGV ou le four solaire thermique de Font-Romeu, qui ont servi de modèle dans le monde entier. Dans de multiples domaines, que ce soit le nucléaire ou la production d'énergie, nous étions vraiment en pointe.
Or il semble –? les chiffres le disent – que tout ce qui relève de la formation scientifique et technique est en perte de vitesse dans notre pays : les écoles d'ingénieurs attirent de moins en moins de gens. Je crois que, pour passer le cap de la transition énergétique, deux éléments fondamentaux doivent être mis en avant : la formation et l'industrie. La dernière usine française de production de panneaux solaires a fermé –? elle se situait à Bourgoin-Jallieu, non loin de Lyon : nous ne produisons plus aucun onduleur, par exemple, et pratiquement rien de ce qui pourrait nous servir à nous adapter au changement climatique.
J'aimerais donc avoir votre avis sur la formation, la recherche et l'industrie, qui sont les éléments dont nous avons besoin pour passer le cap. Peut-être manquerez-vous de temps pour me fournir une réponse complète, mais j'aimerais que nous abordions le sujet.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Les travaux interministériels que nous avons menés sur la planification écologique comportent un volet consacré à la planification des compétences ; ils visent à déterminer quels sont nos besoins en compétences, filière par filière. Nous l'avons fait de manière particulièrement précise en ce qui concerne l'industrie du nucléaire, mais nous avons également lancé des travaux sur l'économie circulaire, sur la transition énergétique et les énergies renouvelables, ainsi que sur la rénovation thermique. Nous cherchons ainsi à adapter notre appareil de formation professionnelle, en lien avec la réforme des lycées professionnels ; l'objectif est de développer ces nouveaux métiers, qu'il nous faudra promouvoir dans les années qui viennent.
S'agissant de la recherche, je partage là aussi votre avis, il nous faut renforcer notre effort en la matière. C'est d'ailleurs l'un des enjeux de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Une articulation est par ailleurs nécessaire avec le niveau européen. Sur certains sujets directement liés à la transition énergétique, nous avons financé des dispositifs européens de soutien qui lient recherche, développement et industrialisation, les IPCEI : c'est le cas sur l'hydrogène, sur les batteries électriques, et sur d'autres sujets plus éloignés de la transition, qui ont trait par exemple à la santé. Un tel outil peut être très utile, à condition d'être activé rapidement –? je le mentionnais dans mon intervention liminaire, en disant que nous ne pouvons pas nous contenter d'un système dans lequel il faut deux ans et demi pour donner une réponse à une entreprise.
Nous avons articulé ces IPCEI européens avec le plan France 2030, afin de compléter notre engagement dans des domaines tels que la décarbonation, la transition énergétique, le stockage de carbone ou l'hydrogène, c'est-à-dire sur toute une série de sujets en lien avec la transformation de notre économie, ce qui nous permettra de créer les filières vertes susceptibles de soutenir le pacte vert.
M. le président
La parole est à M. Dominique Potier, pour une dernière question.
M. Dominique Potier (SOC)
Après la question un peu philosophique que j'ai posée au début du débat, je voulais poser deux questions plus pratiques. Ma première question faisait référence à l'état du monde ; or c'est parce qu'il est particulièrement inquiétant qu'il faut renforcer ce qui apparaît comme un fer de lance éthique en même temps qu'un bouclier économique pour l'Europe. Cela nous paraît tellement évident ! Si nous nous engageons dans la course au low cost, elle est perdue d'avance ; c'est à l'inverse en affirmant l'importance de nos normes que nous nous imposerons comme une puissance productive !
Par ailleurs, si nous sortons des grands principes pour entrer dans le détail concret de la CSRD, une solution de repli ne se trouverait-elle pas dans le projet de norme LSME –? Listed small and medium-sized enterprises –, qui serait utilisée pour les PME cotées ? Ce serait une taxonomie simplifiée mais robuste et multicritères, qui permettrait de nous en sortir par le haut et serait préférable à tous les bricolages que l'on peut imaginer. Ce pourrait être une solution pour la vague 1, mais aussi pour les suivantes. Ne faut-il pas amorcer un dialogue sur ce sujet ?
Enfin, merci pour votre combat, monsieur le ministre, pour défendre le principe de responsabilité civile des entreprises ; c'est un sujet capital. Si ce principe ne s'applique plus au-delà des fournisseurs de rang 1, ce sera –? passez-moi l'expression – un peu bidon ! Les drames tels que celui du Rana Plaza surviennent chez des sous-traitants de rang 3, 4, 5, 6 ou 7 ! Or il est tout à fait possible de les identifier, car les entreprises de rang 1 savent parfaitement dans quelles conditions elles se fournissent en matières premières et en ressources humaines, dont elles recherchent principalement le faible coût, en des lieux où les conditions de travail sont trop souvent inhumaines. Elles le savent, puisqu'elles vont y chercher de moindres prix ! Elles pourraient aussi aller à la recherche de certaines valeurs, celles que défend l'Europe.
M. le président
La parole est à M. le ministre, pour une dernière réponse en forme de conclusion.
M. Éric Lombard, ministre
S'agissant du drame du Rana Plaza, ayant eu le privilège, si je puis dire, de me rendre à Dacca, je peux dire que, dans certains pays, vérifier l'attitude des sous-traitants industriels pose de réelles difficultés opérationnelles. J'ajoute que si l'on fixe une responsabilité aux sociétés de rang 1, la responsabilité de leurs sous-traitants restera à déterminer –? peut-être est-ce une question de jurisprudence, qui ne se réglera qu'a posteriori. Je suis certain qu'avec le temps, il sera possible de considérer qu'il revient à chaque sous-traitant de respecter lui-même le devoir de vigilance. Cependant, il me semble un peu hasardeux de faire porter une responsabilité juridique sur un chef d'entreprise qui pourrait être celui d'une PME. Certains sous-traitants exercent dans des pays comme le Bangladesh –? c'est l'exemple que vous citez ; il est possible d'y accéder, mais au prix d'un peu de temps et de moyens ! À ce stade de développement des pratiques dont nous parlons, cela me paraît très ambitieux.
Quant au projet LSME, nous pouvons en débattre ; je veux cependant signaler qu'un processus législatif européen est en cours. Des améliorations seront possibles dans le cadre du trilogue –? techniquement, c'est cette forme que prend la négociation – et introduire de nouveaux référentiels est envisageable, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain ! Cela dit, je prends note de votre remarque et je rappelle que par ailleurs, la transposition en droit français se fait dans le cadre de la loi Ddadue.
Enfin, puisque M. le président m'invite à conclure et si Mme la ministre me le permet, je veux insister sur ce que nous disions tous les deux en introduction : en ces temps difficiles, où nous faisons face aux défis que posent l'agressivité de la Russie, la transformation des États-Unis et l'émergence de puissances globales, nous sommes convaincus que le modèle européen doit garder sa spécificité ; il doit conserver ses valeurs et ses règles, notamment en ce qui concerne la transformation écologique.
Je dirais même qu'à un moment où les États-Unis s'emploient à exclure de leur modèle des entreprises qui respecteraient trop la diversité, l'inclusion ou le respect des normes écologiques, l'Europe se grandit en imposant ces valeurs ou en les maintenant. Cela nous donne même un avantage comparatif ! Je terminerai en mentionnant l'exemple d'une société américaine qui a été écartée d'un appel d'offres, dans un grand pays européen n'appartenant pas à l'Union, parce qu'elle avait abandonné toutes les règles éthiques qui fondent l'Europe. À la place, ce grand pays européen a sélectionné une société de notre continent, ce qui montre que nous pouvons aussi développer l'activité économique en maintenant et en renforçant nos valeurs. C'est ce que nous allons faire ! Je veux affirmer ici –? c'est ma responsabilité et je sais que Mme la ministre la partage aussi – cette conviction profonde, qui nécessite encore plus d'exigence qu'auparavant mais que nous allons continuer à défendre. Merci de votre attention et de votre invitation.
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je n'ai rien à ajouter aux propos tout à fait enthousiasmants de mon collègue, que je rejoins totalement.
M. le président
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 mars 2025